Étudiant à la Faculté de Médecine d’Haïti, j’ai eu en quatrième année, comme professeur de neuroanatomie, le tristement célèbre Jacques Fourcand qui avait annoncé des Himmalaya de cadavres ce jour de malheur où l’on avait tiré sur les gosses de François Duvalier. C’était un homme proprement théâtral. Ainsi, lors de son premier cours, il se livra à un rare exercice de dessin qui eut pour effet de captiver l’attention des étudiants et, même, de les émerveiller.
Armé de deux bâtons de craie de couleur, l’une dans chaque main, il commença à dessiner, au tableau, avec dextérité et exactitude, une coupe transversale du cerveau tout en indiquant les différentes structures cérébrales, au fur et à mesure de sa démonstration ambidextre. Et nous étions fascinés – du moins, moi je l’étais – de voir la précision et l’ambidextrité consommées avec lesquelles le prof Fourcand, s’aidant simultanément de ses deux mains, exécutait son croquis anatomique digne d’un Léonard de Vinci.
Il y avait quelque chose de particulier et d’original chez Fourcand à part ses léonardesques extravagances ambidextrales. Ce médecin «de bonne famille» s’exprimait très bien en français. Rien à reprocher à sa diction. Pas de bouche «sûre». Pourtant, et pour sûr, il avait un vrai problème à prononcer correctement, en français, le mot question. Il disait toujours keksyon. On en entendait à nous agacer les oreilles: la keksyon est de savoir… reprenez votre keksyon… posez votre keksyon autrement… la keksyon de l’origine embryologique de la crête neurale… une keksyon en entraîne une autre… À la vérité, on avait un peu de mal à suivre les descriptions anatomiques de Fourcand, mais çà c’est une autre keksyon.
Bien longtemps avant d’être un chroniqueur pêle-mêlant, ensuite twadegoutan, au journal Haïti Progrès, et finalement twafeuillan, dans ce journal, j’ai toujours eu le goût d’un mot créole, d’une expression créole glissée à l’intérieur d’une phrase en français, comme une sorte de dard vengeur au flanc de la langue de l’ancien colonisateur. Aussi, j’ai toujours gardé en mémoire cette piquante, originale, amusante, plaisante, croustillante, pittoresque, drôle, curieuse keksyonnance fourcande. Elle fait partie de mon vocabulaire, et je m’en sers aujourd’hui pour adresser quelques pertinentes keksyon au président Privert.
Bonjour, monsieur le président, je vous salue jusqu’à terre, raplanche. Malgré votre accession à la présidence dans des conditions pas mal discutables, je ne puis m’empêcher de reconnaître que vous avez bien goudillé, bien frayé votre chemin à travers les chemins difficiles de la conjoncture pour arriver à prendre les décisions qui s’imposaient, celles qui ont eu la faveur, l’appui de la majorité politiquement bien pensante. Je vous dis : bravo !
Monsieur le président, ai-je besoin de rappeler ces décisions? Vous avez nommé et installé la Commission Indépendante d’Évaluation et de Vérification (CIEVE) des grotesques élections de 2015. Vous avez transmis ses conclusions et recommandations au Conseil Électorale Provisoire (CEP) pour les suites nécessaires. En marge du sommet de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC) à Cuba, vous aviez indiqué que le scrutin devrait être organisé au début du mois d’octobre. Le président du conseil électoral provisoire, Léopold Berlanger en a fait confirmation le lundi 6 juin dernier.
Marchant sur vos brisées, les conseillers électoraux ont procédé à la publication du calendrier électoral. Essentiellement, le 1er jour du scrutin est fixé au 9 octobre 2016, lorsque se dérouleront le 1er tour de la Présidentielle, le 2ème tour des Législatives complémentaires et le 1er tour du 1/3 du Sénat dont le mandat prend fin en janvier 2017. Le 2ème jour de scrutin est fixé au 8 janvier 2017. En jeu seront le 2ème tour de la Présidentielle, le 2ème tour du 1/3 du Sénat et les collectivités territoriales.
Bravement vous avez soutenu que « Haïti est un pays souverain, les élections sont un acte de souveraineté nationale. Nous avons des amis et des partenaires, nous avons dit que leur assistance est bienvenue, mais nous devons faire tout l’effort nécessaire pour que nous disposions des moyens pour prendre en charge cet acte de souveraineté nationale». Intervenant devant des diplomates et membres du gouvernement, vous avez eu le courage d’affirmer: « Ce n’est pas l’argent qui va nous empêcher d’avoir ces élections et elles seront tenues avec des ressources nationales ».
Pauvre sénateur Cantave qui s’enorgueillissait de ses petites et molles couilles de magouilleur et de salisseur ! Le couillon ! Et pour qu’il n’y eût plus de couillonneries et de vacheries dans les rangs des PHTKistes, vous avez déclaré avec fermeté, autorité, clarté, témérité, imperturbabilité et virilité : « En conseil des ministres avec les membres du Conseil électoral provisoire, les sources de financement des élections ont été clairement identifiées. Tout l’argent est disponible ». Men pa w, Cantave ; voici ta part, Louri Latortue ; here is your part, Kenneth Merten.
Et pour leur couper le souffle à tous ces saltimbanques, assouilles, fripouilles, grenouilles, sacripants, chenapans, fainéants, truands, bandits, nervis, malandrins, vauriens, galopins, requins, coquins, gredins nationaux et internationaux, vous avez, monsieur le président, convoqué le peuple en ses comices, le 19 juillet écoulé. Bravo, président ! Vous avez pris toutes ces décisions à la barbe et même à la moustache de la communauté internationale et du ti frekan Kenneth Merten. Avec un tesson de bouteille vous leur avez fait la barbe ; ti san koule, mais mouche blan n’a pu dire kwik. Double bravo !
Sans vous en demander la permission, Monsieur le président, je vais, maintenant, vous réclamer instamment de laisser de côté vos cantiques qui ont plu aux masses pour nous mettre à prier autour de la table nationale de keksyon qui exigent réponse. Vous n’êtes quand même pas tombé d’une soucoupe volante venue de lointains espaces intersidéraux. Ou konn tout bagay. Le peuple haïtien attend urgemment des réponses.
Vous avez vécu, comme tous les Haïtiens, le funambulesque, le caricaturesque, le burlesque, l’ubuesque, le clownesque, le bouffonesque, le grotesque quinquennat de l’énergumène nommé Michel Joseph Martelly marqué au coin de la débauche, de la dépravation, de la corruption, de la prévarication, de la perversion, de l’indécence, de l’impudence, de l’inconvenance, de la déliquescence, de la déchéance, de la perversité, de l’obscénité, de l’immoralité, du siphonnage des deniers de l’État, du piratage des fonds de Petro Caribe, et de la honteuse main basse sur l’énorme contribution diasporale à l’économie haïtienne.
Parlons peu, mais parlons bien, monsieur le président. Keksionnons d’abord le vécu, la réalité de l’argent des transferts d’argent en provenance de la diaspora, fonds qui furent gérés de façon opaque, illégale par les bandits légaux de la bande à Martelly. Vous verrons-nous jamais, monsieur le président, vous tenir droit, non plus face au Blanc – ce qui était osé et beaucoup plus difficile – mais face à ces larbins antinationaux qui pendant cinq ans écumaient les mers de transactions criminelles pour s’emplir les poches et la panse, et qui courent encore les rues ?
Que sont devenues ces sommes d’argent, enfin, que deviennent-elles ? Se sont-elles évaporées ? Kote yo pase ? Qui les gère ? Est-ce Laurent Lamothe dans les coulisses de quelque banque, de concert avec quelque mafrat aux longs doigts, de même calibre que lui? Keksionnez les types de la Sogebank, de la Unibank ou d’autres banques susceptibles de savoir si les fonds en provenance de la diaspora transitent par leurs coffres. La grosse Soso, la grosse et grasse madame de Micky fouine-t-elle encore dans ces transferts d’argent ? Les intercepte-t-elle, les zappe-t-elle par un procédé technologique de dernier cri connu seulement de Bill et Hillary Clinton ?
Pourrait-il y avoir autour de vous, dans l’ombre ou la pénombre, quelque cheval de Troie, quelque bourrique de Fonds des Nègres, quelque cinquième colonne PHTKiste, quelque aganman, quelqu’ex-ministre ravètivore aux habitudes reptiles, même quelqu’un de votre race politique doué de capacités de nuisance et de détournance de ce flot d’argent en provenance de la diaspora vers des comptes en banque secrets, inconnus du grand public mais bien connus de l’ex-famille présidentielle, d’ex-collaborateurs ou collaboratrices de Micky, ces magiciens et magiciennes d’opérations financières occultes ?
Le peuple haïtien veut savoir. Cinq ans de gabegie et de détournement de l’effort financier de la diaspora, à la sueur et aux seize heures de travail de ses membres, c’est trop, c’est inacceptable, c’est révoltant, c’est simplement immoral. Les Haïtiens vivant à l’étranger n’ont aucun problème à ce que leur argent serve le pays, leurs proches, à bon escient. Au moins veulent-ils savoir du dekiprevyen de leur effort.
Je viens ici, dans cette rubrique, vous keksyonner, monsieur le président : allez-vous mettre un terme aux agissements ténébreux et malsains de l’ex-président Martelly ? Allez-vous faire en sorte que la Nation sache enfin qui gère présentement l’argent reçu de la diaspora, quel en est le montant mensuel et à quoi il sert exactement? Autrement nous allons devoir dénoncer, sans désemparer, votre mauvaise volonté à collaborer à l’effort national d’«Évaluation et de Vérification» (deux mots qui ne vous sont pas étrangers) de la quantité astronomique d’argent volé à la diaspora et au peuple haïtien par Martelly et sa petite clique de rapaces et de charognards.
Ce même discours s’applique à l’argent perçu sur les appels venant de l’étranger et allant vers la diaspora. Les ponctions par la bande à Martelly du flot d’argent généré par ces communications téléphoniques n’a pas soudainement disparu après que vous, monsieur le président, et vos deux complices, avez signé l’Accord du 6 février. Dites. Les hauts responsables de Digicel, de Natcom (ex Teleco), de Haitel, de Comcel (Voilà) doivent pouvoir sans doute vous renseigner là-dessus. Il vous faudra les keksyonner là-dessus.
Dans cette fable de Lafontaine, le loup dit à l’agneau : «Si ce n’est toi, c’est donc ton frère… quelqu’un des tiens». Quelqu’un de ta race. Alors, si ce n’est pas Digicel, c’est donc une compagnie de sa «race». Comme je vous l’écrivais, récemment, dans cette rubrique : donnez-nous donc une petite lossière, monsieur le président. C’est une keksyon d’honneur, de probité, d’éthique, de morale, de devoir présidentiel envers le peuple, même si, monsieur le président, ce dernier ne vous a pas élu. Toutefois, il vous regarde, il attend de vous ce geste qui vous rendra grand à ses yeux.
Finalement, j’en viens à cette dernière keksyon ; dois-je rester perplexe, devons-nous rester incrédules à vous voir laisser passer comme une lettre à la poste l’outrageant, l’audacieux, l’impertinent, l’outrecuidant, le choquant, l’arrogant, l’effronté, le culotté défi du fanfaron Guy Philippe à la présidence et à l’État ? Guy Philippe, effrontément, culottément candidat au Sénat pour la Grand’Anse sous la bannière du Consortium National des Partis Politiques, comme vous le savez.
Cet agent du «laboratoire», ce pantin mal articulé au service de Jevèt vous a qualifié, monsieur le président, de «macaque qui se couvre de la peau d’un tigre» qui «souhaiterait avoir la tête» de la pintade des bois de la Grand’Anse. Il vous a même lancé un défi : «S’il pense être un tigre, qu’il vienne à Pestel mettre ses menaces à exécution de me tendre un piège». Or, le Bureau des Affaires Criminelles (BAC), selon son rapport d’enquête, «souhaiterait que des mandats d’amener soient émis par les autorités compétentes à l’encontre des nommés Guy Philippe, Yves Jeudy, Michel Alophène» et 19 autres suspects «pour implication présumée dans cette affaire ».
Par ailleurs, cinq individus, Pierre Bremus Duréus, Jean Céance, Mercidieu Douyon, Claudy Charles, Wilnord Dary et Jean Claude Alcénat, ont été arrêtés pour leur implication présumée, dans le cadre de ce dossier, « pour des actes de terrorisme, d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, d’assassinat, de tentative d’assassinat, de vol à main armée de véhicules et d’armes à feu, de port et détention illégaux d’armes à feu, d’usurpation de titre, d’association de malfaiteurs ».
Ce même rapport a indiqué que des « informations recueillies ont fait croire que le dimanche 15 mai 2016, cette attaque a été planifiée au cours d’une rencontre tenue par un groupe de présumés bandits se faisant passer pour des membres des FAD’H, sous l’égide du nommé Guy Philippe, assisté de ses chefs de troupe. Ce rapport d’enquête du BAC a été communiqué au commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance des Cayes le 29 juin dernier. Or, Guy Philippe a boudé une convocation de la justice. S’il n’est coupable de rien que ne s’est-il présenté devant ses juges ?
Alors, monsieur le président, où sommes-nous gardes ? Ki kote n gad ? Un individu peut-il, seul ou avec un groupe de malandrins autoproclamés rebelles, vouloir affronter la PNH, l’État, au risque d’une «Himmalaya de cadavres» ? Avons-nous affaire à un rigaudin (noir) égaré au vingt-et-unième siècle ? N’avons-nous plus un État ? Votre gouvernement va-t-il tolérer que l’énergumène Philippe rentre à Port-au-Prince pour se faire inscrire aux prochaines élections ? Autant de keksyon qui taraudent l’esprit des haïtiens.
Quand après une «réunion spéciale» avec le Conseil Supérieur de la Police nationale, le premier ministre Enex Jean Charles a parlé de «dispositions urgentes» à prendre relatives au libellé du rapport d’enquête du BAC, était-ce du parler en pile ? Était-ce de la poudre aux yeux ? C’est peut-être une poudreuse keksyon que je vous adresse, là, monsieur le président. Allez-vous y répondre ? Car au moment d’écrire cette rubrique, le 31 juillet, Guy Philippe plastronne, parade, se pavane encore dans son bled grand’anselais.
Il est impérieux, monsieur le président, que vous, votre PM et votre ministre de la Justice, preniez vos responsabilités. Guy Philippe n’est pas au-dessus de la loi même lorsque ses amis de la DEA continuent de lui faire des risettes et des yeux doux. Il est l’auteur intellectuel présumé de l’attaque gratuite et criminelle du commissariat des Cayes qui a coûté la vie au policier Tison Jean Louis et fait des blessés, dont les policiers Wendy Dorléan et Dubé Jean Baptiste.
Pour l’honneur du corps policier, pour que justice soit rendue, pour que les citoyens aient confiance en leur État, en leur président, fût-il même provisoire et de facto, vous devez, monsieur le président, prendre ces «dispositions urgentes» dont parlait votre PM : vous devez forcer Philippe à la raison. Allez-vous le faire ? C’est là ma dernière keksyon.
Monsieur le président, je vous laisse avec votre conscience…
31 juillet 2016