Jovenel continue de remplir notre bol

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Jovenel l'inculpé et “remplisseur de bol”. En face de lui: une assistance de “bols remplis” (d'«emplois et de richesses»). Faut-il les envier ou les plaindre?

« Les politiciens sont les mêmes partout. Ils promettent
de construire un pont même là où il n’y a pas de rivière »
Nikita Kroutchev

Bien longtemps avant, j’avais appris qu’une promesse de politicien, c’est comme une corde tendue; ça ne reste pas longtemps raide, bien tendue. Avec le temps, j’ai pu me rendre compte que l’adage dit vrai. Et il ne prend pas beaucoup de temps pour se rendre compte que pratiquement tous les politiciens sont des cordes mal tendues au départ, de sorte qu’en aucune façon ça ne saurait rester bien tendu pendant longtemps.

La corde du politicien ne tient pas d’autant qu’elle est faite de bluff, de mensonge, de surenchère, de cabotinage, de culot, de tromperie, d’escobarderie, de tricherie, de fourberie, de supercherie, de tartufferie, de sournoiserie, de rouerie, d’hypocrisie, de perfidie et même de singerie. Quand un Haïtien dit que «son bonjour n’est pas la vérité», bonjou l pa la verite, il doit certainement avoir en tête l’image du politicien retors, tortueux, mètdam,  bakoulou, roublard, combinard, renard.

Le politicien surtout lorsqu’il est en campagne, et quand il s’adresse à une foule, ne voit devant lui que ce que j’appellerais «une multitude à bol», c’est à dire de pauvres hères, des désespérés qui ne demandent – inconsciemment ou subconsciemment – à ce qu’on leur remplisse le bol. Par ces temps de désespoir, de mondialisation au profit des plus riches, plus on les gave de mensonges, de fausses promesses et plus on leur montre de miroirs aux alouettes, plus ils en redemandent. Ça finit par vous donner des Donald Trump, des Emmanuel Macron et, chez nous, des Jovenel Moïse.

Jovenel le mal élu, Régine Labrousse (portant une jupe) et l’équipe ti lolit d’ “Am Cham Haiti”, tous des “remplisseurs de bol”.

Jovenel n’est assurément pas né de la dernière pluie, Macron non plus. Parlant de pluie, ce sont des nuages de centaines de milliers sinon de millions de dollars qui ont crevé pour nous baigner d’averses jovenellines et macroniennes. Ainsi, il y a eu le très controversé et pharaonique projet Agritrans du mal élu et inculpé Jovenel Moïse, lancé tambour battant, trompette soufflante, et contrebasse bourdonnante. Il était censé être un bel exemple d’activité entrepreuneuriale privée à suivre pour «revitaliser l’agriculture» (sic).

Le politicien surtout lorsqu’il est en campagne, et quand il s’adresse à une foule, ne voit devant lui que ce que j’appellerais «une multitude à bol»…

Ce fut en fait une mésaventure, une immense déconvenue, une majuscule déception, un triste naufrage, un échec total, une foirade sans pareille, un pharaonique fiasco, un magistral naufrage, une scandaleuse faillite. En effet, facilité financièrement et administrativement par le gouvernement corrompu de Martelly, l’usurpateur, le musicien dévergondé,  Agritrans était décrit, en mars de cette année, comme «un champ de ruines» (Le Nouvelliste, 20 mars 2017). Il fallait s’y attendre car la corde agritranse n’était faite que de grand bluff, yon manman blòf. C’était du bidon. Jovenel avait dû remplir le bol à pas mal de gens.

D’ailleurs, c’est sur cette image d’un entrepreneur croyant «fortement dans la liberté d’entreprise, créatrice d’emplois et de richesses», sur cette image de remplisseur de bol que la bourgeoisie tilolit, goinfre par nature, a jeté son dévolu sur lui à coups de millions de publicité pour en faire leur doublure, leur poulain, un candidat “de centre-droit” (sic), un peu à la Emmanuel Macron.

Agritrans, un «champ de ruines»: préfiguration de la politique agricole du mal élu et inculpé Jovenel Moïse.

En campagne électorale, Jovenel se mit à remplir le bol des nigauds, des nonos, des bobos et des cocos: poursuivre le travail du Président Martelly au niveau de l’éducation (ah oui! Le PSUGO); projet de téléphérique pour assurer le transport vers la Citadelle Laferrière (ah modernité, quand tu les tiens!); retour à une police rurale pour assurer la sécurité des biens des paysans (comme sous Papa Doc); reconstituer les forces armées d’Haïti budgétivores; redonner à Haïti sa dignité ainsi que son identité (sic); lancer une étude (seulement une étude?) pour la création de 10 zones de production agricoles destinées à l’exportation (alors que Agritrans a été un fiasco).

Émule de son maître à penser Sweet Micky, Jovenel promet le renforcement de la justice (réveillez-vous, juge Serge Joseph!) pour un État de droit (n’est-ce pas, député Arnel Bélizaire? N’est-ce pas Me Newton St. Juste?); il n’augmentera pas les taxes (sans doute pour les riches, les propriétaires des infâmes usines d’assemblage). Il promet – on ne s’y attendait vraiment pas – une réforme en profondeur (sic) de l’administration publique, dont ne sait si c’est pour nettoyer les écuries d’Augias, pardon de Martelly ou si c’est pour mieux institutionnaliser la corruption à coups de millions de gourdes pour la sécurité (resic) du président.

Un peu plus de cent jours après son investiture, le mal élu et inculpé Jovenel a récidivé dans son rôle de remplisseur de bol. Devant un parterre de grandes dents, de grandes griffes, de grands crocs, de bèkfè du secteur privé réunis, le mardi 30 mai, au restaurant Karibe pour un dîner de circonstance en son honneur, la doublure du poulailler tilolitard a récidivé.

À cette rencontre, la présidente de la Chambre de commerce américaine en Haïti (AmCham Haïti), Régine René Labrousse, s’était plainte amèrement de la balance commerciale déficitaire, d’une économie formelle faible, de frontières non contrôlées, de concurrence déloyale, de manque de production, de népotisme, de corruption. Avec un peu d’honnêteté intellectuelle – denrée rare dans le monde des ti lolit – madame aurait pu mentionner que rien n’a été fait pour essayer de corriger ces déficiences et lacunes durant le quinquennat de Martelly, de la même basse-cour qu’elle. Boujwa menm kalòj.

Malgré le gâchis économique, administratif laissé en héritage par le kòk sanbèk, le kòk sankrèk, en l’occurence Martelly, madame Régine “s’est félicitée des entreprises qui sont restées soudées et solides”, selon ce qu’a rapporté un journaliste du Nouvelliste. Aussi a-t-elle proposé qu’on prenne des décisions impopulaires (sic) «si nous voulons une économie plus compétitive au niveau régional ».

Entendez des mesures qui iront dans le sens “augmentées-revues-corrigées” du plus pur néo-libéralisme, ce à l’avantage de propriétaires des sordides usines de textiles et d’autres malfini grandan de la bourgeoisie des affaires. «Nous devons être des agents de changement», a indiqué Régine René Labrousse. Sans doute, mais changements pour qui? Quand? Comment?  Pour le meilleur (ou pour le pire) de quel segment de la société?   Heureusement que le garde-chiourme de l’impérialisme, le remplisseur de bol Jovenel, allait la satisfaire avec une litanie de promesses pour séduire l’assistance: entrepreneurs, diplomates étrangers, parlementaires, tèt kale, tèt chanmòttêt bika, têt kokolo, tèt zo (pa repete), tèt bòbèch, tèt gridap, tèt grenn, tèt swa, tèt siwo, blan mannan, blan poban, peaux noires, masques blancs, nègre masqué, nègre démasqué, madigra mal masqué, mas bèf, mas kochon, dan bonbon, dan doukla, et autres Vivi dangriyen présents ce soir-là.

Le chef de l’État inculpé a assuré que son administration s’est engagée à “prendre des mesures pour doter le pays des infrastructures de soutien à l’activité économique” (sic). Ce qui faisait partie des “5 E” (5 ‘oeufs’) de Martelly dont pas un seul “oeuf” n’a atterri, sauf dans les poches de la famille Martelly.Tous des oeufs pourris.

Avec Jovenel, « l’État fera son travail.[…] Nous allons permettre au pays d’avoir un réseau électrique moderne (n’est-ce pas Laurent Lamothe?) Les infrastructures agricoles seront réhabilitées ou construites (à commencer par Agritrans; charité bien ordonnée….). Les initiatives entrepreneuriales seront soutenues. Le gouvernement prendra les dispositions pour accompagner les efforts d’industrialisation du pays. L’intolérable ne peut pas être toléré, et ne sera pas toléré».

Voilà, Jovenel pense au futur simple, au futur de la nation. Il fait de la futuration, il future, il futurera, ergo c’est un président futuriste, quoiqu’un fumiste, un équilibriste, un trapéziste, un fil-de-fériste, pour ne pas dire un fil de fer barbelé quand il doit intervenir dans un litige d’envergure entre patrons suceurs, dévoreurs et travailleuses, travailleurs sucés, dévorés. Il semble dire aux grévistes: qui s’y frotte s’y pique. Voilà Jovenel devenu un roi de pique qui promet des piqûres lacrymogènes aux manifestants en bandition contre l’as de pique, le capital. Prolétaires de toutes les usines d’assemblage, unissez-vous contre le pikankwenna Jovenel!

Est-il déjà trop tard pour la présidence d’annoncer un carnaval des fleurs qui serait organisé dans l’euphorie d’un énième remplissage de bol? On n’en sait rien. Mais comme Jovenel a hérité de Micky la pratique de l’amateurisme, du dilettantisme, du manfoubinisme, du je-m’en-foutisme, de l’improvisation, du sensationnel, du déconcertant, du déroutant, de l’embarrassant, du farfelu, de l’incongru, du saugrenu, du bouyivide, du n’importe quoi, n’importe comment, “JPP”, on ne devrait s’étonner de rien.

Abitid se vis, dit le proverbe haïtien. Jovenel pourrait bien être tenté par le  vice carnavalesque mickiste dont il a déjà éprouvé l’irrésistible envie de le mettre au palmarès de ses actions ‘futuristes’. D’ailleurs, n’avait-il pas dit: « le président a parlé, point barre»? Il parlera encore, au futur. Un remplissage de bol en perspective. Attention, monsieur le président mal élu et inculpé! Votre carnaval des fleurs pourrait être le prélude à un ras-le-bol qui vous emporterait comme un fétu de paille. Surveillez vos os!

                                                                                                3 juin 2017

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