L’expression « incorrigible » peut être affublée facilement au Président Jovenel Moïse. Mais, il y a aussi place pour une multitude d’autres tant l’homme est incontrôlable depuis qu’il s’est rendu compte de sa supériorité politique sur ses opposants politiques. Pour certains, l’homme est un provocateur politique qui, à chaque fois que l’occasion lui est présentée, ne tremble pas pour accuser ses adversaires de tous les maux. Les provoquer en duel. D’autres, en revanche, estiment qu’il n’est ni plus ni moins qu’un malade mental. Donc, inutile de le prendre au sérieux quand il est dans ses délires, alors que ses jours sont comptés au Palais national. Les premiers qui finissent par comprendre qu’il ne faut plus sous-estimer la capacité de nuisance de Jovenel Moïse pensent que l’homme est plus dangereux politiquement, voire, idéologiquement qu’il n’y paraît.
Pour eux, il n’y a rien de folie chez cet inconnu de la République devenu l’homme le plus puissant d’Haïti depuis la chute de la dictature des Duvalier il y a plus d’une trentaine d’années. Ils disent que Jovenel devient trop menaçant sur le plan politique pour être considéré comme un simple faible d’esprit ou quelqu’un qui serait en état de démence. Derrière les attaques et les sorties politiques violentes de Jovenel Moïse contre ceux qu’il croit être ses ennemis politiques, il y a autre chose. Il existe certainement un fondamental. Quelque chose qui le nourrit idéologiquement. En clair, Jovenel Moïse n’est pas fou. Ce serait une grosse erreur de croire le contraire. Pourtant, les tenants de la folie chez Jovenel Moïse croient dur comme fer qu’il l’est. Sinon, jamais, d’après eux, un Président qui ne fait que compter les jours ou plus précisément pour qui chaque jour qui passe peut être considéré comme une grande victoire à la tête du pays, ne pourrait être si lucide ; si confiant ; si sûr de ses agissements jusqu’à se croire infaillible. Ils le trouvent même arrogant.
Jovenel est devenu dangereux non seulement pour l’ensemble de la société mais pour lui-même et son entourage proche
Pour ceux qui demeurent persuadés que la démence s’est emparée de Jovenel Moïse, il est indéniable que la haine et le mépris exprimés par l’occupant du Palais national à l’égard des oppositions ne peut s’expliquer que par une perte totale de la faculté de comprendre ce qui se passe autour de lui en ces temps où le chaos menace la République d’un moment à un autre. Oui, selon eux, Jovenel Moïse n’est plus sain d’esprit. Pour les partisans de la théorie de la folie, c’est une raison fondamentale pour, justement, chasser le plus vite ce malade mental de la présidence avant qu’il ne soit trop tard. Car, d’après eux, Jovenel est devenu dangereux non seulement pour l’ensemble de la société mais pour lui-même et son entourage proche. Il faut vite l’arrêter ! On a compris, comme d’habitude, en Haïti chaque fin de mandat d’un Président de la République devient non seulement problématique pour l’opposition mais pour l’intéressé lui-même. A quelques exceptions près, c’est cette affaire de fin de mandat qui, dans une large mesure, incite les chefs d’Etat haïtiens en fonction soit à devenir dictateur en jouant sur une fibre nationaliste vis-à-vis de l’extérieur ; soit à s’imprégner d’un populisme face à l’opposition qui le conduit vers la présidence à vie.
Dans cette quête de pouvoir permanent, voire absolu, il n’y a en fin de compte pas de place pour le hasard encore moins pour la folie d’un homme cherchant à se faire passer pour ce qu’il n’est pas. La vérité est que tous les Présidents haïtiens en responsabilité n’oublient jamais qu’ils peuvent réussir là où les autres ou leurs prédécesseurs ont échoué dans leurs tentatives de garder le pouvoir à la fin de leur mandat constitutionnel. Si l’on revient au cas de Jovenel Moïse, on l’a dit, c’est plus délicat en cette année de 2021 d’affirmer avec certitude qu’il veut rester au pouvoir ; dans la mesure où le débat sur la fin de son mandat fait face à des prescrits constitutionnels qui sont loin d’être évidents pour tout le monde : juristes et non juristes ; partisans et adversaires. Si les oppositions au Président affirment avec force de conviction qu’il devait partir depuis le 7 février, selon, évidemment le fameux article 134.2 qui est d’ailleurs, le point de la discorde.
Il faut reconnaître, sans pour autant être un partisan, qu’il y a matière à discussion qui pourrait durer des mois le temps, sans doute, qu’on arrive ou qu’on aboutisse à l’autre singulier article traitant justement de la durée du mandat présidentiel, l’article 134.1 ignoré totalement ou presque dans le débat. Ces deux articles sont les éléments clés de la théorie du verre à moitié plein et à moitié vide. A chaque protagoniste de choisir ce qui lui plaira et de rejeter l’autre à la poubelle constitutionnelle. Cela se joue à l’aune du contenu du verre. C’est exactement ce qui s’est passé et qui se passe encore avec les manifestations de l’opposition d’une part et la résistance, voire les provocations du Président Jovenel Moïse d’autre part. En vérité, n’étant pas juriste et encore, puisque même ceux qui le sont ont du mal à nous convaincre puisqu’ils ne sont pas plus lucides ni plus convaincants que le commun des mortels sur la question, on est un peu perdu en somme.
Au risque de passer pour des idiots ou des opportunistes, on préfère continuer à plancher sur la question, histoire de comprendre. Car, comme les deux écoles évoquées plus haut, à savoir ceux qui voient en Jovenel un fou à lier et ceux qui le considèrent comme un provocateur plus qu’autre chose, on penche plutôt pour un Président, mis à part son côté théâtral quand il est devant ses partisans comme c’était le cas à Fort-Liberté le vendredi 5 février 2021 ou à Port-de-Paix durant la période carnavalesque des 14, 15 et 16 février 2021, qui croit qu’il a raison de ne pas démissionner en lorgnant sur une « contradiction constitutionnelle » devenue une « absurdité politique ». Puisque, assez bizarrement, les deux parties opposées ont chacune raison suivant la façon dont ils regardent le verre. Le seul problème, avant que la société politique (l’ensemble des acteurs impliqués) n’apporte la solution à cette anomalie politico-constitutionnelle par une vraie réforme constitutionnelle, c’est que les protagonistes d’aujourd’hui refusent de s’asseoir autour de cette problématique que rien ni personne, d’ici et d’ailleurs, ne peut résoudre sans leur accord ou leur consentement.
Les oppositions au Président Jovenel Moïse peuvent beau solliciter la population haïtienne et la terre entière pour les aider à renverser celui-ci avant le 7 février 2022, date à laquelle le débat n’aura plus aucun sens, même si elles ont raison en partie seulement, elles auront toujours du mal à être toutes seules dans la vérité. Ainsi, de même pour le pouvoir. Le chef de l’Etat peut parcourir toute la République pour prendre la population à témoin dans le but de résister aux appels de ses opposants, il ne pourra jamais convaincre tout le monde y compris toute la Communauté internationale, qu’il est le meilleur Président que Haïti n’ait jamais eu et de fait qu’il doit rester aux commandes du pays. La vérité est qu’il est au bon endroit et à un moment où personne n’aurait fait ni dit le contraire. Donc, ses « Cris de Fort-Liberté » et ses « Menaces de Port-de-Paix » lancés comme une sorte de bravades guerrières ne sont en réalité destinées qu’à intimider ses adversaires politiques et particulièrement ceux qu’il considère comme les tenants du « Système ».
il pourra poursuivre ses réformes institutionnelles même dans la confusion la plus générale avec le referendum constitutionnel en ligne de mire
Il faut connaître l’histoire de ce pays dès l’origine de sa fondation en tant qu’Etat né et nourri dans le sang et par l’injustice sociale et la discrimination pour bien articuler le sens des mots répétés à l’envi par le Président Jovenel Moïse le 5 février 2021 dans le chef lieu du département du Nord-Est, Fort-Liberté anciennement Fort Dauphin. Quand, devant une foule en délire, il lance : « Vous avez assassiné des Présidents, vous avez exilé des Présidents, vous avez emprisonné des Présidents. Mais, n’oubliez pas, il y a un dernier Président qui restera au travers de votre gorge, messieurs. Ce Président qui reste au travers de votre gorge n’a pas de boss. Son boss est le peuple haïtien ». Jovenel Moïse tente de revisiter l’Histoire tragique de la population la plus démunie du pays. En écoutant cette litanie « jovenelienne », on ne pouvait ne pas sourire. La manière dont il manie cette belle langue créole, nous envoie certainement à une autre époque. Mais, en fait, le Président Jovenel Moïse qui pense s’adresser au Secteur des affaires qui, d’après lui, finance l’opposition contre son Administration vu qu’il est en conflit avec ce secteur pour avoir défait ou résilié certains contrats passés avec l’Etat, sait qu’il joue avec les nerfs du « Système ».
Ce discours n’est rien de moins qu’un coup de bluff. Il a, certes, parlé de « Oligarques corrompus », il a beau les traiter de « voleurs », mais le Président sait que ce n’est pas là le problème de l’heure. D’ailleurs, si ces « Oligarques corrompus» ont tant pillé le pays ; si pressurisé l’Etat depuis l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, ce qui n’est pas faux, il les connaît et il a des preuves. Pourquoi aucun d’entre eux, mêmes ceux d’aujourd’hui qu’il accuse de mettre l’Etat en faillite économique avec des contrats qui ne sont jamais honorés, n’a jamais fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire encore moins de condamnation pour les crimes commis ? Les « Cris de Fort-Liberté » et les « Menaces de Port-de-Paix » se résument en clair à faire peur et maintenir la pression politique sur les financiers de l’opposition plurielle qui ne pourront tenir longtemps sur le macadam sans l’apport intéressé de ce Secteur des affaires.
Un secteur il faut le dire, qui a laissé des plumes sur cette Administration qu’il a d’ailleurs aidée à arriver au pouvoir, ce qu’a reconnu publiquement le Dr Réginald Boulos du Mouvement Troisième Voix (MTV) dans l’émission « Invité du jour » sur radio Vision 2000 avec Valery Numa le mercredi 3 février 2021. Quand Jovenel Moïse dit : « Nou pap ka ansasinen m, nou pap ka anpwazonnen m, nou pap ka egzile m, nou pap ka anprizone m, mwen kroke nan gòj nou », le Président sait que c’est absolument faux. Depuis la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, aucun Président haïtien n’est à l’abri de tout ce qu’il a énuméré. Sauf s’il est soutenu à bout de bras par les Etats Unis d’Amérique, les Nations Unies (ONU) et l’Organisation des Etats Unis (OEA). Au grand malheur de l’opposition haïtienne, il se trouve que ces trois entités soutiennent, depuis l’origine, c’est-à-dire depuis le 7 février 2017, le Président qu’elles ont contribué à placer au sommet de l’Etat. Un soutien qui ne lui a jamais fait défaut. D’où la confiance d’un Jovenel Moïse qui peut se permettre de lancer des menaces et des flèches à tout vent contre cette opposition un peu seule, il est vrai, depuis quatre ans sur le plan international.
Quelques voix se sont bien élevées du côté de la capitale fédérale américaine en leur faveur ces jours-ci où certains élus américains de Washington, dans une lettre en date du 6 février 2021 au nouveau Secrétaire d’Etat américain (Affaires étrangères), Anthony Blinken, ont demandé à l’Administration de Joe Biden de prendre ses distances avec les tenants du pouvoir de Port-au-Prince. « En tant que membres du Congrès, nous croyons profondément dans la démocratie et le règne de la loi et nous ressentons qu’il est essentiel que les Etats-Unis rejettent sans ambiguïté toute tentative du Président Moïse de se maintenir au pouvoir, en violation de ces principes. Le temps d’une transition démocratique conduite par les Haïtiens, c’est maintenant. Pour finir, nous espérons que le Département d’Etat va monitorer les évènements qui se déroulent en Haïti, condamner les actions anti-démocratiques du Président Moïse et supporter l’établissement d’un gouvernement de transition » notent Gregory Meeks, Président de la Commission des affaires étrangères du Congrès ; Albio Sires, Président du sous-comité de l’hémisphère Ouest et les congressmen Yvette D. Clarke, Andy Levine, Ilhan Omar, Alcee L. Hastings et Darren Soto dans leur courrier.
Une prise de position qui apporte un peu de baume au cœur de l’ensemble des leaders de l’opposition haïtienne qui avait fini par croire qu’ils étaient les seuls sur terre à décrire le Président Jovenel Moïse comme celui qui chercherait à se maintenir au Palais national après le 7 février 2021. En tous cas, les deux camps continuent de se faire face avec les moyens dont ils disposent. D’un côté, le Président Jovenel Moïse qui s’accroche au Palais national avec la certitude que le Core Group et le reste de la Communauté internationale ne le lâcheront point. Ainsi, il pourra poursuivre ses réformes institutionnelles même dans la confusion la plus générale avec le referendum constitutionnel en ligne de mire. Et de l’autre côté, les oppositions qui maintiennent le flambeau, certes dans la division, afin de parvenir à retourner les soutiens intérieurs et extérieurs du pouvoir pour les aider à persuader le principal intéressé que le moment de rendre les armes c’est maintenant.