République d’Haïti/République dominicaine : Faut-il parler d’occupation ou de réunification?

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Faut-il parler d’occupation ou de réunification?

« La maltraitance subie par les braceros haïtiens en terre voisine sont connus du monde entier. Pourtant, l’Organisation internationale du Travail (OIT) n’intervient pas pour changer les conditions de vie des congos dans les « bateys » Libertad, Baraguana, Amina, etc.… La plupart d’entre eux travaillent dans des plantations de canne qui appartiennent à des firmes sucrières dont les sièges sociaux se trouvent aux États-Unis. »

Robert Lodimus, Pauvreté en Haïti et dans le reste du monde : Hara-kiri ou Révolution, page 334

 

Le torchon n’arrête pas de brûler entre la République d’Haïti et la République dominicaine. Les événements tragiques qui se sont déroulés durant ces dernières semaines, et même jusqu’à présent, ont encore jeté de l’huile sur le feu. L’assassinat d’un couple dominicain le 20 février 2018, Felix Urbáez et son épouse Neiba Julio Reyes Perez, – mis à tort ou à raison –, au compte d’un ressortissant haïtien, Edner Noël, un travailleur agricole migrant, a réveillé complètement le trujillisme haïtianophobe. L’accusé a eu le temps de se rapatrier. Emprisonné à Jacmel, Edner Noël continuait à clamer son innocence. Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique de l’époque, Heidi Fortuné, a choisi lui-même d’ignorer la demande d’extradition présentée par l’État dominicain.

Actuellement, des immigrés haïtiens, pour éviter d’être arrêtés, maltraités par des agents de migration et des militaires sans pitié, fuient le territoire dominicain comme les Juifs persécutés entre 1939 et 1945 par le nazisme et le mussolinisme. Pour la seule année 2022, qui n’est même pas encore achevée, 108 436 compatriotes, entassés comme des sardines dans des camions à  bestiaux, sont arrivés à la frontière haïtiano-dominicaine où ils ont été accueillis par des organismes philanthropes. Certains d’entre eux ont été contraints de laisser derrière eux leurs progénitures et leurs maigres économies de plusieurs années.

L’histoire commune de ces deux peuples regorge de mépris, de haine, d’animosité… Tous les Haïtiens sont révoltés contre les traitements humiliants infligés à leurs compatriotes paysans installés dans l’Est de l’île. Et l’on se demande même si la situation ne dégénèrera pas une nuit en une guerre de mauvais voisinage. Ce que personne n’aurait souhaité. Car le monde en a déjà assez de l’éveil désastreux depuis 14 mai 1948 – date de la création d’Israël – du volcan israélo-palestinien qui menace d’entraîner la planète dans un énième conflit armé entre chrétiens et musulmans. Ce désaccord politique persistant entre Israéliens et Palestiniens constitue  –  on le sait bien –  l’un des enjeux majeurs qui allument les foyers des attentats terroristes au Nord comme au Sud. En aucune façon, la pourriture des hostilités sociales et des rivalités politiques ne devrait conduire Haïti et sa voisine sur un terrain de catastrophe politique irréparable.

Pour l’histoire

Avant 1492, 1 million d’Arawacks vivaient tranquillement sur l’île qu’ils appelaient Boyio. Le territoire insulaire était composé de cinq caciquats : Marien, Xaragua, Magua, Maguana, Higüey. Les Espagnols les exterminèrent cruellement pour s’emparer du pays. Une page d’histoire douloureuse, occultée dans les ouvrages occidentaux. En 1697, par le traité baptisé Ryswick, les rois Charles II d’Espagne et Louis XIV de France séparèrent entre eux les terres et les esclaves. Le Traité d’Aranjuez de 1777 acheva finalement le tracé de la ligne frontalière entre les deux portions de l’île.

La République d’Haïti et la République dominicaine

Saint-Domingue se libéra de l’armée de Napoléon Bonaparte et devint un État le 1er janvier 1804. 17 ans plus tard, soit en décembre 1821, José Nuñez de Caceres et Pablo Ali conduisirent l’Est de l’île à une « indépendance » dite plutôt « éphémère ». Elle dura deux mois. Le 9 février 1822, le président haïtien, Jean-Pierre Boyer envahit l’Est de Quiskeya à la tête de 20 000 hommes et réunifia le territoire. Une majorité de la population dominicaine appuya l’initiative du successeur de Pétion. Selon plusieurs historiens, la réunification, à bien des égards, fut profitable aux citoyens de l’Est. Boyer abolit l’esclavage, réforma l’agriculture, établit l’égalité entre la femme et l’homme. Néanmoins, il y eut également l’adoption de quelques décisions politiques et sociales impopulaires. Boyer perdit le pouvoir en 1843. En février 1844, les mouvements politiques de Juan Pablo Duarte, Thomas Bobadilla, Buenaventura Baez, Francisco Del Rosario Sanchez, Ramon Matias Mella réalisèrent la seconde indépendance et proclama du même coup la «naissance de la République dominicaine. » Vous avez sans nul doute remarqué que nous avons utilisé, mais sciemment, le substantif « réunification » à la place de celui de l’ « occupation » qui figure dans certains manuels d’histoire… Dessalines, Boyer… ont-ils occupé la nation dominicaine, qui n’était pas à l’époque une République? Il faut toujours se rappeler qu’à l’arrivée des conquistadors espagnols de Ferdinand et d’Isabelle la catholique, Ayiti, Quisqueya ou Bohio était constitué du territoire équivalent à l’île entière. Et que surtout, « le naturel finit toujours par revenir au galop… » L’empereur Faustin Soulouque, en 1859, tenta de confédérer les deux « Républiques voisines. » Sans succès. Et finalement, pour sortir de la menace permanente de la « réunification »  entretenue par les nombreux gouvernements haïtiens, la République dominicaine fit une croix sur sa « souveraineté » et se plaça sous le protectorat de son « premier maître », l’Espagne.

Tout ce détour révèle exhaustivement que la présence des Haïtiens sur le sol des 2/3 de l’île remonte au-delà de 1929. Boyer régna sur Haïti – telle qu’elle fut originellement constituée – durant 22 ans environ. De 1822 à 1843. Il faut inscrire les escapades politiques et guerrières des dirigeants haïtiens, en l’occurrence, Dessalines, Boyer, Pierrot, Soulouque…  en terre voisine, dans la possible démarche d’une quête irrésistible de rapprochement des deux peuples. Ce serait donc une obsession d’Haïti à vouloir récupérer l’autre partie d’elle-même. Un corps diminué, mutilé à la recherche de ses organes vitaux manquants. Dans l’optique newtonienne, il s’agirait ici de deux entités situées à un intervalle de l’une de l’autre et qui libèrent une force attractive… Les Dominicains et les Haïtiens ne pourront jamais se passer les uns des autres. Ils sont condamnés – comme les Juifs d’Israël et les Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza – à partager le même sort sur un territoire commun; donc, à vivre côte à côte jusqu’aux siècles des siècles…!

La frontière qui sépare les deux nations est historique. Elle ne remonte pas à la genèse du territoire. Tout comme les autres lignes frontalières qui délimitent les espaces géographiques des États répartis sur la planète et qui engendrent, d’un côté, des situations de surabondance, d’opulence indécente, et de l’autre, des phénomènes insupportables de détresse sociale, de « pauvreté extrême ». Et qui suscitent aussi des guerres, des hécatombes pour le « vol » et le « pillage » des ressources naturelles. Tant que la terre ne revienne pas à son état originel, pour permettre réellement le respect du droit naturel des individus à la libre circulation, certains peuples « crèveront » toujours dans la crasse, continueront d’exister sur des lopins de terres sèches. Sans nourriture. Sans arbre. Et sans eau. On le constate souvent dans les reportages diffusés sur les chaînes de télévision locales et étrangères qui retransmettent des images difficiles à supporter sur l’Afrique,  l’Amérique latine, les Caraïbes… L’Union Européenne a soi-disant « démocratisé » ses frontières. Pourtant, les Roms qui envahissent la France à la recherche du pain et d’un toit sont traités impitoyablement par les autorités. L’immigration devient, encore plus aujourd’hui, un sujet de tragédie mondiale et de débat politique préoccupant. Le grand philosophe de l’économie politique, Karl Marx, suggère l’abolissement de la propriété privée et le dépérissement de l’État bourgeois, dans le cadre de l’aboutissement d’un mouvement de lutte pour changer la structure sociétale au niveau planétaire. Un tel résultat conduirait du même coup à l’anéantissement des barrières frontalières qui favorisent les uns au détriment des autres… En clair, les « forts », au grand désavantage des « faibles »… Logiquement, les richesses naturelles de l’univers appartiennent à tous les êtres humains. Sans distinction.

De 1845 à 1860, les dirigeants dominicains, pour contrer la multiplicité des problèmes économiques et l’avancée des bouleversements sociaux, ne jurèrent que par les formules de l’annexion territoriale à la France, l’Espagne, les États-Unis… Du côté haïtien, on redoutait longtemps qu’un retour du pays voisin dans les girons des anciens colons ne vînt nuire à l’indépendance et souveraineté nationales fièrement acquises dans le sang. Haïti pensait que la solution, pour éviter de retomber elle-même dans la situation sociale et politique d’avant la fondation de son État, était de « réunifier » pacifiquement l’île.  Par la suite, nous savons que ni la République d’Haïti, ni la République dominicaine n’ont échappé au démon et à la fureur de l’hégémonie étasunienne déclenchée par le virus de la « Doctrine de Monroe » de 1823. On a appris comment, en 1861, les États-Unis avaient énergiquement protesté, mais sans résultat, lorsque la République dominicaine était retournée sous la domination de l’Espagne. Par ailleurs, les différents  gouvernements qui ont séjourné à la Maison Blanche n’ont jamais traité avec respect les habitants installés des deux côtés de la frontière qui demeurent à leurs yeux des « bougnoules [1] », des « bâtards », des « gens malsains », etc.  Ce n’est que fort tard – en 1862 – que  les États-Unis acceptèrent enfin de reconnaître le caractère souverain et indépendant de l’État haïtien. Au début, ils appuyèrent plutôt les Français en leur octroyant des armes, des munitions, de l’argent… pour les aider à mater la rébellion des esclaves, et de ce fait, leur offrir les moyens de conserver par la force la colonie prospère de Saint-Domingue. Cette reconnaissance tardive arriva durant la guerre de sécession, sous le gouvernement d’Abraham Lincoln qui unifia le Nord et le Sud des États-Unis et qui supprima l’esclavage sur tout le territoire. Une décision qui, trois ans plus tard, coûta la vie au président (15 avril 1865). Entre 1862 et 1915, les navires de guerre états-uniens violèrent au-delà de 17 fois les eaux territoriales de la République d’Haïti. À cette époque, la Maison Blanche considérait le pays comme un pestiféré, un malade contagieux, placé tout juste aux portes de la Floride, qui pouvait à tout moment contaminer l’air et infecter la santé sociale et financière des États-Unis. Aujourd’hui encore, les mêmes préjugés politiques tiennent…

Pour la mémoire  

Avant l’aiguisement des désaccords politiques entre Israël et Palestine, les deux peuples vivaient en bons termes sur le territoire. Ils dansèrent, mangèrent et s’amusèrent ensemble durant 14 siècles. En est-ce encore le cas aujourd’hui?

Des années 1920 qui marquèrent l’arrivée des premiers colons juifs en Palestine à nos jours, les pistes d’une kyrielle de solutions diplomatiques ont été explorées par les deux peuples dans l’espoir pour eux de résoudre les conflits politiques et territoriaux qui les opposent. Même la possibilité d’un État binational a été envisagée, jusqu’en 1947, sous l’arbitrage et la supervision de l’UNSCOP (United Nations Special Committee on Palestine). Cependant, il n’y a eu aucun progrès dans les  négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens.  La montée d’Israël en puissance militaire, avec l’assistance inconditionnelle des États-Unis, rend de plus en plus improbable le règlement à l’amiable des contentieux envenimés. Israël se classe 4ème parmi les plus grands et importants pays producteurs et exportateurs d’armes de destruction massive au monde. Noam Chomsky, dans « Palestine, L’état de siège », a même risqué de sous-titrer : « Proche-Orient : une paix possible (qui n’arrivera pas). »

Il faut que Dominicains et Haïtiens se montrent assez «conciliants » pour éviter de basculer dans la « palestinisation » ou l’ « israélisation » des hostilités qui les opposent depuis des décennies sur une base farfelue de racisme, noirisme et surtout d’ « anti-haïtiannisme » primaire. Quelles que soient les raisons évoquées, une telle dégénérescence ne pourra que profiter aux penchants voraces de la Communauté internationale, particulièrement les États-Unis et son compère le Canada, sans écarter la France, qui nourrissent et caressent leur plan de mainmise sur l’île, par l’entremise de l’Organisation des Nations unies, leur « cheval de Troie ». Contrairement à sa voisine, Haïti n’a pas d’armée. L’Organisation hémisphérique, OEA, l’Organisation des Nations unies, ONU – dont, dans les deux cas, elle est  membre fondateur  –  aurait le devoir absolu de la protéger contre toute forme d’agression armée venant de l’extérieur, ne serait-ce que pour éviter le massacre d’une population sans défense [2]. N’est-ce pas dans ce contexte international que les puissances mondiales tentent toujours de placer les opérations militaires « Restore Hope » – quoique « bidon » – qu’elles entreprennent en Somalie, Irak, Afghanistan, Libye, Mali, Centrafrique, ou ailleurs…? Dans bien des cas, ce sont les pyromanes qui deviennent les sapeurs-pompiers…!

En 1980, la revue « REGARD » à laquelle nous collaborions, avait repris à son compte un article paru dans un médium étranger : « L’occupation d’Haïti par la République dominicaine ». Dans le « pot aux roses », pour ne pas dire derrière le « complot », se serait retrouvée la main du puissant « gendarme du monde ». Déjà, dès l’année 1963, des États anti-progressistes auraient confié à la République dominicaine la « charge militaire » de défendre le gouvernement de François Duvalier contre toute menace sérieuse de perte de pouvoir provenant d’un quelconque mouvement politique d’orientation idéologique gauchiste. Tout compte fait, les agissements hostiles, méprisants de la République dominicaine envers les Dominicains d’origine haïtienne pourraient bien révéler, sans le vouloir, les termes d’une mission politique secrète, froidement élaborés dans les laboratoires des forces néocoloniales  qui, pour des raisons inavouées et inavouables, cherchent par tous les moyens – depuis janvier 1804 – à faire connaître à la République d’Haïti le sort des dinosaures.


Références

[1]  Noam Chomsky, La tragédie d’Haïti.

[2] Charte de l’OEA, chapitre VI, article 28 et 29 – Charte des Nations Unies, chapitre I, article 2, 4ème alinéa.

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