Jovenel Moïse et la promesse faite aux femmes

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Jovenel Moise au cours d’une rencontre avec les femmes au Palais National le dimanche 8 mars 2020.

Depuis des semaines, le monde, après la Chine, fait face à la pandémie connue sous le nom de Covid-19 généralement appelée Coronavirus. En Haïti, bien avant d’avoir enregistré le premier cas de contamination, dans le pays tout le monde ne parlait que de cela avec espoir, bien entendu, que ce fléau n’atteigne pas ce pays dépourvu d’infrastructures sanitaires adéquates. Mais, en pleine interrogation générale sur le virus, le 8 mars 2020, date marquant la Journée internationale des droits de la femme, le Président Jovenel Moïse en voulant rendre hommage aux femmes haïtiennes  a jeté un gros pavé dans la mare politique et Constitutionnelle. En quoi consiste cette nouvelle sortie du chef de l’Etat qui, il faut le dire, ne rate presque aucune occasion pour attirer les foudres de l’opposition ?

En ce 8 mars, comme partout dans le monde, tous les corps sociaux haïtiens célèbrent avec éclat, manifestations et autres hommages appuyés la femme haïtienne considérée comme étant le « Poto Mitan », le centre ou le cœur névralgique de la famille haïtienne. Si la Société civile s’approprie cette journée pour mettre les femmes haïtiennes au centre de leur préoccupation, les politiques ne sont jamais en reste à commencer par les pouvoirs publics qui rivalisent en gestes symboliques et discours allant dans le sens du poil vis-à-vis de la gent féminine. C’est ainsi que le Président Jovenel Moïse va lancer ce que certains appellent « un pétard mouillé » dans la mesure où son souhait aurait beaucoup de mal à être accepté par l’ensemble de la classe politique. En effet, profitant de cette belle journée de la célébration de la femme pour organiser la troisième édition de ce qu’il appelle « Dialogue communautaire » après les deux premières avec les « Organisations Populaires (OP) » et les parents d’enfants déshérités, il annonce que pour les prochains scrutins dont on ignore pour le moment la date 35 circonscriptions seront exclusivement réservées à des femmes.

Pour un beau coup de communication, c’est une réussite ; personne ne pouvait faire mieux ce jour-là envers les femmes d’Haïti en matière politique que de leur offrir la possibilité de briguer des circonscriptions électorales sans risque de se faire battre par des « durs à cuire » représentés par la gent masculine. Devant les applaudissements qui ont secoué la salle de réception du Palais national, il n’y avait aucun doute que le Président Jovenel Moïse qui est en quête perpétuelle de reconnaissance et de soutiens locaux avait touché la corde sensible de ses invitées d’un jour. Il faut dire que le locataire du Palais national savait qu’il n’avait rien à perdre en faisant des promesses qu’il ne pourrait certainement pas honorer si facilement. Car, même sans Parlement, il y a certainement des limites qu’il ne pourrait pas dépasser en gérant le pays par décret surtout s’il veut avoir la participation de l’ensemble de l’opposition pour l’organisation des élections. Justement, c’est là que la question des 35 circonscriptions réservées aux femmes devient problématique pour le chef de l’Etat.

Non pas parce que les responsables politiques de l’opposition seraient opposés à cette proposition ou décision, mais parce que le Président de la République pense pouvoir le décréter tout seul lors de l’élaboration de la prochaine loi électorale comme il a pu nommer seul son Premier ministre sans avoir l’accord de personne. Autant constituer un Cabinet ministériel ayant à sa tête un Premier ministre de facto est tout à fait possible, autant qu’il demeure compliqué sinon impossible de forcer les leaders représentatifs de l’opposition à prendre part à une compétition électorale dont l’enjeu demeure primordial pour la reconnaissance des scrutins en question. Or, avant même de savoir si oui ou non les partis politiques qui ont pignon sur rue vont accepter cette future « loi électorale » qui sera adoptée uniquement par le gouvernement en l’absence du Corps législatif, l’occupant du Palais national a déjà fait savoir qu’il prend sur lui-même de faire cadeau à la Communauté féminine de 35 circonscriptions. Encore l’affaire aurait pu passer sans réveiller les soupçons de l’opposition si cela avait été fait de manière plus discrète, d’autres disent sans provocation.

Or, qu’a fait le Président Jovenel Moïse le 8 mars 2020 lors de cette fameuse rencontre du « Dialogue Communautaire »? Sans doute obnubilé par la présence de tant de jolies femmes dans la salle, il s’est présenté comme le seul maitre du pays qui a le pouvoir de décider de tout et particulièrement des affaires électorales ; oubliant qu’en Haïti, dès qu’on parle d’élection, on réveille tous les chats qui dorment sans parler de ramener à la vie tous ceux qui étaient dans une sorte de coma politique. Qui dit élection en Haïti dit dossier sensible. Très sensible même puisqu’il s’agit d’un dossier éminemment politique. Pour rendre crédible sa proposition devant les femmes, le Président qui dirige le pays par décret depuis trois mois s’est lancé dans un discours qui, finalement, va le perdre. D’autres observateurs estiment même qu’il a dérapé quand il a déclaré « Il n’y a pas de Parlement, le gouvernement et moi nous allons élaborer la loi électorale. Dans cette loi, 30% des circonscriptions seront réservées aux femmes. Le pouvoir vient de Dieu et Dieu vous a choisis pour donner le pouvoir ».

Marie Laurence Jocelyn Lassègue: « Si l’Exécutif voulait respecter le quota, la première chose qu’il aurait fait serait d’ériger un Cabinet ministériel avec les 30% de femmes. C’était la chose la plus élémentaire à faire d’abord et avant tout ».

Fier de prendre ces centaines de femmes à témoin et même de les associer à sa démarche,  devant ses hôtes il ajoute « Ce sera la même chose pour les Communes, les Sections communales et les Départements, cette loi n’aurait jamais bénéficié du vote du Parlement. À présent, c’est vous et moi qui allons prendre cette loi ». Selon le Président Jovenel Moïse, la prochaine Chambre des députés comptera au moins 35 députées puisqu’il va tout faire pour faciliter l’élection de ces femmes lors de la prochaine joute électorale. Sauf que, dans sa précipitation ou dans l’ivresse du pouvoir, le chef de l’Etat a un peu perdu les pédales quand il a laissé entendre sans trembler qu’en absence du Parlement « Les ministres et moi détiennent le plein pouvoir de diriger, de préparer la loi électorale et bien entendu d’organiser les élections ». Point n’est besoin de dire que ces déclarations du Président Moïse ont secoué la classe politique au-delà même de l’opposition qui préfère ne pas faire grand cas de ces déclarations qu’elle qualifie de démagogiques et de non sens.

Bizarrement, en effet, ce n’est point l’opposition qui est vraiment montée en première ligne pour tordre le cou à la velléité du chef de l’Etat d’imposer ou d’inscrire dans la future loi électorale les 30% des circonscriptions réservées aux femmes. Si certaines organisations féministes ne sont pas contre cette décision « royale », elles se demandent tout de même comment le pouvoir compte s’y prendre dans la mesure où la Constitution n’a jamais dit qu’il faut d’office laisser aux femmes un nombre de circonscriptions pour être élues. Ces organisations de femmes croient qu’il y a une mauvaise interprétation de la Constitution et que le Président de la République s’est promptement trompé de quota. Pour elles, la Constitution parle d’un quota de 30 % dans toutes les administrations et institutions publiques, ce qui, d’après elles, n’est jamais respecté par les pouvoirs publics. L’organisation « Nou Pap Dômi », une branche des PetroChallenger dont madame Vélina Élysée Charlier est l’une des Porte-Paroles, va encore plus loin bien qu’elle ne soit pas vraiment contre l’idée des 35 circonscriptions réservées aux femmes.

Selon madame Vélina Élysée Charlier qui s’est expliquée au quotidien Le Nouvelliste du 10 mars 2020 : « Le Président n’a pas seulement annoncé que 30% des postes électifs seront exclusivement réservés aux femmes, il a aussi annoncé que c’est grâce à l’absence du Parlement qui aurait pu l’empêcher de prendre cette décision. Ce n’est guère rassurant. Nous sommes face à une énième mesure importante qui va souffrir de l’absence de légitimité du Président et son mépris des institutions et des procédures » a-t-elle déclaré. Mais, cette organisation n’est pas la seule à trouver que cette déclaration du Président Jovenel Moïse est purement électoraliste. L’organisation Jurimedia que dirige Abdonel Doudou va encore plus loin pour mettre en doute la bonne foi du Président de la République et pense plutôt que cette décision est circonstancielle « On ne peut pas, sans un amendement ou une réforme constitutionnelle, dédier des sièges au Sénat et à la Chambre des députés aux femmes » avance le Président de Jurimedia.

Celui-ci d’ajouter : « Les déclarations du Président ne m’étonnent pas. Le chef de l’État est resté égal à lui-même. Il a fini par nous habituer à ces promesses, à ces paroles faciles. Quand ils arrivent à des dates emblématiques, les hommes politiques, d’une manière générale, aiment faire des annonces qui peuvent leur rapporter des dividendes politiques » conclut Abdonel Doudou qui renvoie le chef de l’Etat à l’article 153 du projet de loi déjà préparé par le CEP (Conseil Electoral Provisoire) et présenté au Parlement. Dans ce projet de loi, il y a des mécanismes pour faciliter les organisations politiques à favoriser la candidature des femmes à tous les échelons aux prochains scrutins. Enfin, selon le Responsable de Jurimedia, « Le Président peut faire en sorte que soient introduites dans la loi des dispositions visant à encourager les partis politiques à recruter plus de femmes et présenter la candidature au moins d’une femme dans chaque circonscription ».

D’autres organisations, entre autres IDEA International représentée en Haïti par la journaliste, ancienne ministre à la Condition féminine et membre de plusieurs organisations féministes, Marie Laurence Jocelyn Lassègue, ont aussi fait entendre leurs voix dans ce concert de prises de parole après la décision présidentielle. Selon cette militante féministe convaincue « Si l’Exécutif voulait respecter le quota, la première chose qu’il aurait fait serait d’ériger un Cabinet ministériel avec les 30% de femmes. C’était la chose la plus élémentaire à faire d’abord et avant tout. L’actuel cabinet ministériel a violé la Constitution ». En effet, le gouvernement dirigé par Jouthe Joseph ne compte que trois ou quatre femmes sur un total de 18 ministres. Pas vraiment un signe encourageant sur une volonté de modifier l’organigramme des Administrations ou des institutions de la République. En tout cas, tout ce qu’on peut dire c’est que le pari du Président Jovenel Moïse est loin d’être gagné vu les déclarations peu encourageantes sur la manière dont il s’est pris pour permettre que 35 postes électifs soient réservés aux femmes.

Pourtant, l’idée de faciliter les femmes à être présentes dans les assemblées législatives et communales n’est pas mauvaise en soi puisque cela devrait permettre une plus grande et une meilleure représentation de la société dans les décisions étatiques. Surtout quand on voit le très peu de femmes qui ont été élues lors de la dernière législative où seulement 3 députées sur 117 avaient bénéficié des suffrages des électeurs et une seule sénatrice sur 30 avait été élue pour la 50e législature. Pour la prochaine (51e) législature, il sera toujours possible de combler ce vide, cette disparité ou discrimination entre genre à l’Assemblée Nationale. Mais, pour cela, il faudrait déjà que l’ensemble des acteurs politiques et les diverses organisations de femmes puissent trouver une entente ou un consensus afin de favoriser cette évolution entre hommes et femmes. Mais, certainement pas l’imposer autoritairement, ce qui ne fera que mettre les femmes en difficulté et surtout de les faire paraître comme étant incapables de se battre toutes seules face aux hommes pour se faire élire.

Surtout avec les multiplications d’obstacles qu’elles rencontrent avant, pendant et même après les élections pour se faire accepter et respecter par l’ensemble de la société qui, par une éducation, culture et tradition excessivement machistes, a encore du mal à comprendre qu’il ne devrait pas avoir de différence entre un homme et une femme sur le plan intellectuel ou professionnel. En tout cas, il reste du chemin à faire surtout dans les pays comme Haïti de culture et de tradition latine. Sur ce plan, Abdonel Doudou a tout à fait raison quand il dit « Même les électrices ne se fient pas au potentiel des femmes ». Ce qui revient à dire qu’il reste beaucoup à faire sur le plan culturel et éducatif afin que les femmes soient acceptées non pas seulement en tant que femme mais en tant qu’être humain. En clair, cette discrimination entre les genres n’a plus sa place au XXIe siècle. Pour le projet du Président Jovenel Moïse, ce n’est pas sûr qu’il puisse être réalisable dans cette conjoncture politique où le consensus demeure un vain mot. Surtout que le procédé lui-même n’est pas dénué d’arrière-pensée, ce qui fait que, dès le départ, cela peut-être considéré comme anecdotique, sans une réelle conviction de voir que cela se concrétise.

Car, une telle décision ne peut être l’œuvre d’un clan, d’un  pouvoir ou d’un régime en place, mais l’œuvre de l’ensemble des acteurs politiques y compris d’un gouvernement qui ne souffre point d’un déficit démocratique et constitutionnel comme c’est le cas en ce moment  avec un Président qui gouverne par décret et qui est rejeté par la quasi-totalité des partis politiques et de la Société civile depuis deux ans.

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