Après quatre années passées à suivre, dans l’hebdomadaire Haïti Liberté une Tribune sans complaisance ni acharnement non plus, la présidence de Jovenel Moïse jusqu’à son assassinat le 7 juillet 2021, nous avons décidé de mettre un terme à cette chronique. Avant cette décision, la discussion avec notre équipe était: faudrait-il oui ou non continuer de suivre la politique haïtienne, alors même que rien ou presque n’a changé depuis toutes ces années qu’on cogite sur ce pays ? D’autres chroniqueurs et observateurs politiques ne sentant plus leur force, et sans doute découragés, n’ont pas posé de questions. Ils ont tout naturellement rangé leurs crayons dans leur trousse et sont partis faire autre chose. Estimant qu’il n’y a pas moyen de progresser en passant leur vie à chercher, analyser, décortiquer sans aucun espoir de voir le changement qu’ils espèrent tant.
Pour nous aussi, le débat a été rude. Haïti, oh c’est compliqué ! Nous sommes parvenus à la conclusion : « s’arrêter », est-ce la bonne décision dans la mesure où nous ne sommes pas les plus mal lotis que des millions de compatriotes qui continuent nuit et jour à lutter et sont prêts à donner leur vie pour que ça change ? Peut-on les laisser seuls dans ce combat sans leur apporter, au moins, quelques éléments d’analyse leur permettant de mieux comprendre les raisons de leur lutte. La réponse a été non. Ainsi, mais pas de gaîté de cœur car nous sommes aussi fatigués, il a été décidé d’un commun accord de poursuivre ce chemin de croix et d’accompagner ces millions de gens qui ne rêvent que d’un mieux-être. Alors, comme nous l’avons toujours fait dans des moments difficiles, des périodes troublées où la confusion, le mensonge, la mauvaise foi et les non-dits s’érigent en dogmes, nous allons nous concentrer sur une thématique, une seule, celle dont tous les acteurs politiques et de la Société civile parlent en réalité depuis cinq ans : la Transition.
Cette transition qui, le moins que l’on puisse dire, s’est régie en système politique en Haïti depuis plus de trois décennies. A partir de la semaine prochaine, nous allons donc, comme on l’avait fait avec la série de « chroniques » sur le processus électoral de l’ère Michel Martelly entre 2011 et 2016, suivre jour après jour l’évolution de la transition politique afin de vous permettre de faire votre propre idée de cette Transition post-Jovenel Moïse qui, en vérité, a commencé depuis le jour de son assassinat à Pèlerin 5, six mois avant la fin de son quinquennat. Comme d’habitude, on va essayer de vous éviter le piège que les uns et les autres des protagonistes, par une sorte de terrorisme intellectuel, tenteraient de vous faire accepter. Cette rubrique s’intitulera : Haïti, d’une Transition à l’autre. A juste titre, puisque pour le moment personne ne sait jusqu’à quand cette énième transition prendra fin. D’ailleurs, il serait bon de le savoir, afin qu’on sache de quelle transition il s’agit aujourd’hui. Est-ce celle débutée le lendemain de la chute de la famille des Duvalier en 1986 ? Ou celle après le meurtre politique de Jovenel Moïse le 7 juillet 2021 ?
Enfin, s’agit-il de la transition de la fin de son mandat qui devrait arriver à terme le 7 février 2022 ? Certains, comme d’habitude, vont certainement faire l’amalgame entre ces dates. Comme toujours en Haïti, il va avoir, sans nul doute, une bataille de chiffonnier sur le début et la fin de cette énième transition. On est presque certain que tous les « experts en conjonctures », les constitutionnalistes vont reprendre du service. Comme il y en a eu sur la fin du mandat du défunt Président de la République avec les partisans du 7 février 2021 et ceux du 7 février 2022. Une pseudo-polémique sur des dates dont on peut supposer qu’elles ont été prises en compte dans la chronologie et l’agenda de l’exécution du chef de l’Etat. Cette Transition sera-t-elle, enfin, la dernière du cycle trentenaire ouvert le 7 février 1986 ? Ou sera-t-elle le début d’un nouveau cycle d’instabilité politique qui durera encore 30 longues années ? Personne n’a de réponses.
Les signataires de différents Accords, surtout ceux du 11 septembre au pouvoir depuis, et ceux du 30 août qui cherchent à les écarter pour prendre la place, sont aujourd’hui incapables de donner la moindre garantie sur la durée d’une « Transition de rupture » à laquelle ils travaillent pourtant depuis le lendemain de l’arrivée du feu Président Jovenel Moïse à la présidence, c’est-à-dire, depuis 2017. Car, dans les deux camps, ce sont les mêmes acteurs rejoints par quelques opportunistes de tous bords qui s’égarent souvent en cours de route surtout quand le chemin est trop long. Certains, impatients du temps qui passe si lentement, finissent par embrasser la première opportunité trouvée. Mais, l’histoire demeure implacable. Elle est toujours là pour leur rappeler qu’ils finiront par perdre quelle que soit la trajectoire empruntée. Cette nouvelle rubrique se donnera pour objectif de se concentrer uniquement sur la marche de « Cette Transition qui n’en finit pas » comme disait déjà si longtemps le journaliste et écrivain Pierre Raymond Dumas.
La preuve qu’on n’a pas avancé d’un pouce depuis. D’ailleurs, Dumas aussi s’interroge dans un texte publié dans le quotidien Le Nouvelliste le 25 octobre dernier en se demandant si « La transition post-Moise sera-t-elle la dernière ? » Bien malin celle ou celui qui donnera une réponse en ce début d’année 2022. Entre les acteurs eux-mêmes, il y a controverse, divergence, voire désaccord sur la durée de cette nouvelle transition. Les uns pensent qu’il faudra deux à trois ans pour mettre en place tous les mécanismes nécessaires avant d’arriver aux élections. Les autres, plus pressés, mais encouragés par le gouvernement américain et le Core Group, veulent aller rapidement en organisant, au plus vite, si possible au cours de cette année 2022, des scrutins généraux. Mais, aucun ne sait comment y parvenir et surtout comment mettre tout le monde d’accord. Or, sans ce consensus, point d’élections acceptables par tous et donc pas de stabilité politique, ce qui est le premier élément, sinon la condition sine qua non pour sortir définitivement de la Transition.
Pourtant, il faudra bien que les deux parties accordent au plus vite leur violon. Et pour cause. Il y a la fin de mandat des dix derniers sénateurs qui arrive à grand pas. Sans oublier la fin de la légitimité par procuration du Premier ministre a.i Ariel Henry le 7 février prochain, date de la fin du mandat constitutionnel du feu Président Jovenel Moïse. Comme on le voit, ce ne sont pas des sujets qui manqueront à cette nouvelle rubrique qui, nous l’espérons, sera la dernière dans le processus de la stabilisation politique de ce pays qui souffre de l’incapacité de ses élites à assumer leurs responsabilités pour le bonheur de leurs concitoyens. Ainsi, à partir de la semaine prochaine, nous ouvrons un nouveau chapitre sur la « Nouvelle Transition » qui démarre effectivement au début de cette année 2022. Espérons que les lectrices et lecteurs de cette nouvelle rubrique ne seront pas déçus de ce changement et qu’ils continuent d’avoir en tant que citoyens responsables leur propre opinion sur les choses vues, lues et entendues.
C.C