Présidence provisoire d’Haïti, Joseph Lambert persiste ! (1e partie)

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Le sénateur Joseph Lambert

Il ne fait aucun doute, le sénateur Joseph Lambert, Président des dix sénateurs encore en fonction, est un homme de conviction. Convaincu qu’il a un destin national. Convaincu que sa carrière d’homme politique prendra fin au Palais national en tant que chef de l’Etat d’Haïti. D’où sa persistance à contraindre l’ensemble des oppositions à le choisir ou le désigner comme successeur de Jovenel Moïse assassiné chez lui le 7 juillet 2021. Joseph Lambert dont on a déjà raconté les péripéties dans les premiers jours de la disparition du Président de la République pour s’installer à la présidence est un homme qui ne s’avoue pas vaincu aux premiers obstacles. Malgré les coups de Jarnac de ses amis, le veto d’une partie de l’International et les complots de ses frères ennemis pour lui barrer la route du Palais national, l’homme persiste et signe. Il croit à son destin présidentiel.

Il faut qu’il soit Président de la République. Il y croit dur comme fer. Alors, il s’emploie à se donner les moyens politiques, même si aux yeux d’une grande partie de ses camarades de l’opposition, Joseph Lambert n’est pas l’homme du moment. Feu le Professeur Leslie Manigat aurait dit qu’il n’est pas l’homme de la conjoncture. Qu’importe, le sénateur du Sud-Est n’est pas homme à se laisser guider par les imprécations des autres. Estimant qu’il ne trouvera point une occasion aussi propice pour se lancer dans la course à la présidence haïtienne, Joseph Lambert s’affirme publiquement et manœuvre en coulisse en faisant jouer ses talents d’équilibriste politique hors pair pour atteindre son objectif. Son dernier : s’emparer de la tête du pouvoir exécutif afin de conduire la Transition post-Jovenel Moïse avant d’organiser les élections générales dans deux ans ou quand la conjoncture le permettra. Car, en Haïti, les calendriers politiques et électoraux n’engagent que ceux qui y croient non ceux qui les proposent. Depuis près de quarante ans, pas un agenda politique n’a été respecté. D’une manière ou d’une autre, il y a toujours une contrariété quelque part.

Tantôt ce sont les dirigeants qui emploient moult complications pour ne pas respecter ce qu’ils ont eux-mêmes prévu. Tantôt, c’est la nature qui leur donne un coup de pouce pour ne pas exécuter ce qui était annoncé. Bref, en Haïti, sur le plan politique, on n’est jamais sûr de rien. Et ça, tous les politiciens de ce pays le savent. Alors, pour Joseph Lambert, rater cette occasion dans ce contexte de crise politique et d’incertitude pour ne pas devenir Président provisoire de la République, c’est passer à côté de la chance de sa vie. Or, il se trouve que pour celui qui fut, a été et est Président du Sénat de la République, le contexte actuel ne peut être que le meilleur moment pour lancer son offensive sur le Palais national et maintenir la pression sur ses amis et adversaires politiques. C’est le bon timing selon son entourage. Pour cet « animal » politique, comme il se qualifie lui-même, devant la dégradation de la situation socioéconomique et la crise politique qui s’empire avec la disparition subite du chef de l’Etat en exercice, il ne pourrait avoir aux commandes de l’Etat quelqu’un n’ayant pas de vraies expériences dans la gestion des affaires publiques.

Joseph Lambert le dit : l’amateurisme politique n’a pas sa place dans ce contexte troublé et compliqué. Haïti, selon lui, n’a point besoin d’apprenti pensant venir faire ses expériences. Il faut des femmes et des hommes non seulement capables de reprendre la situation en main à tous les niveaux, mais il en faut un chef. Un vrai. Question de responsabilité et de conviction. Quelqu’un ayant acquis de l’expérience sur le terrain en conduisant les affaires de l’Etat tout en ayant une parfaite connaissance des institutions du pays. Aujourd’hui donc, d’après Joseph Lambert, la personne remplissant ces critères n’est autre que lui. Tout en lançant à l’attention du Dr Ariel Henry, le Premier ministre a.i mais aussi le seul chef du pouvoir exécutif en l’absence d’un Président provisoire, que « Yon nèg pa ka pran tèt mato pou mete la pou al lage peyi a nan tchouboum ». En fait, cette pique ne s’adresse pas seulement au chef du gouvernement intérimaire.

Ce message va au-delà du pauvre Ariel Henry dans la mesure où il ne se trouve à cette place qu’à la seule volonté du « Core Group », ce groupe de diplomates qui ne fait qu’exécuter les ordres de Washington associé à quelques rares capitales qui ont une certaine influence politique en Haïti. Fin calculateur et bon tacticien politique, le sénateur Lambert a pris soin d’accompagner son message du portrait robot de celui qui peut être à la hauteur de cette immense tâche de conduire le pays vers la sortie. Sans se cacher derrière de grosses lunettes, le Président du Sénat laisse entendre que c’est bien de lui dont il est question. En affirmant sans avoir froid aux yeux ni sans trembler que « Le peuple a besoin d’un chef. Le peuple a besoin d’être gouverné. Aujourd’hui, je pense que, sans être narcissique, je suis cette personnalité politique dotée d’expérience nécessaire pour mener la barque à bon port. En période politique difficile, nous avons besoin d’un leader expérimenté ». Sur ce registre, ce vieux routier de la politique haïtienne ne pourra dire plus ni ne peut être plus clair.

Joseph Lambert veut le pouvoir. En tout cas, il veut le Palais national. Dans son combat ou sa campagne pour convaincre les décideurs étrangers d’Haïti et la classe politique haïtienne, sans exclure aujourd’hui la Société civile de ce pays, le sénateur du Sud-Est  joue le tout pour le tout. Il se présente à visage découvert et dit haut et fort qu’il se sent capable et qu’il est prêt à assumer le rôle de chef du pouvoir exécutif. En clair, être Président d’Haïti. Ce qui est intéressant dans cette sortie fracassante de Joseph Lambert, c’est qu’il s’écarte totalement du champ de compétence du Premier ministre a.i Ariel Henry. Dans la plaidoirie qu’il a faite en sa faveur à l’hôtel Royal Oasis le mercredi 1er septembre 2021, Joseph Lambert a voulu prendre de la hauteur. Il ne vise pas la Primature donc pas la place de Ariel Henry. On sait que son nom circulait parmi les potentiels Premiers ministres avant l’assassinat du Président Joseph Moïse. Suite à cet échec, le Président du Sénat était devenu plus radical dans ses positions vis-à-vis du chef de l’Etat.

Mais, au lendemain de la disparition du Président, c’est lui qui faisait office de favori pour succéder provisoirement à la tête du pouvoir exécutif. Sauf que l’affaire avait tourné court dans la mesure où les promoteurs de cette accession à la présidence de Joseph Lambert avaient soit oublié soit négligé ou sous-estimé l’apport de la Communauté internationale (Core Group) dans cette opération. On sait comment les américains avaient court-circuité cette désignation en nommant vite vite un « Envoyé spécial pour Haïti » en la personne du diplomate Daniel Lewis Foote. Mais, Joseph Lambert n’est pas l’homme à lâcher prise facilement s’agissant de la politique si ce n’est pas le pouvoir tout court. Alors, voyant qu’on s’apprêtait à le mettre de côté ou que certains dans l’opposition et de la Société civile cherchaient à l’écarter des manœuvres en cours pour le pouvoir, celui qui connaît mieux que personne les rouages politiques haïtiens a tout simplement réactivé ses réseaux locaux et internationaux. Résultat surprenant, Jo Lambert revient dans la course. Et de quelle manière ! Comme angle d’attaque, le Président du Sénat choisit de défendre un exécutif à deux têtes, le fameux exécutif bicéphale.

A l’opposé du projet que défend son concurrent Ariel Henry qui ne veut en entendre parler. Et pour cause. Sa situation à la Villa d’Accueil, Résidence officielle du PM, lui permet d’occuper tout l’espace du pouvoir : Premier ministre et chef d’Etat à la fois. Paradoxalement, cette situation rend inconfortable la position de Ariel Henry. Puisque, dans sa grande majorité, l’opposition plurielle demeure attachée à un exécutif bicéphale : un Président de la République et un chef de gouvernement. Par cette position, Joseph Lambert, après avoir activé ses réseaux, revient sous les projecteurs, ce qui met le Premier ministre a.i dans une position inconfortable surtout pour sa gestion politique de l’après Jovenel. Et le séisme du 14 août 2021 dans le Grand Sud ne joue pas vraiment en sa faveur, c’est le moins que l’on puisse dire. Joseph Lambert qui, logiquement, connaît davantage le monde politique que Ariel Henry, peut compter sur ses différents réseaux qui travaillent au grand jour mais aussi dans l’ombre pour déstabiliser  l’occupant de la Primature sans pour autant viser son poste.

L’Accord dit l’ « Accord de la Primature » signé le 11 septembre 2021 entre le Premier ministre a.i et une partie de l’opposition plurielle parmi laquelle le Secteur Démocratique et Populaire (SDP) de Me. André Michel  ne changera rien. Joseph Lambert qui sait de quoi il parle, laisse croire qu’il n’y a aucune chance pour que Ariel Henry réussisse en s’accrochant à un exécutif monocéphale. « Le Premier ministre Ariel Henry semble avoir perdu le pôle Nord parce qu’il s’acharne derrière un exécutif monocéphale qui lui donne les pleins pouvoirs. L’exemple récent prouve que lorsqu’une personne détient trop de pouvoirs, il est en difficulté de gestion. On ne peut pas gérer lorsqu’on a trop de pouvoirs. C’est l’équilibre du pouvoir qui peut donner les résultats escomptés. Je n’appuie pas le Premier ministre Ariel Henry dans ce projet d’exécutif monocéphale. D’ailleurs, je ne saurais avoir de projet politique avec Ariel Henry parce qu’il s’écarte totalement de la Constitution. Toute personne qui veut suivre cette voie sera jugée par l’histoire. Ce n’est pas la voie à suivre ; ce n’est pas la voie constitutionnelle ni politiquement réaliste » a déclaré Joseph Lambert à l’endroit du Premier ministre lors de sa conférence de presse le 1er septembre 2021.

L’ancien Conseiller politique de l’ex-Président Michel Martelly et proche de Jovenel Moïse avant de prendre ses distances avec celui-ci joue en réalité sur deux tableaux et axe ses démarches sur deux approches distinctes. D’un côté, il laisse ses partisans faire des coups de points sinon porter des coups de chaise à ceux qui veulent l’écarter du jeu ou pensant l’oublier dans les tractations et les différents Accords politiques qui sont sur la table quitte à condamner du bout des lèvres dans un tweet ces actions spectaculaires mais, en réalité, faisant partie du jeu politique en Haïti. D’autre part, il fait de la pédagogie. Il dresse un tableau sombre de la conjoncture politique et veut se hisser au rang des grands Hommes politiques qui ont sauvé leur pays après une défaite militaire ou l’effondrement au pire moment de l’histoire. D’où son appel à l’union et au rassemblement autour de lui afin de créer la dynamique de la reprise en main d’un pays en plein chaos en suivant la route de ce qu’une partie des oppositions appelle le « Protocole d’Entente Nationale » (PEN) qui l’avait, dès le départ, désigné comme Président provisoire de la République.  (A suivre)

C.C

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