Les policiers kényans entre colère et impuissance !

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L’engagement du Kenya en tant que chef de file de la force supposée est une « erreur politique coûteuse », estime James Mwangi, directeur du Centre africain pour l’action corrective et préventive (African Center for Corrective and Preventive Action , ACCPA) à Nairobi.

En proposant de piloter la Mission multinationale d’appui à la sécurité en Haïti, une décision mal perçue par la population, Nairobi a pris un risque politique important. Confrontés sur le terrain à des gangs puissants, les policiers kényans doivent en outre faire face à des retards dans le versement de leurs salaires.

 

L’image montre une scène de bienvenue officielle à l’aéroport. Au premier plan, deux hommes se serrent la main, exprimant une atmosphère de camaraderie et de respect. L’un des hommes est en uniforme militaire avec un motif camouflage, tandis que l’autre porte un costume élégant avec une cravate. Autour d’eux, un groupe de personnalités, dont des membres des forces de sécurité et des fonctionnaires en civil, se tient en ligne, attendant leur tour pour saluer. En arrière-plan, le ciel est clair et ensoleillé, créant une ambiance positive. L’ensemble de la scène respire la solennité et l’importance d’un événement officiel.

La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), pilotée par le Kenya et déployée en juin 2024 en Haïti, semble passer d’un défi à l’autre après avoir survécu aux obstacles juridiques et logistiques initiaux. Sur le terrain, cette mission onusienne, qui a été créée en octobre 2023 et dont le Kenya a accepté de prendre la tête afin de redorer son image, est confrontée à une situation explosive. La mission est censée aider la police haïtienne à « restaurer la sécurité de base et le contrôle de l’État ». Mais on en est loin. La douzaine de gangs violents qui dirigent de facto le pays et qui contrôlent 85 % de la capitale, Port-au-Prince, ne cessent de gagner du terrain.

En interne aussi, les problèmes s’accumulent. Ainsi, il semble que les policiers kényans n’ont pas été payés depuis le mois de septembre. En guise de protestation, une vingtaine d’officiers envoyés en Haïti auraient proposé leur démission, alors que le Kenya a déployé 425 policiers au sein de la MMAS.

Ils auraient adressé des lettres de démission au siège des Nations unies en invoquant le non-paiement de trois mois de salaires et d’indemnités. Selon l’agence de presse britannique Reuters, après avoir tenté de démissionner verbalement, trois officiers ont rédigé des lettres de démission dès le mois d’octobre, et quinze autres, parmi lesquels des commandants supérieurs, en novembre.

Des informations démenties par la mission onusienne et par les autorités kényanes. « Les informations selon lesquelles des officiers ont proposé de démissionner ne sont pas exactes, tous nos officiers de police en service en Haïti ont été payés jusqu’à la fin du mois d’octobre », a déclaré l’inspecteur général de la police, Douglas Kanja. Dans un démenti de la MMAS, il est indiqué que les officiers ont été payés jusqu’en septembre.

Le 22 septembre 2024, le président du Kenya, William Ruto, a rendu visite aux policiers de la MMAS, en Haïti.

Une expédition mal pensée

Ces allégations ont également été démenties par le commandant de la force, Daniel Otunge, qui les a qualifiées de « malveillantes et inexactes », alors même que des témoignages faisant état d’insatisfaction et de désaffection se multipliaient sur les médias sociaux. « Les choses ne se sont pas passées aussi bien que nous l’avions prévu. Nous n’avons jamais reçu nos salaires et nos indemnités à temps, et les conditions dans notre camp sont mauvaises car nous manquons de produits de base, y compris de nourriture », affirme John, un officier de la mission interrogé par Afrique XXI, qui a requis l’anonymat. Selon David, un autre officier contacté par Afrique XXI, les membres de la mission n’ont pas été équipés des armes sophistiquées qui leur avaient été promises. « Les choses ne vont pas bien, le moral est bas et, par conséquent, les gens n’ont pas envie de risquer leur vie en affrontant des criminels », indique-t-il, lui aussi sous le sceau de l’anonymat.

Les dénégations des autorités masquent mal les difficultés financières de la mission, liées au défaut d’engagement de la part du principal bailleur de fonds, les États-Unis, ainsi que des autres pays qui sont censés financer la MMAS par le biais de contributions volontaires. Outre les difficultés à payer les salaires, la force fait face à une pénurie de munitions et d’équipements.

Pour Soyinka Lempaa, avocat spécialiste des droits humains à Nairobi, ces difficultés sont le résultat d’une expédition mal pensée par le Kenya. « Le problème est que le Kenya s’est porté volontaire pour diriger la mission en Haïti afin d’être dans les petits papiers des puissances occidentales et de tenter de renforcer sa position et son image au niveau international. Or la mission n’a jamais été une préoccupation prioritaire de ces mêmes puissances, ce qui signifie que le pays doit entreprendre une tâche très difficile de rétablissement de la loi et de l’ordre, pratiquement seul », estime-t-il.

En conséquence, le Kenya tarde à envoyer sur place le reste du contingent : 600 policiers (sur les 1 000 prévus), parmi lesquels des officiers qui sont bloqués dans une garnison de formation à Nairobi depuis le début du mois de novembre, date à laquelle ils ont obtenu leur diplôme de formation.

Absence de liquidités

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la MMAS éprouve des difficultés à lutter contre les gangs qui contrôlent une grande partie de Port-au-Prince et de ses banlieues, et où plus de 3 600 personnes ont été tuées depuis le début de l’année. Selon l’ONG Human Rights Watch, le problème de la mission réside en partie dans le fait que, bien qu’elle ait été approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies, il ne s’agit pas d’une opération de l’ONU et qu’elle repose entièrement sur des contributions financières volontaires. Jusqu’à présent, seul un montant dérisoire de 85 millions de dollars (81 millions d’euros), sur les 600 millions de dollars annuels nécessaires pour soutenir la mission, a été reçu par l’intermédiaire du Fonds d’affectation spécial créé par les Nations unies. « Malgré la bonne volonté et les engagements pris, le gouvernement, la MMAS et les groupes humanitaires et de défense des droits humains qui travaillent en Haïti sont loin de disposer des ressources nécessaires pour relever efficacement ces défis », constatent Nathalye Cotrino et Ida Sawyer dans un communiqué de HRW. La MMAS ne dispose que de 425 personnes sur les 2 500 prévues sur le terrain et de seulement 454 millions de dollars (les 85 millions de dollars du Fonds d’affectation spéciale et environ 369 millions de dollars de contribution directe), une somme bien inférieure aux 600 millions de dollars estimés nécessaires chaque année pour son fonctionnement.

Pourtant, en septembre, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté à l’unanimité la prolongation du mandat de la mission pour une année supplémentaire et a rejeté les appels d’Haïti à la transformer en une mission de maintien de la paix de l’ONU – ce qui lui permettrait de disposer de plus de moyens humains, matériels et financiers.

En octobre, lors d’une rencontre à Nairobi avec le Premier ministre haïtien Garry Conille (qui a été limogé quelques jours plus tard, le 10 novembre), le président kényan, William Ruto, a lancé un appel à un soutien financier urgent de la mission. « Nous demandons à la communauté internationale d’assortir son engagement et ses promesses de l’action nécessaire pour que nous puissions mener à bien la tâche qui nous attend », a-t-il plaidé. À cette époque, le pays, en déficit budgétaire, n’avait, selon lui, des liquidités pour mener à bien les opérations que jusqu’en mars 2025. Une affirmation remise en question depuis que plusieurs officiers ont présenté leur démission.

« Une erreur politique coûteuse »

En novembre, le ministre du Trésor national et de la Planification économique, John Mbadi, a admis que « cet argent que l’État dépense pour le compte des Nations unies provient du Trésor public, car il s’agit de fonctionnaires kényans ». Selon plusieurs sources, le pays aurait dépensé pas moins de 15 millions de dollars pour cette mission, une somme dont il attend le remboursement par l’ONU.

Confrontés à des gangs puissants qui, selon l’ONU, creusent des tranchées, utilisent des drones et stockent des armes pour faire face à la police haïtienne et à la MMAS, les policiers kényans sont d’autant plus frustrés que les retards dans le versement de leurs salaires ne datent pas d’hier. Le 25 août, la MMAS avait déjà reconnu des retards de paiement, tout en assurant qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

Ces difficultés alimentent les critiques au Kenya, où la participation à cette force n’a jamais été soutenue par la population. L’engagement du Kenya en tant que chef de file de la force supposée est une « erreur politique coûteuse », estime James Mwangi, directeur du Centre africain pour l’action corrective et préventive (African Center for Corrective and Preventive Action , ACCPA) à Nairobi. « Le président Ruto entraîne le Kenya dans une mission dangereuse à l’étranger en acceptant d’être utilisé par les États-Unis et la France pour pacifier Haïti, un pays situé à des milliers de kilomètres et dans lequel le Kenya n’a aucun intérêt politique et économique connu », déplore-t-il. C’est peut-être pour mettre un terme à cette dernière critique que William Ruto a nommé, le 20 décembre, un consul général à Port-au-Prince – une première pour le Kenya, qui n’avait jusqu’ici aucun lien diplomatique avec Haïti – et a choisi pour ce poste un ancien policier, Noor Gabow.

 

*Maina Waruru : Journaliste indépendant basé au Kenya, Maina Waruru travaille notamment pour The Pie News et University World News.

 

Article traduit de l’anglais par Rémi Carayol.

Afrique XXI 6 janvier 2025

 

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