Référendum constitutionnel, chronique d’un malentendu !

(2e partie)

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Ricardo Seitenfus

En mettant le référendum du Président Jovenel Moïse dans un « Tout ou rien », les leaders de l’opposition courent le risque de laisser le choix à une large partie de la population qui ne se reconnaît pas forcément dans la démarche du gouvernement. Mais qui n’est pas automatiquement hostile à l’adoption d’une nouvelle Constitution. Ce groupe qu’on pourrait classer dans la catégorie des « indécis » attend de l’opposition une bonne explication : pourquoi il ne faut pas voter pour la Constitution ? Puisque, au départ, il n’y a pas d’a priori vis-à-vis de la reforme constitutionnelle. 

Alors, attention à l’effet boomerang ! Un problème cornélien que l’ancien diplomate brésilien, Ricardo Seitenfus, essaie d’éviter aux oppositions avec une proposition assez originale pour ce référendum qui risque de se transformer, d’après lui, en « plébiscite » pour le régime si le contenu reste à réponse unique. Dans un article publié dans Le Nouvelliste du 30 avril 2021, l’universitaire et l’ancien haut fonctionnaire de l’ONU en Haïti qui est plutôt favorable à la réforme constitutionnelle suggère qu’on donne aux électeurs l’opportunité de pouvoir choisir entre trois propositions sur le bulletin de vote. Selon Ricardo Seitenfus, il serait plus sage de laisser le peuple se décider entre : (1) « Maintenir l’actuelle Constitution » donc celle des anciens Constituants ; (2) « Approuver le projet du Comité Consultatif Indépendant (CCI) » celui proposé par le Président Jovenel Moïse ; (3) « Approuver le projet de la Commission spéciale de la Chambre des députés » la Commission conduite par l’ex-parlementaire et Coordonnateur National du Parti En Avant, Jerry Tardieu. 

 L’ancien diplomate qui est un fin connaisseur de la vie politique haïtienne estime que sa proposition d’un bulletin de vote en trois cases est la meilleure façon de départager toutes les parties sur cette problématique de référendum. Puisque, d’après lui, tout le monde serait d’accord au moins sur un point : il faut faire évoluer la Constitution de 1987. « Ma proposition » contenue dans ces brefs paragraphes part d’un constat : « il y a une apparente unanimité autour du besoin impérieux et urgent d’apporter des modifications à l’actuelle Constitution. Laissons la sagesse du peuple trancher sur la profondeur de ces changements. Ou restera-t-il amoureux de la Constitution de 1987 ? C’est uniquement par le biais de ce questionnaire au triple choix que la démocratie haïtienne peut s’affirmer ».

 Le mieux pour les oppositions aurait été de mener non pas compagne « pour ou contre » le projet, puisque tout le monde sait qu’elle est diamétralement opposée à toute idée portée par Jovenel Moïse, mais de faire de la pédagogie auprès de la population et d’expliquer point par point l’effet négatif de cette Constitution qui donne les pleins pouvoirs au chef de l’Exécutif tout en reléguant le Parlement au rang d’institution subalterne surtout avec la disparation du Sénat de la République dans le texte en cours de débat. Il ne suffit pas de rejeter par un revers de main un projet constitutionnel dont tout le monde parle mais que très peu lise à commencer par « l’arrière-pays », le pays en dehors pour penser convaincre une majorité de la population. Et ce n’est non plus avec les menaces qu’il faut  « tout incendier, tout casser et couper les têtes le jour du vote » selon les déclarations du trio : André Michel du Secteur Démocratique et Populaire (SDP), Joseph Lambert sénateur du Sud-Est et Président du Sénat et, Jean-Charles Moïse Président du Parti Pitit Dessalines que l’opposition résoudrait le problème. 

 Certes, ces menaces glaçantes, terrifiantes qui nous rappellent le carnage de la Ruelle Vaillant à Port-au-Prince en 1987 peuvent toujours dissuader d’éventuels électeurs de sortir de chez eux le 27 juin. Est-ce vraiment raisonnable pour des leaders politiques aspirant à devenir Président de la République, Premier ministre, etc ?  Le rôle d’une opposition est de donner les raisons pour lesquelles il faut barrer la route à la ratification d’un « Référendum » croupion ou d’une « Loi » scélérate. L’opposition ne doit pas tomber dans le piège des élections présidentielles qui l’ont mise en dehors du pouvoir depuis bientôt une décennie. 

Un référendum n’est pas un scrutin comme les autres. En général, un référendum est une simple formalité. D’ailleurs, c’est l’élection favorite de tous les dictateurs. Et pour cause. C’est la plus facile à organiser par les régimes autocratiques ou les dictatures et surtout c’est la moins contraignante sur le plan politique pour la population. Il lui suffit de répondre : par « Oui » ou par « Non » à la question et tout est joué. Dans le cas des pays comme Haïti où le peuple est peu réceptif aux discours politiques, un référendum demeure l’exercice le moins périlleux pour tous les pouvoirs en place. Puisque tout se joue sur la participation. Il aura suffi que très peu de gens se déplacent aux « urnes » le jour du vote pour que les 51% de voix requise contre 49% soient atteints pour que le pouvoir crie victoire. Or, une fois les résultats publiés au journal officiel Le Moniteur et surtout reconnus par la Communauté internationale, il deviendrait très compliqué et difficile pour revenir sur le référendum lui-même et sur le processus en général. Il ne s’agit point d’un scrutin présidentiel ou des élections législatives dont on peut facilement annuler les résultats suite à des contestations des candidats battus ou de mauvais perdants. Dans un référendum, seule la très faible participation de l’électorat suivant les listes électorales peut être contestée. 

En tout cas, ils reconnaissent tous que la Constitution de 1987 est loin d’être l’outil idéal pour apporter un nouveau projet sociétal à l’heure actuelle en Haïti.

 Il n’y a pas que le peuple de Port-au-Prince et ses banlieues qui votent. Aujourd’hui, la capitale et son Aire métropolitaine n’ont plus le monopole des décisions politiques et électorales. L’électorat des régions et même des zones les plus reculées du pays n’est pas à négliger. D’où l’impérieuse nécessité pour que l’opposition soit très vigilante dans ce qui pourrait être pour elle un aller sans retour. C’est-à-dire, une manœuvre politique qui pourrait la mettre hors champs pendant longtemps si elle ne joue pas intelligemment ce coup de Dé de Jovenel Moïse. Son positionnement sur la question doit être clair ne laissant aucun doute à des interprétations qui pourraient être un handicap pour elle dans l’avenir. Tout le monde sait que l’ensemble des leaders de l’opposition est pour un changement de Constitution. En tout cas, ils reconnaissent tous que la Constitution de 1987 est loin d’être l’outil idéal pour apporter un nouveau projet sociétal à l’heure actuelle en Haïti. Ils le disent tous. C’est même prévu comme sujet de discussion lors des Etats Généraux de la Nation proposés par tous les leaders de l’opposition dans la perspective d’un gouvernement de Transition. Ainsi, s’ils sont contre, il faudra qu’ils expliquent avec doigté leur position.  

Les images inimaginables voire choquantes diffusées sur les réseaux sociaux montrant des militants brandir des machettes et autres armes blanches lors de la tournée dans la région des Palmes de certains responsables politiques des oppositions à Léogâne et à Petit-Goâve dans le cadre de leur refus au référendum peuvent être une arme à double tranchant pour eux. Qu’ils se méfient aussi de la foule qui a fait l’actualité durant les trois jours de la commémoration du 34e anniversaire de la Constitution de 87! Il ne faut surtout pas confondre les deux choses et l’une ne remplace pas l’autre. Puisque ce sont deux choses séparées. Autant l’on peut être pour une nouvelle Constitution et célébrer dans l’allégresse celle de 1987, autant on peut être contre la nouvelle Constitution du Président Jovenel Moïse et manifester pour que celle de 1987 demeure en vigueur. Le Président Jovenel Moïse n’est pas dans cette problématique. Il a déjà tranché : la Constitution de 1987, c’est fini. 

Néanmoins, les chefs des oppositions ont tout intérêt à faire attention pour qu’ils ne soient pas victimes d’une mauvaise surprise comme lors de l’élection présidentielle de 2016.

 Il lui reste à faire adopter une nouvelle d’où sa volonté et la dynamique qu’il déploie avec ses amis en tordant le cou aux institutions du pays s’il le faut pour réussir son « Référendum ». Pendant que l’opposition manifeste à coup de milliers de gens dans les rues, le pouvoir continue de réunir les différentes parties du puzzle constitutionnel. Outre le CEP qui s’active à mettre en place les infrastructures pour la réalisation du référendum, le pouvoir politique, de son côté, apporte les moyens techniques et financiers. D’une part, selon les chiffres disponibles de l’Office National d’Identification (ONI) qui date du 26 avril d’après Jude Jacques Elibert, le Directeur général de l’ONI, on apprend que 4. 503 539 haïtiens sont inscrits sur la liste électorale pour un électorat estimé à 7 millions de personnes. 

 En gros, près de cinq millions de personnes au moins sont susceptibles d’avoir leur Carte d’Identification Nationale (CIN), les fameuses cartes fournies par l’entreprise allemande Dermalog qui, selon Jude Jacques Elibert, sont retransmises de la base de l’ONI vers celle du Conseil Electoral Provisoire (CEP) afin d’actualiser les registres ou les listes électorales et ce, sans compter ceux qui ne sont pas encore venus récupérer leur Carte dans les différents Centres ou Bureaux de l’Office National d’Identification. D’ailleurs, selon le Directeur de communication du CEP, Richardson Dumel, le registre référendaire est fermé le lundi 26 avril 2021 à minuit selon la loi électorale. Celui-ci appelle donc les futurs électeurs à entamer le processus auprès des Bureaux de l’ONI afin de pouvoir obtenir leur Carte d’Identification Nationale Unique (CINU) pour pouvoir voter au référendum du 27 juin. Que ces chiffres soient contestés ou pas par l’opposition plurielle, c’est de bonne guerre. 

Surtout, le 25 mai 2021 le Président Jovenel Moïse a demandé formellement aux membres du Conseil Electoral Provisoire (CEP) de prendre toutes les dispositions nécessaires afin de permettre à tout Haïtien en âge de voter de pouvoir le faire plus facilement avec n’importe quelle pièce officielle prouvant son identité : Carte d’Identification Nationale Unique, Permis de conduire, Carte de vaccination, Passeport, Carte paroissiale,  etc. Néanmoins, les chefs des oppositions ont tout intérêt à faire attention pour qu’ils ne soient pas victimes d’une mauvaise surprise comme lors de l’élection présidentielle de 2016. Pensant qu’avec leurs critiques touts azimuts et systématiques contre l’institution électorale, menace et intimidation contre ceux qui ont l’intention d’aller voter, ils pourraient avoir raison ou gain de cause avec le soutien de l’opinion publique. On connaît la suite. 

 Comme pour bien démontrer à la population, aux partis politiques et à la Communauté internationale qui soutient cette reforme constitutionnelle sans jamais dire un mot à ce sujet quand elle presse le gouvernement à organiser des élections générales au cours de cette année, le pouvoir sort aussi son carnet de chèque. En effet, selon le ministre délégué en charge des Questions électorales et des Relations avec les Partis politiques, Mathias Pierre, ancien candidat de l’opposition à l’élection présidentielle de 2015, le gouvernement avait décaissé dans un premier temps 123 millions de gourdes au profit du Conseil Electoral Provisoire (CEP). Mais en total il faut 40 millions de dollars pour l’organisation du référendum. D’après Mathias Pierre, ces Fonds viennent exclusivement du Trésor public haïtien. L’absence financière des pays « amis » d’Haïti  dans le cadre de ce référendum s’explique par le fait qu’ils ne veulent pas s’immiscer dans les affaires internes d’un pays souverain. Selon lui, les amis d’Haïti estiment que le référendum pour une nouvelle Constitution relève de la souveraineté nationale haïtienne, d’où leur silence sur cette question. (A suivre)

 

C.C

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