Il était une fois un roi mérovingien, Dagobert Ier et son principal conseiller, saint Éloi, évêque de Noyon, ville historique au Moyen Âge. Charlemagne y fut sacré roi des Francs, Le prélat, orfèvre et monnayeur, remplissait aussi la fonction de ministre des Finances auprès du roi. C’était au VIIe siècle. De ce mérovingien il nous est resté la chanson du Bon Roi Dagobert, heureuse et opportune inspiratrice du texte de cette semaine.
La légende rapporte que Dagobert était tellement distrait (et ce n’est pas La Tulipe qui le lui reprocherait) qu’il lui arrivait souvent de mettre ses culottes (ses braies, ses pantalons) à l’envers. Saint Éloi le rappelait alors au monarque qui s’empressait de les mettre à l’endroit. Au fil du temps est née la chanson du Bon Roi Dagobert. L’une des strophes, parue pendant la période révolutionnaire ferait référence au roi Louis XVI, un personnage également du genre distrait, nonchalant, magouyan, débonnaire, que Marie-Antoinette, la reine, menait apparemment à la baguette (non pas par la braguette).
La chanson, quoique devenue une comptine, comptait pourtant quelques strophes assez vertes. Les enfants chantent, le plus souvent:
Le bon roi Dagobert
A mis sa culotte à l’envers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit: Ô mon roi!
Votre Majesté
Est mal culottée.
C’est vrai, lui dit le roi,
Je vais la remettre à l’endroit.
Comme il la remettait
Et qu’un peu il se découvrait;
Le grand saint Éloi
Lui dit: Ô mon roi!
Vous avez la peau
Plus noire qu’un corbeau.
Bah, bah, lui dit le roi,
La reine l’a bien plus noire que moi.
Vous l’avez deviné, cette dagobertude même “à l’envers” n’est pas innocente de ma part. Une fois remise “à l’endroit”, elle prend sa place tout naturellement dans le moule politicien haïtien contemporain. Alors, il était une fois le bon roi Dagobert, il est aujourd’hui le bon sénateur Joseph Lambert. Sa bonté a été (trop) longtemps une face cachée de sa personne qu’il nous a révélée, de façon inattendue, imprévue, inespérée, inopinée, lors de l’ouverture de la session extraordinaire convoquée, le mercredi 12 septembre 2018, par le président Jovenel Moïse.
Mais, avant d’en venir à la bonté, à l’humanité, à la générosité, à la serviabilité du bon sénateur, soyons honnête, impartial, juste, équitable. Soyons bon. À César ce qui est à César et au sénateur ce qui lui revient. Approchons d’abord le mauvais sénateur. Jetons donc un coup d’œil sur sa face mieux connue du public celle que l’on pourrait qualifier de mauvaiseté, d’affreuseté de l’«inusable» Joseph Lambert.
En octobre 2007, François Gentel, juge de paix de Banane, une section communale d’Anse-à-Pitres, dénonçait le comportement du sénateur du Sud-Est, Joseph Lambert, qui, accompagné d’hommes lourdement armés, voulait l’expulser manu militari du tribunal de paix. L’équipe “lourde” n’ayant en sa possession aucun mandat, Gentel refusa d’obtempérer. Quelques minutes plus tard, le mauvais sénateur Lambert et le (mauvais) député Patrick Robasson, accompagnés d’hommes lourdement armés, se sont présentés au tribunal de paix de Banane, accompagnés d’un certain Lorenceau Monplaisir et ils ont purement et simplement “remplacé” Gentel non sans l’avoir traité de “cochon”. À en croire Lambert, Gentel ne “serait rien” aussi longtemps que lui, Lambert, serait sénateur. Pour se disculper de sa cochonnade et se justifier, Lambert avança tout de go: «Accompagné du député Patrick Robasson, j’ai seulement participé à la cérémonie de prestation de serment du nouveau juge de paix, Lorenceau Monplaisir». Gloire à la violence macouto-démocratique!
Le cerveau du mauvais sénateur Lambert est comme une bouteille de mabi. Ça mousse toujours une mauvaiseté, une déshonnêteté, une perversité, une atrocité, une immoralité, une pitoyabilité, une abominabilité, une malveillance, une déshonorance, une roublarderie, une renarderie, une couarderie, une filouterie, une canaillerie, une vacherie, une scératesse sui generis.
En mars 2013, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) s’en est fait l’écho en publiant les témoignages, par-devant le notaire Jean Beaubrun L. Rony, de Sherlson Sanon, un “ex-enfant soldat” puis membre du gang armé «Base Kakos» qui “a avoué avoir participé, avec ses correligionaires, à diverses activités criminelles, à des moments divers, pour le compte des mafiosi Joseph Lambert et Edo Zenny en échange de rémunération”.
Avec une rigueur mathématique et un luxe de détails et de précisions, Sanon a énuméré les innombrables actes de kakoserie perpétrés sur demande des deux compères ‘Jo’ et ‘Edo’, deux joko, décrits comme “des parrains de réseaux mafieux mouillés dans le trafic de la drogue et dans des assassinats ciblés”. L’époustouflance, l’aberrance, l’extravagance, la suffocance, l’effarance de la déposition du kakosard Sherlson sont à vous couper le souffle. Lisez plutôt un de ces actes de criminellescente scélératesse commandités par le mauvais sénateur Lambert.
«En 1999, moi, Sherlson Sanon, j’ai tué, pour le compte de l’ex-sénateur Joseph Lambert, une étrangère, Céline Moulier, qui était venue implémenter une organisation à Jacmel. Elle habitait à Civadier. J’ai reçu deux mille (2 000) gourdes pour cette exécution. Le jour du crime, j’étais accompagné de Alain Moïse. Ce dernier est un agent de la Police nationale d’Haïti (PNH). Lorsque je l’ai exécutée à hauteur de la route de Makary, Céline Moulier pilotait une Toyota double cabine blanche».
«Le même jour, le père de la victime, Fernand Moulier, a aussi été assassiné par Alain Moïse. Le gang a reçu l’ordre de conduire le véhicule de Céline Moulier au garage de Jacky Carolli, situé à St-Cyr, Jacmel. Les pièces du véhicule ont été vendues. La carcasse se trouve encore au garage. Après l’assassinat des deux étrangers susmentionnés j’ai été emmené en République dominicaine, au Bahia Prencipe Hotel, Bavaro situé à Punta Cana, en attendant que tout se calme », a raconté Sanon.
Avec un tel luxe de détails, comment le mauvais sénateur aurait-il pu s’en tirer sauf en niant ses méfaits en bloc. Il a même fait pire, l’animal. Lors d’un point de presse, il s’est réjoui de ce que le RNDDH ait associé son nom à des activités criminelles. Son esprit tordu, crochu, biscornu, monstrueux s’est accomodé du rapport de la RNDDH qui selon lui ne pouvait que contribuer à augmenter sa cote de popularité (sic).
L’occasion aidant, la faim du kraze-brize aidant, un jour de plein soleil, la pleine lune de violence de notre mauvais sénateur éclaira son chemin. Monsieur faisait campagne, candidat qu’il était au sénat. C’était dans la localité de Coq chante, le mercredi 24 juin 2015, au cours de la campagne électorale de Lambert. Un étudiant de la Faculté des Sciences humaines, Wesnel Jeudi, eut assez de cran pour critiquer les menteries, les tromperies, les duperies, les fourberies, les mètdameries de l’audacieux orateur. Se comportant lâchement, brusquement et inattendument, le candidat tomba sur l’étudiant et lui cassa la tête à coups de crosse de revolver. D’autres membres de la famille de Jeudi présents au rassemblement électoral eurent aussi droit aux mêmes violences candidates du mauvais sénateur.
Aux yeux de ses pairs de la Chambre haute, le mauvais sénateur en avait fait assez comme ça, assez de porter à l’envers sa culotte de moralité. Fort de ses prérogatives parlementaires, du bon droit et armé d’un minimum de décence, le sénateur Ricard Pierre, qui lui-même n’est pas “mince” (il sut comment subtiliser, dérober un groupe électrogène au Sénat) accusa le président du Sénat Joseph Lambert d’avoir détourné l’argent des contribuables en louant sa propre maison à l’Etat pour huit millions de gourdes. Gredin de sénateur!
Et Ricard Pierre de lancer à son collègue: vous êtes comme le roi Dagobert, votre culotte de moralité est bien à l’envers et vous avez l’âme plus noire qu’un morceau de charbon. Bah, bah, le président de la république l’a bien plus noire que moi, répliqua le mauvais sénateur piqué au vif.
Joseph Lambert vexé jusqu’au croupion, soudainement contrit, jura qu’il devait remédier à ses comportements criminels et remettre sa culotte morale à l’endroit. Il courut vite chercher contrition auprès du cardinal Chibly Langlois. Au confessionnal, ce dernier l’invita. Vite, l’animal s’agenouilla. Gauchement, il bredouilla:
– Mon père…
– Non, il faut dire mon cardinal, car depuis mon cardinalat je suis plus près de Dieu.
– Afè w bon… Enfin, oui, bénissez-moi, mon cardinal, moi qui suis très loin de Dieu, bénissez-moi parce que j’ai beaucoup péché.
– Depuis combien de temps ne vous- êtes-vous pas confessé?
– Depuis que je suis commanditaire de rapt, d’assassinats, de trafic de drogue.
– Vous n’êtes pas le seul à commanditer des crimes, c’est la norme autour de vous, une sorte de comportement commanditatif. Ils sont nombreux parmi vos pairs qui sont des commanditaires. Vous vivez, sans vous en rendre compte, au sein d’une confrérie, que dis-je, d’une commanditairerie pourrie. Mais, le pape François rappelait opportunément que Jésus “ouvre grands ses bras aux pécheurs et les regarde avec espérance”. Maintenant, avouez vos péchés.
– J’en ai trop… Je suis encore hanté par le spectre de Céline Moulier et de son père Ferdinand…
– Aucun spectre n’est étranger au Seigneur. Allez, dites votre acte de contrition…
– Mon Dieu, j’ai un très grand regret de vous avoir offensé, parce que vous êtes infiniment bon, infiniment aimable, et que le péché vous déplaît. Je prends la ferme résolution, avec le secours de votre sainte grâce de ne plus vous offenser et de faire pénitence.
– Espérez le pardon et la délivrance. Comme pénitence, je vous invite à faire preuve d’extrême bonté auprès de vos semblables. Que la paix du Seigneur soit avec vous!
Depuis Paul sur le chemin de Damas, on n’avait jamais vu de conversion aussi rapide. Lambert se convertit, au grand dam de ses détracteurs, en un bon sénateur.
À l’ouverture de la session parlementaire extraordinaire convoquée, le mercredi 12 septembre 2018, par le président Jovenel Moïse, Lambert se mit à tonitruer, vitupérer, gueuler, tempêter, fulminer, pester, protester: « Je me suis confessé au cardinal, mes péchés passés me sont pardonnés. Je suis aujourd’hui un bon sénateur, un homme nouveau. La population haïtienne se trouve dans des conditions matérielles infrahumaines, qui attendent des actions urgentes pour atténuer ses souffrances ». Sa k pase la a, “Jojo”? demande alors le grand pécheur Youri qui se sent visé. Nous sommes presque tous ici issus de familles pauvres, de vrais descendants de l’Afrique maternelle, réplique le bon sénateur. La barque nationale doit être orientée vers des rives nouvelles. Fèmen dyòl ou la, Youri, espèce de poule mouillée, espèce de marmite rouillée, senatè kòk san bèk.
Les yeux injectés de colère, tel Ogou Feray, Jojo appelle l’Etat à définir de nouvelles politiques publiques. Presto, il griffonne un projet de loi auquel le cardinal Langlois, plus près du Seigneur, aurait applaudi, il en est sûr. Il en énumère les grands points: école gratuite pour tous les élèves et étudiants; salaires décents pour tous les professeurs; salaire minimum de 1 000 gourdes; cantines populaires gratuites dans toutes les communes offrant deux repas chauds par jour; mise rapide sur pied d’un plan de refondement hospitalier garantissant des soins médicaux adéquats et gratuits aux couches démunies; baisse des impôts pour les marchands opérant dans le secteur informel; subventions raisonnables à accorder aux consommateurs d’essence; libération des citoyens injustement emprisonnés les 7 et 8 juillet derniers.
Comme la population doit se sentir soulagée! Grâces soient rendues au cardinal Langlois (plus près du Seigneur) qui sans le vouloir a concouru à lever le voile sur cette face ombragée, je voulais dire restée dans l’ombre, cette face ombrée du sénateur. D’ailleurs, on aurait dû pressentir cette ombrageté puisque en mai 2012, alors qu’il avait été choisi comme conseiller spécial par le grand-guignolesque Martelly, l’homme se comparait à l’Homme, vous savez, Jésus Christ qui à son avis avait eu de nombreux ennemis parce qu’il prêchait la bonne nouvelle et essayait d’aider les hommes à retrouver le droit chemin. Que n’avions-nous pas christement découvert, plus tôt, cette miséricordieuse bonté du parlementaire!
Souhaitons que le bon sénateur reste dans le droit chemin. Et si par malheur il devait à nouveau chuter dans le péché de commanditance, il y aura toujours à sa portée le confessionnal et le cardinal, toujours plus près de Dieu.
16 septembre 2018