Son Excellence Monsieur Jovenel MOISE,
Président de la République d’Haïti,
En ses bureaux.-
Objet : Recours à l’ONU pour faire dédommager les victimes du choléra
Monsieur le Président,
Le Bureau des Organisations de défense des droits humains (BODDH), dans sa mission première de défendre les droits humains et la dignité du peuple haïtien, en particulier les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels des plus démunis et ceux des victimes du choléra, vous demande d’intervenir auprès des Nations Unies pour reprendre le dossier du dédommagement des victimes du choléra et exiger la réparation de l’État haïtien en vertu de l’Accord de Siège du 9 juillet 2004.
Monsieur le Président, depuis le mois d’octobre 2010, le choléra ne cesse d’infecter des milliers d’Haïtiens et a causé la mort de plus de 13.000 personnes recensées, sans compter les morts communautaires enterrés sans déclarations au Bureau de l’officier de l’État civil et des milliers d’enfants qui sont devenus orphelins, laissés dans la misère et dans la galère.
Il est temps de dire assez! C’est assez pour Haïti et la classe des pauvres, celle la plus touchée par cette épidémie. Il suffit de vérifier les données statistiques relatives aux départements de la Grand’Anse, du Centre, du Nord, du Nord-Ouest, du Nord-Est, du Sud, du Sud-Est, de l’Ouest et de l’Artibonite pour justifier la réalité.
Monsieur le Président, le BODDH tient à vous rappeler qu’après l’introduction du choléra en Haïti, des études épidémiologiques ont été menées par des chercheurs dont le docteur français Renaud PIARROUX, des chercheurs néerlandais et même par une équipe diligentée par les Nations Unies, dont faisait partie la chercheuse Danièle LANTAGNE. Tous ont conclu que le contingent népalais composé par des Casques bleus onusiens est le principal responsable de la propagation de l’épidémie du choléra suite au déversement – en 2010 – de matières fécales dans la Rivière Meille, un affluent du fleuve de l’Artibonite situé près de Mirebalais.
À la 71ème Session régulière de l’Assemblée générale de l’ONU, le 20 septembre 2016,le Secrétaire général de ladite Organisation, Ban KI-MOON, a reconnu péremptoirement la responsabilité morale de l’ONU dans l’introduction du choléra en Haïti. Cette déclaration officielle du Secrétaire général de l’ONU a fait suite à l’annonce faite dans un article du New York Times, publié le 19 juillet 2016, dans lequel l’organisation, par la voix du porte-parole de son Secrétaire général, se disait prête à enclencher la procédure de négociation en vue de la réparation et de l’indemnisation des victimes du choléra en Haïti. Outre la création en octobre 2016 d’un fonds à contribution volontaire visant à traiter et à éliminer le choléra en Haïti, le 20 juin 2017, le Secrétaire général des Nations Unies nommait Mme Josette SHEERAN comme envoyée spéciale en Haïti, entre autres chargée de réaliser la levée de fonds pour combattre le choléra au pays. Par ailleurs, le 13 juillet 2017, l’Assemblée générale invitait les États à réaffecter les fonds inutilisés destinés à la MINUSTAH vers le fonds à contribution volontaire pour la lutte contre le choléra. Bien qu’insuffisants, ces gestes démontrent une certaine prise de conscience de la part des Nations Unies quant à la nécessité de prendre en charge les victimes du choléra et pourraient s’inscrire dans le cadre d’une reconnaissance graduelle de son imputabilité, elle-même pouvant déboucher sur un processus de réparation.
Or, face à la léthargie de l’État haïtien dans ce dossier et dans une perspective d’organisation ponctuelle d’un processus d’indemnisation des victimes, le BODDH (Bureau des Organisations de Défenses des Droits Humains) attire votre attention sur la nécessité d’orienter les discussions avec l’ONU vers le terrain de la reconnaissance de sa responsabilité civile plutôt que de rester sur celui de la simple charité. En effet, dans l’éventualité où le fonds volontaire n’atteindrait pas un montant suffisant, la seule bonne volonté de l’ONU, exprimée à travers la charité, ne saurait alors satisfaire à son obligation de réparation. À ce titre, le BODDH juge opportun de continuer à jouer son rôle d’accompagnateur en appui à des victimes directes et indirectes et des associations de victimes en plus de se tenir à votre disposition afin d’informer, de conseiller et d’accompagner l’État haïtien dans toutes ses démarches en lien avec le dossier du choléra. Le BODDH attire également votre attention sur l’urgente nécessité de constituer, sur le plan national, les dossiers des victimes du choléra permettant d’établir leur identité et d’administrer la preuve de leur victimisation, toujours dans l’optique de la réparation.
Notre expérience dans la lutte pour le dédommagement nous fait croire que la création d’un fonds à contribution volontaire pour la lutte contre le choléra pourrait constituer une manœuvre dilatoire et un déni de justice de plus de la part des Nations Unies qui mettent les victimes dans un attentisme qui fait dépendre le dédommagement de leur bon vouloir, dans un cas où la responsabilité de l’organisation est avérée. Dans la foulée des circonstances du départ de la MINUSTAH pour être remplacée par la MINUJUSTH, une responsable du dossier du choléra a été choisie. Mais dans quel objectif? Pour continuer à quémander au nom des victimes afin de verser dans le fonds une pitance de 400 millions de dollars autant pour l’assainissement que pour le dédommagement des victimes?
Monsieur le Président, l’infection des victimes du choléra, la mort des personnes infectées, les dépenses funéraires et de traitements, le fait de laisser des enfants en bas âge ont, pour la plupart des familles, de lourdes conséquences morales et financières sur les victimes.
Monsieur le Président, pour la défense des intérêts du peuple haïtien et de ceux des victimes du choléra , le droit haïtien, les instruments juridiques internationaux et l’Accord de Siège établissant la MINUSTAH en Haïti vous fournissent des provisions légales et engagent votre obligation d’intervenir dans les intérêts du peuple haïtien en votre qualité de Chef de la diplomatie et des relations internationales en vertu de la Constitution de 1987 amendée (article 139).
En effet, l’introduction du choléra en Haïti, qui a causé la mort et l’infection des victimes, est réparable de 50.000 dollars américains pour chaque personne infectée, sans compter les frais médicaux, funéraires et autres dépenses encourues en vertu de l’Accord de siège en son article 54, de la Convention de Londres du 13 mai 1946, du Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur les aspects administratifs et financiers des opérations de maintien de la paix des Nations Unies concernant le KOSOVO en date du 21 mai 1997, de la Résolution 52/247 du 26 juin 1998 des Nations Unies, ainsi que de la jurisprudence, notamment l’affaire Cumaraswamy, et les réparations en vertu de l’affaire Congo impliquant des pays comme la Belgique, la Suisse, l’Italie, qui prévoient tous le dédommagement des victimes des forces de maintien de la paix de l’ONU.
Monsieur le Président, selon l’article 5 de l’Accord de Siège du 9 juillet 2004, la MINUSTAH et ses membres se devaient de respecter toutes les lois et les règlements du pays. Le Représentant en Haïti devait prendre toutes les dispositions voulues pour assurer le respect de ces obligations.’
Enfin, Monsieur le Président, le BODDH vous demande de tenir compte de la déclaration de l’ancien Secrétaire général Ban Ki Moun pour initier auprès du nouveau Secrétaire de l’ONU une entente afin d’obtenir le dédommagement des victimes du choléra et réparer l’État haïtien. Cette réparation permettra d’éradiquer le choléra dans le pays, notamment en exigeant un hôpital bien équipé dans les dix départements du pays, un dispensaire équipé dans chaque commune et au moins un centre de santé dans les sections communales et dans les quartiers des villes et des communes. L’État haïtien doit aussi négocier un fonds destiné à l’assainissement de l’eau et à la mise en place des équipements de prévention de la maladie. Une telle démarche soulagera le budget déjà trop insuffisant de l’État haïtien pour résoudre les problèmes économiques du pays, alors que ce budget servait pendant sept ans à financer le traitement d’une maladie importée pour lequel le responsable reconnait lui-même sa responsabilité morale.
Défendons Haïti! Défendons la dignité du peuple haïtien!
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ces salutations patriotiques.
Pour le BODDH :
Me. Jacceus JOSEPH, avocat, Coordonnateur général
CC :
Premier Ministre : Dr. Jack Guy LAFONTANT;
Ministre de la santé population : Dre. Marie Gretta Clément ROY
Commission Santé du Sénat : Dr Carl Murat CANTAVE
Commission Santé de la Chambre des Députés : Dr. Sinal BERTRAND
Port-au-Prince, le 01 Août 2017