Pitcho : « Notre rôle d’artistes est de faire bouger les choses, pas de plaire à des marques ou des nobles »

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Pitcho : « On a de nombreuses luttes à mener contre les inégalités et une convergence, comme celle entre hommes et femmes, est nécessaire. »

À l’âge de six ans, le rappeur et acteur Pitcho est arrivé dans notre pays. Nous l’avons rencontré pour parler des personnages historiques qui l’inspirent. Patrice Lumumba, le premier Premier ministre du Congo indépendant, est l’un d’entre eux. Pitcho lui a consacré un spectacle.

 

Laurent Womba Konga, plus connu sous le patronyme Pitcho, arrive en Belgique à l’âge de 6 ans. Son père est opposant au dictateur Mobutu et la famille doit s’exiler. La transition de Kinshasa à Bruxelles n’est pas évidente, à l’image de ce que vivent tant de réfugiés fuyant un régime… ami de l’élite économique et politique belge.

Pour la famille de Pitcho, un arrêt au Petit Château, centre pour réfugiés situé le long du canal bruxellois, est imposé. Se tournant d’abord vers le rap, il se dirige vers le théâtre au début des années 2000. Ses « modèles » ? Public Enemy, NTM, IAM mais aussi le premier Premier ministre de la République indépendante du Congo Patrice Lumumba, les militants américains Martin Luther King et Malcolm X ou encore Kwame Nkrumah, un des acteurs de l’indépendance du Ghana dont il sera le Premier ministre puis le président. « Il y a un lien entre ces hommes : ils se révoltaient contre le racisme, mais aussi et surtout contre un système. Et ils voulaient proposer une alternative. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont été tués… » Il est vrai qu’à part Nkrumah, renversé par la CIA et mort durant son exil, les autres ont directement reçu une balle forgée par les détenteurs du pouvoir américains… et belges dans le cas de Lumumba.

Le discours de Lumumba, du hip-hop en 3 langues

En 2017, il crée son premier spectacle : « Kuzikiliza ». Le sujet ? Le pillage, les massacres par les forces colonisatrices belges. Particularité : c’est un show collectif. Trois artistes se partagent en effet la scène. Karim Kalonji s’exprime via le breakdance, Joost Maaskant fait du beatbox et Pitcho, du rap. Tout ça en trois langues (français, néerlandais et anglais).

Le hip-hop pour remettre en lumière le fameux discours que Patrice Lumumba prononce le jour de la proclamation d’indépendance de son pays, le 30 juin 1960, l’idée est originale. Et couronnée de succès : le spectacle voyage et fait voyager. Pourquoi ce discours ? « Il portait un message fort en défendant l’égalité. Ce qui était une folie pour l’époque… Il est d’ailleurs mort en représailles, les dirigeants belges n’ayant pas apprécié ses mots et le pouvoir qu’il avait auprès du peuple congolais. »

Est-ce son discours qui l’a condamné ? « Si le monde fonctionne comme une pyramide, avec quelques-uns en haut et le reste de la population en bas, Lumumba voulait aplatir le plus possible cette pyramide. Ce qui était problématique pour ceux qui étaient au sommet et qui ne voulaient pas cette égalité avec la population. Il a été tué aussi pour ce qu’il représentait, un peuple dont on ne pouvait même pas imaginer qu’il puisse se mettre debout. Lumumba dérangeait tous ceux qui venaient avec leurs grandes vérités, qui ont dû se rendre compte qu’en face d’eux, il y avait quelqu’un à la peau noire qui remettait en question leur domination. Cette volonté d’égalité fait que son discours a toujours une portée actuelle. »

Bien plus large que la décolonisation

Pour Pitcho, le discours que prononce Lumumba en présence du roi de Belgique d’alors, Baudouin Ier – qui ne s’attendait pas à une telle humiliation – dépasse les frontières du Congo. « Parler d’égalité comme le faisait Lumumba est bien plus large que la décolonisation. On a de nombreuses luttes à mener contre les inégalités et une convergence, comme celle entre hommes et femmes, est nécessaire. Même si chacun a ses spécificités, on doit trouver des points communs. Nous devons essayer de comprendre les problématiques des uns et des autres pour trouver des solutions ensemble. »

La conversation dérive vers une figure connue de l’élite économique belge : Etienne Davignon. Ce comte est un nostalgique de la colonisation (« l’œuvre inachevée que nous avions laissée ») et est sous le coup d’une plainte introduite par la famille de Patrice Lumumba pour crime de guerre. Il préside aujourd’hui Bozar, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Ce qui pose de sérieux problèmes quand des artistes comme Pitcho veulent y présenter leur œuvre.  « Quand je suis venu présenter “Congolisation”, festival autour de la colonisation, en 2015, il ne voulait pas entendre parler de Lumumba, quelle que soit la manière (images, textes, speechs…). L’événement se déroulait le 17 janvier 2015, date anniversaire de sa mort. Nous avons réalisé des t-shirts pour contourner le problème. C’est dire l’aversion et l’obsession de Davignon pour les figures décoloniales… »

Destituer Davignon de ses fonctions, et repenser nos institutions culturelles

De plus en plus de voix se font entendre pour que Davignon quitte ses fonctions très vite. « Je suis d’accord évidemment, Davignon doit démissionner. C’est une priorité. Et nous devons repenser les institutions culturelles de notre pays. Quelle place accorder aux minorités, par exemple ? C’est un vieux débat, il est temps de le mener sérieusement. Les dirigeants des institutions culturelles daignent nous accorder un peu de place et nous la prenons. Ces structures sont là non pour faciliter le travail de l’artiste, mais pour le contrôler plutôt, pour l’orienter dans le sens qu’ils veulent. En tant qu’artiste, notre rôle est de changer la donne, pas de plaire à des mécènes, à de grandes marques, ou à des nobles… »

Solidaire 15 Janvier 2021

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