L’ONU, l’Etat: une dialectique d’infantilisation et d’indifférence partagée face au drame haïtien

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Le Conseil de sécurité se réunit sur la question concernant Haïti le 16 juin dernier

La volonté de renouvellement du mandat du BINUH, comme discutée lors de la réunion du conseil de sécurité de l’ONU le 16 juin 2022,  prouve que les dirigeants haïtiens acceptent comme un état de fait leur infantilisation par la communauté internationale. Une équipe politique gérontocratique aussi infantilisée, atteinte de puérilisme caractérisé, du Sommet des Amériques au Conseil de sécurité de l’ONU, c’est le pic de la stupéfaction et de la gêne.  Leur capacité de réponse est loin d’être à la hauteur du niveau de plaidoyer qui devrait être le leur pour défendre le cas d’Haïti. Même en constatant l’incompétence du bureau des Nations Unies en Haïti qui au fond n’a pas contribué à faire avancer quoi que ce soit, à tous les points de vue: bonne gouvernance, sécurité, état de droit etc, les dirigeants haïtiens n’ont pas profité de l’occasion pour rappeler à la Communauté internationale à quel point leur présence en Haïti ne porte pas de fruits, depuis d’innombrables saisons.

À chaque moment de revue de performance « performance review », la note de l’ONU fait rougir davantage.  Ces derniers pourtant, armés de leur pierre philosophale à toute épreuve, trouvent une méthode alchimique pour blanchir leur bilan catastrophique de manière à perpétuer leur mandat en Haïti. Dans le rapport du secrétaire général au conseil de sécurité de l’ONU, ce dernier a relaté qu’un travail d’évaluation du mandat du BINUH a conclu qu’ “ une mission politique spéciale des Nations Unies restait la structure la plus appropriée et la plus efficace” pour aider à apporter des “ solutions politiques” aux “ causes profondes de l’instabilité politique dans le pays.” Quelle ironie!

Ce rapport aucunement ne met en évidence pourquoi le BINUH  jusqu’à présent n’a pas contribué à atténuer l’aggravation de ces causes profondes. Renouveler le mandat du BINUH sur la base de son échec continu à jouer son rôle de “ bons offices” dans la résolution de la crise haïtienne est illogique, aberrant et constitue la preuve que notre salut politique ne passera pas par une telle instance, dût-on renouveler son mandat ad vitam aeternam. Intelligemment, les tuteurs onusiens incombent toujours toute la responsabilité aux acteurs haïtiens. Le rapport, dès le second paragraphe, le souligne à l’encre forte en notant que l’impossibilité de trouver une “solution à la crise institutionnelle et de gouvernance du pays” relève du fait que les “ parties prenantes haïtiennes continuent d’être divisées politiquement” et ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente entre elles.

Nul ne peut nier que le jeu de marronnage au sein de notre classe politique  a toujours constitué un frein à l’instauration d’un véritable dialogue et à la résolution des crises ou impasses politiques récurrentes de la vie politique haïtienne. Toutefois, le niveau de responsabilité des acteurs n’est pas le même. Insinuer un tel amalgame est à dessein trompeur. Le souci des chefs haïtiens au pouvoir se résume en général au jeu de manipulation des enjeux politiques de manière à conserver le pouvoir sans se soucier vraiment des défis réels auxquels se trouve confrontée la nation.

Nul ne peut nier que le jeu de marronnage au sein de notre classe politique  a toujours constitué un frein à l’instauration d’un véritable dialogue

Ce sont des maîtres consommés du “ zero sum game politics”. Le pire, les tuteurs internationaux le savent et les supportent, les confortent dans cette direction au détriment et au grand dam du peuple haïtien. C’est une tactique impressionnante qui permet à de tels tuteurs de garder jalousement en main le “ remote control” [ndlr. Le contrôle à distance]  obligeant les dirigeants haïtiens à appliquer les formules éculées de la communauté internationale au lieu de s’atteler à apporter des réponses appropriées aux revendications et aspirations collectives et légitimes de la population haïtienne.

Ainsi, le rapport du secrétaire général dresse un portrait faussement flatteur d’Ariel Henri en nous le présentant comme un protagoniste sérieux cherchant à résoudre la crise mais qui bute sur d’autres acteurs politiques et des membres de la société civile récalcitrants. Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute, disait La Fontaine dans sa fable bien connue,  Le corbeau et le renard. Si l’on transpose cette fable à la situation que nous analysons ici, on voit bien Ariel Henry dans son rôle de corbeau et dans l’arène en face de lui le renard onusien. Le grand gagnant dans ce jeu de dupes est connu d’avance, et le grand perdant, le peuple haïtien certainement.

À l’issue de cette réunion du Conseil de sécurité, sur la question brûlante de l’insécurité et de la violence des gangs par exemple, le gouvernement réitère sa position en écartant l’option de forces étrangères pour attaquer le phénomène. Une lecture à première vue naïve  interpréterait un tel choix comme une position nationaliste.  Ce n’est pas du tout le cas.

Premièrement, la communauté internationale est réticente à une telle option sous prétexte de ne pas être accusée d’ingérence tandis qu’au fond elle continue à tirer les ficelles. Deuxièmement, la classe politique dirigeante haïtienne n’est pas en odeur de sainteté face aux gangs. Elle est souvent accusée de connivence avec ces derniers, ce qui aux yeux de la population traduit le manque de volonté politique à prendre des mesures drastiques pour éradiquer le phénomène. Troisièmement, la police nationale continue de prouver son inefficacité à faire taire les gangs, pour des raisons qui ne semblent pas tout le temps liées à une affaire de logistique.

Le gouvernement s’apprête déjà à  trouver des excuses en se lamentant que la police a besoin de plus de matériels. Oui, mais le temps imparti pour gouverner est précieux. Il ne peut pas être gaspillé en des exercices de “ wishful thinking”.  C’est le même refrain que nous entonnait le chancelier Jean Victor Geneus à la fin de l’année 2021. Six mois plus tard, il le reprend allègrement  tandis que la situation continue d’aller de mal en pis. Il faut cesser de remettre à demain ce qui doit être fait maintenant dans la gouvernance du pays. Chaque jour, chaque mois perdu sans donner une réponse au problème permet aux gangs de gagner beaucoup plus de terrain, d’imposer la violence comme le mode opératoire définitif de la société. Chacune de leurs prouesses diaboliques néantise l’Etat.  C’est un passe-droit qui est offert aux bandits pour devenir plus arrogants et continuer à semer la mort avec une désinvolture luciférienne. Donc, la position du gouvernement haïtien sur cette question, d’apparence nationaliste, est au fond irresponsable et expose la population à une spirale gangstérisée d’extermination brutale.

In fine, le refus de l’ONU d’admettre son propre échec et de reconnaître l’échec du gouvernement haïtien à prendre les mesures réelles pour attaquer les “causes profondes de l’instabilité dans le pays” indique que ces deux acteurs sont sur la même longueur d’onde par rapport à leur indifférence partagée face au drame haïtien. Ils sont au fond plus intéressés à pérenniser leurs mandats respectifs au lieu d’avoir à cœur véritablement la résolution de la crise politique haïtienne. Les acteurs politiques et les membres conscients de la société civile haïtienne ont beaucoup à faire pour instaurer une autre dialectique politique face aux grands enjeux nationaux et les habitus improductifs qui hantent nos rapports avec la communauté internationale.


Joseph Wendy Alliance est détenteur d’une licence en Sciences politiques de l’Université du Mississippi et d’une maîtrise en Gestion de conflits du SIT Graduate Institute à Vermont (USA). Il est officier de plaidoyer à Action Aid Haiti, principalement sur les thématiques ayant rapport aux droits à la terre et l’accès aux ressources, depuis 2015.

 

 

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