Réforme constitutionnelle ou élections générales, le flou persiste ! (1e partie)

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Jovenel Moïse

Depuis le début de l’année 2020, les observateurs politiques haïtiens et internationaux ont le plus grand mal à comprendre les démarches des acteurs politiques et particulièrement du chef de l’État. Heureux ceux qui peuvent dire qu’ils comprennent ce que voudrait réellement le Président Jovenel Moïse pour l’année prochaine. Un jour il met en avant le projet de la nouvelle Constitution qu’il semble privilégier ; le lendemain il mobilise ses Conseillers pour aller tenter de convaincre l’opposition sur la nécessité d’organiser des élections, toujours en 2021, afin de remplacer le personnel politique.

Un exercice, il faut le reconnaître, qui n’est pas simple pour le locataire du Palais national dans la mesure où lui-même paraît hésiter entre les deux options. Si l’on essaie de percer le mystère que cache le chef de l’Etat, on dirait que celui-ci joue la montre. Car, il le sait, aucune des options envisagées n’est acceptable ou ne sera soutenue par l’opposition qui ne jure que par une seule chose : son départ du Palais national dès le 7 février  2021 au plus tard, faute de pouvoir le contraindre à la démission avant. En fait, dans ce jeu du chat et de la souris entre les deux protagonistes, chacun des deux acteurs a une grille de lecture totalement différente de ce qui devrait se passer à la fin du quinquennat dont chacun avance la date qui lui convient : 2021 pour l’opposition ; 2022 pour le Président de la République. Mais, au-delà de ces dates qui font couler beaucoup d’encre, c’est la vision ou la philosophie de l’après Jovenel Moïse qui matérialise les positions des deux camps. D’un côté, Jovenel Moïse estime qu’il doit être le dernier Président de la République de transition plus de trente années après la chute de la dictature de la famille Duvalier. Pour lui, cette transition qui n’en finit pas est la résultante d’un manque de vision de ses prédécesseurs sur la manière de mettre un terme à ces trois décennies d’instabilité politique et institutionnelle dans le pays.

D’après sa compréhension des choses, il est grand temps de tout faire afin de ne pas prolonger cette transition qui ne fait que du tort au pays et par la même occasion à la population. Alors, quitte à se brouiller avec tout le monde y compris ses amis politiques, il est prêt à se donner en sacrifice pour en finir avec cette maudite transition. Une vision totalement à l’opposé de ses adversaires politiques qui n’entendent pas le laisser faire. Pour eux, son plan est truffé d’arrière-pensées politiques et le but final est de garder le pouvoir. Pour cela, l’opposition en général tient à une chose et ce, quelles que soient les circonstances : la Transition politique. Selon elle, c’est le seul moyen d’échapper au régime dictatorial dont rêve Jovenel Moïse. D’où son intransigeance à ce que le mandat du locataire du Palais national se termine au plus tard le 7 février 2021. La preuve de cette exigence et la détermination de ce camp du refus, c’est la signature par un ensemble d’organisations et de personnalités de l’opposition le vendredi 21 août 2020 dans les Jardins de Radio Kiskeya d’une Déclaration commune pour exiger que le Président de la République « quitte le pouvoir au plus vite ».

Dans cet énième document que nous aurons l’occasion d’analyser en détail prochainement nous pouvons y lire : « Les élections ne sont pas possibles avec Jovenel Moïse au pouvoir. C’est la première condition indispensable pour que les élections aient lieu. Jovenel Moïse ne doit plus être au pouvoir. Toutes les institutions, associations qui signent cette résolution acceptent le principe de trouver au plus vite un accord politique pour établir les modalités du départ de Jovenel Moïse du pouvoir, ainsi que l’organisation et le fonctionnement d’un gouvernement de transition.» Pour ces deux points de vue diamétralement opposés, l’opposition a le mérite d’être précise et claire dans sa démarche et l’on dirait même cohérente. Depuis le début du quinquennat de Jovenel Moïse en février 2017, les Partis politiques de l’opposition n’ont point varié de leur position : la démission de celui-ci dans la mesure où ils ne reconnaissent pas sa légitimité, voire la légalité de sa présence à la tête de l’Etat.

En toute logique, l’opposition politique en Haïti a toujours été dans la même conception politique et gouvernementale datant de 1986, la transition se poursuit et ce quelle que soit la nature du régime politique au pouvoir. Aujourd’hui, c’est peut-être là la seule force des leaders de l’opposition actuelle face au Président de la République, sa constante dans la lutte qu’ils mènent depuis bientôt cinq ans contre la présence du successeur de Michel Martelly. Les discours d’un Me André Michel, Porte-parole du Secteur Démocratique et Populaire (SDP) ou d’un Jean-Charles Moïse du Parti Pitit Dessalines ne varient point sur l’attitude à tenir face au tenant du pouvoir. Ces chefs de l’opposition reconnus pour être parmi les plus radicaux de l’opposition, en dépit des divergences qu’ils peuvent avoir parfois sur les calendriers de la mobilisation populaire contre le pouvoir, s’accordent tous sur un point : le départ de Jovenel Moïse devrait impérativement déboucher sur un régime de transition. Reste à déterminer la durée de ce pouvoir transitoire qui demeure le point de discorde entre les modérés et les radicaux. Néanmoins, la nature du régime qui devrait succéder au Président de la République une fois la fin de son mandat constatée ou arrivée à son terme ne devrait poser aucun problème entre les différents acteurs composant l’opposition plurielle.

En revanche, si Jovenel Moïse choisit le chemin inverse, on ne peut dire qu’il joue la clarté. C’est tout le contraire ! Confus parfois, il avance masqué. Bien que les observateurs politiques qui regardent de manière objective la marche du pouvoir en Haïti depuis 30 ans ne croient pas une seconde que le Président de la République pourrait passer un jour de plus au Palais national même s’il en avait envie. Comme nous le disons plus haut, en fait, Jovenel Moïse essaie de gagner du temps histoire de boucler ses cinq ans de mandat sachant que même s’il arrive à organiser un ou deux scrutins dans la confusion et dans la contestation comme d’habitude depuis une trentaine d’années, jamais il ne pourra résister face à la contestation populaire sans que l’opposition sorte le grand jeu. Alors, le Président fait semblant de jouer sur deux tableaux, une façon de semer la confusion auprès de l’opposition et surtout persister dans le flou auprès de la Communauté internationale qui l’encourage par des pressions amicales à mettre en place le processus électoral au cas où les choses se gâtent. Car, les amis étrangers qui sont les principaux soutiens du pouvoir comprennent la complexité de la situation du Président Jovenel Moïse.

Mais ils connaissent aussi l’appétit des hommes politiques haïtiens quand ils sont au pouvoir. Revenons aux deux options qui s’affrontent dans la perspective de 2021 ou 2022. Le Président Jovenel Moïse, dans sa grande hésitation entre se consacrer au processus devant conduire à l’organisation des élections générales dans un délai raisonnable et entamer les consultations nécessaires et convaincantes avec les acteurs de la Société civile dans le cadre de sa nouvelle Constitution, marche à reculons. Mais, à tous les coups, il sait qu’il est attendu au tournant par ses adversaires qui ne lâcheront rien ou qui ne vont pas lui faire un chèque en blanc. Les élections, le dossier auquel la Communauté internationale et Washington en particulier tiennent le plus, surtout pour le retour du Parlement, Jovenel Moïse en tant qu’Haïtien est persuadé que ce sera un coup pour rien. Il connaît et il avait vu comment cela s’était terminé sous la présidence de Michel Martelly.

La première édition que le pouvoir avait organisée s’était soldée en queue de poisson. Beaucoup d’argent dépensé ou gaspillé sans que personne n’ait accepté les résultats alors même qu’une partie de l’opposition était bel et bien présente à ce scrutin. Il a vécu ensuite les péripéties qui s’ensuivirent jusqu’à ce qu’il ait pu accéder au Palais national.  Enfin, il est en train de vivre un cauchemar avec la suite de cette série d’élections qui certes, reconnue par la Communauté internationale, n’a jamais été acceptée vraiment par les principaux acteurs nationaux, voire une grande partie de la population. Jovenel Moïse sait qu’il est minoritaire dans le pays. Par conséquent, organiser des élections qu’il sait à l’avance seront contestées ne vaut pas le coup. Certes, il tente de former un nouveau Conseil Electoral (CEP) et ces Conseillers l’annoncent même pour les semaines à venir.

Certes, il parle d’élections à chacune de ses rencontres avec ses interlocuteurs nationaux et internationaux. Certes, ses amis et ses soutiens américains, l’OEA (Organisation des Etats Américains) et le BINUH (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti) lui conseillent de mettre en branle le mécanisme devant aboutir aux futurs scrutins afin de calmer et de rassurer un peu l’opposition qui l’accuse d’apprenti dictateur. Alors, en bon petit soldat, il exécute. Mais, au fond de lui, Jovenel Moïse qui a vécu toutes les tribulations politiques et institutionnelles des pouvoirs en place à chaque période électorale le sait : c’est du temps, de l’argent et de l’effort perdus ; il ne pourra convaincre aucun vrai acteur ou Parti politique de cautionner ces élections. Pour lui qui souhaite sortir définitivement Haïti du cycle de la « Formule » de « Gouvernement de Transition », avant de passer aux élections, le mieux à faire est de concevoir une nouvelle Charte fondamentale dans laquelle au moins des règles du jeu plus claires, plus précises seraient mieux définies et que chacun saura à quoi s’en tenir.

Alors, pour amuser la galerie, il continue de parler d’élections à tout le monde et ouvre même ce chantier dont il est persuadé qu’il ne mènera nulle part sinon dans une impasse politique ; comme celle à laquelle il s’est retrouvé depuis son accession à la présidence de la République. En réalité, ce qui préoccupe et intéresse vraiment Jovenel Moïse depuis quelque temps reste : la nouvelle Constitution ou à défaut la mise en place d’une Assemblée Constituante à travers une Commission spéciale composée d’experts qu’il va bientôt mettre en place.  Mais, compte tenu de la difficulté à convaincre, là aussi, les acteurs politiques locaux, alors qu’il a au moins le soutien d’une partie de la Communauté internationale sur ce dossier, il persiste à faire croire qu’il pourra mener à bien les deux dossiers en même temps. Cette stratégie consiste à parler de ces deux sujets à chaque fois qu’il en a l’occasion. En faisant semblant qu’il mène de front les deux dossiers, en réalité il brouille les pistes et laisse, en fait, tout le monde dans le flou sur sa capacité à porter les deux projets dont l’un reste une obligation constitutionnelle qu’il aurait dû exécuter depuis l’année dernière et l’autre une décision politique extrêmement compliquée à mettre en œuvre.

En annonçant pour les jours qui viennent la composition du Conseil Electoral Provisoire et une Commission qui aura à former l’Assemblée Constituante dans la foulée des hommages rendus à Me Monferrier Dorval victime peut-être de sa prise de position en faveur de la réforme constitutionnelle, là encore, le pouvoir continue de persister et de maintenir dans le flou sur ce qu’il entend faire réellement au cours de l’année qui vient. Car, le Président Jovenel Moïse doit savoir que les deux projets sont totalement irréalistes dans cette conjoncture. Dans ce marché des dupes, ce sont les élections qui restent les plus urgentes puisque, constitutionnelle, mais le plus curieux, ce sont elles les plus difficiles à réaliser. Car, sans la participation des acteurs politiques – Partis et leaders politiques – point de scrutins acceptables dans l’opinion et le voilà replonger dans la « Formule » de Gouvernement provisoire ou intérimaire dont il ne veut plus entendre parler. En revanche, même contestée, il peut toujours mettre en place une Assemblée Constituante avec des personnalités crédibles, des juristes et universitaires reconnus et des notables respectés de la Société civile en vue de plancher sur une nouvelle Constitution qui, de toute manière, ne pourrait être adoptée que par un référendum populaire.  (À suivre)

 

C.C

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