Il ne se passe pas une semaine, un jour, sans que commentateurs, analystes, journalistes, éditorialistes, ne tombent à bras raccourcis, avec raison, sur ces brigands, malfrats et autres malotrus du PHTK qui écument les avenues des deux grands pouvoirs, exécutif et législatif. On saurait une fois pour toutes à quoi s’en tenir, on saurait de quel côté sont les gens sérieux si, malheureusement, ces messieurs et dames de l’opposition politicienne n’ajoutaient le poids de leur nullité et incompétence à l’immense désastre que représente la criminelle gouvernance du régime actuel.
Quelques stations de radio ou, plus précisément, quelques animateurs d’émissions, ouvertement ou anbachalman se font les porte-paroles des frustrations, de l’impatience et de la colère de la population qui n’en peut plus, s’assimilant ainsi à l’opposition au régime néo-duvaliériste, PHTKiste présidé par un certain « paysan » qui a su grimper l’échelle politico-sociale jusqu’à devenir le poulain et la marionnette de la bourgeoisie, ainsi que le protégé de Washington.
Jean Monard Métellus (« Momo » pour les fans), animateur de deux émissions hebdomadaires sur les antennes de la vénérable Radio Caraïbes est l’un de ces critiques sans ménagement du pouvoir tètkale monopolisé par les ardeurs « paysannes » du parvenu Jovenel Moïse, moralement toujours inculpé de blanchiment des avoirs en dépit des glauques, sordides, souterraines et à-plat-ventristes manœuvres du juge d’instruction Brédy Fabien. On ne peut parler de Jean Monard Métellus sans immédiatement évoquer sa très populaire, saturnine émission Ranmase.
À en juger par le nombre presque incalculable de stations de radio retransmettant tant en Haïti qu’en dehors du pays ce ramassage particulièrement chofe, pour ne pas dire surchauffé, on ne peut que saluer la popularité ramassante, écrasante de Jean Monard, son animateur, du reste un homme de média hautement calibré. « Momo », en passant, est l’ami de tout le monde, entendez l’ami du gratin politicien haïtien, sauf de Martelly, lui, plutôt assimilable à un graten mayi brûlé, un fond de chaudière sec, friable, cassant à gratouiller et à jeter à la poubelle.
Tous les samedis, les Haïtiens en quête d’un ranmase des nouvelles de la semaine, de bavardage politique ou de distraction s’attablent autour d’un « gratiné » d’hommes (de femmes et d’hommes, peu souvent) « triés sur le volet » pour assister à la grand-messe politique, radiophonique, télévisionnique, souvent cacophonique de fin de semaine. Comme « Momo » est l’ami de tout le monde, il ramasse, gratine, trie un peu partout sur le volet dans un souci « d’équilibre », à la façon américaine, pour satisfaire aux desiderata et critères en usage dans cette « démocratie » équilibrante, à l’occidentale, sans trop blesser le statu quo.
Jean Monard, un intellectuel, un diplômé d’universités rompu aux analyses politiques serrées, en fait, aux analyses en général, ne saurait avoir en sa compagnie que des intellos, des « rompus » à la chose, quitte à avoir un corrompu sous cape se glisser subrepticement sut le plateau. Le drame c’est que ce sont les mêmes têtes, les mêmes haut-parleurs (excusez la drôle de métaphore) que l’on entend constamment, à de rarissimes exceptions, (mais toujours des save). Ils viennent au rendez-vous de leur éphémère gloire radiophonique d’un jour pour débiter les mêmes platitudes, blablatudes, inssipitudes, banalitudes, médiocritudes sans jamais arriver à un modus ramasandi viable.
L’un de ces blablatudinaires à Ranmase est l’ex-colonel Himmler Rébu (Colo, pour les intimes), haut-gradé de l’ancien corps répressif des Léopards, créé sous l’œil vigilant du tuteur militaire américain durant la présidence « à vie » du « pitit tig ». Malgré son intime proximité avec un régime honni, chassé par le peuple, Colo a pu ressusciter d’entre les pourchassés par la révolte populaire du 7 février 1986, pour devenir aujourd’hui un homme du gratin, recherché pour ses gratinances, sa « sagesse » gratinante (conseiller de Martelly), sa « modération » (sic) et son savoir-faire politique (resic). Il ne rechignerait sûrement pas à une avance de Washington qui lui offrirait la gagnance d’une élection présidentielle arrangée. Or, Colo, à notre avis du moins, devrait se trouver empaillé en bonne place dans le musée des horreurs duvaliéristes.
Youri Latortue, dont les « qualités » peu reluisantes ont été signalées dans les câbles de l’ambassade américaine grâce à l’inestimable travail d’alerte de l’agence Wikileaks, est un ramassant régulier à l’émission de Monard, comme Colo d’ailleurs. De Youri, l’ambassadeur James Foley rapportait dans un câble du 27 mai 2005 à ses supérieurs qu’il faisait partie d’« une petite camarilla de trafiquants de drogue et d’intrigants politiques qui contrôlent un réseau de policiers corrompus et de gangs, responsables […] de la perpétration de kidnappings et de meurtres… ». Aujourd’hui savonné, frotté, lavé, indigoté, essoré, repassé par des années de « savoir-faire » politique magouilleur, il veut passer à l’Histoire pour avoir réussi un nouveau « Procès de la Consolidation ».
On ne doit pas oublier le gratineux docteur Rudy Hériveaux, misérable transfuge lavalassien passé dans le camp PHTKiste avec armes et bagages, hier en rampance lavalassante, pour se mettre ensuite à plat ventre devant Martelly. Le docteur Shiller Louidor, « le bombardier », resté fidèle à Lavalas, est un remarquable blablador à Ranmase. On n’oubliera pas non plus le journaleux et politiquement galeux Guyler C. Delva, prototype du salisseur, de même que l’ancien sénateur-pasteur-bonimenteur de la Grand’Anse, Andris Riché dont on ne sait jamais ce qu’il pense de quoi que ce soit.
Moïse Jean-Charles et Me André Michel sont les rois du parler fort et en pile. Le premier a l’art de la tonitruance, de la véhémence, de la gueulance, de la hurlance au point qu’il est souvent impossible de comprendre son débit niagarant, je veux dire pareil aux chutes du Niagara. André Michel, lui, est l’intarissable par excellence, l’inépuisable, l’inlassable, l’indépassable, l’indécrottable tant il parle sans s’arrêter. C’est une force qui fonce en folie, en furie, en frénésie, en déglinguerie. C’est un ouragan qui déferle dans les studios de la radio au point où Jean Monard l’animateur doit implorer tous les dieux de l’Olympe haïtien pour mettre un frein à la fureur des flots michellins.
De ce cénacle de gran van, ti vwal, se détache un mec qui est carrément dégueulasse, repoussant, écoeurant, dégoûtant, répugnant, lamentable, exécrable, minable, détestable, haïssable, insupportable, lamentable, effroyable, méprisable, hideux, affreux, monstrueux, tant il accouche les pires invraisemblances et absurdités. Une fois, l’exaspérance autour de la table de discussion était telle que Monard a dû lui dire ses quatre vérités. Si jamais au tout début d’une émission, Momo l’annonce parmi les invités du jour, un haut-le-cœur me saisit à la gorge et je ferme le récepteur, tout net. Non, je refuse d’écouter le nauséeux, l’affreux, le nasillard Stanley Lucas.
Jean Monard le sait aussi bien que moi, ses Ranmase n’ont pas encore abouti à grand-chose, à rien du tout en fait, d’autant qu’à chaque ranmasance, c’est le plus souvent un chaos verbal, un étripage du vis-à-vis à n’en plus finir, une abracadabrance d’opinions des plus biscornues, une impression cacophonique et honteuse de mache Kwabosal. Mieux, ces émissions ont montré deux choses : la nullité de l’opposition et l’affreuse persistance et jactance des représentants PHTKistes à vivre à des années-lumière de la douloureuse condition de la majorité. Aussi, je viens faire la proposition suivante à Jean Monard Métellus, un homme intelligent que je crois être du côté de la rationalité et des attentes du pays, des pauvres en particulier.
La proposition est simple, mais il faudra à Monard une disposition à une ouverture d’esprit hors du commun, beaucoup de cran, beaucoup de hardiesse, beaucoup de témérité, beaucoup d’estomac et, pour être plus direct, deux belles chelènes au fond de son pantalon. Car, ce qu’il osera faire va choquer les « bien-pensants », les intellectuels, les zuzu, les esprits turlututus, les modes de penser tordus (ou rigides) habitués au parler diarrhéique, sans intérêt, sans consistance, sans un projet d’avenir commun, novateur des ranmassants. Enfin, voici ma proposition à Jean Monard.
Cher Monard Métellus, au lieu d’amener chaque samedi ces petit-bourgeois portant un masque oppositionnel et réclamant un changement dont ils sont incapables d’en organiser les prémisses, voire l’éclosion ; ces « classes-moyennes » (certains en transfert de classe) qui mangent bien, trois fois par jour, se permettent de faire une petite vuelta en République dominicaine ou à Miami quand le cœur (et leur bourse) leur en dit ; oui, Monard, au lieu de nous laisser écouter les inutiles abracadabrances et balivernes d’intellos, de politiciens, de faux fils du peuple en mal de microphones et d’audience pour « saluer tout pèp ayisyen an » et vivant à des années-lumière du douloureux quotidien national, pourquoi ne pas inviter à Ranmase les vrais fils du peuple, ceux-là qui vivent la douleur d’une misère miserere ?
Vous ferez œuvre qui vaille, si vous donniez la parole à ces hommes et ces femmes qui grimpent l’enfer de la vie par dos, qui sont vraiment dans la réalité des pires vicissitudes, qui mangent de l’air et boivent leur souffrance. Même un seul samedi, tentez l’essai, donnez la parole aux petites gens, ceux et celles qui livrent un combat impossible, ingagnable avec la vie, avec une désespérante existence qui invite parfois au suicide.
Invitez une Madan Sara, une de ces femmes courageuses qui font marcher l’économie informelle ; invitez une marchande de légumes, une de ces compatriotes qui après avoir passé la journée sous un soleil accablant, à un coin poussiéreux, infect du bas de la ville n’aura pas vendu suffisamment pour donner à manger à deux enfants qui n’ont pas pu aller à l’école parce que soulye yo chire; invitez une marchande de fritailles dont les cinq enfants de quatre papas différents iront au lit avec au ventre un seul patekòde à partager entre les gamins, se pa blag, Momo !
Invitez un coiffeur qui peine à payer le loyer pour un petit zuit salon qu’il a loué d’un gros zouzoun qui s’en fiche de ce que le bonhomme puisse payer ou non, parce que ce locataire a dû débourser l’argent de deux semaines de travail pour acheter des médicaments réclamés par un hôpital dit général, bancal on ne peut plus. Invitez un chômeur dont le seul diplôme qu’il a pu décrocher ne lui ouvre aucune porte. Invitez un bouretye – pourquoi pas ? – qui charrie des cargaisons d’huile, de savon, de hareng ou n’importe quoi d’autre, du bas de la ville jusqu’au haut de Lalue et qui à peine peut se payer un fresco pour la journée.
Invitez un chauffeur de taxi qui n’arrive même pas à découvrir St. Pierre pour couvrir St. Paul. Invitez un marchand de fleurs qui cherche désespérément la vie sur la place de Pétion-Ville parce que la belle dame qui se promène dans sa grosse cylindrée aux vitres teintées ne lui a pas acheté une seule rose ; elle aura préféré aller chez la fleuriste du coin, une ti lolit parèy li, pour déblatérer : ma chère, tu sais, on n’en peut plus dans ce foutu pays…tu sais encore, mon mari est allé voir son médecin qui lui a recommandé un petit voyage de plaisance. What the heck ? On s’en fiche madame Zuzu.
Invitez un bòs mason à qui monsieur l’ingénieur-architecte Zabèlbòk ou le contremaître Grennsenk paie un misérable salaire, alors que le propriétaire de la villa en construction est l’un de ceux visés par le procès PetroCaribe, et qui a ses entrées et sorties à l’ambassade américaine. Même, li ka nan dwòg…
Oui, Jean Monard, ce sont ces gens qui connaissent et vivent la mordante réalité du quotidien haïtien. Donnez-leur la parole. Vous êtes assez intelligent et adroit pour dialoguer avec eux, leur donner la chance de dire leur lot de misère, parce que les nantis ne le savent que très malman, même qu’ils ne le savent pas du tout. Ce serait une première dans l’histoire radiophonique du pays, une réconfortante et encourageante première. Surtout, il faudra ouvrir les micros à toute la population. D’ailleurs en ouvrant ainsi vos micros au grand public, cela vous permettra de juger de la réaction des gens, particulièrement des save à qui vous aurez passé une camisole de circonstance tout juste un seul samedi.
Faites preuve de courage, Jean Monard. Affrontez les bien-pensants, les « haut-parleurs », les bas-parleurs, les petit-parleurs, les beaux parleurs, les faux-parleurs, les ranceurs k ap divage. Donnez-leur une chance, les petites gens, les petits gagne-pain. Vous aurez au moins le mérite d’avoir été vraiment proche de la parole de ceux et celles qui connaissent la vraie vie que mènent les marginalisés de la société.
Peut-être que ces petites gens peuvent offrir quelque piste pour approcher leurs problèmes. Qui sait ? Après tout, les save, ces fruits secs indéhiscents, qu’apportent-ils chaque samedi, à part leurs stériles bavardages ? Le pouvoir entendra-t-il la voix des désespérés? Ça, c’est une autre affaire. Mais un pas hautement novateur aura été fait. Vous aurez été un pionnier, un vrai humaniste. C’était ma proposition, Jean Monard. À vous de jouer, Momo.
12 mai 2019
P.S. Au cas où la proposition vous intéresserait, cher Momo, je vous glisse mon adresse email : fanlatour06@yahoo.com.