Jovenel Moïse, une nouvelle Constitution, quoi qu’il en coûte !

(dernière partie)

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L’ancien Président de la Cour de Cassation, Me Boniface Alexandre en marge de la rencontre avec la presse à Ritz Kinam le 9 décembre 2020.

Le mercredi 9 décembre 2020, sur radio Magik 9, Georges Michel, comme à son habitude, n’a pas fait dans la langue de bois pour juger l’attitude de deux responsables du Comité Consultatif Indépendant (CCI) qui ont déjà jeté à la poubelle de l’histoire sa Constitution. « Je trouve que l’ex-Président Boniface Alexandre a perdu de sa crédibilité à plus de 80 ans. L’ancien général Hérard Abraham a également perdu de sa crédibilité. Il se comporte de la même façon que le maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, qui avait accepté de collaborer avec Hitler au lieu de continuer à combattre aux côtés du général De Gaulle ». Toujours d’après l’ex-Constituant de 1987 qui dit être prêt à défendre jusqu’à son dernier souffle la Charte fondamentale, l’œuvre de l’Assemblée constituante de 1987, « Cette Commission travaille en vase clos alors que l’Assemblée constituante de 1987 travaillait à portes et à fenêtres ouvertes. Tout le monde pouvait participer aux réunions et faire des suggestions et les débats qui duraient quatre mois étaient publics » dit-il. 

 Enfin, l’historien croit que le chef de l’Etat a changé d’avis en cours de route sur le processus de la reforme constitutionnelle « Initialement, le projet du Président Jovenel Moïse a été de mettre sur pied une Assemblée constituante, ce qui aurait été quand même anticonstitutionnel et illégal. Réalisant qu’il n’avait aucune chance de contrôler cette Assemblée constituante qui allait délibérer librement, il a laissé tomber l’idée et créé de préférence une Commission lamayòt composée de cinq Séide », selon lui. Pour autant, le Comité que Georges Michel appelle : Commission « Fo mamit » ne se laisse ni distraire ni impressionner par les critiques acerbes de l’opposition et de la Société civile pour accélérer dans la problématique de la nouvelle Constitution. Du « Régime politique à l’Exercice des droits fondamentaux, de la citoyenneté et de la souveraineté à la gouvernance administrative », tout a été décortiqué sans oublier de mettre en exergue les maux qui ont fait énormément tort à la nation. Après ce procès intenté contre la Constitution post-dictature, les « Sages » ont clairement démontré leur préférence pour un « Régime présidentiel » fort tout en se débarrassant au passage du Sénat de la République qui serait, selon eux, un doublon par rapport à la Chambre des députés qui joue déjà le rôle de contre-pouvoir et de contrôleur des actes du pouvoir Exécutif. 

 Il est aussi question de revenir à la peine capitale en Haïti. En tout cas, c’est ce qu’a révélé l’ancien Président de la Cour de Cassation, Me Boniface Alexandre en marge de la rencontre avec la presse à Ritz Kinam le 9 décembre 2020. Selon le Président du CCI, la peine de mort est à l’étude par le Comité dans le cadre du projet de la nouvelle Constitution. D’après les « Eléments pour l’élaboration du projet de la nouvelle Constitution », il faut « Reprendre le fil de l’histoire nationale » et en vertu de la modernité, de la gouvernabilité et de la démocratie, il ne faut pas avoir peur du changement. Et selon Me Boniface Alexandre et ses collègues, « C’est dans cette voie historique que le Président Jovenel Moïse entend engager la nation haïtienne à travers une nouvelle Constitution. 

(1) Au régime politique ; (2) À la gouvernance administrative ; (3) À l’exercice des droits fondamentaux, la souveraineté et de la citoyenneté.

 Aux termes de l’article 2 du décret du 28 octobre 2020, cette Constitution doit « prendre en compte l’évolution du contexte institutionnel, politique, économique, social et culturel du pays ». En guise de conclusion, dans le cadre de la « Note de cadrage » de cette longue analyse sous forme de réquisitoire, les « Sages » se défendent d’avance quand ils écrivent : « Au lieu de dire le « Projet de changement de Constitution est anticonstitutionnel », la question est de savoir dans quelle mesure les protocoles de participation des citoyens aux discussions qui seront mis en œuvre permettent de parvenir à un compromis national sur ce qui constitue à l’heure actuelle le Bien commun de la nation haïtienne… » « Il s’agira d’entendre ou de consulter toutes les forces vives de la nation, dans l’optique de parvenir à un grand compromis sur les grands enjeux constitutionnels liés, notamment : (1) Au régime politique ; (2) À la gouvernance administrative ; (3) À l’exercice des droits fondamentaux, la souveraineté et de la citoyenneté. 

 Enfin, il y a la seconde partie de ce document de l’Elaboration du projet de la nouvelle Constitution qui est résumé sur une quinzaine de pages. Cette partie est, en fait, le calendrier ou l’agenda que le Comité Consultatif Indépendant s’est donné pour avancer dans son travail de préparation avant la rédaction proprement dite de la Charte fondamentale. Divisée en trois  phases distinctes, la première phase la plus chargée, court du 25 novembre 2020 au 31 décembre 2020, elle s’intitule : les points de discussions. C’est au cours de cette phase préliminaire que les trois grandes thématiques du document seront débattues où il y aura des propositions et des contre-propositions venues des experts et des citoyens appelés à venir débattre avec les membres du Comité de différents articles de la Constitution de 1987. Durant tout le mois de décembre 2020, presque tous les Secteurs de la vie nationale sont invités soit dans les locaux du CCI soit dans des endroits neutres à venir discuter et donner leur avis sur la marche à suivre. 

Georges Michel

Selon le document, le Secteur privé, les représentants des partis politiques, de la presse, des personnalités de premier plan, des experts nationaux et internationaux, etc. seront conviés à prendre part à l’élaboration du document avant la rédaction finale de la Constitution.  Selon la « Note de cadrage » du Document publié par le CCI, « La documentation existante ainsi que les experts intéressés seront aussi consultés afin d’aboutir à un travail consensuel tenant compte de la réalité haïtienne, des desiderata de la population et de l’opinion publique. L’avant-projet du texte constitutionnel élaboré suite aux échanges et discussions avec les différents acteurs et groupes de la société et de la diaspora sera soumis aux acteurs institutionnels et à des personnalités de la société civile pour une dernière appréciation avant la soumission du texte final au vote référendaire.» Quant à la phase II de l’agenda, elle démarrera le 4 janvier 2021 pour prendre fin le 26 février 2021. Elle consiste à présenter le projet aux acteurs institutionnels, aux organisations et responsables de la Société civile et aux leaders de la Diaspora afin de constater si tous leurs arguments, suggestions, et propositions ont bien été respectés après le dépouillement de l’ensemble des données. 

 Une fois cette dernière manœuvre approuvée par les différents acteurs impliqués dans le projet, le Comité se lancera entre 10 et le 24 février 2021 à l’écriture du texte final et du Rapport du projet qui seront remis au chef de l’Etat, Jovenel Moïse, le 26 février 2021. Un exercice qui constituera aussi la fin de la mission du Comité Consultatif Indépendant. La  phase III, en effet, ne concerne que le chef de l’Etat dans la mesure où les « Sages » l’ont réservée à la mise en œuvre du processus référendaire dont seul le Président de la République détient les prérogatives pour convoquer le peuple en ses comices et donner ainsi le coup d’envoi de la campagne sur le référendum populaire annoncé pour le mois de mars 2021. Afin de donner corps au document mis en circulation par le CCI, son Président, Me Boniface Alexandre, a donné le jeudi 3 décembre 2020 une longue interview au quotidien Le Nouvelliste afin d’exposer sa vision de la nouvelle Charte fondamentale qu’il est en charge de produire en collaboration avec ses quatre coéquipiers et certainement avec le support technique des experts étrangers dont l’OIF et éventuellement de l’OEA et de l’ONU. 

jamais un Président de la République, depuis François Duvalier, n’a eu autant de pouvoir en Haïti.

 Ce qui n’est pas à exclure vu que le Président Jovenel Moïse cherche, depuis le début, à se protéger  par une sorte de police d’assurance auprès de la Communauté internationale au cas où  l’affaire tourne mal. Dans cette interview, l’ancien Président provisoire de la République refuse le terme de violation de la Constitution dont on accuse son lointain successeur.  Lorsqu’on lui demande pourquoi il a accepté de rentrer dans ce jeu ? L’ancien Président de la Cour de cassation répond « Quel gros mot ! Personne ne m’a demandé et ne saurait me demander, au soir de ma vie, de violer la loi mère. On travaille pour proposer à la nation haïtienne un projet d’une nouvelle constitution. Le peuple sera appelé à la ratifier ou la rejeter par référendum. Il n’y a pas d’exercice plus démocratique que d’appeler les citoyens à se prononcer sur leurs institutions publiques, sur le régime politique qu’ils veulent pour eux-mêmes et leurs descendants. 

 Notre souci primordial, c’est de rechercher un régime politique qui garantira la stabilité politique et le développement économique durable. » Comme on le voit, le  Président Jovenel Moïse est bien entouré pour continuer à marcher vers sa gloire et, le moins que l’on puisse dire, jamais un Président de la République, depuis François Duvalier, n’a eu autant de pouvoir en Haïti. S’il fallait encore une preuve pour comprendre que l’opposition est sur le point de perdre cette bataille qu’elle a entamée il y a près de trois ans contre le Président Jovenel Moïse, il suffit de lire les deux décrets publiés le 26 novembre 2020 au journal officiel Le Moniteur. L’un et l’autre portent sur la liberté publique et la liberté individuelle et à ce rythme-là, d’ici 2022, il peut se passer des choses très graves pour la liberté politique dans ce pays sinon effrayantes même pour la liberté individuelle comme du temps de la dictature d’un certain docteur nommé François Duvalier dit Papa Doc. Mais, pour le moment, Jovenel Moïse ne fait qu’ajuster ses tirs, en attendant que le Comité Consultatif Indépendant lui délivre clef en main sa nouvelle Constitution et ce, quoi qu’il en coûte. (Fin)

 

C.C

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