Le symbolisme du Congrès de Bois-Caïman

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Le Congrès de Bois-Caïman

Le lundi 14 août 2024 a marqué le 233e anniversaire du pacte de Bois-Caïman qui a eu lieu dans la nuit du 14 au 15 août 1791 sur l’habitation de Lenormand de Mezy aux environs de Morne-Rouge dans le département du Nord sous la direction de Dutty Boukman et de Cécile Fatiman.

Le symbolisme de ce Congrès, cet événement de haut niveau politique, exemple de solidarité, d’abnégation, d’unification et d’organisation la plus parfaite revêt une importance toute particulière, indélébile dans l’inconscient collectif haïtien.

La leçon à comprendre et à tirer est le désir des masses esclaves non seulement de se révolter contre l’injustice sociale mais aussi d’arriver à arracher aux mains des bourreaux du système esclavagiste et colonialiste, la liberté de forger une nation libre et souveraine.

Le congrès de Bois Caïman est la résultante d’un certain niveau d’organisation. Voilà pourquoi le peuple a trouvé en lui un projet, un guide capable de faire de lui une force irrésistible. Huit jours plus tard, il l’a manifesté, quand des esclaves des cinq plus grandes habitations se soulevèrent et entamèrent la lutte révolutionnaire : le Bwa kale original.

Dutty Boukman

De ce dynamisme de lutte pour le changement, on peut conclure que pour peu qu’existent une solide volonté et un objectif politique clair et net, un véritable redressement né d’une solidarité de classe peut se produire et  peut mettre en échec tout projet impérialiste.

Grâce à l’organisation qui l’a charpenté dans l’identification nette et claire des intérêts de classe, le symbolisme du Congrès de Bois-Caïman n’est-il pas toujours vivant pour remettre en ordre le désordre haïtien qui englobe à la fois pauvreté, exploitation, désespoir politique et absence de vision d’en sortir d’un labyrinthe d’imbroglios.

Le Bois-Caïman reste un atout formidable encore inexploité. Il exprime la volonté inébranlable, la fidélité envers les engagements pris par toute une classe d’ouvriers sans salaires, exaltés à travers une prise de conscience collective de « vivre libre ou mourir ».

Le symbolisme du Congrès de Bois Caïman reste une source d’inspiration, une boussole montrant la direction de classe à suivre vers la victoire des masses opprimées, pourvu que soit présente la volonté politique d’une « élite organique », selon le mot de Gramsci, de se souder aux opprimés, de prendre fait et cause pour les masses, même si le chemin doit être long. C’est dans ce sens que Vertières représente une sorte d’apothéose à l’incandescente nuit d’appel à la liberté du 14 août 1791.

200 délégués de différentes habitations répondirent présents au Congrès. Ils venaient des plantations du Limbé, Port Margot, de l’Acul, Limonade, Petit Anse, Plaine du Nord, Quartier Morin, Morne Rouge etc… Pour participer à la grande lutte, recevoir le message et communier de fidélité et de solidarité. Leur présence signifiait déjà la grande importance qu’ils accordaient à la lutte pour en finir avec l’esclavage. Les mots d’ordre de cette soirée furent comme un hymne, un chant national, une interprétation des conditions objectives des masses populaires de Saint-Domingue. Jean-Jacques Dessalines qui était présent parmi les délégués va quelques années plus tard prendre la direction de ce mouvement pour nous conduire vers la libération totale.

quand des esclaves des cinq plus grandes habitations se soulevèrent et entamèrent la lutte révolutionnaire, il était le Bwa kale original.

Selon J. C. Dorsainville, il était dix heures du soir, quand les cérémonies inaugurales du congrès commencèrent.

« Tous étaient assemblés quand un orage se déchaîna. La foudre zèbre de ses éclairs éblouissants un ciel de nuages bas et sombres. En quelques instants, une pluie torrentielle inonde le sol tandis que, sous les assauts répétés d’un vent furieux, les arbres de la forêt se tordent, se lamentent et que leurs grosses branches mêmes, violemment arrachées, tombent avec fracas…Au milieu de ce décor impressionnant, les assistants, immobiles, saisis d’une horreur sacrée, voient une vieille négresse se dresser. Son corps est secoué de longs frissons; elle chante, pirouette sur elle-même et fait tournoyer un grand coutelas au-dessus de sa tête. Une immobilité plus grande encore, une respiration plus courte, silencieuse, des yeux ardents, fixés sur la négresse, prouvent bientôt que l’assistance est fascinée. On introduit alors un cochon noir dont les grognements se perdent dans le rugissement de la tempête. D’un geste vif, la prêtresse, inspirée, plonge son coutelas dans la gorge de l’animal. Le sang gicle, il est recueilli fumant et distribué à la ronde aux esclaves ; tous en boivent, tous jurèrent d’exécuter les ordres de Boukman.»

«  La vieille négresse aux yeux étranges et aux cheveux hérissés, psalmodiant des paroles mystérieuses dans le dialecte africain, invoquait les dieux des ancêtres “. Tout à coup, Boukman se dresse et s’écrie d’un ton inspiré : ” Le Bon Dieu qui a fait le soleil qui nous éclaire là-haut, qui soulève la mer et fait gronder le tonnerre, écoutez bien, vous autres, ce Bon Dieu là caché dans un nuage, nous regarde. Il voit ce que font les blancs. Le Dieu des blancs demande le crime, le nôtre veut les bienfaits. Mais ce Dieu qui est si bon, vous ordonne la vengeance! Il dirigera nos bras, il nous assistera. Jetez l’image du Dieu des blancs qui a soif de nos larmes et écoutez la liberté qui parle à notre cœur… ».

Tous les délégués reprirent mot à mot ce discours avec beaucoup de ferveur. C’est le serment qui scella les résolutions finales du congrès. L’esclave est devenu homme et en tant qu’homme il va défendre sa personnalité, sa terre et ses frères de classe. Il n’est plus la bête de somme, il est devenu conscient que le colon malgré ses organisations ne peut pas le vaincre; il pense maintenant en homme responsable et comme tout homme l’amour de la liberté et de l’honneur est aussi fort et puissant chez lui.

Ce congrès avait toute son importance. C’était un jalon politique calculé, réfléchi que les esclaves avaient posé. C’était la meilleure façon d’établir la confiance entre eux et d’indiquer aux masses que cette lutte n’était pas l’affaire d’un homme ou d’un clan mais la lutte de tous les esclaves conscients et conséquents. Ce fut un acte politique de haut niveau qui signalait déjà le désir des masses à être, non seulement libres, mais aussi indépendantes. Théoriquement, il annonçait la fin, la mort même de la domination coloniale, la nuit qui arracherait définitivement l’esclave à l’esclavage, Saint-Domingue à la France.

Cécile Fatiman

Beaubrun Ardouin nous explique que «  les esclaves des habitations Chabaud et Lagoscette, avaient mal compris les explications de Boukman. C’est ainsi que dans la soirée, ils mirent le feu à ces deux habitations. L’insurrection devait commencer par l’incendie de ces palais somptueux élevés sur des cadavres, et de ces riches moissons arrosées du sang de ces infortunés. On arrêta quelques esclaves qui furent exécutés avec promptitude, tant on redoutait les aveux ». Aucun d’entre eux, malgré les répressions subies n’a jamais dénoncé les dirigeants ni les principaux chefs de la révolte. Ce qui laisse à comprendre que cet incident dans la nuit du dimanche 14 août 1791 n’était pas une erreur d’incompréhension mais bien d’excitation combative, une forme d’impatience. Car l’esprit du congrès leur annonçait les couleurs de l’espoir et le signal qu’à l’horizon le soleil de leur libération s’était déjà levé.

Une semaine après, soit dans la nuit du 21 au 22 août 1791, sous la direction de Boukman, Jean-François et Biassou les esclaves déclenchèrent la révolution. Aux cris de Vengeance! Vengeance! Mort aux Blancs! Boukman fut le premier à passer à l’action en mettant lui-même le feu aux habitations. Ils étaient près de 50,000 dans les rues, saccageant les plantations des colons : deux cents sucreries et six cents caféiers furent détruits, ils tuaient femmes et enfants, le sang des Blancs coulait partout et à grands flots. Les esclaves domestiques furent les premiers à incendier les maisons de leurs propriétaires. On raconte que des esclaves possédant quelque talent, surtout ceux qui travaillaient dans les boulangeries, ont failli même empoisonner la pâte avec laquelle on fait le pain.

Après trois siècles de misères et de souffrances, les esclaves, enfin, venaient de renverser l’ordre des choses. Armés jusqu’aux dents, les esclaves des habitations Trême, Turpin, Clément, Flaville et Noé s’insurgèrent et se vengèrent de tous les supplices qu’ils avaient reçus de leurs maîtres. Les zones les plus incendiées au cours de cette manifestation de « Bwa Kale » furent: La plaine du Nord, la Petite Anse, le Quartier Morin et Limonade. Les esclaves étaient armés de piques, de coutelas, de bâtons, c’était un véritable déchouquage des colons du Nord. Cette révolte ou Bwa kale exprimait la haine de l’esclave pour le maître colon. Jeannot les sciait entre deux planches. D’autres esclaves par reconnaissance sinon par pitié envers leurs bons maîtres les épargnaient de la vengeance du feu.

Cette révolte créa beaucoup d’affolement dans les milieux esclavagistes. Ainsi, dans les premiers jours de septembre au cours d’une séance de l’Assemblée générale, le président, le Marquis de Cadush suggéra de livrer la colonie à la Grande Bretagne, seule puissance d’après lui capable de les sauver de la terreur des révoltés. Pour combattre le soulèvement, les colons passèrent à la répression sur les conseils de l’Assemblée coloniale du Cap. Les partisans de l’ancienne noblesse s’unirent avec ceux de la bourgeoisie métropolitaine pour arrêter la fureur des masses populaires. Les colons accusèrent les gens de couleur et le gouverneur Blanchelande d’être les instigateurs de la rébellion des esclaves. Pour cela, ils massacrèrent un  grand nombre  de mulâtres; des esclaves furent tués, décapités; un maître irrité tua même un esclave qui lui était complètement fidèle.

La cruauté des colons augmenta la détermination des esclaves, malgré leurs pertes très considérables. L’Assemblée générale déclara une amnistie totale en faveur de tous les prisonniers mulâtres qui attendaient d’être exécutés dans le couloir de la peine de mort, en leur demandant de leur prêter main forte. Marc Chavannes, frère de Jean-Baptiste Chavannes, se rangea sans scrupules dans leurs rangs pour combattre les esclaves. Cependant, beaucoup d’autres affranchis préférèrent rejoindre le camp des esclaves. Au Cap, deux échafauds et cinq potences furent construits pour supplicier les esclaves.

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