Mandat du Président Jovenel Moïse, prémices d’une crise électorale !

(1e partie)

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Le Président de la République, Jovenel Moïse, le 18 mai 2020 à l’occasion de la célébration au Palais national du 217e anniversaire de la création du drapeau haïtien

C’est une évidence, Haïti ne sortira point des crises électorales. En tous pas tout de suite. Trois ans après l’investiture du Président Jovenel Moïse (7 février 2017) à la présidence d’Haïti, les acteurs commencent à se positionner pour la relance des hostilités avec les mêmes arguments qui ont toujours été l’une des causes de la poursuite de cette transition qui n’en finit pas. Les deux camps affutent leurs armes politiques et constitutionnelles. Ils se préparent à mobiliser leurs troupes, leurs partisans et leurs soutiens. Il ne leur reste qu’à définir la date. En tout état de cause, ils sont prêts à l’affrontement qu’importe le résultat. L’essentiel, ils tiennent le haut du pavé dans un pays en ruine politiquement, économiquement, socialement et subissant une catastrophe sanitaire due à la propagation du Coronavirus.

Nous sommes au mois de mai 2020. Le Président de la République, Jovenel Moïse, à l’occasion de la célébration au Palais national du 217e anniversaire de la création du drapeau haïtien le 18 mai 1803, plante le décor. Après trois ans passés à la tête du pays, il n’est plus un novice en politique. Il connaît le système. « Aprè 3 zan, 3 mwa, 11 jou, mwen aprann, mwen konprann, mwen grandi… » disait-il ce 18 mai. En effet, en pleine pandémie de la Covid-19 en Haïti, en plein confinement, en plein Etat d’urgence sanitaire et en plein couvre-feu sur le territoire, le chef de l’Etat donne le signal du départ en annonçant qu’il met le cap sur l’organisation des prochaines élections. Sans prendre de risques ni donner trop de détails, le locataire du Palais national révèle qu’il a même déjà écrit au Conseil Electoral Provisoire (CEP) lui demandant de prendre toutes les dispositions nécessaires afin de lancer les processus relatifs à l’organisation des élections générales dans le pays.

« Le mandat du Président de la République prend fin obligatoirement le 7 février de la cinquième année de son mandat quelle que soit la date de son entrée en fonction »

Lors de cette allocution de circonstance, comme à son habitude, le Président Jovenel Moïse en a profité pour tacler et provoquer les membres de l’opposition et une partie du secteur de la bourgeoisie et bien entendu ceux qu’il ne cesse plus d’appeler « les gens du système ». Si ce 18 mai 2020 a été le prétexte pour s’en prendre une fois de plus à l’opposition et à ceux, d’après lui, qui l’empêchent d’électrifier le pays 24/24 heures, sa préoccupation première n’était pas non plus la propagation du Coronavirus au sein de la population. C’était surtout un message qu’il voulait faire passer à l’opposition : non seulement il leur demande d’aller aux élections pour prendre le pouvoir, mais il lance à leur intention : qu’il passera le pouvoir qu’à son successeur élu le 7 février 2022. En clair, il ne quitterait le Palais national pas avant cette date qui marquera, en fait, la cinquième année de sa présidence comme le stipule la Constitution qui fixe le mandat du Président de la République à cinq ans. « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections » Art 134.1.

Sans perdre de temps, quelques jours après sa déclaration sur l’organisation des futures élections, le chef de l’Etat qui semble mettre ses opposants au pied du mur, charge son ministre des Affaires Etrangères, Claude Joseph, d’impliquer l’OEA (l’Organisation des Etats Américains) et son Secrétaire général Luis Almagro dès à présent dans son entreprise. Profitant de sa place de Président du Conseil permanent de l’organisation hémisphérique qu’assure actuellement Haïti, l’exécutif haïtien a officiellement réclamé l’aide et le concours de l’OEA pour les prochains scrutins dans le pays. En sollicitant le soutien de l’organisme régional dès maintenant dans les futures joutes électorales, le Président Jovenel Moïse veut prendre une longueur d’avance sur ses adversaires et surtout sur ceux qui ne veulent pas entendre parler d’élection sous sa présidence. C’est pourquoi d’ailleurs, le Chancelier Claude Joseph évoque la grande expérience de l’OEA dans l’organisation des scrutins dans la région et en Haïti en particulier. Surtout, le patron de la diplomatie haïtienne met l’accent sur la grande expertise de cette institution dans les crises électorales qu’Haïti ait connues dans le passé.

Enfin, en faisant appel dès aujourd’hui à l’OEA pour prendre une part active dans le processus électoral, c’est sur l’ensemble des membres de cette organisation régionale que le gouvernement compte pour y arriver et surtout pour convaincre l’opposition à adhérer à son projet. Mais, le pouvoir le sait, le premier handicap ce n’est pas l’organisation des élections qui, certes, demeure le point culminant du processus, mais c’est réussir à faire accepter à l’opposition la date du 7 février 2022 comme celle de fin de mandat du Président Jovenel Moïse. D’ailleurs, le ministre Claude Joseph l’a bien compris. Lors de son intervention par vidéoconférence au Conseil permanent de l’OEA, il a bien présenté le départ du Président Moïse du pouvoir pour le 7 février 2022 comme il l’a dit aux membres du Conseil « Le chef de l’Etat veut aller dans la régularité constitutionnelle d’où sa volonté de laisser le pouvoir le 7 février 2022 et de se faire remplacer par un Président élu. Cela doit se faire de façon constitutionnelle et légale. J’ai présenté la situation à l’OEA avant de solliciter le support technique de l’OEA pour l’organisation des élections honnêtes, crédibles et démocratiques. Il s’agit d’une demande formelle » a confirmé le ministre des Affaires Etrangères.

Une demande qui n’est pas tombée dans les oreilles d’un sourd à Washington. Quelques jours après sa requête, le Secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, depuis la capitale fédérale américaine, a répondu au Président et à son ministre dans un long communiqué en date du vendredi 29 mai 2020 dans lequel il « Insiste sur le fait que la crise sanitaire actuelle devrait nous rappeler l’importance de renforcer les règles et les institutions démocratiques sans jamais s’en dévier. » Et le Secrétaire général poursuit : « Comme le stipulent les textes fondateurs du système interaméricain, les gouvernements légitimes n’émanent que d’élections libres et régulières. Le processus électoral et la durée du mandat présidentiel résultent d’un calendrier, antérieurement défini, prévu par la Constitution. En ce sens, le Secrétariat général de l’OEA exhorte l’ensemble des forces politiques de la République d’Haïti à trouver un cadre de coopération en vue de se conformer à la lettre et à l’esprit de l’ordre constitutionnel en respectant le mandat présidentiel de cinq ans. Dans ce contexte, le mandat du président Jovenel Moise arrivera à terme le 7 février 2022. Le Secrétariat général de l’OEA continuera à suivre de près l’évolution de la situation en Haïti. En parallèle, l’OEA demeure prête et disposée à travailler avec toutes les parties impliquées dans la recherche de la meilleure solution pour le peuple haïtien. »

C’est un soutien sans ambiguïté de l’organisation aux autorités du pouvoir à Port-au-Prince. Tout l’enjeu du processus est là et tous les protagonistes l’ont compris aussi. Dès l’annonce du chef de l’Etat, l’opposition avait sorti l’artilleries lourde en montrant clairement que la date de fin de mandat du Président Jovenel Moïse sera la première étape de ce qui va être la énième crise politico-électorale en Haïti depuis la chute de la dictature des Duvalier il y a trente trois ans. C’est Me André Michel, devenu une figure de proue du paysage politique haïtien, qui part le premier en fixant le mandat du chef de l’Etat au 7 février 2021 en se basant lui sur l’article 134.2 de la Constitution qui se lit comme suit : « L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le Président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le Président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection. » Ce sera donc une guerre article contre article. Pour l’opposition, il n’y a pas de débat possible sur la fin du mandat du Président Moïse ; celui-ci devrait abandonner le pouvoir l’année prochaine dans la mesure où il a prêté serment en tant que successeur du Président Michel Martelly dont le mandat a pris fin le 7 février 2016 et non pas en tant que successeur de Jocelerme Privert qui n’était qu’un simple Président provisoire. Selon Me André Michel du Secteur Démocratique et Populaire « Pour la question des élections, les démarches engagées par le pouvoir relèvent de la pure folie.

le Président Jovenel Moïse en a profité pour tacler et provoquer les membres de l’opposition et une partie du secteur de la bourgeoisie

Il n’y a aucune possibilité d’avoir des élections avec Jovenel Moïse au pouvoir pour les raisons suivantes : 1) les conditions techniques et sécuritaires ne sont pas réunies pour qu’il y’ait des élections générales à la fin de cette année. 2) Jovenel Moïse n’a pas la force et la légitimité nécessaires pour imposer une quelconque dynamique électorale en Haïti ». Avant de réaffirmer sa foi dans cet article 134.2 qui semble faire pour une fois l’unanimité au sein de l’opposition, Me André Michel avance que : « Le Secteur démocratique rappelle que le processus électoral qui a conduit Jovenel Moïse au Pouvoir a été initié le 25 octobre 2015 dans la cinquième année du mandat présidentiel de Michel Joseph Martelly, conformément au premier alinéa de l’article 134 de la Charte Fondamentale de la Nation. Quelle que soit la date de l’entrée en fonction de Jovenel Moïse, son Mandat a débuté le 7 Février 2016 et expire le 7 février 2021. » Un argument soutenu par une organisation dénommée CARDH (Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme) dont on ne sait pas vraiment s’il s’agit d’un organisme de la Société civile ou si c’est un Parti politique qui lui s’appuie sur le décret électoral du 2 mars 2015 dans son article 239 allant dans le sens d’une harmonisation constitutionnelle et électorale de la fonction du Président de la République.

Si l’on reste dans le sens de ce fameux article 239 sur lequel CARDH fait référence pour fonder son analyse, on y lit en effet « Le mandat du Président de la République prend fin obligatoirement le sept (7) février de la cinquième année de son mandat quelle que soit la date de son entrée en fonction ». Toujours dans la foulée de la déclaration de Luis Almagro, sept organisations de la Société civile  haïtiennes évoluant dans le domaine de défense des droits humains ont appuyé la position de l’opposition plurielle contre le soutien de l’OEA au Président Jovenel Moïse. Dans une lettre commune ces sept ONG haïtiennes, les plus influentes du pays ont manifesté leur désaccord avec la prétention du  Secrétaire général de l’OEA. En effet, dans leur courrier elles interpellent celui-ci « Monsieur le Secrétaire général, les organisations haïtiennes de la société civile et de défense des droits humains, signataires de la présente lettre, ont pris connaissance de votre déclaration du 29 mai 2020, dans laquelle vous affirmez que « le mandat du Président Jovenel Moïse arrivera à terme le 7 février 2022 », rappelant, en outre, que « la crise sanitaire actuelle devrait nous rappeler l’importance de renforcer les règles et les institutions démocratiques.

Suite à une telle déclaration, les organisations signataires en viennent à se demander si : le Secrétaire général possède les informations précises et justes concernant la durée du mandat présidentiel selon la Constitution haïtienne. Par cette déclaration, le Secrétaire général ne va-t-il pas à l’encontre de la mission fondamentale de l’Organisation des États américains, consistant à « promouvoir la démocratie qui est essentielle au développement social, politique et économique des peuples des Amériques », et du droit international ? En tant qu’organisation multilatérale, cette déclaration engage-t-elle les chefs d’États et de gouvernements membres de l’Organisation ? » Enfin, CE-JILAP, CRESFED, CARDH, PAJ, CONHANE, SKL et RNDDH rappellent à Luis Almagro la litanie habituelle sur la durée du mandat présidentiel en Haïti comme si celui-ci ne la connait par cœur « Le mandat du Président de la République actuellement en fonction prend fin inévitablement le 7 février 2021. En effet, selon l’article 134, alinéa 1 de la Constitution haïtienne de 1987 amendée, actuellement en vigueur : « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections. L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le Président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection.» Avec cette approche, l’on tombe directement dans le vieux débat sur la sempiternelle question de la durée du mandat du Président, une preuve, s’il en est une, que plus de trois décennies après la promulgation de la Constitution de 1987 en plus de l’amendement de celle-ci en 2011, Haïti vit toujours dans la transition politique et institutionnelle.

(A suivre)

 

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