L’après Jovenel Moïse, difficile succession ! (3e partie)

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Le Premier ministre Dr Ariel Henry

Frustré et reclus chez lui, Dr Ariel Henry qui n’était pas encore installé comme Premier ministre avait revendiqué son poste à la Primature, siège du gouvernement haïtien. Dans une interview au quotidien Le Nouvelliste, en date du 7 juillet 2021 au soir,  Ariel Henry déclarait que Claude Joseph n’est pas Premier ministre, il n’est rien d’autre que son ministre des Affaires étrangères et que c’est lui le patron. « Un gouvernement démissionnaire est un gouvernement démissionnaire à ma connaissance. Ce n’est pas un gouvernement de plein exercice. S’il n’y avait pas la nécessité d’avoir un autre gouvernement, je pense que le Président Jovenel Moïse n’aurait pas été me chercher ni faire les consultations. Il ne faut pas croire que le climat est devenu brusquement un climat apaisé.

Selon moi, il n’est plus Premier ministre.  Y-a-t-il plusieurs Premiers ministres nommés dans le pays ? » S’interrogeait Ariel Henry à propos de Claude Joseph. Certains rigolaient en lisant les propos de l’ancien ministre de Michel Martelly. Personne ne fait foi à ce qui paraît être plus un appel à la sédition qu’une réelle volonté de se battre pour récupérer la Villa d’Accueil tant tout paraît fini pour ce grand neurologue. Pourtant, on l’a toujours dit, en Haïti, chaque politicien à son « petit blanc » dans sa poche. Et il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire tant qu’il n’est pas à trois pieds sous terre. Et encore ! Le Président Jovenel Moïse, même mort, continue de marquer à la culotte les dirigeants de l’opposition grâce à ses soutiens de l’OEA, de l’ONU et aussi de leur incohérence.  La bataille rangée qui s’est déroulée à l’hôtel Montana le lundi 30 août 2021 lors d’une tentative d’un énième accord entre une branche de l’opposition et une partie de la Société civile en est la preuve.

Au moment où l’on ne s’attendait plus, on apprend par voie de presse que le Premier ministre Ariel Henry est en train de constituer son cabinet ministériel. Sceptique, personne ne dit mot. Les regards se portent sur les préparatifs des funérailles du Président assassiné, les déclarations du Directeur général de la police nationale, Léon Charles, sur les avancées de l’enquête et sur les déclarations de Claude Joseph en tant de Premier ministre a.i. pour maintenir la paix dans le pays alors même que de part et d’autre il est attaqué. Il n’a pas bonne presse Claude Joseph. La presse internationale va jusqu’à le soupçonner dans l’assassinat du Président. Il crie à la manipulation et se dit prêt à se battre et se défendre.  Claude Joseph se sent traqué. Déstabilisé. C’est mauvais signe. Pendant ce temps, que fait l’opposition ? Au lieu de profiter  des difficultés de Claude Joseph pour faire front uni pour le chasser définitivement du pouvoir avec une proposition cohérente de « Protocole d’Entente Nationale », c’est le moment qu’elle a choisi pour étaler en public et surtout devant le Core Group ses désaccords.

Et prouver à l’International qu’elle n’est pas prête pour diriger le pays avec les désunions qui la rend inapte dans cette conjoncture de prendre les commandes d’un pays déchiré par la division. Le 16 juillet 2021, soit une semaine après la signature dudit accord politique, les signataires estiment que Ariel Henry ne respecte pas ou n’a pas l’intention de respecter ledit protocole d’entente. De ce fait, il n’a plus leur confiance. Tandis que le Premier ministre nommé fait tout pour mettre en difficulté son concurrent Claude Joseph en donnant des gages à la Communauté internationale. Ainsi, les formations politiques signataires du protocole d’entente nationale entre autres FND,VERITE, AAA, MTV AYITI, FUSION, et INITE décident de se retirer de l’accord en ces termes « Suite à la rencontre de ce jour, les membres de l’opposition politique et de la société civile, signataires du Protocole d’Entente Nationale (PEN), s’empressent de vous informer qu’ils prennent acte de votre volonté de former un Gouvernement sans tenir compte du caractère bicéphale de l’exécutif avec nombre de figures déjà décriées dans l’opinion publique avec leur projet politique rejeté depuis plus de trois ans par la population.

Cette rencontre n’a pas permis de déceler non plus, aucune velléité de satisfaire les revendications populaires, entre autres l’annulation des arrêtés et décrets liberticides et antidémocratiques, la tenue de différents procès des affaires PetroCaribe, CIRH etc, portées dans les dix départements du pays et dans la diaspora  à travers des manifestations massives de contestation.  Aussi, constatant que vous avez délibérément choisi de vous écarter des termes dudit protocole, les signataires du PEN se voient-ils dans l’obligation de vous enlever leur soutien et de poursuivre un dialogue inclusif avec les forces vives de la nation en vue de conclure un accord politique pour une résolution haïtienne pacifique à la crise » reprochent ces organisations à Ariel Henry. En fait, une grande partie des responsables de ces partis politiques avait réclamé à Ariel Henry la tête de Claude Joseph. Une demande refusée par l’intéressé. Et pour cause. Il était en pleine négociation avec le Core Group qui souhaitait remplacer le Premier ministre a.i., mais tout en voulant le garder en tant que ministre des Affaire Etrangères comme c’était prévu et déjà acté avec le Président Jovenel Moïse au moment de la nomination du Dr Ariel Henry.

De fait, celui-ci ne pouvait accepter la demande de l’opposition de faire sauter celui qui assurait l’intérim à la tête de l’Etat depuis la disparition du Président de la République. D’autre part, il y a la question de l’exécutif bicéphale que l’opposition voulait garder coûte que coûte. Alors que, là aussi, l’International ne voulait entendre parler de Président provisoire pour remplacer Jovenel Moïse. Les diplomates formant le Core Group au nom de leur pays respectif restent attachés au vœu du feu chef de l’Etat qui ne voulait pas non plus de Président de transition. Une option qui, le moins que l’on puisse dire, arrange le nouveau Premier ministre Dr Ariel Henry. Du coup, celui-ci préfère se rapprocher de l’option du Core Group en laissant tomber lui aussi le Protocole d’entente qu’il aurait signé avec l’opposition estimant que le soutien et l’appui du Core Group valent mille fois mieux que le bout de papier qui, de toutes les façons, était déjà contesté bien avant sa mise en application.

D’ailleurs, la veille de la décision de l’opposition de lui retirer son soutien, Ariel Henry avait déjà pris ses distances en boudant carrément une invitation qu’avait lancée ce consortium de partis pour venir s’expliquer. Exit Joseph Lambert qui a raté le coche. Exit l’opposition qui a mal joué la partie et s’est disqualifiée toute seule de la course. Il restait au Dr Henry de prendre le dessus sur son rival Claude Joseph dans cette course à la succession du Président Jovenel Moïse. Dans les négociations secrètes qui ont eu lieu entre le Core Group et Ariel Henry et bien entendu Claude Joseph, c’est finalement le premier qui a remporté le match. C’est à la surprise générale qu’on a appris dans un communiqué signé du Core Group le samedi 17 juillet 2021 dans l’après-midi que celui-ci demande au Dr Ariel Henry de former un gouvernement inclusif.

Dans ce communiqué datant du 17 juillet 2021, on peut lire : « les membres du Groupe expriment le souhait que l’ensemble des acteurs politiques, économiques et de la société civile du pays soutiennent pleinement les autorités dans leurs efforts de rétablir la sécurité sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones actuellement en proie à la violence des gangs, d’organiser des scrutins législatifs et présidentiels libres, justes, transparents et crédibles dans les délais les plus brefs, et de s’assurer que chaque citoyen bénéficie de services adéquats de l’État. Dans cet objectif, il encourage le Premier ministre Ariel Henry à poursuivre la mission qui lui a été confiée de former un gouvernement consensuel et inclusif ». Le Core Group, sans dire le pourquoi et le comment et les Nations Unies, sous le contrôle de madame Helen La Lime, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU et cheffe du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) l’avaient adoubé quelques jours auparavant en disant que le « Premier ministre a.i. Claude Joseph était un dirigeant responsable » et l’encourageaient à poursuivre les démarches en vue de l’organisation des élections inclusives afin de pourvoir le pays de dirigeants légaux et légitimes.

Finalement, ils ont décidé comme ça de le lâcher et d’orienter leur choix vers Dr Ariel Henry, nommé il est vrai par Jovenel Moïse. En tout cas, cette volte-face aussi déroutante qu’inattendue par ce bref communiqué aura suffi pour que tout le monde rentre dans sa coquille. Presque instantanément, on n’entendait plus parler de Claude Joseph comme Premier ministre. Un seul nom revient et l’on ne parle que de lui, Ariel Henry, Premier ministre. Dans la foulée de cette annonce, on apprend, comme si tout était devenu tellement facile, que l’installation du nouveau gouvernement se fera dès mardi 20 juillet 2021 dans l’après-midi. C’est comme si cette bénédiction du Core Group avait EU un effet magique et stimulant pour les avancées dans la mise en place de l’après Jovenel Moïse. Mieux, pour Ariel Henry, le désormais chef de la Primature, par la grâce de l’International, ce que personne n’aurait imaginé y compris les signataires du Protocole d’entente en particulier, non seulement il est le Premier ministre en lieu et place du Dr Claude Joseph, mais il remplit aussi le rôle de chef de l’Etat sans en porter le titre.

Dans la mesure où le Core Group a décidé qu’il en sera ainsi. Il n’y aura donc point de chef d’Etat en titre pour remplacer celui assassiné jusqu’à ce qu’il y ait un nouveau Président élu et qui prendra ses fonctions le 7 février 2022 comme l’avait promis Jovenel Moïse. Sans se soucier de savoir si le nouvel exécutif monocéphale aura le soutien de la population et la capacité ou le dos assez solide pour porter ce fardeau, la Communauté internationale en a décidé seule sans demander l’avis d’aucun haïtien. Et pourtant, cette formule de succession avec juste un Premier ministre sans Président de la République, un groupe parmi les oppositions l’avait suggéré. L’entité menée par l’ex-sénateur Steven Benoit l’avait bien comme proposition dans le compromis d’entente nationale qu’elle avait élaboré dans le cadre d’un gouvernement de Transition que ce groupe avait envisagé. Mais, tout le monde y compris leurs camarades de l’opposition plurielle disaient que c’était une utopie. Certains leur avaient même ri aux nez. Voilà que c’est exactement ce qu’a mis en place le Core Group avec Ariel Henry, certes, un Premier ministre nommé par le feu Président Jovenel Moïse.

Personne n’a pu empêcher que le gouvernement formé par Dr Ariel Henry entre en fonction. Aucune opposition ni manifestation n’a perturbé l’installation de celui dont on sait tous qu’il va jouer le rôle de Président de la République et de chef de gouvernement à la fois. Un juste retour des choses. Un test grandeur nature puisque c’est exactement ce qu’avait imaginé le Président assassiné dans son projet de réforme constitutionnelle. En tout cas, depuis le mardi 20 juillet 2021, comme il l’avait annoncé, le nouveau  gouvernement a été installé. Seuls quelques rares ministres ont été reconduits dans leur fonction. Ils sont quatre au total et ils faisaient partie des ministères clés de l’Administration de Jovenel Moïse. Les Affaires étrangères et des Cultes, avec Claude Joseph ; Marie Gréta Roy Clément à la Santé et à la Population ; Patrick Michel Boivert à l’Economie et Finance, enfin le ministère de la Justice et de la Sécurité Publique restant sous le contrôle de Rockfeller Vincent.

Sinon pour les treize autres ministres, soit ils ont été pour la plupart des anciens ministres dans d’autres gouvernements, soit ils faisaient partie de hauts cadres de la fonction publique au cours de ces quinze dernières années mais pas forcément des proches des oppositions. A part le seul membre connu et influent de l’opposition plurielle, l’ex-sénateur et ancien Président de l’Assemblée Nationale, Simon Dieuseul Desras, ancien ministre sous la présidence de Jocelerme Privert et un temps pressenti pour être Premier ministre de Jovenel Moïse, on ne peut dire qu’il s’agit d’un gouvernement d’ouverture encore moins de consensus  ou inclusif comme l’avait recommandé l’International. Et là, on peut comprendre la frustration de certains opposants au Président Jovenel Moïse qui voient passer sous leur nez un pouvoir pour lequel ils luttent depuis bientôt cinq longues années. Mais, on peut aussi se poser la question. A qui la faute ? Est-ce au Dr Ariel Henry qui a ramassé un pouvoir à la dérive que le Core Group lui a offert moyennant des accords secrets?

Ou aux responsables de l’opposition plurielle qui n’ont pas su saisir la balle au bon moment pour mettre en place la Transition si souvent annoncée? C’est encore et toujours l’histoire du verre à moitié vide et à moitié plein. Au fait, où est passé Me Joseph Mécène Jean-Louis, le « Président de la Transition », désigné par l’opposition ? Ça non plus n’est pas une interrogation de trop. (Fin)

 

C.C

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