Sommet de la Jamaïque, retour sur un échec (2)

(2ème partie)

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Le Premier ministre hôte Andrew Holness assis entre son homologue des Bahamas Philip Davis (à gauche) et Ariel Henry d'Haïti à l'ouverture d'une réunion de trois jours pour les parties prenantes haïtiennes au Liberty Hall du ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur au centre-ville de Kingston le 11 juin 2023. -Photo de Rudolph Brown

Les alliés du Premier ministre ayant à leur tête Me André Michel, le supporter N° 1 du régime de la Transition, avaient bien sûr fait le voyage de Kingston pour participer au Sommet de la CARICOM. Depuis la Jamaïque, André Michel, comme Ariel Henry, avait opposé un non catégorique à toute ouverture du pouvoir, surtout à un Exécutif qui serait dirigé par un Président provisoire de la République.

Avant son départ pour ledit Sommet, l’ex-opposant radical avait dit ce qu’il allait défendre devant la CARICOM au nom de ses alliés et associés : « Après avoir consulté alliés et associés, nous avons décidé de participer aux discussions même si nous partageons pleinement la position de l’HCT. Nous irons à la Jamaïque pour défendre l’Accord du 21 décembre comme point d’appui politique de toute sortie consensuelle. Nous défendrons la nécessité d’impliquer les autres forces politiques et sociales dans la mise en œuvre du consensus du 21 décembre 2022. Nous regrettons énormément l’absence de certains acteurs politiques au Forum de l’HCT les 23 et 24 Mai alors que ces derniers ont tous confirmé leur participation pour la Jamaïque. Pas très sérieux ! Celles et ceux qui veulent recommencer à zéro jouent le pourrissement. Ils attendent que les gangs créent le chaos pour prendre le pouvoir. C’est très cynique de leur part ! L’Accord du 21 décembre, paraphé entre des politiques, la Société civile et le secteur privé est un pas dans la bonne direction, salué par les Haïtiens et la Communauté internationale en 2023 » avançait l’ancien avocat du peuple.

En tout cas, tout ce beau monde avait reçu leur carton d’invitation. Dans ce Forum, les organisateurs officiels et officieux voulaient avoir tout le monde ou presque et en vérité, ils n’avaient pas lésiné sur les moyens. Afin de faciliter le déroulement de cette expédition vers la Jamaïque, la CARICOM avait assuré l’intendance.

Tout a été pris en charge : transport d’avion depuis Port-au-Prince, hébergement dans la capitale jamaïcaine dans un hôtel 5 étoiles et transport collectif en Autocar pour tout le monde depuis l’hôtel jusqu’au Centre de Congrès où devait se réunir les congressistes.  Apparemment, seuls ceux qui n’ont pas été sollicités avaient trouvé à redire, comme c’est le cas de Valéry Dutreuil Jacques, Secrétaire général de Sitwayen Angaje, l’une des plateformes politiques qui saturent le paysage sociopolitique haïtien. Le dirigeant de cette plateforme avait tout de même anticipé le résultat de ce Sommet « La Communauté internationale ne peut rien apporter comme réponse à ce que traverse le pays en ce moment. Il convient aux acteurs de trouver un consensus et de voir ensemble comment ils peuvent rétablir le calme, garantir la sécurité et permettre l’organisation des élections pour un renouvellement de la classe politique haïtienne. Si on laisse passer du temps pour prendre les mesures nécessaires, les problèmes ne feront que s’aggraver » avait souligné Valéry Dutreuil Jacques dans la presse.

Certains acteurs de la classe politique haïtienne en route pour le Forum de la Jamaïque

Si la plupart de ceux qui n’ont pas été invité se sont rebiffés, d’autres acteurs, pourtant au cœur de la Transition et qui ont été les premiers à être conviés à la Jamaïque, ont carrément décliné l’invitation prétextant que toutes décisions concernant la crise haïtienne doivent être prises en Haïti. La surprise venait plus exactement du côté du Haut Conseil de la Transition  (HCT) que préside l’ancienne Secrétaire générale du RDNP, une institution créée par l’Accord du 21 décembre 2022 justement pour soutenir l’action du Premier ministre Ariel Henry.

La rencontre des Bahamas entre les chefs d’Etat et de gouvernement organisée par la CARICOM avec Kamala Harris et le chef d’Etat dominicain Luis Abinader n’était pas encore terminée lorsque la Présidente du HCT avait reçu sa carte d’invitation au nom de cet organisme chargé de seconder le pouvoir de Transition. En plein débat dans la société pour savoir qui doit ou non participer au Forum de la Jamaïque, le HCT, dans une note datée du 5 juin 2023, prend tout le monde par surprise.

Dans cette note, on apprend que « La Présidente du Haut Conseil de la Transition (HCT) informe le public en général et les acteurs politiques en particulier que, dans une lettre adressée au Premier Ministre des Bahamas, elle a décliné l’invitation qui lui a été faite de participer à une Conférence devant se tenir à Kingston, Jamaïque, du 11 au 13 juin prochain dont le thème est consacré à la situation qui prévaut en Haïti. La Présidente du Conseil, informe que tout processus de dialogue doit se dérouler entre Haïtiens et en Haïti. Le HCT avait organisé le 23 et le 24 mai 2023 un Forum portant sur les mêmes sujets que ceux prévus à la rencontre. Il ne voit, dès lors, aucun intérêt à les reprendre ailleurs quelques jours après quasiment avec les mêmes personnalités. Le dialogue, quel qu’en soit le motif, doit se dérouler entre Haïtiens et en Haïti au bénéfice de leur union», de ce fait, le Haut Conseil de la Transition décline sa participation au Sommet de Kingston. Cette décision a fait un bing bang dans le microcosme politique du pays. Et pour cause.

Le HCT est considéré par les opposants du régime de Transition comme étant un « machin » du locataire de la Primature et qu’il ne fait qu’exécuter les désirs « du Roi Henry » tout au moins de son chef Ariel Henry. Les critiques venaient de presque partout de la classe politique. Citons, par exemple, la position de l’ancien sénateur du Nord-Ouest, Evalière Beauplan, qui comprend mal la position de Mirlande H. Manigat. L’ex-parlementaire croit que « Ce n’est pas le lieu qui compte. Des discussions sur ce qui se passe en Haïti peuvent se tenir n’importe où. Dans ce monde globalisé, il est normal de discuter avec des partenaires. L’Etat haïtien a failli. Le gouvernement ne fournit pas de services à la population. Le Premier ministre Ariel Henry ne peut pas se rendre à Martissant ou à Canaan. Les problèmes de sécurité et l’aggravation de la pauvreté provoquent des flux migratoires qui constituent des problèmes pour les pays de la région. A l’ONU et dans d’autres Forums internationaux comme au Conseil de sécurité de l’ONU, le gouvernement Henry porte sa propre parole » avait indiqué Evalière Beauplan.

En fait, le refus de Mirlande H. Manigat et son HCT d’aller cautionner ce qui aurait dû être fait n’a rien de surprenant en soi. Il suffisait de connaitre la position initiale, justement du chef de la Transition, Ariel Henry, qui voyait de très mauvais œil cette rencontre qui risquerait de le mettre en difficulté, en tout cas c’est ce qu’il croyait, auprès de ses adversaires qui se sont précipités là-bas, sur les terres de l’ancienne colonie britannique, avec l’espoir de lui forcer la main sur un éventuel partage du pouvoir en mettant en place un « Pouvoir bicéphale ». D’ailleurs, si l’on croit l’ancien sénateur Jean Hector Anacacis, « Ariel Henry a tout fait pour boycotter le Sommet de la Jamaïque. Une campagne de propagande a été enclenchée sur les réseaux sociaux pour déconseiller aux acteurs de s’y rendre » avait-il révélé.

Après réflexion, certains se demandaient, à juste titre, si le désistement de la Présidente du HCT n’était pas fait sur commande. En tout cas, il y a eu d’autres acteurs politiques qui ont quasiment repris les arguments de Mirlande H. Manigat pour fustiger ceux qui n’ont pas voulu dialoguer en Haïti et qui s’apprêtaient à s’envoler pour la capitale jamaïcaine dans le cadre de cette rencontre au Sommet entre  tous les protagonistes de la crise en présence des Tuteurs étrangers.

Selon le quotidien Le National du 7 juin 2023, Jean Elysée Céliscar, porte-parole de la Plateforme Chimen Delivrans, mettait en doute l’attitude de la plupart des acteurs dans cette confusion sur le débat qu’avait provoqué ce Forum en Jamaïque. Jean Elysée Céliscar  laisse croire que « Cette initiative est une véritable démagogie et qualifie d’affairistes ces acteurs qui nient tout dialogue entre eux en Haïti alors qu’ils sont prêts pour aller à la Jamaïque. En ce sens, il croit que la solution à la crise doit être posée par les Haïtiens et réglée par eux-mêmes » en s’alignant sur la position de la Présidente du HCT. Cette plateforme politique proche du pouvoir ne faisait que rendre publique la position de l’occupant de la Villa d’Accueil que Washington était obligé de menacer de destitution pour qu’il se rende à ce Sommet. Contraint de prendre l’avion pour Kingston !

D’autres n’avaient pas besoin de toutes ces menaces, à l’exemple du Professeur Rosny Desroches, le Coordonnateur de l’Initiative de la Société Civile (ISC) qui disait répondre à l’invitation avec l’espoir que les acteurs trouveraient un consensus sur la Transition : « Oui, j’y vais parce que j’ai été invité. J’espère finalement que nos compatriotes Haïtiens arriveront à trouver une entente entre eux, signer un accord pour pouvoir avancer, sortir le pays dans de ce marasme dans lequel nous nous trouvons, aller vers des élections pour que l’on puisse avoir des élus, reconstituer les institutions » disait le Professeur Desroches. Outre la Société civile qui a participé en nombre à ce grand rassemblement à Kingston, les politiques, surtout ceux qui se disent en opposition avec la politique du Premier ministre, ont été les plus nombreux et n’ont pas hésité à tacler de manière sévère la Présidente du HCT qui a préféré suivre les débats dans les médias depuis sa Résidence de Marin en  Plaine.

(A suivre)

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