Port-au-Prince, absence de leadership !

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Depuis le mercredi 31 octobre, Port-au-Prince vit dans une situation de tension

Qui contrôle Port-au-Prince ? Cette question mérite rapidement une ou des réponses de la part des pouvoirs publics. Car, visiblement la capitale haïtienne échappe à tout contrôle des pouvoirs publics. Or, l’absence d’un leadership entraine forcément l’anarchie et le chaos. Depuis un certain temps, Port-au-Prince vit dans ces deux situations. D’une part, l’anarchie règne en maitre. Il semble qu’aucune autorité légalement constituée n’arrive à gérer la situation. Partout, les bandes armées et les gangs en tout genre s’entretuent et font régner la peur de jour comme de nuit par une guerre que même les forces de l’ordre semblent dépassées. Par cette situation intolérable, ce sont les habitants de cette ville qui en paient le prix. Mais pas seulement. Il est établi que Port-au-Prince est la capitale économique, politique, culturelle et jusqu’à maintenant touristique du pays. Du coup, quand la ville est malade, c’est toute la République qui pleure. Car il n’a échappé à personne que tout se passe et se fait encore dans la capitale même si Pétion-Ville n’est pas loin.

L’unique vrai aéroport international à Port-au-Prince, en dépit de timides ouvertures vers le Nord du pays, Cap-Haïtien, demeure le centre névralgique par où arrivent les visiteurs étrangers et nationaux vivant aux quatre coins du monde. Le pays est pauvre. Mais les marchés publics de la capitale sont remplis de toute sorte de produits agricoles en provenance bien entendu de tous les coins et recoins d’Haïti même avec un manque criant de voies de communication. De l’autre côté, les trottoirs aussi sont bondés. De produits neufs et d’occasions, voire usagés arrivent en masse des différents ports du pays qui eux, les reçoivent de l’étranger, principalement de Miami en Floride. Bref, difficile pour une capitale où tout se concentre de pouvoir vivre dans cet enfer dans lequel elle est plongée depuis des années. Mais la situation s’est donc aggravée depuis l’arrivée au pouvoir du Président Jovenel Moïse qui ne semble disposer d’aucun leadership pour instaurer la paix dans cette ville.

D’autre part, de cette situation de terreur et de psychose que vit la capitale, le chaos remplace toute organisation et structure sociale devant permettre une bonne harmonie dans la ville. Point n’est obligé d’être géographe ou sociologue pour comprendre que la ville vit sans aucune structure organisée et pensée. Port-au-Prince devient une sorte de capharnaüm où tout s’entremêle. Se déchire. S’enfonce. La ville n’est point livrée à elle même, elle est abandonnée. Oubliée. Ignorée par les pouvoirs publics préférant prendre leurs grands airs sur des sujets ou projets, certes importants, mais non urgents devant l’entendu des problèmes ou des actions concrètes pour tirer la capitale de cet enfer. D’où, d’ailleurs, la justification de l’implantation de ce pouvoir parallèle conduit par des gangs et autres malfrats nous donnant cette situation anarchique et chaotique. Encore une fois, on se pose la question : mais où sont passées les autorités étatiques ? A défaut d’un leadership reconnu venu de l’un des différentes branches des pouvoirs publics, au moins il devrait avoir quelqu’un capable de dire NON, cela ne peut plus continuer ainsi.

L’Etat central, (la présidence de la République, la Primature, le Ministère de l’Intérieur, celui de la Planification, de l’Environnement, les responsables de la police nationale, etc) et bien sûr la Mairie de Port-au-Prince dont les responsabilités devraient être au centre du dispositif des décisions à prendre doivent se faire violence afin de trouver une solution durable pour sortir la capitale de cette situation. Dans l’une des toutes premières Tribunes, on l’avait dit. Le Président de la République Jovenel Moïse a tout intérêt à faire de Port-au-Prince l’une de ses priorités dans ce qu’il appelle la « Caravane du changement » qui parcourt le pays. Il est aisé de se précipiter dans les campagnes sans aucun plan d’aménagement du territoire où il suffit d’installer un lampadaire ou de faire traverser la route principale par une bretelle d’asphalte pour se faire élever au rang des dieux. La capitale d’un pays c’est autre chose. Malgré tout le respect qu’on porte aux gens de Trou-du Nord, Port-au-Prince, n’est pas Trou-du-Nord. C’est la capitale historique et politique d’Haïti.

Il faut donc un leader éclairé pour imposer sa vision de développement et de modernité à Port-au-Prince à l’heure où des villes comme La Havane ou Santo Domingo attirent de plus en plus de touristes dans un monde devenu un village global.  Si le Président Jovenel Moïse ne prend garde, contrairement à ce qu’il redoute, ce n’est pas l’opposition politique qui le mettra en déroute. Mais c’est Port-au-Prince qui sera à coup sûr son tombeau politique. Il risque de payer cher son manque de leadership et de charisme dans la prise en main de cette ville. Ce n’est pas à la police ni aux chefs de gangs de définir une stratégie ni un plan de modernisation pour la capitale. C’est aux politiques de le faire. C’est le rôle des pouvoirs publics d’avoir un grand dessein capable de transformer ce qui est laid en quelque chose d’agréable à admirer au point de vue esthétique. Il faut sortir Port-au-Prince de cet enfermement dans lequel la négligence et le laxisme des uns et des autres l’ont pratiquement condamné pour ne pas dire détruit. Bien sûr, il y a les gangs et les bandes armées qui envahissent le centre-ville et les quartiers nouvellement créés, en tout cas, depuis que personne ou presque ne s’occupe plus de cette ville. A qui la faute ? Certainement pas aux port-au-princiens.

Comment comprendre ou expliquer à quelqu’un que les Avenues Bolosse étaient des endroits tranquilles où les habitants restaient tard la nuit à se divertir sur les trottoirs sans être inquiétés ni dérangés par des malfrats ? C’est avec la mort dans l’âme que nous regardons la tournure du Boulevard Harry Truman et le quartier du Théâtre National transformés en repaire des bandits. D’ailleurs, ce ne sont plus les seuls quartiers déshérités qui sont la proie de la violence et de l’insécurité à Port-au-Prince. Une évolution qui devrait attirer l’attention des autorités gouvernementales et municipales et les interpeller sur la gravité de la situation. Cette histoire d’envoyer une meute de policiers cagoulés, gantés et armés jusqu’aux dents à chaque fois que les gangs rivaux décident de s’affronter pour une parcelle de terrain perdue ou pour une concubine juste après qu’ils soient rentrés dans leur fiefs, ne changeront rien à une situation devenue critique. Il faut un remède de cheval pour parvenir à endiguer le mal déjà trop ancré dans les mœurs des bandes de voyous qui occupent le terrain.

Le gouvernement ne peut pas se contenter de faire arrêter les chefs de gangs ni de les tuer. D’autres, les adjoints et les lieutenants ou les concurrents prendront la relève. Certes, il faut les mettre hors d’état de nuire les paisibles citoyens. Mais il faut surtout apporter des solutions durables à la problématique de cette capitale. Le chef de l’Etat ou le Premier ministre doit réunir les principaux acteurs, ceux qui sont essentiels et concernés par ce phénomène de banditisme, afin d’arrêter une fois pour toute la ligne politique à suivre non seulement vis-à-vis des bandits mais aussi décider de quelle politique de la ville adopter en faveur des habitants de Port-au-Prince ? Les gangs, eux, ont compris depuis longtemps. Ils sont les seuls à avoir un plan pour garder le plus longtemps possible l’espace et les territoires qu’ils occupent depuis des années.

Une récompense de deux (2) millions de gourdes est proposée pour toute personne qui permettra à la police de capturer ce dangereux chef de gang dénommé Arnel.

Les pouvoirs publics ne doivent plus agir au coup par coup face à des bandits qui ne sont pas forcément protégés par des politiciens comme on l’entend souvent. Dans tous les pays du monde, à partir du moment où les pouvoirs publics sont défaillants et n’assument plus leurs responsabilités, ce sont les bandes armées, les trafiquants, les gangs et autres délinquants de toute sorte qui s’établissent en maitres et seigneurs sur les territoires laissés vacants. C’est ce qui est arrivé dans les villes haïtiennes aujourd’hui et à Port-au-Prince en particulier. Faute d’un leadership assuré et assumé, la capitale a été transformée en champ de guerre. La semaine de quasi-guerre civile qu’on a vécue du 31 octobre au 4 novembre 2018 marque aussi un tournant dans l’insécurité à Port-au-Prince. Car, ce n’est plus le quartier de Martissant et Cité ou Village de Dieu, au bord de la mer, qui étaient en ébullition.  Tout le monde avait observé que c’est bien l’ensemble de la capitale qui était sur le qui-vive. Du côté du Champ de Mars, aux environs du Palais national, quartier du Bel-Air, la zone du bicentenaire et pratiquement toute la zone de Martissant et les avenues Bolosse, bref tout le sud de Port-au-Prince était surchauffé.

Les habitants vivaient la peur au ventre et la circulation sur l’axe bicentenaire, Portail de Léogâne, Martissant jusqu’à Bizoton était quasiment nulle. Ceux qui venaient de la région du grand Sud et comme ceux voulant faire le trajet en sens inverse étaient obligés de prendre à pied par l’avenue Mgr Guilloux, Carrefour-Feuille, Fontamara avant de rejoindre la Nationale N° 2 vers Bizoton. C’était comme si des milliers de piétons se rendaient dans un pèlerinage dans les deux sens. Quant aux automobilistes qui étaient obligés de prendre leur mal en patience dans des embouteillages monstres, ils n’avaient d’autres alternatives que d’abandonner leur voiture pour continuer à pied comme tout le monde. C’était surréaliste ! Pour le moment, la population n’a pas encore vu le Premier ministre, Jean Henry Céant, à l’œuvre. Et de jour en jour, on a l’impression que les autorités ne contrôlent pas grand-chose ou tout au moins, ne maitrisent pas tout à fait ce phénomène récurrent de l’insécurité. Entre confusion et improvisation dans les décisions, la population observe avec inquiétude jusqu’où ira cette insécurité qui ne monte pas mais qui s’enracine et fonctionne sans que les forces de l’ordre n’arrivent vraiment à prendre le dessus.

C’est le Far West des années 1800. Incapable d’attraper le chef de gang dénommé Arnel, le Directeur de la police nationale d’Haïti (PNH), Michel-Ange Gédéon a dû lancer un avis de recherche sorte de « wanted » mort ou vif contre ce bandit dont la tête a été mise à prix. Une récompense de deux (2) millions de gourdes est proposée pour toute personne qui permettra à la police de capturer ce dangereux chef de gang.  Manque de leadership à tous les niveaux. De la présidence de la République à la Mairie de Port-au-Prince en passant par la Primature, les autorités s’effacent. Ainsi la capitale haïtienne se trouve aux mains des voyous qui arrivent même à opposer les organisations de défense des droits humains et les pouvoirs publics. Scène inimaginable à l’hôpital Bernard Mevs le vendredi 2 novembre 2018 où s’était amené un bandit, chef de gang, connu sous le nom de « Bout Jean Jean » qui s’était blessé lors d’un affrontement avec une autre bande rivale dont le chef serait mort au cours de l’attaque. Sauf que, ledit Bout Jean Jean s’était présenté à l’hôpital Bernard Mevs pour se faire soigner suite à la confrontation. C’est déjà curieux qu’un chef de gang recherché par toutes les polices d’Haïti  se pointe dans un hôpital privé où justement se font soigner la plupart des gens ayant les moyens de payer les soins médicaux.

Mais en Haïti plus rien ne surprend personne. Apprenant que cet individu était en train de recevoir calmement les soins que nécessitait sa blessure, il paraît que le gouvernement avait pris la décision de l’appréhender sur son lit d’hôpital une fois que son état de santé le permettrait. Sauf que, serment d’Hippocrate oblige, il semble que les médecins, même avec un accord verbal des responsables du centre hospitalier, avaient imposé un refus catégorique à la police de pénétrer dans la salle où se reposait le malfaiteur blessé. Entretemps, une grande confusion régnait sur ce qui s’était véritablement passé. La police qui avait débarquée non pas discrètement mais tambour battant avait aussi attiré l’attention des curieux qui voulaient s’informer de ce qui se passait. D’un autre côté, sans qu’on sache pourquoi, plusieurs parlementaires, des leaders politiques de l’opposition et bien entendu des responsables des organisations des droits humains ont eux aussi fait irruption à l’hôpital Bernard Mevs pour rencontrer le dénommé Bout Jean Jean.

Tous ont dénoncé l’attitude du gouvernement qui a envoyé, selon eux, la police pour appréhender le suspect tout en empêchant aux médecins de porter assistance à un blessé. Ce que naturellement le gouvernement a formellement démenti tout en justifiant la présence de la police afin de protéger l’hôpital contre une attaque éventuelle de bandes armées. Une situation qui montre, une fois encore, le manque de coordination et de leadership dans un contexte où il devrait avoir un dialogue permanent entre tous les acteurs censés être concernés par la situation de l’insécurité dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Quant au maire de la capitale, il est quasiment aux abonnés absents. Il n’arrive pas à s’imposer comme le personnage incontournable pour défendre sa ville et ses administrés.

Certes sa situation est compliquée puisque ne disposant d’aucun moyen financier et humain pour faire face aux gangs qui déstabilisent la capitale. Néanmoins, avec une présence remarquée sur le terrain et un activisme politique et social dans les médias, le maire aurait pu devenir le personnage central et incontournable auquel cas il serait impossible au gouvernement de l’ignorer quant aux mesures à prendre pour redresser la situation. Ce manque de charisme du maire de Port-au-Prince fait perdre à la ville plusieurs occasions manquées. Il n’a pas su faire comprendre aux Premiers ministres passés et présents et au Président Jovenel Moïse l’importance de la capitale dans leur vision politique. Le maire n’a pas réussi à vendre Port-au-Prince auprès du Président afin d’avoir une plus grande visibilité dans sa politique de développement national.

Par manque de leadership et de charisme, le maire laisse seul le pouvoir décider pour la capitale qui finalement ne décide absolument rien. Et comme le Président Jovenel Moïse n’a toujours pas compris et pris conscience que son seul recours, s’il veut sortir la tête haute de son quinquennat, est de redorer le «blason» de Port-au-Prince, la ville phare du pays, alors,  est condamnée à échouer comme une ville qui meurt lentement mais sûrement. Et comme il est impensable que ce soient les gangs qui remportent la guerre, il reste au moins au Premier ministre Jean Henry Céant de faire la différence en se montrant plus apte et plus clairvoyant que ses prédécesseurs. Même, la « Caravane » du Président de la République demeurera une caravane fantôme si Port-au-Prince reste dans l’état. Dommage !

 

C.C

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