La doctrine de Monroe est toujours de vigueur en Haïti

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Le Président américain, James Monroe, en 1823 déclara : Les États-Unis considèrent l'Amérique fermée à la colonisation européenne. En deux mots : l'Amérique aux Etatsuniens !

Le jeudi 10 janvier dernier, à l’OEA, la diplomatie haïtienne, sur ordre du président Jovenel Moïse, a voté en faveur des États-Unis mais contre la légitimité du président vénézuélien Nicolas Maduro. Celui-ci a obtenu l’adhésion de la majorité de son peuple dans une élection issue d’un système électoral reconnu même par l’ex-président Jimmy Carter comme étant l’un des meilleurs au monde. Ce système peut-être plus fiable que celui des États-Unis d’Amérique, qui a commencé à révéler sa faiblesse avec l’élection du deuxième Bush et de l’actuel Donald Trump. Cet acte infâme a consisté en une double violation: celle de piétiner le principe internationaliste des fondateurs de l’État-Nation d’Haïti et celle de n’avoir pas le minimum de décence en politique pour se rappeler les bienfaits d’un pouvoir qui a supporté votre gouvernement pendant que ladite communauté internationale vous bafoue dans toute l’étendue du terme.

M. Léon Charles, le représentant d’Haïti à l’OEA, votait contre la révolution bolivarienne au nom de ce même chef d’État haïtien qui avait reconnu la victoire en mai 2018 du président Maduro

Cet acte a aussi prouvé, une autre fois, une vérité de la Palice: la soumission irréductible de la classe politique traditionnelle haïtienne vis-à-vis de l’impérialisme américain et l’incohérence de l’actuelle équipe dirigeante. L’ambassadeur d’Haïti à Caracas, Lesly David, participait officiellement à l’investiture du président Maduro pendant que son collègue M. Léon Charles, le représentant d’Haïti à l’OEA, votait contre la révolution bolivarienne au nom de ce même chef d’État haïtien qui avait reconnu la victoire en mai 2018 du président Maduro. Cela fait moins d’un an.

Léon Charles, le diplomate de Moïse/Céant, n’a pas pu s’armer de courage, dans sa piètre supplique en cette tribune, pour expliquer que les problèmes que confrontent des émigrés vénézuéliens à la frontière de la Colombie, sont provoqués par les manœuvres antipopulaires des classes et fractions de classes réactionnaires vénézuéliennes sous le dictat de l’impérialisme américain. En réalité, c’est l’ensemble de la droite latino-américaine et des Caraïbes qui a prétexté, pour se liguer contre le bolivarisme des Chavez, des Morales, la consolidation d’une dictature (implicitement communiste) dans ce pays en pleine transformation sociale. Cette transformation ne saurait se réaliser, certes, sans que le pouvoir et le peuple en ébullition s’obstinent à garantir la souveraineté nationale et à sécuriser l’abondante richesse pétrolière de leur sous-sol en faveur des masses populaires.

L’appétit insatiable des classes dominantes nationales et internationales, de l’impérialisme et des suppôts avachis latino-américains et caribéens de ce dernier, se sent menacé. La lutte des classes qui a épousé aujourd’hui, dans le Venezuela rebelle, une forte violence, sortira toujours gagnante en faveur des classes exploitées toutes les fois que la révolution restera socialiste et fidèle aux idéaux du commandant Hugo Chavez. Que de coups d’État militaires ont déjà échoué! Cette-fois-ci, le complot a atteint une immoralité inédite avec cette prétention de ce fantoche se déclarant président et si vite reconnu par le chef de file impérialiste et ses sous-fifres canadien et latino- américains.

Le duo Jovenel/ Céant a pris une position qui leur ressemble.

Le duo Jovenel/ Céant a pris position qui leur ressemble. Ils disent n’avoir pas voté contre le Venezuela, mais pour la démocratie. Ils ne se sont pas gênés d’évoquer une telle excuse en présence du gouvernement du Honduras, dirigé par le président Juan Orlando Hernandez. Celui-ci qui se trouve idéologiquement logé dans le sillage du coup d’État militaire du 28 juin 2009 contre le président Manuel Zelaya légitimement élu, vient de bénéficier d’élections frauduleuses, le 26 novembre 2016. Il est important de rappeler ce fait parce que non seulement il n’avait pas le droit constitutionnellement de briguer une autre fois de suite ce poste de magistrature suprême mais toutes les données ont donné vainqueur son principal rival Salvador Nasralla, membre d’une coalition de gauche. Cette imposture a clairement montré que l’agressivité intolérable d’Edmond Meuller, premier responsable de l’O.E.A en Haïti lors des élections de 2010 en faveur de Michel Martelly au détriment de Jude Célestin, fait partie des statuts de cette organisation que Fidel Castro dans l’un de ses discours, avait déclaré déjà durant la décennie 1970, être en “putréfaction”.

le complot a atteint une immoralité inédite avec ce fantoche se déclarant président et si vite reconnu par le chef de file impérialiste et ses sous-fifres canadien et latino- américains.

Le président Jovenel qui, comme celui du Honduras, souffre réellement d’un déficit de légitimité, a froissé, avec son reniement, le sentiment internationaliste, baigné dans un profond nationalisme, des magnanimes forgeurs de l’État-nation d’Haïti.

Le président Jovenel qui, comme celui du Honduras, souffre réellement d’un déficit de légitimité, a froissé, avec son reniement, le sentiment internationaliste, baigné dans un profond nationalisme, des magnanimes forgeurs de l’État-nation d’Haïti.

La République d’Haïti a préludé à l’internationalisme prolétarien de Marx et d’Engels

La République d’Haïti a préludé à l’internationalisme prolétarien de Marx et d’Engels quelque quarante années avant le grand cri révolutionnaire de Marx et d’Engels, énoncé dans le Manifeste du Pari Communiste paru en 1847: « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ».

Avant même les apports inconditionnels connus et souvent cités de Dessalines à Miranda en février 1806 et ceux de Pétion pendant deux fois à Bolivar: d’abord en décembre 1815 et après, de fin septembre au 18 décembre 1816, la subversion anticolonialiste et antiesclavagiste traçait déjà ses premiers pas chez nous. Des militants haïtiens ont offert leur bravoure à d’autres peuples dans les Caraïbes et des Amériques, qui combattaient l’esclavage et le colonialisme. Leslie F. Manigat a rapporté les faits suivants: « Le nouvel État allait-il vouloir et surtout pouvoir remplir son fameux ‘ devoir internationaliste ‘ou se résigner à ‘ faire la révolution dans un seul pays’ selon le dilemme posé à toute révolution’… Des documents d’archives vénézuéliennes mentionnent les interventions et menées de noirs signalés comme des subversifs haïtiens sur la côte septentrionale. Les autorités coloniales anglaises interceptèrent à la Jamaïque des émissaires haïtiens venus organiser la révolution pour l’abolition de l’esclavage dans l’Île, qui furent condamnés à la peine capitale et furent pendus haut et court sur la place publique pour l’exemple ». (1)

 

Le duo Jovenel/ Céant a pris position qui leur ressemble

La déclaration suivante de Simon Bolivar explique dans quelle mesure l’aide haïtienne en vue de la libération de l’Amérique latine du joug espagnol était non seulement importante mais inégalable. Si Marx a proposé aux prolétaires de tous les pays de s’unir contre le capitalisme, Pétion, lui, a demandé à Simon Bolivar d’éradiquer l’esclavagisme partout où il levait l’étendard de la liberté. Entendons les propos de Bolivar rapporté par Leslie F. Manigat: « Quand finalement Bolivar, appelé par ses compatriotes à revenir prendre la direction suprême de la cause nationale, se vit dépêcher un vaisseau de guerre arborant le drapeau interdépendantiste avec rien moins à bord que Zea lui-même délégué’ en mission auprès du leader vénézuélien asilé pour une seconde fois en Haïti, il se résolut à partir une seconde fois de Jacmel le 18 décembre 1816 à la tête de la seconde expédition. Il avait la conviction de vaincre cette fois ‘pour de bon’. Il écrivit à Zaraza en janvier 1817, après son arrivée à Barcelone” J’ai en mon pouvoir tout ce que m’apporté l’escadre (venant d’Haïti) qui est enfin arrivée avec les armes et munitions dont nous avons tant besoin pour armer nos forces militaires. De sorte que nous avons les moyens de libérer toute l’Amérique » (2) qui ne s’appelait pas encore Amérique Latine. Le commandant Chavez n’avait jamais caché sa reconnaissance envers Haïti, ce pays frère. Il a matérialisé cette reconnaissance en des actes significatifs et a tenu souvent dans ses discours de paroles élogieuses envers le peuple haïtien.

Car, la dénomination ”Amérique-latine” n’a jamais été un concept neutre. Elle charrie une force idéologique. 

“L’Amérique- latine, c’est un concept proposé par Michel Chevalier en 1836. Michel Chevalier a délimité la région en priorisant ses aspects historiques et culturels communs sur la rentabilité économique. La région était centralisée d’abord sous l’orbite de l’empire et ensuite à l’époque républicaine du continent, sont entrées en dispute deux modèles d’intégration entre les nouvelles républiques”:

Ils se conduisent de nos jours comme le maître du monde.

“-D’un côté, le modèle bolivarien d’intégration avec son projet de la confédération sud-américaine basée sur une ligue perpétuelle d’ex-colonies espagnoles de la Anfictionia institutionnalisée lors de la célébration du congrès Anfictiónico de Panama en 1826 dans l’objectif de consolider la souveraineté des Etats qui récemment sont devenus indépendants dans la région”.

“- De l’autre, le panaméricanisme, le modèle qui finalement s’est imposé dont la racine se trouve dans le Discours dirigé au Congrès par le Président américain, James Monroe, en 1823 et matérialisé ensuite dans un long processus de balkanisation de la région avec la convocation de la Conférence Panaméricaine réalisée en 1889 à Washington”. (Traduction de l’auteur) (3)

De ces deux visions, c’est le panaméricanisme institué lors de la rencontre de Panama en 1826 qui en est sorti dominant. Malgré toutes les paroles flatteuses de Bolivar pour la remercier pour ses contributions internationalistes, la République d’Haïti y a été exclue beaucoup moins pour la couleur de la peau de la grande majorité de sa population que pour sa détermination révolutionnaire. Avec la doctrine de Monroe, le panaméricanisme pour reprendre Felix Caballero Escalante, est devenu une caisse de résonance de l’impérialisme américain.

Que retenons-nous de la doctrine de Monroe?

Le président américain pour construire sa forteresse impérialiste a dicté au Congrès de son pays un message qui avait l’air d’un énoncé de programme politique international plutôt qu’un simple discours traditionnel. Il s’était octroyé d’office comme fief des États-Unis d’Amérique, tout le reste du continent américain et les Caraïbes en laissant l’autre bout du monde aux puissances européennes. Depuis la moitié du siècle dernier surtout après la deuxième guerre mondiale avec le plan Marshall, Ils dament le pion même à ces dernières en s’étendant dans leur ”arrière-cour”. Ils se conduisent de nos jours comme le maître du monde. C’était:

L’ambassadeur d’Haïti à Caracas, Lesly David

“En 1823, que les Etats-Unis firent une importante déclaration de politique internationale… . Dans un message célèbre, adressé au Congrès, le président Monroe fit les déclarations suivantes”:

“1o- Les Etats-Unis s’abstiennent d’intervenir dans les affaires de l’Europe 2o- Les États-Unis considèrent l’Amérique fermée à la colonisation européenne 3o Les États-Unis verraient d’un mauvais œil l’intervention d’une puissance de l’Europe dans les affaires d’un État indépendant de l’Amérique.” (4)

La république d’Haïti possède-t-elle une politique internationale soutenue et indépendante?

Le professeur et historien Leslie F. Manigat a reposé toute une théorie des relations internationales sur une vision de Napoléon, ce conquérant esclavagiste et colonialiste, quand il a écrit que:

“La politique des États, a dit Napoléon, est dans sa géographie. Appliquant ce principe à la politique extérieure, celle-ci est la sœur cadette de la géographie, qui exerce son droit d’aînesse en lui faisant subir toutes ses exigences. Les exigences de la géographie d’Haïti se font sentir de différentes façons sur nos relations internationales. Les notions essentielles sont ici celles de configuration générale, d’espace, de position, de limites-frontières et d’ordonnancement du relief, du climat et de l’hydrographie “.(5)

Si l’on se réfère exclusivement à cette option de Manigat qui est plantée comme un axiome, l’on pourrait croire Haïti est définitivement condamnée à souffrir des menées et des caprices de tous les impérialistes. Pourtant, notre histoire de peuple a plusieurs fois démenti cette affirmation quelconque. Prenons-en quelques exemples emblématiques. Commençons d’abord par les tentatives de l’empereur Soulouque pour récupérer La Navase. Elle est une île située dans les eaux maritimes d’Haïti entre la presqu’île du Sud et la Jamaïque. Elle a été saisie par le gouvernement américain pour son guano qui est un engrais naturel qu’utilisaient surtout les cultivateurs américains dans leur ferme de coton .Le professeur Manigat nous a ainsi instruits: « Mais en 1858, à l’annonce de l’établissement de la compagnie américaine à la Navase pour y exploiter ‘le guano haïtien ‘sans autre forme de procès, Soulouque, empereur d’Haïti sous le nom de Faustin premier, dépêcha deux bateaux de guerre haïtiens portant ses deux envoyés spéciaux Hogarth et Louis Baron à la tête d’une expédition militaire de 400 hommes pour signifier à l’agent de la Compagnie sur place John Frazier, que La Navase faisait partie intégrante du territoire haïtien au même titre, prédisaient leurs instructions, que la Tortue, et la Gonâve et que, conséquemment, il devait cesser toute activité sur le champ, en attendant et en vue de solliciter et d’obtenir une licence haïtienne d’exploitation, si les travaux devaient être repris et poursuivis. L’agent de la compagnie obtempéra et signa même la sommation du gouvernement haïtien, à la suite de quoi le drapeau haïtien fut hissé et salué par les bateaux de guerre en rade. ».” (6)

Le gouvernement américain est intervenu de manière musclée pour contrecarrer la décision légale et légitime du dirigeant haïtien. Ce qui n’a pas intimidé l’empereur Soulouque qui a expédié une autre mission navale pour faire valoir son droit. Malheureusement, l’ambition de Geffrard pour renverser Soulouque n’a pas permis à ce dernier de poursuivre son objectif de ramener la Navase au patrimoine national.

Le gouvernement américain est intervenu de manière musclée pour contrecarrer la décision légale et légitime du dirigeant haïtien.

“Notons qu’en ces moments de la première contestation haïtiano- américaine au sujet de l’île, les représentants diplomatiques anglais (le vice-consul Byron) et français (le chargé d’affaires Mellinet) à Port-au-Prince s’étaient ouverts à l’empereur d’Haïti et à son chancelier de leur opinion favorable à la souveraineté haïtienne sur l’île adjacente en contestation, jusqu’à encourager tactiquement le gouvernement haïtien à protester de ses droits, mais Geffrard à cette date, était prêt à renverser l’empire et à rétablir la République à son profit. Il n’avait pas l’esprit occupé à faire prévaloir les droits et prétentions d’Haïti au sujet de la Navase”. (7)

Rares sont les gouvernements haïtiens qui ont repris les démarches pour recouvrer cette île. Quand la dictature de Jean-Claude Duvalier a octroyé une concession implicite à la voracité yankee, ce n’était nullement à cause du relief géologique de notre patrie et de la proximité géographique avec l’oncle Sam; c’était surtout par affinité idéologique dans la ligne de la politicaillerie haïtienne qui repose tout son pouvoir à la bonne volonté du département d’État et de la Maison blanche. L’invasion injustifiable de 1915 leur a ouvert grande la porte et leur a aplani le terrain pour l’exécution sans faille de la doctrine de Monroe…

“Sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, la visite et le bref séjour d’une poignée de radios-amateurs excursionnistes, même transportés dans l’hélicoptère présidentiel haïtien, à la Navase où ils eurent cependant l’occasion, la joie et la fierté de faire flotter le drapeau haïtien, avaient été toutefois précédés d’une sollicitation d’autorisation à débarquer dans l’Île et à y séjourner, qu’ils avaient pris le soin d’adresser au gouvernement américain avant le voyage, à travers des Garde-côtes des États-Unis, ce qui équivalait à la reconnaissance de l’autorité juridictionnelle américaine sur l’île….. Ceci est dit sans leur enlever leur mérite dans un contexte traditionnel haïtien généralement marqué par le manque d’intérêt, l’abandon incivique et l’apathie.”(8)

D’autres exemples de la fierté dessalinienne ont marqué notre vie de nation libre et indépendante nonobstant tous les obstacles naturels auxquels Haïti ne saurait s’esquiver. Nous nous arrêtons au courage d’Anténor Firmin qui servait en tant que Secrétaire d’État des Relations extérieures au président Florvil Hyppolite. Ils ont déjoué les prétentions impérialistes américaines sur la presqu’île du Môle Saint-Nicolas en dépit des menaces de l’amiral Bancroft Gherardi. Lisons les passages suivants tirés de la réponse d’Anténor Firmin du 22 avril 1871 à une correspondance de cet amiral du 2 février 1891.

“L’acceptation de votre demande avec une telle clause, serait, aux yeux du gouvernement de la République, un outrage à la souveraineté nationale de la République et une violation flagrante de l’article 1er de notre Constitution. Car, en renonçant au droit de disposer de son territoire, il en aurait consenti à l’aliénation tacite”…

“Profondément confiant dans votre loyauté et votre sentiment d’équité, j’ose espérer que vos Excellences saisiront parfaitement que le refus d’accorder aux États-Unis l’affermage du Môle Saint Nicolas pour une station navale n’est pas de la part du gouvernement haïtien un acte de méfiance ou de mauvaise volonté. Il est la conséquence d’un double empêchement devant lequel a dû fléchir notre vive sympathie et notre sincère attachement à la plus glorieuse et à la plus généreuse république du nouveau monde et peut-être du monde moderne.” (9)

Ces deux cas précités ont démontré que dans la lutte dialectique entre force interne/ force externe, c’est la force interne qui demeure déterminante en dernière instance pour reprendre Louis Althusser. La sagesse populaire haïtienne l’exprime clairement « si anndan pa bay, deyò pa ka pran »

Cela n’est possible que si les conditions adéquates s’imposent.

La lâcheté du président Sténio Vincent dans la façon dont il a traité, avec son pair- dictateur de la République dominicaine, le président Trujillo, le massacre de plus de 20.000 Haïtiennes et Haïtiens en 1937 est due à l’absence de ces conditions adéquates. L’attitude de Vincent ne traduit nulle autre chose que le mépris de la classe politicienne traditionnelle des masses populaires et son” abandon incivique et son apathie” pour répéter L.F. Manigat. L’incident géographique n’a rien à voir avec le jugement d’un président de la République pendant qu’un autre sur la même île, a ordonné le massacre de ses concitoyennes et concitoyens. D’ailleurs même si à cette époque des milliers de nos frère et sœurs allaient vendre leur force de travail à Cuba et en République dominicaine après avoir été chassé de leur terre par le grandes concessions américaines pendant l’occupation, le pays voisin ne se portait pas mieux que nous économiquement. Julio J. Pierre-Audain nous a légué en mémoire le point suivant :

“Mon devoir en tant que chef de cabinet était d’aller me renseigner auprès du président de la véracité de la note du journal. Ce que je fis en pénétrant dans son bureau. À peine dans son bureau, le président me prit à partie en ces termes : “Vos amis, les dominicains, viennent de tuer quelques haïtiens, en ajoutant de voleurs certainement. Vous connaissez nos compatriotes”… Désarçonné, je demandai au président : À combien s’élevait le nombre des victimes? Quatre morts et une huitaine de blessés” (10)

Le suivisme de Jovenel/Céant nous a confirmé qu’Haïti se trouve toujours sous l’emprise de la doctrine de Monroe.

Avec un tel préjugé, on ne saurait attendre du président une protestation en bonne et due forme. La colère populaire l’a forcé à esquisser un faux semblant de négociation qui en réalité a profité davantage au chef massacreur voisin qu’au peuple haïtien en général et aux innocentes victimes en particulier. Il s’est caché derrière un faux prétexte que le peuple haïtien est un peuple doux, pacifique. Les premiers habitants de l’île avaient ce caractère. Pourtant, ils s’étaient révoltés contre les envahisseurs espagnols qui voulaient les abêtir. Quel honteux prétexte, alors!

Suzy Castor nous a aidés à bien mesurer la pusillanimité de Vincent qui, président, est devenu un collaborateur impénitent impérialiste. Son dévouement envers le pouvoir américain nous a permis de comprendre qu’il ne faisait que tromper ses compatriotes dans ses positions contre l’occupation, car son nationalisme n’était en fait que circonstanciel. D’ailleurs, la désoccupation n’a jamais vraiment eu lieu malgré le simulacre de départ des Américains en 1934. Point n’est besoin de marines pour définir l’occupation comme l’a si bien dit Karl Levêque. Suzy a écrit: « En réalité, cet argument n’était qu’un prétexte pour justifier une politique d’abdication. En effet, les termes dans lesquels le gouvernement haïtien s’était adressé au président Trujillo et la rapidité avec laquelle on avait publié la déclaration conjointe, le 15 octobre, montrait clairement que le président Vincent n’avait jamais eu l’intention d’affronter son voisin ni sur le plan militaire, ni sur le plan diplomatique. Il s’agissait d’une nouvelle manifestation de la politique d’abdication adoptée par le président quelques années auparavant, au moment de la négociation du retrait des troupes américaines du territoire haïtien ».(11)

Finalement un accord qui a accouché pour nous de ce côté de l’Île d’une petite souris a été signé entre les deux chefs d’État

“En Haïti, l’indignation de l’opinion publique se transforma en un grand sentiment d’impuissance. Une fois de plus, Vincent trahissait les intérêts nationaux. Comme le dit le journaliste Albert Hicks: ‘À supposer le nombre de morts eût été de quinze mille, l’indemnisation signifiait que Trujillo avait payé cinquante dollars par Haïtien. Dans son calcul Albert Hicks n’a pas tenu compte du fait que le gouvernement haïtien ne reçut que le premier paiement de deux cent cinquante mille dollars. En définitive chaque Haïtien lui a coûté 12 dollars. (Le montant total de l’indemnisation était de sept cent cinquante mille dollars US. (12)

Nous fermons ce dossier relatif à ces deux visions différentes de notre diplomatie- celle des Soulouque, des Hyppolite/ Firmin qui ont placé l’intérêt de la nation au-dessus de tout et celle des Vincent, Duvalier, Moïse, avec le vote de Punta del Este.

Le vote de Punta del Este.

Le 13 janvier 1962, en Uruguay sur la plage balnéaire de Punta del Este, a eu lieu le vote haïtien de la honte. L’Organisme des États américains, OEA, disons mieux, le gouvernement américain avait besoin d’une voix en plus pour chasser le Cuba socialiste de cet outil diplomatique fondé en 1948. C’est un instrument créé par le pouvoir américain pour donner un nouveau souffle à la doctrine de Monroe. C’est pourquoi, il a toujours été mis presqu’au service exclusif des intérêts capitalistes américains. Le chantage du dictateur François Duvalier pour vendre son vote se veut encore une preuve que l’intérieur est déterminant dans les conflits même avec les puissances étrangères. Le sinistre Papa Doc qui n’était pas en odeur de sainteté avec le président Kennedy, a conditionné la voix de son gouvernement à une aide financière. Il a résisté à toutes les pressions du diplomate américain Dean Rusk jusqu’à ce qu’il trouvât ce qu’il cherchait, de l’argent au bénéfice de son pouvoir. L’Alliance pour le Progrès, fondée l’année précédente par le président Kennedy, pour barrer la route au communisme, ne lui avait rien apporté. Pourtant, en réalité son anti communisme primaire le plaçait plus près des Américains que de la révolution cubaine, ce que savait bien le président Kennedy. Pour défendre son intérêt immédiat, Duvalier a su faire une exhibition de sa détermination à se montrer autonome. Anthony  Georges- Pierre qui a toujours été un fidèle duvaliériste, a ainsi témoigné: « En cette occasion, le Président  Duvalier avait maintenu deux fers au feu. En condamnant le régime communiste à Cuba, il prenait parti pour les États-Unis. En critiquant la politique d’aide économique américaine à Haïti, il avait profité des circonstances favorables pour livrer bataille et réclamer une assistance plus raisonnable de la part des États-Unis. La tribune de l’OEA, à Punta des Este, lui offrait une opportunité extraordinaire pour défendre la cause haïtienne et obliger les Américains, dans un geste de solidarité, à ouvrir leur bourse à la pauvre Haïti ».  (13)

L’incongruité du duo Moïse/Céant se trouve dans la ligne droite de Punta del Este. On doit noter seulement une différence énorme entre les deux situations. François Duvalier a su saisir le moment opportun pour se tirer d’affaire même au prix de la honte tandis que Jovenel Moïse a lâché prise sans coup férir. Quand le fils ne dépasse pas le père, comme on a l’habitude de  dire, c’est qu’il n’y a pas de progrès dans la famille. Entendons dans la famille duvaliériste. En définitive, la solution à cet imbroglio, nous a appris l’histoire universelle, tout en tenant compte de la spécificité de chaque entité nationale,  que les rapports de force généralement tournent en faveur des masses quand elles sont conscientes du jeu de leurs intérêts. Le suivisme de Jovenel/Céant nous a confirmé qu’Haïti se trouve toujours sous l’emprise de la doctrine de Monroe. Les exemples de Soulouque et d’Hyppolite avec Firmin nous ont aussi convaincus que Kabrit gade je mèt li anvan li rantre nan jaden.

Marc-Arthur Fils-Aimé
24 janvier 2019

 Notes

  1. Leslie F Manigat Eventail d’Histoire Vivante d’Haïti Tome 1. Collection du CHUDAC. Port-au-Prince Haïti 2001. P245
  2. Leslie F Manigat ibid. P254
  3. Felix Caballero Escalante”América Latina, concepto propuesto por Michel Chevalier en 1836, el cual delimita a la región priorizando sus aspectos históricos y culturales comunes más que por su rentabilidad económica [1], estuvo centralizada bajo la órbita del Imperio, luego, ya en la época republicana del continente, entraron en disputa dos modelos de integración entre las nuevas repúblicas:

–  el modelo bolivariano de integración, con su proyecto de la Confederación suramericana basada en una Liga Perpetua de excolonias españolas de la Anfictionía, institucionalizado con la celebración del Congreso Anfictiónico de Panamá en 1826, con el fin de consolidar la soberanía de los Estados recién independizados en la región.

–          Por el otro lado, está el modelo que finalmente se impuso, el panamericanismo, cuya raíz se encuentra en el Discurso dirigido al Congreso del Presidente James Monroe de 1823 y materializado, luego de un largo proceso de balcanización de la región, con la convocatoria de la I Conferencia Panamericana realizada en 1889 en Washington.

  1. Histoire d’Haïti. Cours supérieur par DC J-C Dorsainvil. Editions Henri Deschamps. P315
  2. Leslie F Manigat ibid Tome 4 P.102
  3. Leslie F Manigat ibid Tome 5 P.491
  4. Leslie F Manigat ibid Tome 5 P.491
  5. Leslie F Manigat ibid Tome 5 P.494
  6. Dr Jean Price-Mars in Anténor Firmin P. 293 et 294
  7. Julio J. Pierre Audain” Les ombres d’une politique néfaste. Mexique 1976. P. 127.
  8. Suzy Castor” Le massacre de 1937 et les relations haïtiano-dominicaines. Centre de recherche et formation Économique et Sociale pour le Développement (CRESFED) 1988. P 24.
  9. Suzy Castor” P. 34-35
  10. Anthony Georges- Pierre”François Duvalier Titan ou tyran. 2e Édition. Imprimé à Educa Vison Inc.P.771

 

 

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