La question qui dérange: qui a incendié l’hôtel Oloffson ?

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Ce joyau du 19e siècle haïtien que fut l’hôtel Oloffson

Curieuse démocratie que celle de la République d’Haïti ! Un crime est commis. Tout le monde accuse. Tout le monde condamne. Certains pleurent même des larmes de crocodiles. Ensuite, l’on passe à autre chose. Bizarrement, aucune autorité politique, aucune instance judiciaire, aucune enquête journalistique. Bref, personne ne cherche à savoir ce qui s’est réellement passé. Comment c’est arrivé? Et qui est l’auteur du crime ? Dans ces conditions, peut-on parler réellement de démocratie ou même de recherche de solution au problème posé ? Ce sont là des interrogations qui peuvent choquer dans le contexte actuel en Haïti. Des questions allant certainement à contre-courant de ceux ayant des idées toutes faites. Pourtant, ces questions qui, à priori peuvent déranger au moment de la condamnation unanime d’un acte causant une perte inestimable pour la société, sont salutaires et utiles si l’on est vraiment à la recherche de la vérité et veut que les choses changent.

C’est quoi l’histoire ? Dans la nuit du 5 au 6 juillet dernier, le mythique et célébrissime hôtel Oloffson situé dans un quadrilatère comprenant la Rue Capois, l’avenue Christophe, la rue Titus et Carrefour-Feuilles, non loin de l’église Saint Gérard, à quelques encablures de la Place Jérémie, part en fumée. Il est réduit en cendre suite à des bagarres intenses opposant en réalité plusieurs factions armées. Mais, pour simplifier, on dirait entre les forces de l’ordre du gouvernement et ceux qu’on appelle les gangs armés. Cette ancienne bâtisse du style architectural Gingerbread se passe de présentation dans la capitale haïtienne. Sa construction remonte vers les années 1890. Connue pratiquement du monde entier et rendue célèbre dans les années 60, 70, 80, voire jusqu’au début des années 90, par une foultitude de personnalités internationales et locales, cette ancienne résidence de la famille Sam dont deux membres furent Président d’Haïti, (Tirésias Simon et Vilbrun Guillaume) était un écrin dans cette belle ville de Port-au-Prince du temps de sa splendeur.

Les hôtels Oloffson et CastelHaïti, deux splendides Palaces situés dans le même périmètre, étaient, jusqu’à la chute de la dictature de la famille Duvalier, les hauts lieux du tourisme caribéen où tous les grands noms du 7e art et de la Wold Music se donnaient rendez-vous pour leur villégiature exotique. De Mick Jagger à Jackie Onassis Kennedy en passant par Jean-Claude Van Damme et des centaines d’autres, ils venaient tous se prélasser dans ce paradis d’Eden en plein cœur de Port-au-Prince où la classe populaire et la haute bourgeoisie haïtienne se côtoyaient sans vraiment se rencontrer. Les deux hôtels, en effet, étaient situés dans un quartier populaire où les bidonvilles commençaient à éclore. Parmi ces grandes vedettes et stars internationales du cinéma et de la musique, il y avait aussi l’incontournable écrivain Graham Greene qui avait élu domicile à Oloffson, un coin de verdure luxuriante dominant la baie de Port-au-Prince.

Ce lieu apportant inspiration et sérénité à cet auteur iconique qui a produit bien des œuvres littéraires quasi immortels à l’instar de son indéboulonnable et prophétique roman Les Comédiens duquel est tiré le film éponyme dans lequel l’excentrique feu journaliste Aubelin Jolicoeur jouait son propre rôle. C’est en 1935, une année après le départ des militaires US, qu’un ancien capitaine de la marine suédoise du nom de Werner Gustav Oloffson acheta la propriété et transforma la résidence en un charmant et luxueux hôtel dans une capitale où il faisait encore bon vivre. Très vite, la renommée de l’hôtel Oloffson fera le tour de l’Europe et du reste du monde jusqu’à ce que, petit à petit, l’affluence des touristes étrangers commence à s’estomper. Tombé quasiment en décadence à la fin des années 80, le mystique et musicien Richard Morse achète le lieu en 1987 et le réanime en lui redonnant âme avec toute une série d’activités culturelles et artistiques diverses et pas seulement.

Outre les concerts hebdomadaires produits par son propre groupe de musique racine, RAM, qui est l’acronyme de son nom « Richard Auguste Morse » accompagné de son épouse Lunise, artiste et chanteuse, à l’hôtel Oloffson, on pouvait aussi assister à des expositions, des Conférences et notamment des réunions politiques organisées très souvent par des formations politiques d’opposition. On se souvient de l’« Accord d’Oloffson » signé entre divers leaders et formations politiques au plus fort moment de la lutte contre la présidence de Jovenel Moïse. Avec l’insécurité galopante dans la capitale, l’hôtel recevait de moins en moins de monde. La clientèle étrangère se raréfie et la diaspora déserte l’environnement de Carrefour-Feuilles devenu trop dangereux. Ainsi, Oloffson ne recevait déjà plus personne depuis près d’une année. Mais, nous ne sommes pas là pour parler du passé de ce prestigieux hôtel qui, durant la période de l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934), avait servi d’hôpital militaire pour les marines américains jusqu’à la fin de l’occupation.

Si du temps où la sécurité n’était pas une préoccupation pour les ports-au-princiens qui vivaient dans l’insouciance générale la situation géographique de l’hôtel Oloffson lui donnait un avantage sur ses concurrents de Pétion-Ville, avec la faillite des élites haïtiennes et l’abandon de l’Etat par les autorités politiques, cette position avantageuse devenait un handicap. Encerclé quasiment par des ghettos et des bidonvilles aux environs de Carrefour-Feuilles, Oloffson, certes, un Oasis de tranquillité et d’un charme époustouflant, s’est retrouvé très tôt dans un « Territoire perdu ». Car, ce périmètre, même quand il n’était pas encore complètement occupé par les gangs armés, n’a jamais été une priorité pour les pouvoirs publics y compris d’ailleurs pour la municipalité de Port-au-Prince qui s’en foutait comme de l’An 40 de la vie de ses administrés, des bâtis et des monuments se trouvant sur le territoire de la commune. Entre 2021 et 2025, c’est-à-dire jusqu’à aujourd’hui, ce vaste quartier de Port-au-Prince, comme bien d’autres, n’était quasiment plus sous le contrôle du gouvernement ni des autorités policières même si, de temps en temps, les deux entités organisent un raid contre les multiples groupes armés qui tiennent réellement cette partie de la capitale.

C’est dans ce contexte que la semaine précédant l’incendie de l’hôtel Oloffson, les autorités avaient entamé une campagne armée afin d’essayer de récupérer une parcelle de ce quartier de Carrefour-Feuilles, Place Jérémie, où plusieurs bandes armées – Viv Ansanm de Jimmy Chérizier dit Barbecue et Brigade de vigilance (Brigadiers) proches des autorités – disputent ces territoires depuis des mois. Sans oublier le quartier du Canapé-Vert placé, lui, plus ou moins, sous le joug d’un certain « Commandant Samuel Joasil » (policier USGPN) chef d’un groupe dit auto-défense appelé « Les Brigadiers » ou Brigade de vigilance. Bien avant la destruction de l’hôtel, on avait dénombré, suite à de multiples affrontements, plusieurs victimes de part et d’autre des belligérants sans parler des milliers de déplacés, des gens qui ont fui les théâtres des opérations. D’ailleurs, ce sont ces combats qui avaient poussé le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé à ordonner une attaque contre les gangs.

Durant plusieurs jours, les forces de l’ordre officielles, soit trois composantes : la police nationale, l’armée d’Haïti et les agents de la force de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS), ont affronté sans répit les hommes de Jimmy Cherizier. Et c’est là que l’affaire devient compliquée et qu’il faut commencer à se poser la question : quel camp ou quelle entité armée a occasionné l’incendie de ce patrimoine national qu’était l’hôtel Oloffson dans la nuit du 5 au 6 juillet 2025 ? D’après plusieurs témoins, habitants dans la zone et même certains journalistes couvrant les combats, ce soir-là il y a eu un déluge de feu venu de toutes les directions et tout autour de l’hôtel. Selon ces témoins, ça tirait dans tous les sens et sans discernement comme toujours dans des pareilles circonstances. En fait, plusieurs groupes distincts s’étaient engagés dans le combat.

Les Unités spécialisées de la PNH, épaulées par des troupes kenyanes qui, elles, sont soutenues par des éléments de la FADH et en dernier ressort les fameux Brigadiers de la Brigade de vigilance sont venues prêter main forte aux troupes gouvernementales assaillies par les gangs de plusieurs quartiers, eux aussi venus en renfort aux hommes de Viv Ansanm. Un vrai champ de guerre selon diverses sources. Toutes les parties tiraient à l’arme lourde, pendant que la police nationale lançait à tour de bras des drones kamikazes et drones incendiaires en direction du camp d’en face selon les témoins. En clair, tout le monde pouvait toucher n’importe qui et n’importe quoi sans même se soucier du reste. La seule chose qui comptait, le résultat et ce, qu’importe le prix. Mais, nous sommes en Haïti. Et on mène une guerre contre des criminels. Une guerre sans fin contre un ennemi non pas invisible mais créé de toute pièce pour parachever le travail commencé bien avant l’apparition de ces groupes armés. Curieusement, l’hôtel a été touché par quelque chose que personne ne veut nommer ni ne peut identifier dans la mesure où il n’y a jamais eu d’enquête ni même de déplacement sur les lieux du forfait d’un juge pour constater les dégâts causés par le sinistre.

L’hôtel Oloffson incendié

Pire, non seulement les autorités n’ont pas diligenté une enquête préliminaire pour faire la lumière sur ce drame et cette perte irréparable, mais, même le propriétaire, Richard Morse, devant l’indifférence des autorités judiciaires et politiques, n’a pas saisi le Commissaire du Gouvernement (Procureur de la République) pour réclamer l’ouverture d’une enquête afin de savoir ce qui s’est réellement passé et lequel des protagonistes qui étaient sur le terrain a incendié volontairement ou involontairement son hôtel et le cas échéant obtenir réparation auprès de l’Etat. Même dans les pays où il y a de vraies guerres, à chaque fois qu’il y a eu ce genre d’attaque ou destruction collatérale qui peut être accidentelle ou volontaire, avant de tirer des conclusions hâtives, les gouvernements ouvrent une enquête afin de connaître la vérité sur la nature de l’attaque et lequel des belligérants est responsable et, s’il le faut, juger le ou les coupables devant les tribunaux compétents au moment opportun.

Prenons l’exemple de la France lors des émeutes populaires et qu’un policier, même en état de légitime défense, tire ou commet un acte sur autrui ou un bâtiment a été incendié. Immédiatement, il y a deux enquêtes parallèles qui s’ouvrent. L’une, judiciaire, ouverte par le Procureur de la République pour établir les faits et l’autre, interne, menée par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la fameuse et redoutable police des polices avec laquelle aucun agent des forces de l’ordre ne souhaite faire face un jour. Toutes ces procédures sont mises en place, justement, pour éviter les bavures policières sur les citoyens et pour éviter que les policiers, se croyant tout puissants, ne puissent commettre des abus sur la population ou détruire les biens publics ou privés sous prétexte de rétablir l’ordre. D’ailleurs, même aux Etats-Unis où les abus racistes sont courants, il existe des garde-fous judiciaires afin d’éviter que certains actes ne restent pas impunis. Une démocratie, même balbutiante, doit avoir des règles, sinon c’est l’anarchie d’Etat.

Bien sûr, certains vont se dire comment pourrait-on savoir qui a fait quoi durant ces attaques puisque tout le monde tirait sur tout ce qui bougeait.  Oubliant vite ou ne sachant pas qu’on peut identifier n’importe quelle douille tirée de n’importe quel fusil d’assaut ou pistolet, voire des armes à canon scié. Le rôle de la police scientifique et technique c’est justement de faciliter le travail des magistrats enquêteurs dans ce genre de litige. En Haïti, à force de banaliser les choses et au nom d’une soi-disant guerre contre les gangs terroristes, tout devient normal, acceptable, même l’impensable. Depuis quelque temps, la notion de raison perd son sens et tous les citoyens deviennent pratiquement des « moutons » en acceptant tout et son contraire. Tout devient illogique. Il n’y a plus de raisonnement. Par exemple, pourquoi les gangs qui occupent depuis des années le « territoire » où se trouve l’hôtel Oloffson ne l’avaient pas incendié au moment où ils avaient « conquis cet espace » ? Pourquoi, attendre deux, trois, quatre années après pour le faire ? Pour ces questions, nous n’avons pas de réponses et elles ne sont en rien un soutien à qui que ce soit.

Nous cherchons seulement à comprendre en raisonnant sur un acte qui nous parait absurde et totalement illogique. C’est trop facile de dire que c’est un tel et une telle qui est à l’origine ou responsables du sinistre, alors que personne ne fait aucun effort pour établir les responsabilités. Nous persistons à dire que cet incendie pouvait venir de n’importe quel camp engagé dans la bagarre ce soir-là. En le disant, nous ne défendons personne ni ne condamnons qui que ce soit. Nous voulons seulement que la vérité ait le dernier mot. Quand on tire et lance des grenades incendiaires ou à fragmentation sans aucun contrôle n’importe où et n’importe comment, tout peut se passer même incendier un monument historique ou un patrimoine par définition irremplaçable.

Plusieurs spécialistes en la matière avec qui nous avons discuté de cette probabilité avant d’écrire cette chronique s’accordent à dire que seule l’analyse des douilles et autres débris d’engins incendiaires trouvés sur le Site de l’hôtel pourraient apporter une réponse claire et sans équivoque sur ce qui  a provoqué l’incendie. En l’absence de prélèvement sur le terrain et d’indices évidents provenant de l’un des protagonistes, tous ceux qui crient haut et fort que : Pierre, Paul, Jacques ont incendié l’hôtel Oloffson sont dans le déni et ne font que répéter ce qu’ils ont voulu entendre. Malheureusement, ce n’est pas ainsi qu’on connaitra la vérité sur ce qui est réellement arrivé à ce joyau du 19e siècle haïtien que fut l’hôtel Oloffson. Ce bâtiment qui a servi de décor pour le film Les Comédiens mettant en scène les politiciens haïtiens. Aujourd’hui et plus que jamais encore, ce roman et le film confirment que les dirigeants et l’ensemble des acteurs haïtiens se complaisent dans ce rôle vu la manière dont ils ont traité ce qui paraît plus qu’une terrible méprise, un accident en somme, cet incendie que personne, en vérité, n’a souhaité ni voulu. En tout cas, plusieurs décennies après, nous sommes loin, très loin de sortir de cette comédie burlesque que Graham Greene nous a gratifiée.

 

C.C

 

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