Voici ce que disait le Président du Sénat Joseph Lambert le 1e septembre 2021 lors de sa conférence à l’hôtel Royal Oasis « Je suis peut-être l’un des rares politiciens, homme politique, homme d’Etat qui peut créer un grand rassemblement de force autour de lui. On a intérêt à saisir cette opportunité. Je demanderais à tous et chacun de mesurer mes propos; mon sens de l’engagement est total. Nous avons besoin de l’engagement de tout le monde tant au niveau de la Société civile qu’au niveau des politiques. Si l’on me confie la mission de Président provisoire sans feuille de route, je ne vais pas accepter. Si l’on me retient au poste de Président, comme l’ont déjà fait le Protocole d’Entente Nationale (PEN), des membres de la Société civile et le Sénat de la République, il me faudra une feuille de route et la durée du mandat. J’aurais bien aimé que cette transition soit la plus courte possible pour un retour à l’ordre démocratique le plus vite possible ».
Le sénateur Joseph Lambert croit que tout n’est pas perdu non seulement pour Haïti mais surtout dans ses démarches pour devenir Président provisoire de la République. En tout cas, si l’on se fie à la présence de nombre de personnalités, supporters et partisans qui avaient fait le déplacement à l’hôtel Royal Oasis ce 1er septembre 2021 pour écouter et soutenir le Président du Sénat dans sa campagne de communication à l’attention de l’opinion publique locale et des décideurs internationaux (Core Group) incontournables dans la résolution de crises en Haïti, on peut imaginer que le sénateur du Sud-Est, n’est point seul et que, cette fois-ci, il semble qu’il est soutenu par de gens qui croient dans ses chances de réussir. Reste à savoir si le Président du Sénat a été convainquant et entendu par les vrais décideurs en Haïti. Compte tenu de ce qui s’est passé au Bicentenaire à Port-au-Prince quelques jours après la sortie médiatique du sénateur Joseph Lambert, on peut avoir des doutes.
En effet, il semble que le Président du Sénat a du mal à convaincre ses amis de l’International même si sur le plan local, il progresse, il fait bouger les lignes en portant certains de ses détracteurs à se rallier à lui. En plein tohubohu politique dans la capitale, entre diverses entités ne cessant de présenter « Accord » et contre « accord » pour une sortie de crise et assurer la transition post-Jovenel Moïse, Joseph Lambert a failli surprendre tout le monde en voulant tenter un coup de force « démocratique ». Trois jours après la signature de l’ « accord » dit de la Primature entre le Premier ministre et un secteur des oppositions entre autre le Secteur Démocratique et Populaire (SDP) d’André Michel survenu le samedi 11 septembre, la République retenait son souffle. Et pour cause. La veille, tout le pays était informé par les médias du pays et les réseaux sociaux que le sénateur Joseph Lambert allait prêter serment pour devenir le Président provisoire de la République le mardi 14 septembre 2021. Aussitôt, panique générale dans les rangs du Premier ministre a.i Ariel Henry qui, à peine sortis de l’euphorie de la victoire, doivent affronter un nouveau soubresaut dans cette transition d’après Jovenel qui tient la République en haleine.
Ce d’autant plus que Ariel Henry fait face à l’opinion publique sur les fameux coups de fils reçus de son ami Joseph Félix Badio le matin même de l’assassinat du Président, le 7 juillet 2021. Voulant à coup sûr brouiller les jeux et amoindrir la réussite du Premier ministre, Joseph Lambert qui a toujours un tour dans ses manches a passé à l’offensive avec le soutien de ses amis politiques dont l’ancien Président de la Chambre des députés, Garry Bodeau. Quelques jours auparavant, l’ex-député de Delmas avait conseillé le Président du Sénat d’aller s’installer au Palais national en tant que Président de la République. Dans la mesure où, selon Gary Bodeau, Lambert est parmi tous les acteurs en compétition, le seul à pouvoir prétendre disposer d’une légitimité constitutionnelle pour jouer le rôle de chef du Pouvoir exécutif. Suivant sans doute à la lettre les conseils de cet allié de poids, Joseph Lambert avait pris la décision de se faire proclamer chef de l’Etat selon le Protocole d’Entente Nationale (PEN) auquel la majorité des organisations politiques de cette plateforme reste attachée.
Même si, il est vrai, une bonne partie s’est retrouvée dans l’Accord proposé par le Premier ministre a.i Ariel Henry. Ainsi, comme pour la première tentative ratée du mois de juillet, tous les partisans du sénateur se sont mobilisés, cette fois avec la ferme assurance que ce coup-ci sera le bon. Puisque, quelques jours avant à l’hôtel Royal Oasis, non seulement le sénateur avait fait le plein de soutiens mais d’autres personnalités s’étaient déplacées pour venir encourager le Président du Sénat dans ses démarches présidentielles. C’était plus qu’encourageant ! Il y avait de l’adhésion. Même les plus sceptiques commençaient à croire à une éventuelle réussite du sénateur de Jacmel. Alors que d’un côté, d’autres partis politiques continuent à se rendre à la queue leu leu à la Résidence du Premier ministre pour parapher l’« Accord » du 11 septembre, de l’autre côté les invitations étaient lancées par le Sénat de la République et les partisans de Joseph Lambert pour le mardi 14 septembre 2021 en vue de la prestation serment du futur chef de l’Etat.
le Président du Sénat a du mal à convaincre ses amis de l’International même si sur le plan local, il progresse, il fait bouger les lignes en portant certains de ses détracteurs à se rallier à lui.
Cette fois, rien à dire. Le Sénat avait fait le plein. Des invités, il y en avait en grand nombre. Tous les sénateurs avaient répondu présent pour cette séance solennelle qui devrait être historique. Même la presse croyait à cette ultime tentative de l’« Animal politique » qu’est le sénateur Lambert. Surtout cette action politique avait été motivée par une note de presse dans laquelle le Sénat expliquait les raisons qui portent les sénateurs à prendre cette décision. « Les réflexions ont considéré la pagaille qui prévaut de l’appareil d’État, surtout à travers les plus hautes personnalités du gouvernement dirigé par le Dr Ariel Henry identifié comme un suspect dans l’assassinat du Président Jovenel Moise. La mise en accusation du Dr Ariel Henry par le Commissaire du Gouvernement Bed-Ford Claude a ouvert un dossier de justice qui a motivé le Protecteur du citoyen à réclamer la démission du Premier ministre. Il en est résulté une souillure majeure qui expose l’image nationale comme celle d’un peuple gouverné par un présumé assassin. Il a été décidé que des initiatives ponctuelles viennent du Sénat de la République en vue de corriger ce grand défaut du Pouvoir exécutif » disaient les sénateurs. Du coup, au Parlement tout était fin prêt.
Tout le monde n’attendait que l’ouverture de la séance pour que les sénateurs proclament Joseph Lambert Président provisoire de la République avant de l’accompagner, selon le protocole prévu, au Palais national, avenue de la République au Champ de mars pour l’installer. L’effervescence était à son comble donc au Parlement. Sauf que les organisateurs, une fois de plus, avaient oublié deux choses : (1) ils n’avaient pas l’accord du « Core Group » ; (2) ils avaient oublié de mobiliser leurs propres groupes armés. Résultat, un nouveau fiasco. Un nouveau raté pour Joseph Lambert. En effet, dans l’euphorie générale, tout le monde y compris Joseph Lambert lui-même avait oublié le fonctionnement de la politique en Haïti depuis ces quarante dernières années. De même que chaque politicien dispose de son petit « blanc » dans sa poche, il est aussi vrai qu’il dispose aussi dans son organigramme politique de ses propres « groupes armés ou gangs » pour défendre ses intérêts et son pouvoir. Ce mardi 14 septembre 2021, le Président du Sénat allait buter sur ces deux points fondamentaux et majeurs qui l’ont empêché d’accéder à la présidence haïtienne.
Deux obstacles, pourtant, qu’il connaît bien. Le premier est évidemment le « Core Group » qui ne lui a laissé aucune chance d’aller jusqu’au bout de son action en le mettant en garde et le rendant responsable des conséquences que cela pourrait causer au pays. Selon certains observateurs politiques, c’est la preuve que Joseph Lambert n’avait pas eu le feu vert de la Communauté internationale (Core Group) qui se méfie encore et toujours du sénateur du Sud-Est. N’ayant pas l’aval de ce puissant groupe de diplomates à Port-au-Prince, Joseph Lambert devait savoir qu’il n’aurait aucune chance de passer le cap du Sénat voire de pouvoir marcher jusqu’aux perrons du Palais national avant de s’asseoir sur le fauteuil présidentiel dans ces conditions et dans cette conjoncture. Mais, il n’y a pas que le « Core Group » qui peut entraver une accession au pouvoir dans l’Haïti d’aujourd’hui. Il y a les gangs.
Les bandes armées. C’était le deuxième obstacle pour Joseph Lambert. L’ambitieux sénateur s’est laissé prendre au dépourvu et certains disent même par naïveté. Sur le plan stratégique, c’est une erreur grave pour le sénateur du Sud-Est et même une faute politique pour un vieux barroudeur de sa trempe. Impensable qu’un vieux routier comme lui puisse se laisser prendre de cette manière au Bicentenaire par ses adversaires politiques. Comment Lambert a-t-il pu imaginer un instant que Ariel Henry et les leaders politiques qui le soutiennent dans le dit Accord du 11 septembre allaient le laisser se proclamer chef du Pouvoir exécutif dans ce contexte de folie où tous les coups sont permis sans penser que son Parlement n’allait se transformer en champ de bataille ? Quelle naïveté ! Même les « pros » peuvent faire des erreurs, dit-on. Joseph Lambert a dû décevoir certains de ses partisans et ses soutiens dans cette aventure. Après l’obstacle diplomatique du « Core Group » qui est en somme une question de rapport de force en Haïti. Dans la mesure où si Lambert avait lui aussi sorti ses hommes de mains et pris le dessus au Bicentenaire et se faisant proclamer Président de la République pas sûr que les choses s’arrêteraient aussi facilement.
Pas sûr que le « Core Group » allait sitôt renouveler son soutien à Ariel Henry en plein bras de fer avec la justice et ses démêlés avec des anciens amis de l’ancien pouvoir. Surtout, face à un Premier ministre en grandes difficultés éthiques, morales et politiques sur le dossier de l’assassinat du Président Jovenel Moïse. Et ayant le plus grand mal au monde à faire prévaloir sa légitimité à la tête du pays. Or, en matière de légitimité politique et populaire entre le Président du Sénat, Joseph Lambert et le Premier ministre a.i Ariel Henry, il y a forcément débat. Rien n’est acquis vraiment pour le locateur de la Villa d’Accueil. On le voit avec la démission de l’Envoyé spécial américain pour Haïti, Daniel Lewis Foote opposé au soutien du Core Group à Ariel Henry. Nous disons donc qu’après l’obstacle de la Communauté internationale, il restait les bandes armées qui deviennent de plus en plus un acteur à part entière dans la transition post-Jovenel Moïse. Ils l’ont démontré le mardi 14 septembre 2021 dans le quartier du Bicentenaire à Port-au-Prince.
En effet, au moment où les sénateurs s’apprêtaient à entrer dans l’hémicycle pour entamer le processus de prestation de serment de Joseph Lambert comme étant le successeur provisoire du Président assassiné, le Parlement a été brusquement et brutalement attaqué par des dizaines d’hommes utilisant des armes de guerre. Objectif, empêcher l’ouverture de la séance du Sénat et de stopper net le processus devant aboutir à l’investiture du Président du Sénat comme chef d’Etat provisoire d’Haïti. Une vraie scène de guerre avec des rafales d’armes automatiques partout dont il ne fait aucun doute que les assaillants voulaient mettre fin à ce qui se préparait. L’assistance fut prise sous le feu des bandits qui, de toute évidence, avaient pour mission d’empêcher le Sénat de tenir séance et par la même occasion faire comprendre au sénateur Joseph Lambert qu’il était hors de question qu’il devienne chef du pouvoir exécutif en lieu et place du Dr Ariel Henry. Les invités ont vite faite de se terrer un peu partout avant de vider les lieux au plus vite en remerciant le ciel d’avoir la vie sauve.
Les bandits devenus rapidement maitres des lieux ont pris position tout autour du Parlement ne laissant qu’une seule alternative aux sénateurs, aux invités et aux curieux : quitter le plus rapidement le Parlement et renter chez eux. Après avoir repris leur esprit et contents d’être toujours en vie, les responsables du Sénat ont condamné sans équivoque cette attaque. Dans une note, ils disent « Condamner avec véhémence cette attaque criminelle et expriment leurs sympathies aux dévoués employés de l’institution, et présentent leurs excuses aux visiteurs et aux braves journalistes qui ont été lâchement agressés par ces ouvriers de la grande délinquance ». Curieux, durant tout le brouhaha où la zone du Bicentenaire était le théâtre d’une guerre menée par les bras armés de l’autre camp et les nouveaux amis du pouvoir en place, aucun membre des forces de l’ordre stationné près de la Primature, pourtant située non loin du Parlement, n’a daigné intervenir même pour dissuader les bandits dans leur action.
Une nouvelle leçon à tirer dans la saga politique opposant une légion de prétendants à la tête de la Transition suite à l’assassinat du Président Jovenel Moïse, il y a plus de deux mois. Ainsi a été étouffé dans l’œuf une seconde fois la prétention ou l’ambition du sénateur Joseph Lambert, Président du Sénat, de devenir chef de l’Etat d’Haïti au cours de la première quinzaine du mois de septembre 2021. Mais, face à cette crise politique aux multiples dimensions, Jo Lambert a-t-il dit son dernier mot ? A-t-il définitivement jeté l’éponge devant Ariel Henry ? (Fin)
C.C