L’Évangile révolutionnaire haïtien du XXIème siècle dans le prisme d’un certain pragmatisme circonstancié

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Mobilisation populaire exigeant la démission de Ariel Henry

Face au pourrissement de la réalité mondiale, manifestement indigente, le monde se reconfigure sur sa face déshumanisante, enjolivée depuis ces 30 dernières années par les mythes de la bonne gouvernance et de l’État de droit. Ces mythes, ébranlés par le poids de leurs impostures, ont volé en éclats dans l’impensé sanitaire mondial révélé par le COVID, et laissent retentir le tumulte assourdissant du fracas des mondes qui s’ébranlent sous les vagues de la spirale de l’indigence qui converge vers les écosystèmes tant précaires que sécuritaires pour uniformiser les expériences humaines vers ce standard minimum insignifiant culturel que, depuis 1956, Gunter Anders avait prophétisé comme le temps de L’obsolescence humaine.

Dans le tumulte de la cacophonie mondiale de ce temps géostratégique qui se reconfigure et se déconfine sur les formes les plus totalitaires du fascisme, les factions qui structurent la gangstérisation polymorphe stratifiée de la société haïtienne se reconfigurent elles-aussi dans de nouvelles alliances pour offrir une passerelle de résurgence à l’indigence locale invariante.

Reconfiguration de l’indigence

Et comme toujours, pour que l’indigence soit acceptable et moins critiquable, il lui faut une aura intellectuelle. Comme dit le postulat de la boite noire de l’axiomatique de l’indigence : pour que la merde soit commercialisable et vendable, il lui faut un emballage enjolivé et un label somptueux. Le drame est que certains de ceux qui se prêtent à ce rôle n’ont pas toujours conscience qu’ils sont des failles exploitées par la géostratégie mondiale pour alimenter l’enfumage qui obscurcit la gouvernance du shithole.

Par un de ces paradoxes de la vie, détours sinueux ou raccourcis intelligibles empruntés par l’histoire pour se dérouler, c’est une figure emblématique de l’intelligentsia haïtienne, en la personne de l’économiste Leslie R. Péan, qui offre, inconsciemment sans doute, sa personne et son aura en 2024, pour servir de passerelle pour la reconfiguration l’indigence locale haïtienne. En effet dans une tribune parue sur Alter Presse, Leslie Péan, dans une assumation d’un certain pragmatisme circonstancié, campe Guy Philippe et les troupes à ses ordres comme les figures iconiques d’une certaine révolution haïtienne en marche.

Tout en ayant un grand respect pour Leslie Péan, pour ses travaux et les multiples échanges intellectuels que j’ai eus avec lui ces 5 dernières années, je me sens en devoir de réfuter sa thèse ; car elle est dangereuse et ouvre le flanc, non pas à une brèche pour une sortie possible de l’indigence, mais à une errance de la pensée stratégique devant un improbable pragmatisme circonstancié. En taillant à Guy Philippe le profil incarnant l’héroïsme révolutionnaire pour sortir Haïti des griffes du gangstérisme d’état que préside le gouvernement illégitime d’Ariel Henry, Leslie R. Péan embarque, inconsciemment, le pays sur la trajectoire d’une nouvelle déroute de l’intelligence.

Je dis inconsciemment, car honnêtement il me semble déceler chez Leslie R. Péan davantage d’usure et de fatigue cognitive, face à une situation qui exaspère, que de posture de mécréance. J’assume le risque de me tromper de bonne foi en lui prêtant des vertus intellectuelles qui rendent improbables toutes accointances avec la mécréance.  Mais il est essentiel de réfuter ses prises de position sans verser dans le dénigrement de sa personne, en sous entendant qu’il aurait vendu sa conscience aux indigents. D’abord, il faut rappeler que l’œuvre de Leslie R. Péan a été consacrée à montrer les ramifications corrompues qui relient les structures de l’État marron aux élites sociales puantes haïtiennes, spécialisées dans la fabrication d’une économie de casse, de rente, de paupérisation et de criminalité. En outre durant ces 13 dernières années, Leslie R. Péan n’a jamais hésité à montrer la face hideuse de ce gangstérisme d’état derrière l’intronisation du pouvoir du PHTK. Ce serait malhonnête et méchant de croire qu’il peut à son âge dilapider son capital réputationnel en se mettant au service d’une faction reconstituée du PHTK. Pour moi, il s’agit d’une erreur d’analyse. Et c’est sur ce point que je vais insister.

De la légitimité de ma parole citoyenne

J’aime autant déclarer sur l’honneur que je n’ai aucun lien d’affaires, ni d’accointances personnelles avec Leslie R. Péan, pas plus que je n’ai d’inimitiés et de comptes à régler avec lui. Je le précise, car globalement les intellectuels haïtiens sont incapables de supporter la contradiction à leur endroit. Toute critique de leur pensée est assimilée à de l’aigreur ou à un crime de lèse-majesté intellectuelle.  Mais je sais que Leslie Péan échappe à ce totalitarisme intellectuel qui veut tout ramener à mesure de ses certitudes insignifiantes. Du reste, Leslie R Péan est l’un des rares qui a su, sans que je sois présent, prendre la défense de ma posture insolente que les lettrés haïtiens, regroupés en cercle d’insignifiants anoblis, dans leur espace d’entre soi, assimilent à des frustrations et des aigreurs envers leurs réussites. Et quelles réussites ? Pour quels résultats sur le pays ?

Le pragmatisme a une valeur d’intelligence que si on doit réagir tactiquement face à une incertitude à l’intérieur d’un scénario dont on a la maîtrise stratégique.

Or de nombreux militants marxistes, tous universitaires, collègues enseignants et contacts socioprofessionnels, qui me fréquentent depuis plus de 30 ans et disposent de données de premières mains sur les choix professionnels et humains courageux que j’ai faits pour construire ce levier de dignité qui m’autorise à brandir mon insolence, alimentent, derrière moi, mille rumeurs diffamantes sur mes prises de position TIPÉDANTE. Parallèlement, ils continuent en vrais marrons de les valoriser devant moi. Je crois que Leslie Péan a une honnêteté et bienveillance intellectuelle que je me dois de ne pas salir, tout en étant en désaccord avec lui.  J’insiste à croire que la probité et la bienveillance intellectuelle sont des qualités humaines rares dans un pays peuplé exclusivement de marrons culturels qui sont incapables d’assumer quoique ce soit publiquement, tout en se présentant en privé avec les soutiens les plus dithyrambiques. Ma trajectoire humaine m’a appris à ne pas regarder les étendards militants, mais les postures humaines dans leur rapport spontané, sans intérêt et sans références, avec l’autre.

Que Leslie Péan soit rassuré que je ne cherche pas à le crucifier, mais à réfuter le pragmatisme circonstancié qu’il prône pour une adhésion populaire avec le prétendu mouvement révolutionnaire de Guy Philippe.

Que cela soit dit, par cette prise de parole citoyenne, je ne revendique aucune légitimité académique pour rivaliser avec Leslie R. Péan. Et encore moins une frénésie intellectuelle de rejouer les querelles du passé, en cherchant à me hisser au rang des illustres comme René Depestre et Jacques Stephen Alexis qui eurent à s’affronter intellectuellement dans le passé, dans des circonstances tout aussi troubles pour le pays. Moi, étant essentiellement dans une approche contextuelle, je ne fais qu’approprier la pensée complexe (vulgarisée par Edgar Morin), dans sa dimension transdisciplinaire, pour éclairer les contours enfumés de la réalité de mon pays et trouver la brèche d’un levier de responsabilité pour un autre possible humain.  Fort de cette assumation, je n’ai pas peur de prendre des risques, de me découvrir et de m’aventurer, avec mes lacunes, sur les théâtres académiques reluisants où se performent les meilleurs pour magnifier, sans aucune légitimité académique, mon authentique aversion envers ce qui est en perte de sens avec le contexte problématique intelligible de mon pays. Perte de sens qui du reste structure l’errance collective séculaire qui déshumanise la population.

Et heureusement, qu’on n’a pas besoin de faire Yale ou Harvard pour comprendre que quand il faut rechercher la légitimité pour resituer ce qui est défaillant et restituer ce qui a été déshumanisé, c’est ailleurs que dans la performance universitaire et académique, ailleurs que dans ‘‘l’énoncé de régularités utiles et pragmatiques’’, mais dans les divergences structurantes, les dissensus profonds, la prise de parole authentique, véridique et courageuse qu’il faut le trouver. C’est donc en rupture du consensus, c’est-à-dire au plus profond du dissensus que je porte la légitimité de cette parole citoyenne critique pour réfuter la thèse pragmatique brandie par Leslie Péan, mais aussi par d’autres dans d’autres circonstances.

Les failles du pragmatisme circonstancié de Leslie Péan

Si on devait caricaturer la prise de position récente de Leslie R. Péan sur Guy Philippe pour une promotion cinématographique, je pense que les lignes ci-dessous conviendraient parfaitement.

Oyez, oyez citoyens, citoyennes d’Haïti !  Dans le fleuve pestilent de la gangstérisation, une nouvelle icône révolutionnaire a germé. Elle se nomme Guy Phillipe, ses pétales fleuries ne sont que légions de bravoure, et sa semence prometteuse laisse augurer de fructueuses moissons pour nourrir tout Haïti. D’ailleurs, pour le prouver, dans un acte de bravoure inégalé, ce nouveau Spartacus a pris une barque, au cœur de la nuit froide et glacée, sur les rives impétueuses de Pestel, malgré vents, marées et les innombrables sociétés de loups-garous dressées sur sa route. Dans une gloire éblouissante, semblable à celle qui envouta jadis Capois La Mort, dans la bataille de la ravine à couleuvres, il s’est présenté à Pétion Ville, comme promis, avec l’entêtement résolu de conduire la nouvelle indépendance d’Haïti. Gloire à son nom ! Que tous et toutes se soumettent à son leadership, pour enfin défaire le pays des démons qui le cauchemardisent depuis 1804, en renversant le gouvernement illégitime d’Ariel Henry.

Évidemment, c’est là un récit imagé et déformé ironiquement pour montrer, par la légèreté de l’humour, la gravité de la prise de position de Leslie R. Péan. Car postuler que renverser Ariel Henry dans les circonstances actuelles peut conduire à la révolution en Haïti, c’est reconduire le discours malicieux de 2004, par lequel les mêmes qui sont aujourd’hui en face d’Ariel Henri, s’étaient unis avec Ariel Henry, dans une alliance tactique et pragmatique de 184 contre 1, de GNB contre Attila, pour promouvoir un nouveau contrat social pour la population. Or 20 ans plus tard, c’est ce contrat social improbable qui a livré tout le pays aux Gangs et l’économie à la grande criminalité, en plongeant la population haïtienne dans le plus exsangue des paupérisations. Donc, il y a un déficit d’apprentissage et d’intelligence à vouloir reproduire le même scénario avec les mêmes acteurs et espérer un autre résultat.

On notera surtout que Leslie Péan, au-delà de son article, a aussi donné une entrevue[i] au journaliste Gotson Pierre, de Alter Radio, pour défendre la révolution prônée par Guy Philippe, en mettant en avant un certain pragmatisme circonstancié de 10 contre à 1, qu’il propose d’atteindre prioritairement, au mépris de toute stratégie, pour chasser l’illégitime gouvernement d’Ariel Henry.

Disons-le honnêtement, s’il est unanimement reconnu qu’Ariel Henry est un problème majeur dont il faut se débarrasser, mais il est simplifiant de dire qu’Ariel Henry cristallise à lui seul les problèmes du pays depuis 1804. De même qu’il est dangereux de proposer des alliances malsaines et contre natures, provenant des mêmes factions de la criminalité, pour le renverser. La thèse de Leslie Péan est à ce titre triplement dangereuse. En effet elle est :

  • Épistémiquement fausse, si l’on tient compte rigoureusement des évènements du passé et des données contextuelles qu’ils génèrent sur la tectonique éruptive qui cisaille Haïti ;
  • Pragmatiquement inadaptée pour le présent, en tenant compte de la configuration des forces sociales, économiques et politiques :
  • Et prospectivement et éthiquement dommageable pour l’avenir.

Fausseté épistémique

Reconnaissons que le besoin de se débarrasser du gouvernement d’Ariel Henry procède d’un triple constat : il n’a pas de légitimité ; il n’a pas de projet intelligent et digne pour le pays ; et en trois ans, il n’a pas su fédérer la conscience collective en prouvant son indépendance vis-à-vis du gangstérisme étatique intronisé par le PHTK depuis 2011. Toutefois, on ne peut pas dire que ce gouvernement résume la cause de tous les malheurs du pays. Il me semble plus intelligent de préciser qu’Ariel Henry et son gouvernement ne sont qu’une version actualisée de l’invariante mécréance stratégique par laquelle, depuis 1804, le pays est piloté erratiquement par la géostratégie internationale. Mais l’errance du pays n’est pas seulement due à la mécréance stratégique que structurent les forces politiques et économiques médiocres. L’insignifiance académique des élites culturelles est aussi en cause. D’ailleurs, si gouverner c’est prévoir, mais pour prévoir, il faut savoir. Et savoir exige de se confronter au réel problématique et de dépenser des trésors d’imagination. Car plus l’intelligence est contextuellement enracinée dans le socle problématique des contraintes, plus grande est sa capacité d’agir sur la complexité.

Or les élites haïtiennes n’habitent pas authentiquement et responsablement Haiti, et leur imaginaire se complait à se propulser dans les rêves d’ailleurs en récitant les injonctions de leurs maitres occidentaux. Le territoire d’Haïti n’est pour eux qu’un lieu d’encanaillement et/ou d’enrichissement, comme il fut jadis un lieu de transit et de rapt pour la flibuste. C’est pourquoi, elles sont si confortables dans ce processus d’enfumage qu’elles jouent, consciemment ou inconsciemment, à travers l’anoblissement qu’elles reçoivent des puissances néocoloniales dont elles dépendent existentiellement. Les diplômes et titres académiques qu’elles reçoivent dans les grandes universités européennes ou américaines sont la réussite, le mistral gagnant de leur vie. C’est à travers ce rayonnement indigent qu’elles se sentent exister. Tant pis si les gangs contrôlent la majorité du territoire, tant pis si les écoles et les universités ne sont que des fabriques de lettrés malicieux, corrompus et insignifiants, tant pis si la population fuit vers d’autres lieux ou s’adapte aux médiocrités sociales en déformant ses postures humaines, érodant ainsi la dignité nationale. Il suffit que Pap Jazz puise se tenir, que livres en folie puisse faire miroiter le rêve de nouveaux écrivains sur les traces de Danny Laferriere à l’Académie française, de Lyonel Trouillot fait chevalier de l’ordre blanc ou d’Emmelie Prophète, anoblie par le Blanc pour être mieux investie comme fumier obscurcissant le fonctionnement de la justice. Qu’importe si la justice est dysfonctionnelle, tant qu’ils peuvent, en postures d’étonnants voyageurs, déambuler et dire le réel indigent en singeant les contes de la folie ordinaire pour être reconnu par le Blanc, tout est pour le mieux. Ainsi, ils ont popularisé le mythe du peuple résilient tout en structurant l’impuissance collective pour leur performance. Menm si peyi a anba men gangstè, depi gen yon Ayisyen ki pran yon pri a letranje, se prèv ke sa pa pi mal.

Alors que partout le savoir et la culture permettent d’agir sur le réel, en Haïti le savoir et la culture sont des objets de luxe, de rente, de mystification. Si bien qu’aujourd’hui en Haïti, pour être bien vu, il faut avoir été en contact avec un lieu international, ou avoir un parrain blanc. C’est ce goût pour les rêves blancs qui empêche à la population d’apprendre à habiter dignement le pays, car elle voit son avenir dans la réussite de ceux qui sont influents.

Dans ce contexte s’extraire de l’errance ne saurait se résumer à changer la mécréance politique, si l’insignifiance académique, qui lui sert d’adjuvant, est structurée pour toujours offrir de nouvelles passerelles à l’indigence. Autrement dit, en renversant la mécréance politique, il faut s’assurer de combler responsablement le fossé qu’elle représente ; notamment en sachant répondre aux trois défaillances qui justifient son remplacement :  un besoin de légitimité, un projet intelligent et digne de gouvernance et un gage d’indépendance vis-à-vis des réseaux mafieux économiques locaux et géostratégiques internationaux.

Pragmatisme inadapté     

Il est manifeste que Guy Philippe et son entourage ne peuvent en aucun cas cristalliser ces 3 exigences, pour des raisons si évidentes que je ne perds pas de temps à les citer. Et cela, Leslie Péan le sait plus que quiconque. Pourtant, il s’entête à penser qu’il faut savoir être pragmatique et profiter des contradictions du système en s’engouffrant dans la brèche derrière Guy Philippe

C’est justement cet argument pragmatique qui renferme toute la faiblesse à la fois stratégique et tactique de la thèse de Leslie Péan. L’apprentissage contextuel provenant de l’observation intelligente de la nature ne nous a jamais montré une brebis courir à renforcer une meute de jaguars qui affronte une meute de lions sous prétexte qu’il faut se débarrasser des lions en urgence. Comprendre les contradictions d’un système qui s’autodétruit en opposant ses propres factions n’est pas une invitation à faire alliance avec ces factions. Savoir profiter des contradictions d’un système, suppose savoir anticiper stratégiquement et pragmatiquement comment neutraliser les factions ennemies avec qui on se rallierait de manière circonstanciée. Qu’elle soit stratégique, tactique ou pragmatique, c’est en termes de prospective, d’anticipation que se pose le problème de l’intelligence. Depuis 2005, je fais partie d’une minorité qui agite les signaux faibles d’une intelligence contextuelle pour interpeller les décideurs et ceux qui enseignent dans les universités, les centres de formation professionnelle, et les établissements scolaires sur les risques d’un effondrement généralisé par rupture des failles du processus décisionnel et d’apprentissage, du pays.

Dans un texte initiatique de cet apprentissage contextuel, paru dans Le nouvelliste, en 2005, j’écrivais que « notre impuissance face aux incertitudes du réel n’est dû, en partie, qu’à l’échec de notre système d’enseignement des unités de valeur scientifique ». Alertes que nous n’avons jamais cessé de renouveler pendant 19 ans. Pourtant ces alertes, sur les failles de nos processus décisionnels et éducatifs, processus non alignés sur le contexte problématique du réel, ont été savamment ignorées soit par indifférence, insignifiance, manque d’intelligence ou indigence. Alors, que quelques-uns en viennent à comprendre l’urgence d’agir seulement quand l’effondrement est imminent, cela n’a rien d’intelligent, et n’est qu’une posture opportuniste, puisqu’elle ne s’accompagne même pas d’une reconnaissance de l’errance stratégique et de l’incohérence des processus pour permettre une resituation sur une trajectoire apprenante.

La vraie intelligence pragmatique suggère que quand on n’a pas toutes les ressources pour faire face à un contexte de crise, il faut se mettre en postures d’apprentissage. Quand on ne sait pas, on apprend. Car c’est pendant cette phase de recomposition et de décomposition du système par des incertitudes nouvelles qu’on peut modéliser ses formes de reproduction et apprendre comment agir pour lui substituer un autre système de valeurs. C’est stratégiquement imprudent de croire qu’on peut toujours s’en tirer par le pragmatisme et les alliances circonstanciées. L’erreur des élites haïtiennes formatées par les mythes occidentaux est de croire que seuls ceux qui ont été anoblis par le Blanc sont producteurs de savoirs. Et la certitude qu’elles ont le monopole d’un savoir venu des hauts lieux de la puissance les empêche de se mettre en postures d’apprentissage de leur contexte. Or l’écosystème d’un contexte humain est le meilleur attracteur de l’intelligence collective.

Le pragmatisme a une valeur d’intelligence que si on doit réagir tactiquement face à une incertitude à l’intérieur d’un scénario dont on a la maîtrise stratégique. Quand on n’a pas de stratégie, et quand on ne maîtrise pas les différentes phases de la stratégie en cours, il n’y a nulle intelligence à se précipiter dans la souricière qui s’ouvre pour broyer les potentielles forces de résistance et d’intelligence, et faire ainsi perdurer l’indigence par impuissance et désengagement.

Errance prospective et éthique

Enfin, c’est une errance éthique que propose Leslie Péan, ce qui induit une défaillance de sa capacité prospective. Car la pensée systémique suggère que quand il faut résoudre intelligemment un problème, il ne faut pas se focaliser sur la manifestation perçue du problème ; mais sur l’ensemble de ses causes enfouies et connues, et sur ses modes de reproduction. Et ceci dans une perspective éthique pour s’assurer que la solution ne sera ni la même ni pire que le problème actuel que l’on veut résoudre.

En se focalisant sur une manifestation (un effet) d’un problème, on l’isole du faisceau de causes qui le structure ; et on ajoute ce faisant une possibilité qu’une nouvelle ramification de causes s’autogénère dans une indépendance qui compliquera davantage la complexité initiale. C’est ce que la pensée systémique appelle la récursivité entre causes et effets. Ce qui induira découragement, désengagement et confortera l’impuissance. En me plaçant sur ce terrain prospectif, je mets le doigt sur la grande faille de l’écosystème stratégique haïtien : un impensé sous la forme d’une incapacité à se projeter dans l’avenir pour anticiper l’axe et le centre de valeurs sur lesquels forger le levier de responsabilité pour agir dans le présent, en tenant compte des errances du passé.

Et justement cette prospective éthique que j’assume, dans mes postures professionnelles, me permet de questionner les effets dévastateurs du pragmatisme circonstancié que propose Leslie Péan sur les générations d’après ; mais encore, elle me permet de revenir en arrière pour demander (de manière provocante) si, en 1987, les héros, qui se proposaient de guider Haïti vers la démocratie, n’étaient pas des Guy Philippe magnifiés par des influenceurs aussi fatigués cognitivement que Leslie Péan ? Question qui mécontentera plus d’uns, comme tout ce qui est signifiant dans un écosystème gouverné par des insignifiants. Mais sur cette question, on reviendra.

Erno Renoncourt

Notes

[1] https://www.alterpresse.org/spip.php?article30065

[ii] https://youtu.be/UVFvHdEaCpQ?si=Ud7bMFu49FtrVwOh

[iii] https://www.lenational.org/post_article.php?tri=1310#google_vignette

 


 

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