Joseph Lambert face au refus d’Ariel Henry de se rendre au Sénat

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De gauche à droite le Premier ministre Ariel Henry et le Président du Sénat Joseph Lambert

Sans conteste, le Président du Sénat, Joseph Lambert, cherche à refaire surface dans la Transition. Depuis quelques semaines, en effet, le patron de la dizaine de sénateurs encore en fonction au Bicentenaire ne cesse de tenter de revenir au premier plan dans une Transition qui lui échappe avec le refus systématique de Ariel Henry de répondre à son invitation. En attendant de convaincre celui-ci des bien-fondés de sa démarche, le Président du Sénat se bifurque sur les autres acteurs de la Transition. Ainsi, après avoir rencontré maintes personnalités de la Société civile, le vendredi 11 mars 2022 c’est une délégation de l’Accord de Montana dit du 30 août qu’il a reçue au Sénat en compagnie d’autres sénateurs. Composée de Ernst Mathurin, Jeanty Joseph Raymond, Jacques Ted Saint-Dic, Antoine Augustin, Leslie Voltaire et Magalie Comeau Denis, tous faisant partie du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) de Montana, cette délégation a pu discuter avec les parlementaires des problématiques de la Transition face à un Ariel Henry qui ne veut parler à personne, sinon qu’à ses amis ou à ceux ayant une vision commune de la suite à donner à la Transition.

Ces sénateurs sont, d’ailleurs, les seuls élus de la République depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse, il y a neuf mois. Cette série de dialogue s’inscrit dans le but, selon le Président du Sénat, de tenir un Sommet extraordinaire avec l’espoir de trouver un consensus entre l’ensemble des protagonistes. Le sénateur Joseph Lambert insiste, toutes ces démarches n’ont qu’un objectif : retour à la normalité de la vie institutionnelle du pays, bien entendu avec l’accord de tous les secteurs. Et c’est là que le bât blesse. Si le 11 mars 2022 les signataires de l’Accord du Montana ont bien voulu venir le rencontrer en répondant à son invitation dans le cadre de ce fameux Sommet qu’il tente d’organiser sur la crise actuelle, tous ne sont pas de cet avis et ceci même au sein de ses propres amis, c’est-à-dire de l’Accord Montana/PEN (Protocole d’Entente Nationale) dont il est membre. En effet, en dehors de la volonté du Premier ministre a.i qui ne voit pas l’utilité de venir s’asseoir avec lui, Joseph Lambert fait aussi face à un problème interne, une sorte de méfiance caractérisée de la part de certains partis politiques ou personnalités signataires de l’Accord du 30 août.

Parmi ces partis politiques qui surveillent cet « animal politique » comme le lait sur le feu, il y a l’OPL (Organisation du Peuple en Lutte) de Edgard Leblanc Fils qui soupçonne le Président du Sénat de vouloir venir au premier plan dans le seul but de se porter candidat à la présidence de la République pour le PEN dans le cadre du Collège présidentiel de cinq membres suivant l’entente politique signée entre Montana et PEN dite « Consensus politique ». Connu pour son ambition présidentielle même après plusieurs tentatives ratées depuis le début de la Transition, Joseph Lambert n’inspire pas confiance auprès de tous les acteurs de son camp qui le voient en manœuvrier pour son propre compte. Pour les responsables de l’OPL, Joseph Lambert doit donner la garantie qu’il ne sera pas candidat à la présidence de la République dans ces pourparlers sur la Transition.

S’il veut que tous les acteurs adhèrent à sa démarche d’organiser un grand Sommet républicain en vue de trouver une solution consensuelle pour avancer dans la Transition, il faut qu’il soit neutre d’après un responsable de l’OPL. Sinon, pas question de venir cautionner une initiative qui pourra porter le sénateur à une place que personne ou presque ne souhaite. Alors, il faut qu’il prouve sa neutralité en tant que facilitateur ou intermédiaire. Donc, oui à un Sommet sous l’égide du Sénat mais non à Joseph Lambert candidat à quoi que ce soit et au nom d’aucun Accord ni mouvance politique. Enfin, la direction de l’OPL estime que le Président du Sénat ne peut être juge et partie à la fois. S’il le faut, ils sont même prêts à demander à l’élu du Sud-Est une attestation de bonne foi dans laquelle il renonce à convoiter la présidence provisoire de la République dans le cadre des pourparlers d’une sortie de crise dans la Transition.  C’est dire que la confiance règne au sein des opposants à Ariel Henry.

Malgré tout, les signataires de l’Accord de Montana, au nom d’un adversaire commun, font bloc avec le Président du Sénat face à l’occupant de la Villa d’Accueil qui les méprise tous, puisque les deux attendent toujours une réponse de sa part qui n’est jamais arrivée. Les ennemis de mon ennemi sont mes amis. Le but, dans ce cas de figure, c’est d’isoler Ariel Henry ou du moins le faire passer aux yeux de la population pour un irréductible, un obtus qui ne veut rien entendre et ne veut discuter avec personne. Alors, il faut l’acculer. Pour y arriver, ils disent tous qu’ils n’attendent que sa réponse pour ouvrir les discussions sur comment sortir de cette crise dans une Transition qui bat de l’aile. Les signataires de l’Accord du 30 août, tout en se disant disposés au dialogue avec Ariel Henry, laissent le Sénat essayer de coincer le chef du pouvoir exécutif. Après une seule et unique rencontre qui remonte au mois de janvier 2022 entre le Président du Sénat et le chef du gouvernement, les deux hommes ne se parlent pratiquement plus. Malgré plusieurs initiatives venues du Sénat de la République, c’est le silence complet. La Primature ne répond plus.

Pourtant, Joseph Lambert persiste. Après une première et une deuxième invitation lancée par le Sénat, dans laquelle les pères conscrits lui demandent de faire « Tout ce qui est humainement et politiquement possible afin de redresser cet état de choses », non seulement Ariel Henry n’a pas fait le déplacement au Bicentenaire, mais il n’a même pas jugé nécessaire de répondre à leur courrier. Mais, comme un pauvre profane cherchant sa voie, le Président du Sénat ne perd pas la foi et espère toujours conduire Ariel Henry au Temple de Salomon. Il prend son courage et s’arme de volonté en lui lançant une troisième invitation pour le mardi 22 mars 2022 pour venir parler de l’impasse de la Transition aux sénateurs. Malheureusement, c’est aussi le troisième refus qu’il a essuyé de la part du Premier ministre a.i. Pire, comme pour les deux précédents courriers, le locataire de la Primature ne lui a même pas fait l’honneur de répondre à sa missive estimant que c’est du temps perdu.

Dans la mesure où, selon Ariel Henry, Joseph Lambert ne pèse pas lourd dans cette conjoncture tout en étant à la tête d’une poignée de sénateurs qui, eux-mêmes, ne représentent pas grand chose. Devant l’obstination du Premier ministre a.i de ne pas venir discuter de la crise qui sévit dans le pays, Joseph Lambert qui parait désespéré veut prendre la population à témoin. Ainsi, il demande à l’opinion publique nationale et internationale de prendre note de la « Mauvaise foi caractérisée qu’affichent Ariel Henry et ses alliés de l’Accord du 11 septembre dans leur refus de dialoguer avec les autres acteurs de la Transition ». Ce n’est pas la première fois que le Président du Sénat fait mine de s’impatienter avec son projet des assises rebaptisé depuis Sommet républicain. Fin février déjà, Joseph Lambert qui répondait à une question du journal Le Nouvelliste disait « Qu’on veut aller vite et bien. Souhaitons que le Premier ministre de fait saisisse cette opportunité pour éviter le pire au pays ». Le moins que l’on puisse dire, le pire est devant le pays dans la mesure où Ariel Henry ne semble pas prêt de satisfaire aux requêtes du Sénat et de son Président.

Surtout qu’au sein même de l’Accord de Montana, il y a friture sur la ligne quand on entend les deux « élus » pour la Transition de cette structure politique : Steven Benoît et Fritz Alphonse Jean respectivement désignés Premier ministre et Président en attendant ceux des autres protagonistes y compris Ariel Henry et ses amis de l’Accord de Musseau. Les deux responsables s’accordent pour dire que le schéma défini par le « Consensus politique » Montana/PEN sur un Collège présidentiel de cinq membres n’est pas viable. Et on entend aussi de plus en plus de voix se lever à l’intérieur même des signataires de Montana pour dire qu’ils ne croient pas à la réussite d’une architecture de présidence de la République qui serait conduite par cinq Présidents élus par cinq organisations sociopolitiques différentes. Des discordances qui motivent sans doute Ariel Henry pour ne pas tenir compte des appels d’un Sénat sans réel pouvoir ni les rodomontades des membres d’un Accord où la cohésion de groupe commence à se fissurer. De fait, il se sent réconforté et même plus serein à la tête de l’exécutif de la Transition post-Jovenel Moïse.

C.C

 

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