Nos ennemis sont les pays impérialistes !

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Kémi Séba, panafricaniste de renommée mondiale, déclare aux Haïtiens que ce sont les nations impérialistes, et non les « gangs », qui sont leurs ennemis

(English)

Kémi Séba, célèbre militant panafricain, journaliste et auteur, est arrivé en Haïti le 28 mai. Il a créé un véritable tsunami politique la semaine dernière, avec ses conférences de presse, ses interviews et ses discours, en insistant à plusieurs reprises sur quatre points principaux.

Premièrement, les nations impérialistes, principalement les États-Unis et la France, sont les principaux ennemis du peuple haïtien et la source de sa crise actuelle, bien qu’elles se présentent comme leurs sauveurs et leurs amis.

Deuxièmement, les groupes armés d’Haïti ont été diabolisés, en grande partie par la propagande impérialiste, et ne sont pas les ennemis du peuple. Au contraire, une plus grande unité entre les groupes armés et le peuple est essentielle à la libération du pays.

Troisièmement, Haïti est le berceau de tous les mouvements de libération nationale, y compris ceux qui ont sévi sur le continent africain des années 1960 à nos jours.

Kémi Séba arrivant à Cap-Haïtien en provenance de Cuba, le 28 mai.

Quatrièmement, malgré la déstabilisation, la pauvreté et une image négative dans la presse grand public, le peuple haïtien possède un potentiel énorme, et sa révolution réussie aujourd’hui encouragerait les populations en difficulté du monde entier.

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Séba a donné le ton lors dès sa première conférence de presse au célèbre hôtel Brise de Mer du Cap-Haïtien. Il y a déclaré : « L’ennemi des gangs haïtiens, ce n’est pas le peuple. Et l’ennemi du peuple haïtien, ce n’est pas les gangs. L’ennemi du peuple haïtien, des gangs jusqu’au peuple, en réalité, c’est le système colonial qui veut assujettir Haïti.»

Il a poursuivi : « ceux que le système diabolise sont souvent des résistants en puissance potentiellement. Mais il faut que le peuple soit capable de se reparler, que les gangs soient capables d’arrêter de d’attaquer leur semblable et que les gangs et le peuple comprennent que l’ennemi n’est pas en notre sang mais à l’extérieur. Gouvernement canadien, gouvernement français, gouvernement américain qui pendant tant d’années vous êtes présentés comme les bons samaritains d’Haïti ». Il a décrit ces impérialistes comme « ceux qui se présentent comme les meilleurs amis de nos populations » tout en le corrompant et en le confondant avec « des financements par les réseaux globalistes et néolibéraux qui se présentent comme les amis de la justice sociale mais qui ne veulent pas que nous puissions avoir notre propre vision sociétale ».

Séba avait également appris, en discutant avec d’autres Haïtiens, que « au sein de ces “gangs”… un certain nombre d’entre eux peuvent devenir des groupes de libération. Des gangs peuvent devenir des gens qui orientent la contestation populaire vers une cause noble qui est celle de la protection d’Haïti ».

Kémi Séba s’exprimant lors de sa première conférence de presse en Haïti depuis l’hôtel Brise de Mer à Cap-Haïtien.

Le discours le plus marquant de Kémi Séba a eu lieu à l’Université d’État d’Haïti, dans la ville de Limonade, au nord du pays, sur le campus Henri-Christophe. C’est là qu’il a développé son message devant un public enthousiaste de centaines d’étudiants et de professeurs.

Il a commencé par dénoncer la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS), parrainée par les États-Unis et dirigée par le Kenya.

« Si le prolétariat haïtien et les “gangs” comprennent qu’ils ont un ennemi en commun, comment pensez-vous que ceux qui sont en train d’occuper le pays et colonisent leurs esprits vont fonctionner ? Ils vont tous faire leur valises et ils vont rentrer à Washington, à Paris, au Canada et ailleurs parce qu’ils sauront qu’ils sont identifiés, comme les forces déstabilisatrices du pays. Je ne suis pas de ceux qui se réjouissent que l’Union africaine, qui compte à sa tête un certain nombre de dirigeants corrompus recevant des ordres des États-Unis [et] de l’Union européenne [ordonnant] aux soldats kenyans de tirer sur des frères qui sont ici qu’on appelle les “gangs”. Le problème, ce ne sont pas les “gangs”. Le problème, ce sont ceux qui livrent des armes aux “gangs” en tant que tels ».

Kémi Séba s’exprimant au Campus Henri-Christophe de l’Université d’État d’Haïti à Limonade, le 2 juin 2025.

Il a ajouté qu’Haïti était au bord d’une révolution.

« Haïti est à une croisée des chemins », a-t-il déclaré. « Vous pouvez soit aller vers la destruction finale, soit vers la résurrection ultime, ce qui peut être un outil géopolitique fondamental pour le reste de l’humanité. Géographiquement parlant, Haïti est un pays qui pose problème pour l’oligarchie occidentale. Vous êtes à proximité des États-Unis, à quelques heures de Miami. Le gouvernement américain sait que s’il y a une démarche révolutionnaire ici, il va se retrouver avec une situation bien pire qu’à l’époque de Cuba, du grand Cuba, lorsqu’ils étaient à proximité du territoire américain et qu’ils étaient dans une dynamique géopolitique autre ».

« Vous souffrez, il y a la précarité, l’injustice sociale, l’insécurité, c’est une réalité », a-t-il poursuivi. « Mais vous avez en vous-même, en vous tous, les clés de votre survie. En vous-même, en vous tous, les clés de votre libération. En vous-même, en vous tous, les solutions pour aller vers la voie de l’autodétermination ».

Dans son discours, Kémi Séba a également pointé du doigt les dirigeants haïtiens actuels qui collaborent avec l’impérialisme. « Oui, le colonialisme est à Washington. Oui, le colonialisme est à Paris. Oui, le colonialisme est au Canada. Mais on doit commencer par lutter contre le colonialisme à l’intérieur de nos rangs », a déclaré Séba. « Les dirigeants qui reçoivent leurs ordres de l’extérieur, qui acceptent d’être… dans une soumission volontaire, une servitude volontaire, sont les adversaires numéro un du peuple haïtien. Et si nous ne prenons pas conscience que lorsque les élites ne font pas leur travail, le peuple doit le faire lui-même, nous serons pas capables de faire bouger les lignes pour que notre peuple puisse plus que jamais se libérer ​​».

À Limonade, Séba a également déclaré ouvertement avoir parlé directement à « plusieurs chefs de gangs qui, depuis le début de notre séjour, nous ont contactés. Nous allons rendre public d’ici quelques jours leur proposition par rapport à l’appel que j’ai lancé… Vous allez être surpris d’apprendre d’ici quelques jours que des chefs de gang parmi les plus puissants ont compris le message… et sont prêts à… s’organiser comme une force citoyenne pour résister contre le système néocolonial ».

Le public réagit à Kémi Séba lors de son discours à Limonade.

Le 2 juin, Jimmy « Barbecue » Cherizier, principal dirigeant et porte-parole du parti Viv Ansanm (Vivons ensemble), issu d’une coalition de groupes armés du Grand Port-au-Prince, a réagi chaleureusement. Il a publié une déclaration officielle saluant la présence de Kémi Séba et son message d’« unité et de fraternité » en Haïti. Après avoir rejeté et dénoncé la classification de Viv Ansanm comme organisation « terroriste » par l’administration Trump le mois dernier, Cherizier a déclaré à Séba que « son message a toujours été le nôtre, et que notre principe directeur a toujours été “l’union fait la force”. Nous avons toujours voulu nous unir au peuple pour détruire le système en place. Mais malheureusement, ce système est fort et puissant, utilisant les médias locaux et internationaux pour ternir notre image et notre réputation, même si nous reconnaissons que nous avons commis de nombreuses erreurs dans notre lutte. » Il a déclaré à Séba que « votre message est là où nous voulons aller et où nous devons aller : le message de l’unité et de la fraternité. »

Kémi Séba s’est également adressé à plusieurs médias haïtiens

Kémi Séba s’est également adressé à plusieurs médias haïtiens. Dans une interview intéressante accordée à Agora TV de la RTC le 2 juin, il a déclaré : « Le problème fondamental d’Haïti, c’est qu’il n’est pas souverain. Ses élites prennent leurs ordres à Washington, Paris, Montréal, on ne pourra pas fonctionner de cette façon. Il faut une nouvelle prise de conscience. Il faut aujourd’hui une nouvelle cérémonie du Bwa Caïman où se réunissent différents esclaves rebelles, hommes et femmes de différentes ethnies, de différentes spiritualités, qui décident de faire vœux communant leur sang pour protéger la nation, protéger la population. Je pense qu’aujourd’hui, certaines entités que l’on appelle aujourd’hui des  “gangs”, mais qui pourraient être rapproché dans un cycle précédent de certaines entités tribales qui se faisaient la guerre à un moment donné doivent comprendre que cette guerre les dessert et doivent réorienter leur colère et leur contestation contre ceux qui les ont manipulé pendant tant de temps… Je dirai prochainement les détails sur mes interactions avec certains membres de ces groupes [armés] là-bas, mais je peux vous assurer qu’il y a de plus en plus de gens qui comprennent qu’ils ont été instrumentalisés et qu’il faut cesser la persécution vis-à-vis du peuple ».

Jimmy « Barbecue » Cherizier souhaitant la bienvenue à Kémi Séba en Haïti dans une déclaration officielle, le 2 juin 2025.

Il a également expliqué qu’il existait différents niveaux de conscience politique parmi les chefs de groupes armés avec lesquels il s’est entretenu et qu’il fallait « identifier les éléments les plus conscients au sein de ces “gangs” », afin qu’ils deviennent des « groupes patriotiques qui contribuent à la libération d’Haïti, qui demandent pardon pour les crimes commis… Mais la rédemption est un processus africain, la résilience est un processus africain et haïtien. »

Dans une autre interview accordée à Radio Tropicale le 2 juin, Séba a déclaré : « Nous avons besoin d’une révolution citoyenne. Je n’appelle pas aux armes ni à d’autres moyens, car dès qu’on prononce le mot “Révolution”, certains paniquent. Il faut une révolution des consciences, il faut une unité du prolétariat. »

Il a ensuite poursuivi : « Et le jour où il y aura une union révolutionnaire après un pardon qui sera demandé par les membres des gangs … Le jour, il y aura un pardon, une commission de pardon et de réconciliation, [ce jour-là,] il y aura une transversalité dans l’Union et que chacun et chacune se retourneront contre l’ennemi commun qui est constitué de ceux qui veulent voir Haïti à genoux… 

Je peux vous assurer que Haïti pourra redevenir et ça peut se faire dans beaucoup moins longtemps qu’on le croit. En réalité, Haïti pourra redevenir un centre de gravité de la révolution comme Haïti l’a été à son commencement ».

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