Question de point

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Une percée dont seul un fils de Dessalines eût été capable au point qu’il voulût changer de drapeau et faire flotter du rouge et du noir à la barbe des crétins de l’opposition qui se mirent à crier haro sur le baudet. Pòv Pitit !

Le vocabulaire politique en Haïti semble en voie de changement. Les politiciens ont-ils fait un grand pas ? Je ne saurais toutefois dire s’il s’agit d’« un pas en avant » résolu, djanm, ou d’un pas qui sera suivi de « deux pas en arrière », twoukoutoup twoukoutap. J’ai eu beau appeler l’ami Vladimir à mon secours, il ne m’est arrivé qu’un hiéroglyphe mal griffonné. Jean François Champollion lui-même n’y verrait que faucille et marteau.  Je n’ose pas non plus parler de bond, ne sachant si c’est un « grand bond en avant » ou un « grand bond » en arrière. Toujours est-il qu’on ne parle plus de « proposition de sortie de crise ». Ces jours-ci, le nec plus ultra c’est « faire le point ». On affirme qu’« on fait le point ».

Certains politiciens pensent en longueur, d’autres en largeur, un très petit nombre en profondeur, quelques-uns en épaisseur et l’immense majorité, point du tout. Un point, c’est tout. On n’a qu’à observer leur évolution au cours de l’année écoulée : une absence abyssale de vision, une impossibilité décevante de se mettre d’accord sur une stratégie constructive pour arriver à leur but commun. Aussi, les foules ne sont plus au rendez-vous. Les types se trouvent coincés dans la diagonale de leur nullité au point où lorsqu’ils parlent de faire le point on en arrive à se poser un gros point d’interrogation : qu’est-ce qu’ils racontent encore ces fainéants ?

À court d’idées stimulantes, innovantes, créatrices – et c’est là son point faible – le politicien vous laisse sur votre faim. Par exemple, il commence un discours avec une phrase dont la subordonnée est tellement longue et insignifiante que vous avez le temps de faire un ti kabicha. Quand vous vous réveillez, aucune principale ne point encore à l’horizon. Finalement, reprenant son souffle, il prend une pause et s’attend à des applaudissements qui… ne viennent pas. Vous concluez que sa pensée est tombée dans le vide de son ignorance, qu’il n’avait rien à dire de convaincant. N’empêche, à ses yeux, il a ‘‘fait le point’’, à vous de comprendre. 

Quand on lui demande de s’expliquer, il préfère s’engager dans d’interminables coquinades, détournades, pointades, contresens, contradictions à brouiller toutes les pistes.

Le mec se fait un point d’honneur de vous dire qu’il maîtrise mieux que n’importe quel adversaire la dynamique de la situation en cours. Point par point, il vous raconte comment « depuis ces trente dernières années le pays est au point mort ». Son blablabla n’en finit pas et vous pouvez être certain qu’il va finir par vous débiter une tirade de son cru réclamant au moins deux points d’exclamation : ô mon pays ! Toi qui vas titubant, vacillant, trébuchant, languissant sous le poids de dirigeants incapables et irresponsables, lève-toi et marche ! Qui d’autre que lui peut avoir un point de vue aussi percutant ? Point du tout.

Au pays, le vide politique est palpable sauf lorsque par moments, Jovenel fait le point sur les avancées des élections à venir en… 2021 et de sa Constitution dont personne ne sait de quelle potion à base de feuilles sezisman il nous prépare, ni comment il va s’y prendre pour organiser son referendum qui sera approuvé par la nation avec 99.9% de oui selon les pratiques démocratiques des Caucescu, Kim Jong-un et autres despotes de même pointure. Jovenel aura alors atteint l’apogée, le point culminant d’un parcours, selon lui, ‘‘sans faute’’. Point barre.

Tous les partis politiques mis devant le fait accompli jovenellien d’une Constitution wè pa wè, lantèman pou katrè, incapables de faire un faisceau unitaire pour fese Jovenel par terre s’agitent comme diables dans un bénitier. Ils ne se lassent pas de rencontres à n’en plus finir, à Léogâne, à la Croix-des-Bouquets, à Bourdon, à Pétion-Ville, à la nonciature et ailleurs à la recherche d’un point commun pour renverser Jovenel, mais d’idées constructives, visionnaires ils n’en ont point. Lors de ces rencontres bidonnes, ça commence toujours bien par la lecture enthousiaste des points à discuter. Mais à peine les discussions entamées, il se trouve toujours un hurluberlu (un pavillon masqué de Jovenel ?) pour se lever et faire le coquin ; il n’est pas d’accord avec tel ou tel autre point. Quand on lui demande de s’expliquer, il préfère s’engager dans d’interminables coquinades, détournades, pointades, contresens, contradictions à brouiller toutes les pistes. Dès lors, c’est lekòl lage : tumulte, verbes hauts, basses menaces verbales à peine voilées, bref, c’est la pagaille. Les délégués représentants de différents partis quittent sur la pointe des pieds, graine par graine ; personne n’a réussi à faire le point, celui qu’on pensait être ‘‘le plus important’’ du moment.

Alors que le monde politicien en était au point mort, à court d’idées, de propositions, de suggestions, de recommandations, alors qu’on s’y attendait le moins, un fils du Nord, du grand Nord, Pitit de son sobriquet politique, resté loin des convulsions propositionnelles de sorties de crise fit, le 26 janvier écoulé, une percée dont seul un fils de Dessalines eût été capable et dont la fulgurance déchira le voile du temple des crétins de l’opposition. ‘‘Point n’est besoin d’un gros appât pour attraper une grosse bête’’ eût dit Amadou Koumba. En l’occurrence il suffisait d’une déclaration perçante pour que Pitit trouât la cuirasse du système.  On devait s’y attendre car depuis quelques années déjà notre homme jouait un rôle d’annonceur, de déclarateur, de proclamateur, de propulseur, d’avertisseur, de déclanncheur de mobilisation populaire. Avec lui, il y a toujours eu du Vertières, de la butte Charrier, des kout kannon dans l’air, mais… Disons en passant qu’il avait cru bon de signaler que « la mobilisation n’est pas financée par la bourgeoisie ». Pourquoi cette précision, ce pléonasme ? Un Pitit ne peut n’être et naître que de la matrice du ti peuple. C’est un point existentiel incontournable. Alors ? Ainsi, au mois de mars en 2016, l’avertisseur klaxonnait qu’il reprenait la mobilisation au Cap-Haïtien, promettant de « bloquer » le pays et demandait aux autres départements de « nous attendre afin de renverser le régime en place ». Ce fut une mobilisation à nulle autre pareille. En effet, le proclamateur avait déclaré : « Demain, la mobilisation prendra une autre forme. Chacun se mobilisera chez soi ». Une forme rare, sans aucun doute. En principe on se mobilise sur le macadam, dans les rues, pancartes dehors toutes. Le faire chez soi, c’est tout à fait contradictoire. Quid du point à faire ? Pour employer un terme à la mode depuis COVID-19, ce fut une mobilisation zoom. Au mois de février 2018, à la suite d’un incendie qui s’était déclaré en milieu de journée au marché du Port, communément appelé ” Guérite”, au centre-ville de Port-au-Prince, moins d’une semaine après celui qui avait ravagé une partie du Marché en fer, Pitit s’était vraiment fâché. Revenant revigoré d’un voyage médical à Cuba, il s’était dit prêt, physiquement, à reprendre la mobilisation ; sans doute mentalement, psychologiquement aussi. Il avait assurément un point à faire. Il accorda alors, à partir du lundi 26 février, une semaine au gouvernement pour satisfaire les besoins des victimes des marchés récemment incendiés dans la capitale.  C’était sa façon diktate à lui de faire le point, à l’arraché, à l’emporte-pièce. Le chef de l’État ému (jusqu’aux larmes) eut immédiatement un entretien avec le Premier ministre le Dr Jack Guy Lafontant,  kaptenn dèyèpòt, afin d’apporter la compassion nécessaire (sic), le réconfort (chrétien) et l’assistance ‘‘rapide’’ du Gouvernement aux sinistrés (resic). Ces deux nigauds (dans un manoir hanté) invitèrent la population à garder son calme face à ‘‘cette épreuve à la fois douloureuse et inacceptable’’. Un point d’humanité de la part du gouvernement. Une commission inter ministérielle fut mise sur pied avec mission de prendre des mesures appropriées pour faire la lumière sur ce drame et rendre également le marché en fer à nouveau opérationnel dans les meilleurs délais. Tu entends bœuf Les mauvaises langues rapportent que depuis, plusieurs marchand-e-s font des cauchemars au cours desquels ils-elles voient des ombres apparaître avec des liasses de wachintonn en main, mais au moment de saisir ces cadeaux tombés de… l’Enfer, ils-elles voient la main disparaître dans un violent tourbillon de feu… Les pires mauvaises langues disent même que les distributeurs de wachintonn avaient pour instruction de tenir une conférence de presse annonçant ‘‘que la lumière soit’’ (quoique la lumière ‘‘ne fut’’ jamais), ensuite de retourner au palais national avec les valises de billets verts et de les remettre à qui de droit pour faire le point sur le nombre de bénéficiaires de la bonté présidentielle…

Nul ne saurait accuser Pitit de manquer de la suite dans les idées. En effet, au mois d’août 2019, le proclamateur-déclanncheur annonça la reprise des manifestations anti-Jovenel à partir du 14 août, une date loin d’être anodine dans la mémoire collective haïtienne. Vint le 14, rien n’arriva. Les mauvaises langues se délièrent à nouveau. Il semble que le secrétaire de Pitit avait mal interprété les directives de son patron. Il avait emmené avec lui un cochon grimèl. Boukman fit une cochonne colère, une noire colère, et disparut dans un violent tourbillon de feu en chantant : mwen pa t fè Bwa Kayiman pou sèvi kochon etranje

Pitit annonce, en décembre de l’année dernière, une mobilisation populaire si la cherté de la vie perdure. D’une pierre proclamatrice, il fait quatre coups. Koulangit ! Il donne de mauvais points aux banques commerciales qu’il accuse d’être impliquées dans des spéculations qui provoquent une hausse du taux de change de la gourde par rapport au dollar ; il montre d’un doigt accusateur les importateurs d’avoir conservé les prix élevés en dépit de la forte baisse du taux de change.  Enfin, il dénonce une complicité entre le secteur de la finance et des leaders de l’opposition pour l’empêcher de passer ses points de vue et défendre les intérêts de la population. Cerise sur le gâteau, il prévient que ‘‘la mobilisation populaire sera plus virulente que lors de la chute de Jean Claude Duvalier le 7 février 1986’’. Comme sa mère ! Et comme ma mère ! Woah ! C’est trop de coups pour un seul fistibal

les politiciens misent sur le point de départ et le point d’arrivée, en négligeant le chemin qui passe entre les deux.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. L’opposition, toutes tendances confondues, n’ayant jamais pu, ou voulu, saisir les perches annonceuses, propulseuses, avertisseuses, déclaratrices, proclamatrices de Pitit continua à jouer de ses pinces ambitionnelles comme crabes en panier. Ils ne firent absolument rien pour faire le point toutes les fois que l’occasion se présentait, d’autant que l’ambition ne vieillit point et que les politiciens misent sur le point de départ et le point d’arrivée, en négligeant le chemin qui passe entre les deux.

Aussi, agacé au plus haut point par l’obsession constitutionnelle de Jovenel, sa prétention affichée de garder le pouvoir jusqu’au 7 février 2022, et l’immobilisme de l’ensemble de l’opposition, Pitit s’est emporté. Il a décidé de faire le point : il a annoncé une série de mobilisations à partir du 31 janvier jusqu’au 7 février, en vue de contraindre le président de la République à quitter le Palais national, le 7 février au pipirit chantant. « Le mot d’ordre est la mobilisation populaire jusqu’au 7 février. Dans les dix départements du pays, nous allons lancer les mobilisations pour rappeler à Jovenel Moïse que son mandat arrivera à terme le 7 février 2021 », vle pa vle.

On a l’impression que Pitit voyant le 7 février 2021 avancer à toute bouline a voulu mettre des bottes de cent lieues. Il devrait se rappeler que « rien ne sert de courir, il faut partir à point » et que je vèt, parti depuis longtemps, sait comment marquer les points. Le vrai point pour un dessalinien c’est de marcher drèt avec les masses en prenant tous les risques, comme tout vrai leader conséquent. Un point c’est tout. Simple comme tout.

1er février 2021

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