« Apartheid », c’est le mot que les dirigeants « blancs » colonialistes d’Afrique-du-Sud avaient choisi pour désigner leur système institutionnalisé de ségrégation, d’oppression et d’exploitation des « non-blancs ». Ce mot est surtout associé maintenant, mondialement, à la longue lutte contre ce système raciste. Cette lutte a réussi à gagner l’opinion publique internationale au point de faire plier les impérialismes américains et européens, notamment, qui soutenaient le régime de Pretoria.
L’Etat d’Israël a été également l’un des soutiens les plus constants, militairement et économiquement, du régime d’Apartheid. Mais on comprend aisément qu’aujourd’hui ses dirigeants fassent tout pour que leurs relations avec les Palestiniens, des territoires occupés et même d’Israël, ne soient pas assimilées à l’« Apartheid » (même si quelques dirigeants politiques populistes israéliens l’assument, notamment dans les campagnes électorales).
L’expression vient pourtant vite, naturellement, même dans les médias internationaux. Un journal français, par exemple, classé dans les moins révolutionnaires, Ouest-France, titre un article de son édition du 21 avril 2017 : « Derrière la grève de la faim, le Mandela palestinien ». Il compare à l’icône planétaire de la lutte contre l’Apartheid et le racisme le leader palestinien, Marwan Barghouti, certainement pour son emprisonnement depuis 16 ans dans les geôles israéliennes, pour sa relative modération, pour sa résistance et ses actions de luttes, depuis sa prison, contre le régime israélien.
Barghouti est à l’initiative de la grève de la fin de ses compagnons prisonniers politiques palestiniens, suivie par plus de 1200 détenus depuis le 17 avril. Leur acte dénonce les conditions indignes d’emprisonnement, les arrestations arbitraires : un des aspects de toute la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens.
Dans une tribune publiée au New-York Times, Barghouti reprend aussi lui-même l’expression « Apartheid », dénonçant : “un apartheid judiciaire qui garantit une impunité pour les Israéliens ayant commis des crimes contre des Palestiniens et criminalise la résistance palestinienne”.
Il y a un peu plus d’un mois, la Commission économique et sociale de l’ONU pour l’Asie Occidentale (CESAO) publiait sur son site un rapport, qu’elle avait commandé à deux chercheurs, intitulé « Les pratiques israéliennes à l’encontre du peuple palestinien et la question de l’Apartheid (en lien en anglais) ». Les auteurs analysent la politique israélienne notamment au regard du Droit international et de la « Convention internationale pour la suppression et la punition des crimes d’Apartheid ». Ils concluent « qu’Israël est coupable de politique et de pratiques constitutives du crime d’Apartheid ».
A peine le rapport publié, les Etats-Unis et Israël exigent du secrétaire général de l’ONU qu’il soit retiré. Antonio Guterres cède immédiatement à leurs pressions et demande à son tour à la secrétaire de la CESAO de retirer le rapport. Mme Rima Khalaf refuse de s’exécuter et choisit de démissionner. Dans sa lettre de démission, que nous reproduisons intégralement ci-dessous, elle écrit : « …, je ne peux que maintenir les conclusions du rapport de l’ESCAW comme quoi l’Etat d’Israël a établi un régime d’apartheid qui recherche la domination d’un groupe racial sur un autre. Les preuves fournies dans ce rapport rédigé par des experts de renom sont nombreuses. Tous ceux qui ont attaqué ce rapport n’ont pas eu un mot pour son contenu. Je considère comme mon devoir de mettre en lumière le fait légalement et moralement indéfendable qu’au 21ème siècle existe encore un état d’apartheid, plutôt que de supprimer les preuves. »
On ne peut que saluer cet acte courageux qui renverse très utilement l’effet recherché des injonctions américaines et israéliennes. Au passage, on s’inquiète de la soumission aux puissances impérialistes du nouveau secrétaire général de l’ONU, quelques fois présenté comme « progressiste » ou « dynamique » (la discrétion de Ban Ki Moon correspondait peut-être mieux à la latitude réelle d’action de ce poste).
Dénonçons toujours plus fort l’Apartheid en Israël ! Soutenons le mouvement des prisonniers palestiniens en grève de la faim !
Lettre de démission de Rima Khalaf, secrétaire exécutive de la CESAO (Commission économique et sociale pour l’Asie de l’Ouest) au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, 21 mars 2017
Cher Monsieur le Secrétaire Général,
J’ai considéré avec attention votre message transmis par le chef de cabinet et vous assure que je n’ai à aucun moment remis en question votre droit de retirer la publication du rapport de notre site internet ou le fait que nous tous, travaillant pour le secrétariat, sommes soumis à l’autorité du secrétariat général. Tout comme je n’ai aucun doute concernant votre engagement envers les Droits de l’homme en général, et votre position ferme concernant les droits du peuple palestinien. Je comprends aussi vos préoccupations, particulièrement dans ces temps difficiles qui vous laissent peu de choix.
Je ne suis pas insensible aux attaques vicieuses et aux menaces qui pèsent sur les Nations Unies et sur vous personnellement de la part d’importants Etats-membres en réponse à la publication du rapport de la CESAO intitulé « Les pratiques d’Israël envers les Palestiniens et la question de l’apartheid ». Je ne trouve pas surprenant que de tels Etats-membres, qui ont maintenant des gouvernements qui se préoccupent peu des normes et valeurs internationales concernant les droits humains, aient recours à l’intimidation quand ils trouvent difficile de défendre leurs politiques et pratiques illicites. Il est normal que des criminels mettent la pression et attaquent ceux qui défendent la cause de leurs victimes. Je ne peux pas me soumettre à une telle pression.
Ce n’est pas en vertu de mon statut d’officiel international, mais en vertu de mon statut d’être humain honnête, que je crois, comme vous, dans les valeurs et principes universels qui ont toujours été les lignes de conduite du bien dans l’histoire humaine, et sur lesquels une organisation comme la nôtre, les Nations Unies, est fondée. Comme vous, je considère que la discrimination envers toute personne sur le motif de sa religion, de sa couleur de peau, de son sexe ou de son origine ethnique est inacceptable, et que de telles discriminations ne peuvent être rendues acceptables par les calculs de l’opportunisme ou du pouvoir politique. Je considère de plus que les peuples ne devraient pas seulement avoir le droit de dire la vérité au pouvoir, mais ils ont le devoir de le faire.
En l’espace de deux mois, vous m’avez demandé le retrait de deux rapports produits par la CESAO, pas à cause de fautes que l’on aurait commises dans ces rapports, et probablement pas parce que vous étiez en désaccord avec leur contenu, mais à cause de la pression politique exercée par des Etats-membres qui violent gravement le droit des peuples de la région.
Vous avez vu que les peuples de cette région vivent une période de souffrance inégalée dans l’histoire moderne, et que le nombre considérable de catastrophes aujourd’hui résulte du flot d’injustices qui furent ignorées, camouflées ou ouvertement approuvées par des gouvernements puissants à l’intérieur et à l’extérieur de la région. Ces mêmes gouvernements sont ceux qui vous mettent la pression pour faire taire la voix de la vérité et l’appel pour la justice présentés dans ces rapports.
Etant donné ce qui précède, je ne peux que maintenir les conclusions du rapport de la CESAO comme quoi l’Etat d’Israël a établi un régime d’apartheid qui recherche la domination d’un groupe racial sur un autre. Les preuves fournies dans ce rapport rédigé par des experts de renom sont nombreuses. Tous ceux qui ont attaqué ce rapport n’ont pas eu un mot pour son contenu. Je considère comme mon devoir de mettre en lumière le fait légalement et moralement indéfendable qu’au 21ème siècle existe encore un état d’apartheid, plutôt que de supprimer les preuves. En disant cela je ne clame aucune supériorité morale ou vision supérieure. Ma position est influencée par une vie d’expériences où j’ai vu les conséquences désastreuses pour la paix quand on bloque les plaintes des peuples dans notre région.
Je réalise que je n’ai que peu de choix. Je ne peux pas retirer maintenant un autre dossier des Nations Unies bien documenté et faisant suite à des recherches approfondies sur les violations graves des droits humains ; bien que je sache que des instructions claires du secrétaire général doivent être appliquées rapidement. C’est un dilemme que je ne peux résoudre que par ma démission pour permettre à quelqu’un d’autre de fournir ce que je ne peux fournir en bonne conscience. Je sais que je n’ai plus que 2 semaines à mon poste ; ma démission n’est donc pas destinée à exercer une pression politique. C’est simplement, car je pense que c’est mon devoir envers les peuples que nous servons, envers les Nations Unies et envers moi même, de ne pas retirer un témoignage honnête sur un crime en cours qui est à la racine de tellement de souffrances humaines. En conséquence, je vous remets par la présente ma démission des Nations Unies.
Avec tous mes respects,
Rima Khalaf
« Solidarité internationale PCF – vivelepcf », 21 avril 2017