Quand le BSA voulait forcer Ariel Henry à négocier

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Les membres du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana (BSA) et ceux de l’Accord de Musseau autour de la table de dialogue

Devant l’indifférence quasi certaine du Premier ministre a.i Ariel Henry dans le processus du dialogue politique avec ses adversaires de la Transition, les dirigeants de l’Accord du 30 août s’impatientent et ne savent plus quoi faire. Pourtant, après la première prise de contact venue de l’hôte de la Primature, les signataires de Montana espéraient un dénouement, en tout cas, croyaient que cette fois c’était la bonne.

En clair, Ariel Henry était devenu raisonnable en prenant conscience que rien ne va plus à Ayiti Toma. Au niveau de la direction de l’Accord pluripartite, l’on se prenait à rêver de l’ouverture très rapidement des négociations en vue de déboucher sur un Accord définitif avec le pouvoir en place. Certes, il existe des points de désaccords, de frictions et de malentendus entre les parties. Néanmoins, les membres du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana (BSA) espéraient que cela ne devrait pas empêcher les signataires de l’Accord du 11 septembre de faire preuve de bonne volonté. Surtout, plus les jours et les mois passent, plus la situation sociopolitique du pays devient pratiquement intenable. Plus rien sur le plan institutionnel et politique ne marche.

La police est aux abois. Débordée. Tandis que la bande à « Izo 5 segonn », le chef de gang  du Village- de-Dieu autoproclamé maitre de Martissant, fait des siennes dans cette partie du Sud de la capitale en maintenant sous sa coupe la seule et unique voie d’accès conduisant dans les quatre départements du Grand-Sud du pays. Sa dernière grande provocation a été d’envoyer ses soldats kidnapper aux environs de 11 heures du matin deux autobus remplis de passagers au Portail Léogâne à deux pas du Commissariat de police en guise de réponse au Commissaire du gouvernement des Nippes, Jean Ernest Muscadin, qui a exécuté sommairement un de ses lieutenants à Miragoâne, ce qui n’est pas passé inaperçu dans le pays. Sauf peut-être les autorités politiques qui ont constaté comme monsieur tout le monde qu’un bandit de grand chemin, en plein cœur de la capitale, au XXIe siècle, opère pratiquement à visage découvert et que personne, de toute évidence, ne peut l’arrêter dans ses actions criminelles. En clair, tout le monde demeure indifférent.

les membres du BSA de Montana tentaient de mettre le Premier ministre a.i dans l’embarras au cas où il déciderait d’ignorer une nouvelle fois leur appel

Devant cette indifférence quasi générale des autorités étatiques et gouvernementales, les signataires de l’Accord de Montana pensaient qu’il faudrait lâcher du lest sur leur prétention afin de ramener ceux de l’Accord de Musseau dans le jeu. Surtout que les dirigeants du BSA avaient constaté que, malgré la situation politique chaotique qui prévaut en Haïti, Washington n’a pas hésité une seconde à inviter et accueillir à bras ouverts, avec tous les honneurs dû au rang d’un chef de gouvernement, Ariel Henry, au 9e Sommet des Amériques qui s’était tenu du 6 au 10 juin 2022 à Los Angeles. Dès l’annonce de la nouvelle que le dirigeant haïtien allait être invité en Californie parmi les autres chefs d’Etat et de gouvernements, à Port-au-Prince, certains au BSA se demandaient comment faire pour attirer l’attention du patron de la Primature avant son départ pour les Etats-Unis ?

Sachant que de toute façon Ariel Henry devait être reçu par le Président américain, Joe Biden et ses hôtes à Los Angeles. Il fallait donc trouver quelque chose qui puisse démontrer qu’en Haïti, il n’est pas le seul sur le terrain et que son pouvoir est vivement contesté par un autre secteur politique. Une entité restant tout de même assez ouvert au dialogue dans le cadre de cette Transition dont le contour demeure flou. Dans la mesure où c’est une Transition ayant à sa tête un gouvernement sans aucune légitimité démocratique, donc incapable d’avoir un agenda pour quoi que ce soit. C’est ainsi que, en dépit de controverse et de mauvaise foi des uns et des autres, les membres du Bureau de Suivi de l’Accord avaient décidé de court-circuiter les premières démarches entre les deux protagonistes.

Faisant comme s’il n’y avait pas un blocage au préalable qui a retardé en quelque sorte le processus de dialogue, suite aux deux rencontres en tête à tête chez Magali Comeau Denis avec le Premier ministre, le BSA avait donc écrit à celui-ci en vue de lui proposer la constitution d’une Délégation devant conduire le dialogue entre le pouvoir et cette entité politique de la Transition. Curieusement, mais très futé de la part des membres du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana, à aucun moment, ils n’ont fait mention des précédentes discussions qui ont abouti à deux propositions distinctes, c’est-à-dire, les « Cahiers de charge » contenant les conditions du BSA pour la poursuite du processus du dialogue et celles de l’Accord de Musseau prônant l’exacte contraire des points de leurs interlocuteurs.

Qu’à cela ne tienne ! Sans dire si l’une ou l’autre des deux propositions ait été adoptée ou acceptée, l’essentiel il faut continuer le dialogue quitte à ce que cela finisse comme les précédents accords, c’est-à-dire, en eau de boudin, il faut avancer avec l’espoir de rester toujours dans l’actualité. Qu’importe le résultat, les dirigeants de l’Accord du 30 août suppliaient donc Ariel Henry en ces thèmes : « Nous sommes prêts à poursuivre le dialogue politique pour aboutir à une Transition conduite par des dirigeants jouissant de la légitimité citoyenne afin de mettre fin à l’insécurité, au kidnapping, à la cherté de la vie, aux crimes et aux massacres (…) Humblement, face à la douleur du pays et par respect pour la bataille du peuple haïtien, nous invitons Dr. Ariel Henry et ses alliés à former leur délégation afin d’entamer les discussions et signer un engagement pour sortir le pays de l’impasse ».

Bien sûr, afin de mettre toutes les chances de leur côté, ils avaient bien mentionné « Dr Ariel  Henry et ses alliés », sachant que le chef de la Transition est aussi à la tête d’une forte coalition d’organisations politiques et de la Société civile sur qui il s’appuie depuis plus d’un an pour occuper seul le Pouvoir exécutif et dont il n’a jamais pensé une seconde à changer le format. Pour l’édification des lecteurs, dans cette crise pour le partage du pouvoir et le leadership de la Transition après qu’un Accord eut été trouvé, il n’est pas vain de révéler ici les noms des principaux alliés de celui faisant office de chef de la Transition et du Pouvoir exécutif. Il y a entre autres : le Secteur Démocratique et Populaire (SDP), de Me André Michel, ex-chef de file de l’ancienne opposition au Président Jovenel Moïse ; la Fusion des Sociaux Démocrates, de Edmonde Supplice Beauzile ; le Parti Unité, allié historique du PHTK de l’ex-Président Michel Martelly ; le Mouvement Troisième Voie – Haïti (MTV) de l’homme d’affaires Dr Reginald Boulos, soutien avant de devenir le pourfendeur du régime de Jovenel Moïse ; et enfin, le Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) dirigé par Liné Balthazar, proche de Michel Martelly.

Seule la Communauté internationale continue de soutenir le Premier ministre a.i et espère toujours parvenir à un supposé Accord avec ses concurrents des autres Accords

Tous ces partis et Mouvements sont signataires de l’Accord du 11 septembre 2021 à la Résidence officielle du Premier ministre à Bourdon. Pour démontrer leur détermination dans leur initiative, les membres du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana voulaient paraître cohérents et de ce fait tentaient de mettre le Premier ministre a.i dans l’embarras au cas où il déciderait d’ignorer une nouvelle fois leur appel et donc refuser de donner suite à leur demande. Comme disent les Haïtiens « Pye kout pran devan », la correspondante du Bureau de Suivi de l’Accord était naturellement accompagnée de la liste de ceux qui forment la Délégation du BSA. Cette liste n’est constituée qu’avec des têtes de pont de l’Accord de Montana et de son allié Protocole d’Entente National (PEN).

En effet, il s’agit de : Jacques Ted Saint-Dic, Ernst Mathurin, Dunois Éric Cantave, Magali Comeau Denis, Antoine Rodon Bien-Aimé et Hugues Célestin. La mission de ces six personnalités politiques, la plupart des anciens parlementaires et leaders régionaux était de conduire les négociations avec le Premier ministre et ses alliés politiques en vue : « de trouver le consensus nécessaire au rétablissement de la paix, la stabilité politique, la sécurité et l’amélioration des conditions de vie de la population ». En fait, cette initiative du BSA n’était rien de moins qu’un forcing des dirigeants de l’Accord de Montana sur ceux de Musseau et de leur chef Ariel Henry afin de les contraindre à revenir sur la table des pourparlers.

Puisque, depuis les deux entretiens et échange de propositions entre les deux entités au cours du mois de mai 2022, les liens étaient une nouvelle fois rompus. Alors que l’occupant de la Primature reste de plus en plus isolé sur la scène locale dans la mesure où, contrairement aux précédents régimes intérimaires, il ne bénéficie du soutien d’aucune célébrité haïtienne que ce soit en Haïti ou dans la diaspora. Son voyage en Californie était passé totalement inaperçu. Il n’a eu aucun appel de la part d’aucun leader ni artiste communautaire à soutenir sa politique encore moins une manifestation publique en sa faveur. D’ailleurs, les grandes voix politiques ou artistiques qui comptent et qui sont connues de la diaspora que ce soit aux Etats-Unis, au Canada ou en France demeurent étrangement silencieuses comme si Haïti n’existe plus et que Ariel Henry n’a plus d’amis. Seule la Communauté internationale, faute de mieux, continue de soutenir le Premier ministre a.i et espère toujours parvenir à un supposé Accord avec ses concurrents des autres Accords. Pendant ce temps, la crise continue et Haïti poursuit sa chute finale vers le néant. Quel désespoir !

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