Du chaos viral qui submerge l’Europe au chaos électoral qui bouleverse les USA, le monde doit se préparer à une indigence fractale qui peut le disloquer fatalement, si, à court, à moyen et à long terme, une résistance internationale ne s’organise pas, au nom de la dignité humaine, contre le chaos néolibéral.
Une insurrection en Trump l’œil
Ce 6 janvier 2020 est un marqueur historique d’une importance inouïe dans le devenir du monde. Il met en perspective l’effondrement qui menace la civilisation occidentale dont la charge d’imposture semble atteindre sa limite de rupture.
Le scénario insurrectionnel, qui s’est joué ce 6 janvier 2020 au congrès des USA, et que les leaders politiques et les médias occidentaux condamnent unanimement, a été maintes fois répété en Haïti, ces 30 dernières années, sans pourtant déranger la conscience des bien-pensants du monde. Et pour cause, car Haïti étant une terre d’expérimentation de la médiocrité humaine, les exactions commises (Coup d’État, Choléra, Massacres, Gangstérisation de l’État) contre le peuple haïtien laissent naturellement une grande partie du monde indifférente. Surtout, quand ces exactions sont planifiées par l’expertise des Ambassades des USA, de la France, du Canada et des agences internationales dont l’Union Européenne et les Nations Unies.
Mais au-delà d’Haïti, la condamnation mondiale des scènes insurrectionnelles d’hier à Washington a ceci de sélective, que ces mêmes scènes de pagaille seraient validées par la France, le Canada, l’Union Européenne si elles avaient eu lieu à Hong Kong, en Iran, au Venezuela, en Russie, pour ainsi dire en tous lieux où les élites au pouvoir ne s’alignent pas sur la ligne de l’impérialisme occidental. Qu’on ne me fasse surtout pas dire que les pays ci-dessus mentionnés sont pour autant des modèles de vertu démocratique.
Il y a donc manifestement la flagrance d’une indignation sélective de voir l’opinion mondiale réprouver un fait survenu dans une mégapole, alors qu’elle tend à la banaliser dans un shithole et à l’approuver en tout autre lieu en désaccord avec les grandes métropoles occidentales.
Pour l’histoire, on rappellera que les USA par le biais de l’USAID, avaient, en 2010, financé des violences politiques en Haïti, en marge des élections présidentielles, pour imposer le candidat qu’ils avaient choisi, au mépris de la volonté de la population haïtienne. Et dans la foulée de ces violences post électorales, un régime gangstérisé au service de Washington et des capitales occidentales, s’est depuis installé en Haïti sans que l’opinion publique mondiale s’en émeuve de ses crimes, de ses violences et de ses médiocrités. D’ailleurs, chaque fois que le peuple haïtien manifeste pour exiger la destitution de ces autorités illégitimes, les ambassades des USA, de la France et du Canada invitent la Police à sévir implacablement, tout en réclamant le respect du mandat électoral. Pourtant les ambassades de ces mêmes pays approuvent publiquement la révocation du mandat légitime du président Vénézuélien et cautionnent les violences des manifestants de Hong Kong. Ce sont là des cas flagrants de double langage caractéristique de cette indignation à double vitesse.
leur verdict électoral indique que le néolibéralisme a porté les impostures de la démocratie à leur limite de rupture
Dans le spectacle affligeant de l’agonie de l’imposture démocratique américaine, le monde entier a vu combien les assaillants pro Trumpistes, qui pénétraient au Capitole (congrès des USA) pour imposer leur verdict électoral et leur loi insurrectionnelle, n’étaient pas le moins du monde inquiétés. C’étaient des blancs qui s’amusaient sous le regard amusé d’autres blancs en uniforme. On se souvient par contre combien la police américaine, dans de nombreux États, chargeait avec violence les manifestants du mouvement Black Live Matters qui ne faisaient que demander justice contre les inégalités séculaires pratiquées par le Capital contre les Noirs et les pauvres.
Notre propos en nous attardant sur ce qui s’est passé hier à Washington est de montrer que ces émeutes ne sont qu’un scénario « Trumpeur » d’un drame plus profond. Car, tout en portant la marque d’une insurrection en trompe l’œil, elles relèvent d’un malaise plus profond que celui d’un homme incontrôlable. La prise du congrès par les partisans de Trump pour imposer leur verdict électoral indique que le néolibéralisme a porté les impostures de la démocratie à leur limite de rupture et qu’elles sont en train de céder puisque ne pouvant plus être renouvelées. Ainsi, l’indignation sélective suscitée par ces incidents s’inscrit comme un marqueur de ce temps que nous appelons l’indigence pour tous.
L’indigence pour tous
Et comme tel, cet évènement interpelle notre sens critique en nous encourageant à faire preuve de distanciation vis-à-vis des institutions culturelles et médiatiques de l’Occident. Une manière de nous protéger de leur enfumage corrosivement indigent. Comme preuve de cet enfumage, on peut se rappeler avec quelle véhémence la chorale médiatique unifiée autour des intérêts du capital était montée au créneau, contre la barbarie des musulmans radicaux, en revendiquant pour Charlie Hebdo le droit de caricaturer Mahomet, au nom de la liberté de la presse. Pourtant, n’est-ce pas troublant de constater que pas un d’entre ces grands médias n’a osé défendre Julian Assange pendant qu’il agonise sous les tortures de l’Occident dans les prisons de Londres pour délit de liberté d’expression ? Quelle plus inhumaine attitude que celle de voir la corporation médiatique peuplée de journalistes, d’éditorialistes et de caricaturistes, arborant les fanions de la liberté d’expression, abandonner le journaliste le plus remarquable par son courage, tant il a assumé risquer sa vie pour informer le monde sur les violations systématiques des droits humains pratiquées par l’Armée Américaine, en toute impunité, en Irak et en Afghanistan !
Les Afghans et les Irakiens sont-ils à ce point dépourvus de valeur, aux yeux des médias et des dirigeants de l’Occident, que le journaliste, qui sacrifie sa vie pour dénoncer les violations dont ils sont victimes, ne mérite pas d’être défendu ? N’est-ce pas au nom de ce même enfumage, qui ne reconnait pas de valeur aux Haïtiens, que les grands médias Occidentaux passent sous silence les crimes et les massacres commis depuis 10 ans en Haïti par un pouvoir soutenu par l’occident et ses institutions démocratiques ?
Pourtant il y a une certitude qui n’échappe point à celui qui a le moindre bon sens : Si Julian Assange était soit :
un journaliste Russe, militant LGBT anti Poutine
un journaliste activiste de Hong Kong anti Chinois
un journaliste Iranien, activiste anti Gardiens de la révolution
un journaliste Vénézuélien, activiste politique anti Chaviste
Il aurait eu la reconnaissance de tous les médias occidentaux, de toutes les institutions culturelles occidentales. Les organismes de droits humains du monde entier auraient créé des prix en son nom. On aurait frappé des effigies à sa légende, on lui aurait décerné des prix et des titres par légions. Le festival de Cannes et Tout Hollywood auraient déployé leurs projecteurs pour illuminer sa carrière, et les intermittents de la culture auraient plébiscité son nom pour le Prix Nobel de la paix. Et peut-être même qu’il aurait pu figurer dans les prières de l’angélus du Pape pour une béatification prochaine.
Ainsi va le monde au temps de l’indigence pour tous, ce ne sont pas les valeurs humaines et la liberté d’expression qui sont défendues par les institutions de l’Occident, mais la liberté et les valeurs du capital et du profit. Voilà pourquoi, il faut être prudent quand les médias et les institutions de l’Occident nous vendent spontanément et massivement un produit ; qu’importe que ce soit un vaccin, les résultats d’une élection ou toute autre chose. N’avez-vous pas vu comment presque toutes les valeurs de liberté et de dignité humaine semblent se cristalliser uniquement dans les droits des personnes LGBT ? N’avez -vous pas vu qu’une bonne partie de la gauche mondiale s’est fourvoyée dans la débauche et se retrouve sans repères depuis que le lobby LGBT a pris le pouvoir et établi ses quartiers au sommet de l’édifice des droits humains ? Qu’on ne me fasse surtout pas dire que les personnes LGBT n’ont pas de droits !
Je sais qu’il sera plus simple de faire passer ce message pour un discours haineux et homophobe plutôt que de méditer sur son sens profond. Mais j’assume le risque de porter cette dissidence. De toute évidence, dans ce monde fissuré par l’indigence, il n’y a pas de neutralité et d’indifférence possible. Soit on est globalement sur la rive de la dignité humaine, avec la même dose d’indignation et d’engagement contre toutes les injustices du monde ; soit on est un indigent assumé avec des indignations sélectives et un penchant pour les engagements subventionnés par le capital. Comment finir sans aussi mentionner cette autre indignation sélective : si les médias occidentaux (notamment français) parlent de violences policières, c’est simplement parce que des Blancs sont tabassés, éborgnés, estropiés par un État policier, défenseur du capitalisme sauvage, qui ne tape plus uniquement, comme avant, sur le Noir, le pauvre et l’Arabe, mais sur tout ce qui empêche au capital d’avancer vers la solution finale : entretenir la croissance économique, quoi qu’il en coûte, par accélération de la décroissance démographique.
Les événements de ce 6 janvier au Capitole sont un marqueur de ce temps que nous ne cessons d’appeler l’indigence pour tous. Les coups d’État à la Trump, les violences policières en France, les mafieux, les escrocs et les délinquants au pouvoir (Berlusconi, Sarkozy, Trump, Bolsonaro et j’en passe), ne seront plus une spécificité des shitholes. Il y aura des Michel Martelly et des Moïse Jovenel pour tous les peuples. Haïti est un laboratoire de la bêtise humaine.
c’est un permis de génocider qui est donné aux mécréants dans les shitholes.
Et la grande bêtise des courants progressistes du monde est de croire qu’il peut y avoir de la démocratie effective uniquement pour les mégapoles en laissant une démocratie de rabais pour les shitholes. Ces bien-pensants oublient que les écosystèmes sont liés et partagent leurs valeurs par indigence transposée : tant qu’il y aura des écosystèmes délaissés et fragilisés, ils concentreront les médiocrités humaines jusqu’à leur limite de rupture, pour les libérer et les répandre au loin, en faisant voler en mille éclats les impostures. L’histoire devra retenir le 6 janvier 2020 comme une date clé dans la progression de cette humaine défaillance qui se déploie comme une spirale indigente …
Preuve s’il en fallait que la théorie de l’indigence que je postule depuis 2013 est cohérente et pertinente. Et même qu’il est peut-être venu le temps de la formuler en une axiomatique intelligible avant que la vague de répression qui va s’abattre sur Haïti ne m’emporte sur un tas de détritus pour devenir une statistique indifférenciée dans les rapports des droits humains des instituions occidentales. Car c’est la théorie de l’indigence qui nous le dit : quand, dans une mégapole, la Police a le droit de ficher les convictions politiques des citoyens pour mieux les traquer et les réprimer, c’est un permis de génocider qui est donné aux mécréants dans les shitholes.
Mediapart 7 Janvier 2021