La liberté d’un peuple se mesure à l’aune de l’intelligence, de la conscience et du courage

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Jean-Jacques Dessalines, le fondateur de la patrie, s’enflamma : « Je ne veux garder avec moi que des braves…! » Après ces paroles héroïques, s’en suivirent des actes courageux.

« La révolution n’est ni un dîner de gala, ni une œuvre littéraire, ni un dessin, ni une broderie. On ne la fait pas avec élégance et courtoisie.
La révolution est un acte de violence. »
Mao Tsé-toung

Depuis le 7 février 1986, Haïti est transformée en une « République » de palabres. Francis Farrugia a déjà statué sur le phénomène du « syndrome narratif » qu’il a relevé à travers les héros de certains grands écrivains comme Cervantès, Camus, etc. Par rapport au constat tiré de l’évolution de la crise politique et économique actuelle qui étrangle Port-au-Prince et ses provinces, la psychanalyse freudienne – si l’éminent savant était encore de ce monde – aurait probablement évoqué la présence d’un « syndrome de divagation verbale et scripturale » qui se manifeste à un niveau macrosociologique. En clair, – et étonnamment –  la « liberté d’opinion », à laquelle aspiraient les masses haïtiennes durant toute la période de la dictature de 1957, parvient à suppléer les autres « libertés » qui demeurent pourtant tout aussi fondamentales pour construire une « démocratie » sans doublure, au sens qui objective l’aboutissement heureux d’une lutte populaire contre un système de gouvernance ploutocratique et totalitaire.

Parler n’est pas Agir. La pensée philosophique se matérialise dans les actes. C’est la capacité de prendre des décisions et d’agir dans le sens des intérêts collectifs qui couvre de gloire et d’honneur les femmes et les hommes qui ont pavé durablement le trajet sinueux et escarpé de l’Histoire. Jean-Jacques Dessalines, le fondateur de la patrie, s’enflamma : « Je ne veux garder avec moi que des braves…! » Après ces paroles héroïques, s’en suivirent des actes courageux. La Crête-à-Pierrot résista contre l’assaut des « Blancs » esclavagistes. À Vertières, l’Épopée se réimprima ! Et ce « Grand pays », dont nous sommes tous fiers, devint un Symbole planétaire de désasservissement de l’Être. Une Étoile de « Dignité » des peuples déshumanisés dans les chaînes du colonialisme.

Après son discours « L’histoire m’acquittera », dans le cadre du procès qui fit suite à l’échec de l’attaque déclenchée contre la caserne de  Moncada à Santiago de Cuba le 26 juillet 1953, Fidel et Raúl Castro, emprisonnés d’abord par Batista et exilés ensuite à Mexico, comprirent la nécessité de matérialiser leurs idées constructives de visionnaires politiques, sociaux, économiques et culturels. Ils avaient agi en privilégiant les moyens de lutte qui sont subjugués par la conscience patriotique, les convictions idéologiques de changement sociétal et les croyances solennelles en un monde révolutionnaire équitable… C’est dans la Sierra Maestra que la « Parole s’est faite chair ». Et jusqu’à présent, malgré vents et marées, la révolution cubaine est encore parmi nous et avec les peuples opprimés par le néocolonialisme. L’œuvre monumentale des frères Castro, de Guevara, de Cienfuegos, de l’équipe héroïque du Granma… continue de survivre, avec fierté et dignité, à l’embargo économique de John F. Kennedy et de tous les présidents hégémonistes qui ont séjourné à la Maison Blanche de 1963 à nos jours.

Les États bourgeois et impériaux ont décidé entre eux que les populations du Sud n’ont pas droit au bonheur. Voyez comment dépérissent les mineurs en Afrique du Sud. Atteints de la tuberculose, les misérables travailleuses et travailleurs n’ont pas les moyens de se faire soigner dans les grands hôpitaux. Ils se voient abandonnés sur les trottoirs de l’indigence, après avoir offert durant plusieurs années leur santé en sacrifices aux capitaux assassins de la « mondialisation ».

Les paroles du pape François continuent de résonner comme une serinette de réveil aux oreilles des prolétaires et des intellectuels progressistes qui essayent d’ériger marche par marche l’escalier du chambardement planétaire qui fera lever une nuit les écluses du grand rêve de changement porté par les exploités du Capital. Le Chef du Vatican croit que la lutte des pauvres – parce qu’elle est juste –  finira par triompher du néolibéralisme prédateur.

Le Prix Nobel de la Paix, l’Argentin Adolfo Pérez Esquivel du « Service Paix et Justice (SERPAJ) a écrit une lettre au président Barak Obama avant que celui-ci soit allé à Cuba le 20 mars 2016. Il a rappelé au dirigeant démocrate des États-Unis les paroles prophétiques du pape François dans le cadre de la « Rencontre des mouvements sociaux en Bolivie » :

« Le futur de l’Humanité n’est pas seulement entre les mains des grands dirigeants, des grandes puissances et des élites. Il est fondamentalement entre les mains des peuples. »

L’œuvre monumentale des frères Castro, de Guevara, de Cienfuegos, de l’équipe héroïque du Granma… continue de survivre, avec fierté et dignité

Le pape François est un érudit théologue, un militant solide des droits humains, un visionnaire politique. Il sait que les « mots », à eux seuls, ne suffisent pas à changer la face du monde. Néanmoins, ils permettent de réfléchir, de rassembler, de revendiquer, d’organiser et de lutter.

Les États signent des accords de paix. Mais font aussi la guerre pour protéger leurs intérêts. L’ « Organisation » consacre et rationnalise la « Force » qui devient un facteur de « persuasion » ou de « dissuasion » dans toutes les formes de lutte sociale, politique, économique et culturelle. Le syndicalisme demeure le lieu où s’exerce la « force » des ouvriers et des ouvrières contre l’exploitation patronale. Le parti politique regroupe des individus d’une même tendance idéologique qui aspirent à prendre le pouvoir par les urnes ou par la lutte armée, afin d’« implémenter » –  nous avons fait usage d’un anglicisme –  un projet de société.  Et ainsi de suite…

Le dernier discours du commandant Fidel Castro au 7ème Congrès du Parti communiste de Cuba est un Hymne au socialisme révolutionnaire qui a su prendre glorieusement sa place en Amérique à la barbe du Département d’État et du Pentagone.

Pour faire rire et réfléchir, le regretté Coluche et le génial Woody Allen se partagent une citation cocasse : « Le fascisme, c’est ferme ta gueule; la démocratie, c’est cause toujours ? » Le comble du paradoxe : c’est dans les disciplines qui font couler le plus souvent de la « bave intellectuelle stérile » que les universités du centre accordent les bourses aux étudiants de la périphérie : philosophie, sociologie, politologie, sciences juridiques… Ces pays, de préférence, auraient besoin d’experts formés dans les domaines pointilleux des Sciences et Technologie (S-T) par lesquels les régions nanties qui font partie du « club des sociétés industrielles » aient pu gravir le sommet du développement durable. Les régions défavorisées disposent-elles des compétences adéquates et des ressources économiques nécessaires pour aménager sur leurs territoires des lieux d’infrastructure de recherche scientifique moderne ? Les grands savoirs technologiques demeurent encore inaccessibles aux pays en voie de développement. C’est ce qui explique leur retard économique et financier considérable sur les sociétés impérialistes ou émergentes, comme les États-Unis, la France, le Canada, le Royaume uni, l’Allemagne, le Japon, la Russie, la Chine, la Turquie, l’Afrique du sud, le Brésil, la Corée du Nord, le Mexique etc.

Un État ne peut pas évoquer – voire réclamer pour lui-même – le concept d’« autodétermination » s’il est incapable de produire des biens et des richesses en quantité considérable et significative, de façon à satisfaire les besoins primaires, basiques, essentiels qui garantissent – au  moins – la survie décente de sa population. L’enrichissement des nations industrialisées dépend amplement de l’adoption et de l’application de ce que Joseph E. Stiglitz [1] appelle la « stratégie économique expansionniste ».

L’autodétermination pour un État, n’est-ce pas le fait qu’il soit tout à fait en mesure de construire son « avenir » ? De tracer et de suivre sa propre voie politique tant dans l’environnement intrasociétal qu’extrasociétal ? Libre de prendre des décisions, d’adopter des mesures dans l’intérêt de la Nation? Libre de combattre toutes les formes d’ingérence internationale sur son territoire, conformément aux principes réglementaires introduits dans la Charte des Nations unies en 1951 ? Et selon les dispositions des droits et des devoirs prescrits dans la Constitution dont il se dote pour la « gouvernance équitable » de ses citoyens. Pour qu’un peuple puisse disposer de lui-même, il doit parvenir à maîtriser les connaissances théoriques et pratiques qui ont permis à d’autres nations de franchir les barrières du sous-développement et de s’installer dans les compartiments confortables des progrès technologiques et économiques ? Sans le pouvoir de création de la richesse que nous avons préalablement souligné, les zones périphériques n’échappent pas à l’humiliation de la pauvreté et au lasso de l’influence étrangère. Et les cerveaux des pays africains, caribéens, latino-américains, arabes, etc., s’aliéneront encore longtemps dans les industries de sous-traitance nord-américaines et européennes. En conséquence, les « mastodontes » de l’« impérialisme » se considéreront toujours comme les « maîtres absolus » de l’avenir des populations nécessiteuses. Pour conserver leurs privilèges sociofinanciers et prérogatives politiques dans le monde, ils se sont érigés honteusement en interrupteurs de croissance économique pour les États qu’ils hégémonisent et qu’ils dépouillent. N’est-il pas inconcevable que des personnalités de nationalité haïtienne, dominicaine, érythréenne, sénégalaise, hondurienne, vénézuélienne… spécialisées en « médecine », « ingénierie », « éducation », « droit », etc.,  abandonnent des professions utiles, et deviennent « chauffeurs  de taxi » ou « manutentionnaires » sous-payés dans les mégapoles occidentales. Ils le font contre leur gré, – mais courageusement –, dans le but de subvenir aux besoins matériels et intellectuels de leurs proches. Alors que sur la plupart des continents, les déshérités du sort n’ont aucun accès aux services de base vitaux : santé, éducation… Mis à part la mauvaise foi des dirigeants politiques embourgeoisés, il faut admettre que l’émigration des spécialistes et des cadres rétrécit considérablement la surface des ressources humaines qui devraient être disponibles dans les pays où le « contrat social » est violé. Les individus décèdent sans diagnostic médical et sans médicament. C’est toujours triste et gênant de rencontrer des « médecins », des « ingénieurs », des « avocats », des « professeurs »  qui se sont convertis en « vadrouilleurs » et « collecteurs de déchets » dans les manufactures des États-Unis, du Canada… L’insatisfaction au travail abrutit l’esprit. Engendre la frustration. La démarche ne consiste pas à « dévaloriser » une « profession » ou une activité quelconque d’emploi. Loin de nous cette idée. Nous dénonçons plutôt le gaspillage intellectuel et professionnel qui est institué, entretenu et pratiqué cyniquement dans les sociétés occidentales discriminantes en défaveur des immigrants diplômés des universités, originaires des pays en voie de développement.

La lutte pour la construction d’un système planétaire de société révolutionnaire, – jusqu’à preuve du contraire –, paraît un « chemin sûr» pour les peuples qui rêvent d’atteindre les berges d’une « Démocratie » à la Périclès. Le capitalisme a détruit l’édifice de la dignité  humaine. Seule la  réappropriation des moyens de production concentrés entre les mains d’une oligarchie sybarite, gloutonne et égoïste permettra aux pauvres, aux misérables de vivre comme des êtres humains. De sortir de l’assujettissement des bourgeois et de devenir des citoyens à part entière. Des esprits révolutionnaires affranchis de la prépotence du néolibéralisme.

Monument de José Marti sur la Place de la Révolution à Cuba

Fidel a échappé à des centaines de complots d’assassinat ourdis par la CIA pour avoir rendu aux paysans les terres agricoles qu’ils travaillaient de leurs mains et qu’ils arrosaient avec la sueur de leur front. La « renationalisation » des ressources pétrolières du Venezuela a permis à Chavez de mettre sur pied des programmes sociaux, donc de développer des projets économiques, éducationnels, sanitaires, routiers, agricoles au profit des habitants de Las Delicias, et de tous les autres bidonvilles qui moisissaient dans l’extrême pauvreté. Soit dit en passant, le « futur État haïtien révolutionnaire » pourrait largement s’inspirer du modèle bolivarien pour refonder la Nation dessalinienne. Et pourquoi pas aussi de celui de la Lybie de Kadhafi où les richesses territoriales, les biens communs servaient à valoriser le mode de vie des familles : subsides, logements sociaux, subventions d’études universitaires même à l’étranger… ?

Après avoir perdu la deuxième guerre mondiale, le Japon a acquis une capacité encore plus grande en science et technologie qui lui a permis de reconstituer graduellement son autonomie en matière de puissance militaire, d’organisation et d’administration politiques. La fortification des ressources humaines et matérielles demeure la préoccupation majeure de l’État nippon. Et il y parvient grâce à l’esprit d’une dynamique perfectionniste insufflée par la Loi fondamentale sur l’éducation qui remonte à l’année 1947. Les autorités gouvernementales ont transformé les horreurs de la bombe atomique larguée sur Hiroshima et Nagasaki en moteurs de propulsion « instructionnelle ».  Ce pays est animé de l’esprit du surpassement. Être « bon » ne suffit plus pour combattre dans l’arène de la compétition internationale, il faut viser l’« excellence ». Les Japonais se sacrifient. Entreprennent de longues études académiques. Les étudiants asiatiques  brillent dans les grandes universités de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Ils accumulent des « connaissances actives » et non des « connaissances passives subies ». De retour dans leur patelin, ces jeunes intellectuels deviennent de véritables agents de progrès social et de développement économique. Ils apparaissent aux yeux du monde comme des références vivantes qui mettent en lumière les fondements philosophiques de Wang Yangming. Ce penseur du néoconfucianisme, représentant de « l’école de l’Esprit » de Chang Hao, affirme : « La connaissance est le début de l’action : l’action, l’accomplissement de la connaissance. »

Henri Bergson disait lui-même : « Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action. »

Enseigner, c’est «transmettre un savoir quelconque » à un individu. Mais dans un but précis : celui de lui fournir les outils théoriques et pratiques qui sont en corrélation avec l’acte de « produire »! L’enseigné part donc de la phase dite de « l’abstraction »  et chemine tranquillement et  sûrement vers  l’étape  importante de la « concrétude ».

La connaissance active permet aux humains – tant sur le plan individuel que collectif – de transformer leur environnement spiritualo-physique et de l’adapter à l’étendue de leurs ambitions sociales, économiques, politiques et culturelles. Le pouvoir de changer vient du « savoir » qui relève du « doute méthodique cartésien ».

Seulement, aucune « Révolution » n’est spontanée. Encore moins, pacifique. Elle demeure l’aboutissement difficile, le produit complexe de la multiplication des frustrations et revendications populaires respectivement inapaisées et insatisfaites. Il faut lui préparer une base idéologique. Donc, l’organiser. La concevoir. Puis l’accoucher. Par voie naturelle. Ou par césarienne. L’important est de la faire naître d’une façon ou d’une autre. La nourrir pour la maintenir en vie. Avec un projet de société qui soit bien cadré dans le périmètre des objectifs spécifiques définis et imposés par les impératifs de la lutte.


[1] Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel de l’Économie, Quand le capitalisme perd la tête, Éditions W.W. Norton, New York

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