Quand l’ex-Président Aristide revient dans l’actualité politique

(1e partie)

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L’ex-Président Jean-Bertrand Aristide

Il n’y a pas de doute, de 2004 à 2022, Haïti a fait un grand bond en arrière. En effet, si l’on part du principe : qui n’avance pas recule, il y a forcément beaucoup à dire sur ce point après le spectaculaire retour de l’ex-Président Jean-Bertrand Aristide dans l’actualité haïtienne, ces derniers jours.

Dix-huit ans après le soulèvement de l’opposition, son renversement, un kidnapping, selon les dires de ses partisans, et son expédition en Afrique pour un exil qui a duré sept ans, incontestablement, celui qui demeure le patron incontesté et incontestable du parti politique Fanmi Lavalas fait son grand retour sur la scène politique en Haïti. Quelle ironie de l’histoire pour ses adversaires politiques de toujours ! Depuis son retour en Haïti en mars 2011, soit quelques jours avant la fin du mandat de son ex-protégé, le feu Président René Préval, le moins que l’on puisse dire, Jean-Bertrand Aristide ne pouvait être plus discret dans un pays où, pourtant, il garde encore un nombre insoupçonné de partisans.

Vivant reclus dans son fief de la commune de Tabarre, l’homme du 16 décembre 1990 garde un profil au ras des pâquerettes. Il ne sort que pour se rendre à quelques mètres de là dans son Université de la Fondation Dr Aristide qui fait de plus en plus de jaloux et pâlir d’envie ses concurrents. Avec cette attitude plus que discrète, l’ancien Président de la République respecte ainsi le contrat qu’il avait passé avec les décideurs d’Haïti qui avaient donné leur feu vert pour qu’il retourne finir ses jours dans son pays. Discret et fidèle à ses engagements vis-à-vis de ses protecteurs, il ne se consacre qu’à deux choses qui lui tiennent vraiment à cœur depuis qu’il a officiellement tourné le dos à la politique active qui lui a tant donné mais qui a failli aussi lui coûter la vie. Ces deux choses : la Fondation Dr Jean-Bertrand Aristide et, bien entendu, la fameuse et très lucrative Université de la Fondation du même nom située à un jet de pierre de sa résidence transformée en bunker depuis son retour tout aussi spectaculaire qu’inattendu. De cette résidence entourée d’arbres fruitiers et surmontée d’une clôture de plusieurs de mètres de hauteur à Tabarre, l’ancien Président, tout en gardant un profil au ras des talons pour ne pas éveiller les soupçons, ne chôme pas pour autant.

Quelle revanche pour cet ex-petit Prêtre de bidonville devenu le personnage le plus puissant d’Haïti

Discret comme un agent de renseignement peut l’être, l’ex-Prêtre de Saint Jean Bosco de la Saline observe, reçoit, conseille et surtout coordonne les faits et gestes de son parti politique Fanmi Lavalas auquel Dr Maryse Narcisse Coordonnatrice officielle, n’arrive pas, en vérité, à donner l’élan et le souffle du « Grand Timonier » comme certains appellent l’ancien exilé de Caracas et de Pretoria. Tout ou presque se passe et se fait dans le salon ou sous les arbres de sa résidence de Tabarre. Puisque pour ne pas éveiller les soupçons ni de ses adversaires politiques – ils sont toujours nombreux -, ni des maitres du pays, ceux qui détiennent partiellement le pouvoir au Champs de Mars et à Bourdon ni surtout des vrais décideurs de la politique haïtienne dont le QG se trouve à quelques pas de là, l’Ambassade des Etats-Unis en Haïti, Aristide, en grand connaisseur de l’histoire de son pays, fait le mort et attend. Il observe avec inquiétude le délitement du pays dont il a été par deux fois élu Président de la République, aussi par deux fois démis de ses fonctions par les oligarques et envoyé en exil et par deux fois y est retourné sans que rien n’ait changé. Il observe.

Il lit et relit l’histoire de ce pays qui, en vérité, se lit comme un roman tragique tant depuis plus deux siècles les politiciens excellent dans un jeu macabre jusqu’à le transformer en une histoire pratiquement morbide voire funèbre. Il faut voir le retour de JBA, Titide pour ses partisans, au devant de la scène politique nationale comme quand on étudie la géologie, cette science qui constitue à étudier la formation des pierres, en gros l’étude de la terre et du temps. En clair, il faut être patient, curieux et téméraire. Un mot d’ordre : ne jamais se décourager. Le temps fera le reste. Onze ans après, le revoilà. En tout cas, ce qu’espèrent ses partisans qui n’ont jamais désespéré que leur leader reviendrait un jour au timon des affaires pour accomplir son œuvre inachevée.

Aujourd’hui, ils ne le réclament pas pour 5, 10, ou 15 ans. Ils ne disent pas non plus : si w pa kontan bwè pwazon. Ils espèrent seulement qu’il jouera un rôle inespéré dans cette énième Transition devenue une patate chaude dans les mains de ceux qui l’avaient tant espérée, souhaitée et à la fin provoquée. Depuis Tabarre, derrière les murs épais de sa résidence, Titide jubile. Alors qu’il ne demande rien à personne et n’a qu’un souhait : agrandir encore plus son Université qui ne cesse, d’ailleurs, de s’étendre sur l’agglomération, en ouvrant d’autres facultés, le voilà soudain devenu l’homme sur qui les décideurs semblent jeter leur dévolu, tout au moins, veulent avoir son avis sur comment sortir de ce pétrin. Le baron de Tabarre, surnom dont l’avaient affublé ses ennemis politiques au plus fort des contestations des années 2000-2004, n’en revient pas. Lui, le pestiféré de ces années de plomb, de manifestations, de contestations et de Révolution de palais, honni et haï par toute la classe des politiciens qui n’avait qu’une hantise : qu’il ne termine pas son mandat de cinq ans. A un cheveu près, il aurait pu subir le sort de son lointain successeur Jovenel Moïse.

Lui, le « dictateur » pour qui l’opposition de l’époque et la Communauté internationale avaient préféré recruter, financer, armer et encourager des groupes armés de marcher sur Port-au-Prince jusqu’aux portes du Palais présidentiel pour le renverser par une guérilla de pacotille conduite par un ancien policier aujourd’hui purgeant une peine dans une prison fédérale américaine de haute sécurité pour trafic de stupéfiants, se voit consulté et placé au centre des discussions et des débats en vue de trouver une solution à la crise post-Jovenel Moïse. Quel retournement de l’histoire ! Quelle revanche aussi pour cet ex-petit Prêtre de bidonville devenu le personnage le plus puissant d’Haïti avant d’être déchu et dépouillé de tout son apparat par une oligarchie corrompue qui n’a jamais pu faire entrer Haïti dans l’ère de la modernisation politique ni avancer vers le progrès social et économique. Qui l’eût cru, Jean-Bertrand Aristide, l’ex-exilé de Johannesburg, joue, au troisième trimestre 2022, quasiment vingt ans après sa déchéance, la fille de l’air devant une Communauté internationale totalement discréditée pour son échec dans la conduite des affaires haïtiennes.

Aristide n’a rien demandé ni sollicité. On vient tout simplement le consulter en tant que « Sage » de la Nation avec l’espoir qu’il a quelque chose à dire et surtout quelque chose à proposer afin de dénouer ce nœud gordien qui étrangle le pays et les auteurs de ce scandale politique depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse il y a une année. Lui, le rescapé de ces rouleaux compresseurs qui ne veulent donner aucune chance à ce pays gangrené par la mafia politique locale et étrangère. Victime lui-même de cette oligarchie quasi-héréditaire qui étouffe dans l’œuf toute prétention de qui que ce soit voulant améliorer le sort de la population. Les différentes visites qui ont eu lieu chez le baron de Tabarre durant les semaines écoulées ne sont pas de rumeurs. Même si aucun communiqué officiel de l’une ou l’autre partie ne vient certifier ses visites intéressées. En tout cas, l’un des fidèles de l’ancien chef de l’Etat, Joël Vorbe, membre de la direction du parti Fanmi Lavalas, a quasiment confirmé la nouvelle.  Selon ce responsable influent du cercle des lavalassiens de Tabarre : « Le Président Jean-Bertrand Aristide a le droit de partager son point de vue sur la situation actuelle du pays avec des personnalités hautement politiques », propos rapportés par Le Nouvelliste du 28 juin 2022.

(À suivre)

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