(1e partie)
Les militaires kenyans et les autres seront bientôt en Haïti. Washington finit par obtenir cette indispensable Résolution des Nations-Unies pour le déploiement d’une force militaire internationale en Haïti sollicitée par les autorités de la Transition à Port-au-Prince, il y a exactement une année. C’est l’histoire de cette saga politico-diplomatique transformée en feuilleton kenyan qu’on va essayer de vous conter depuis le début jusqu’au déploiement effectif de cette Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS), selon l’énoncée de la Résolution N° 2699 votée le lundi 2 octobre 2023 par le Conseil de sécurité.
Voici l’histoire. Ils sont déjà nombreux : Kenya, Bahamas, Rwanda, la Jamaïque, Italie, Sénégal, Equateur, Antigua et Barbuda, Argentine, Mexique, Belize, Belgique, Mongolie, Espagne, Guatemala, Pérou, Surinam et bien sûr les Etats-Unis, la France et le Canada à vouloir participer à la fameuse force militaire internationale robuste appelée, depuis : Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS), tant réclamée par les autorités haïtiennes. La liste des pays s’allonge de jour en jour.
« Nous espérons que le Conseil de sécurité des Nations-Unies approuvera bientôt la Résolution qui permettra à la Communauté internationale d’agir de manière décisive et d’aider Haïti à retrouver sa stabilité » c’est par cette phrase que le ministre des Affaires étrangères du Mexique, Alejandro Barcena, avait apporté le soutien de son pays au gouvernement haïtien de Transition lors de la 78 e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies qui s’est tenue, il y a deux semaines, à New-York. Si le projet était dans le tuyau depuis la demande faite par le Premier ministre Ariel Henry au mois d’octobre 2022, le moins que l’on puisse dire cela a mis du temps pour se concrétiser. Aujourd’hui, plus de doute possible ! Au départ, personne au sein de la Communauté internationale n’a voulu accepter de prendre le leadership de cette expédition militaire en Haïti et ce, malgré la réponse positive du Secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres.
Washington qui est, en fait, le fer de lance de ce projet et qui, sans aucun doute, a poussé Port-au-Prince à solliciter cette intervention étrangère pour, dit-on, l’aider à combattre les gangs armés qui occupent la capitale et ses périphéries, pour des raisons de politiques intérieures, avait toujours préféré sous-traiter l’opération. C’est le Canada, son voisin le plus proche territorialement et surtout politiquement qu’il avait sollicité pour cette mission. Dans un premier temps, le Premier ministre Justin Trudeau paraissait intéressé à jouer ce rôle de sous-traitant et de leader, mais, très vite et compte tenu de la réticence d’une bonne partie des autres Etats de la région à y participer, il a progressivement et intelligemment abandonné l’idée tout en travaillant à trouver un remplaçant pour Washington. Mais, après avoir fait le tour des Etats de l’Amérique latine et des Caraïbes, le Premier ministre canadien n’a pu convaincre personne pour le remplacer.
Pourtant, le Canada, sur les conseils des Etats-Unis, avait mobilisé tout son appareil diplomatique et financier en vue de faire pression ou d’acheter l’accord de ces pays qui, après les expériences onusiennes passées en Haïti, préfèrent rester à l’écart ou tout au moins participer sans prendre le commandement. Des Sommets et Forums se sont organisés un peu partout sur le continent américain sur la crise haïtienne. De l’OEA à la CARICOM en passant naturellement par les Nations-Unies, tout a été tenté en vue de monter cette force internationale pour aller affronter les groupes armés dans la capitale haïtienne. Mais rien n’y fait. Pour palier à ce déficit d’influence, le Canada s’est contenté d’imposer des sanctions symboliques à certains politiciens et hommes d’affaires haïtiens, histoire de démontrer qu’il continue de soutenir Washington dans sa politique en Haïti.
Le fait que le Premier ministre Justin Trudeau n’a trouvé personne, c’est le retour à la case départ pour les Etats-Unis dans ce dossier qui se mettent aussitôt à la recherche d’un Etat croupion moyennant finance pour succéder au Canada ; tandis que celui-ci entend toujours jouer un rôle de premier plan dans le dossier. C’est ainsi que vient l’idée d’intégrer l’Afrique dans le dossier haïtien. Les premiers contacts avec les Etats africains susceptibles de succomber aux pressions financières de Washington ont été pris au siège de l’Organisation des Nations-Unies à New-York après le double échec de Nassau dans les Bahamas et de Kingston, Jamaïque. Au même moment, les ambassadeurs et Chargés d’affaires des Etats-Unis dans différents pays du continent africain avaient reçu l’ordre d’approcher discrètement les gouvernements de ces Etats avec pour mission de s’entretenir avec eux sur la crise politique haïtienne, les gangs qui ont assailli la société, l’insécurité, l’incapacité des forces de sécurité et bien entendu la faiblesse des autorités gouvernementales à y faire face.
Ces diplomates devaient expliquer aux chefs d’Etat, aux autorités militaires et policières les démarches entreprises depuis deux ans par les occidentaux, notamment, les Etats-Unis, en vue de parvenir à une solution pacifique mais restant jusqu’à maintenant sans succès. Entretemps, l’armée américaine qui dispose de bases militaires dans la région s’était lancée à organier des exercices militaires conjoints avec plusieurs armées africaines dont l’armée kenyane. Selon des sources militaires et diplomatiques françaises, ces manœuvres militaires de l’armée américaine, communes avec la plupart de leurs homologues africaines, faisaient partie des tests de capacité à des Etats-majors des armées africaines à pouvoir participer et tenir le leadership d’une force multinationale en Haïti. Une fois les contacts et les propositions établis avec les gouvernements de certains Etats africains, les dirigeants de quelques Etats membres de la CARICOM ont été mis au parfum aussi bien que la gouvernance de la Communauté des Etats des Caraïbes (CARICOM).
On comprend mieux l’invitation faite à certains chefs d’Etat africains pour assister aux 45e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement en vue de célébrer le 50e anniversaire de la création de la Communauté caribéenne. La présence du Président du Rwanda, Paul Kagamé, à Port-of-Spain, Trinidad-et-Tobago, est la preuve de ce processus d’intégration de l’Afrique dans le dossier haïtien et surtout la démarche qui allait lui forcer la main pour prendre le leadership de la force multinationale en Haïti. Le premier signe venait de l’offre et de l’annonce qu’avait faites le chef de l’Etat rwandais au Premier ministre Ariel Henry en marge du Sommet tenu du 3 au 5 juillet 2023 à Trinidad. L’on se rappelle du tweet de la Primature haïtienne en date du 5 juillet faisant état de cette promesse « Lors du sommet coïncidant avec le 50e anniversaire de la CARICOM, le Premier ministre Ariel Henry a discuté avec le Président du Rwanda, M. Paul Kagame, lors d’une rencontre bilatérale. La question de la sécurité a été au centre des discussions. Le Président Kagame a rappelé les liens qui unissent l’Afrique à Haïti, en précisant que c’était un devoir pour son pays de répondre à une demande d’un pays frère. A ce titre, il a déclaré que le Rwanda était prêt à contribuer à la constitution de cette force multinationale spécialisée que sollicite notre pays dès que les conditions seront réunies. »
Lors de ce même Sommet, le journal américain The Miami Herald avait fait mention d’un document qui circulait sur la formation de cette force. Dans ce document appelé : Soutien à la sécurité renforcée en Haïti, un document non officiel, selon le journal, mais donnant force détail, entre autres, sur la répartition des rôles entre les Etats-Unis et les pays qui entendent participer à la dite force multinationale, il y a des non-dits laissant supposer que Washington était sur le point de trouver son « Homme lige » pour conduire cette force expéditionnaire.
L’annonce du gouvernement kenyan ne serait, en fait, une surprise pour personne dans la mesure où dans certaines Chancelleries africaines, le dossier d’Haïti, porté par le trio – américain, français et canadien – était connu. On attendait seulement le moment le plus approprié pour faire sortir l’annonce officielle.
A quoi on avait assisté la semaine précédant le Communiqué du Ministère des Affaires Etrangères du Kenya ? Une recrudescence de kidnapping dans la capitale haïtienne. Une partie de la population de la zone métropolitaine de Port-au-Prince refugiée devant l’ambassade des Etats-Unis dans la Commune de Tabarre. Des personnalités et citoyens de toutes origines sociales attaqués. Une ressortissante américaine enlevée. Le gouvernement américain appelant ses ressortissants à quitter le pays, etc, etc. Un contexte on ne peut plus invivable pour une population aux abois. Le timing de l’annonce que le Kenya accepte de prendre le leadership de la force militaire multinationale n’est point une coïncidence et ne peut échapper à aucun observateur de la politique haïtienne. Cela a été fait avec une coordination ne laissant aucun doute sur son préparatif avant de rendre public le nom du pays sur lequel Washington, Paris et Ottawa ont jeté leur dévolu pour aller jouer aux Gendarmes au nom de l’ONU en Haïti dans le cadre d’une mission de maintien de l’ordre et de rétablir la liberté de circuler.
Déjà, les observateurs se doutaient que les américains avaient trouvé l’oiseau rare pour servir de « Joint-Venture » en Haïti, quand, quelques heures avant, Antony Blinken, le Secrétaire d’Etat américain, rentrant d’un voyage en Afrique avait déclaré « Nous sommes déterminés à mettre en place tout ce qui est nécessaire à la création d’une force multinationale, et notamment à trouver un pays chef de file pour le faire. J’espère que nous pourrons bientôt faire état de progrès dans ce domaine ». Ces propos venus du Département d’Etat étaient en réalité le feu vert donné aux autorités kenyanes pour officialiser elles-mêmes l’annonce. La chronologie est parfaite. Quelques heures après tombait le Communiqué du chef de la diplomatie kenyane, Alfred Mutua, indiquant « Le Kenya a accepté d’envisager positivement de diriger une force multinationale en Haïti. L’engagement du Kenya est de déployer un contingent de 1 000 policiers pour aider à former et aider la police haïtienne à rétablir la normalité dans le pays et à protéger les installations stratégiques. Une mission d’évaluation par une équipe spéciale de la police kenyane est prévue dans les prochaines semaines » avait indiqué le Communiqué. A partir de ce moment tout s’enchaîne.
Les premiers concernés, les autorités de la Transition, ont immédiatement manifesté leur reconnaissance et surtout leur contentement d’avoir été enfin entendues. Un Communiqué de la Chancellerie haïtienne remercie la présidence kenyane pour avoir accepté de débloquer la situation puisque, depuis bientôt une année, la demande du gouvernement haïtien était devenue un casse-tête pour les grands de la Communauté internationale qui ne voulaient pas s’engager à diriger la force multinationale. « Le Ministre des Affaires Étrangères et des Cultes (MAEC) a reçu, avec beaucoup d’intérêt, les déclarations de son homologue kényan confirmant la volonté de ce pays frère d’apporter un appui effectif aux forces de l’ordre haïtiennes dans leur combat pour le rétablissement d’un environnement sécuritaire dans le pays et même de considérer la possibilité d’assumer le leadership d’une force multinationale dès que le Conseil de sécurité des Nations-Unies aura donné son aval. Haïti apprécie à sa juste valeur cette manifestation de la solidarité africaine et c’est avec plaisir qu’elle accueillera, dans les prochaines semaines, la mission d’évaluation que le Kenya se propose d’envoyer, » pouvait-on lire dans le Communiqué datant du 30 juillet 2023.
Le lendemain 31 juillet, c’est le Premier ministre, Ariel Henry, lui-même qui a confirmé sur son compte Twitter, la venue en mission de repérage d’une délégation officielle kenyane avant l’envoi proprement dit des contingents militaires dans le pays. « J’ai eu, ce matin, une conversation cordiale et fructueuse avec le Président du Kenya, William Ruto, au cours de laquelle nous avons discuté, entre autres, de la venue prochaine d’une mission de reconnaissance et d’évaluation en Haïti », a écrit le chef de la Transition. Ce même dimanche 31, de l’autre côté des frontières haïtiennes, en République dominicaine, là aussi les autorités se réjouissent qu’un Etat africain puisse se porter volontaire pour cette mission.
Le Président dominicain, Luis Abinader, tentait même de récupérer l’offre du Président kenyan William Ruto quand il soutient « Le 21 septembre 2021, devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, j’ai appelé la Communauté internationale à contribuer à la résolution de l’insécurité en Haïti. Notre persévérance porte ses fruits : le Kenya dirigera, avec le soutien des États-Unis, une force multinationale pour Haïti ! Nous continuerons à plaider en faveur d’un soutien accru ». (A suivre)
C.C