Joseph Jouthe, un pantin désarticulé

Á vos ordres! «mon président»

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Joseph Jouthe, Premier ministre-pantin manipulé par Jovenel, alias ‘’Tèt zo’’

Jovenel Moïse tient son Premier ministre dans sa poche. Á l’occasion, il l’en sort et l’envoie faire le pitre, d’autant que Jouthe n’a pas l’étoffe d’un chef de gouvernement. Au fait, il n’est fait d’aucune étoffe: ni satin, ni soie, ni coton, ni casimir, ni crêpe de chine, voire du brocart ; tout juste un chiffon infroissable, une chiffe molle à la merci des bouffées de pouvoir du président, lui-même une sorte de dent pourrie s’exerçant, s’amusant à broyer la banane mûre qu’est son P.M, docile et soumis à se laisser désarticuler.

Le mardi 14 avril, Jovenel à qui par bonheur j’ai collé le sobriquet de ‘‘Tètzo’’ a voulu se payer la tête bika de son Premier Ministre. S’imaginant la risibilité, le spectacle fou auquel son chef de gouvernement peut se prêter, il lui suggère, pour le lendemain, une présentation-conférence, avec comme thème central le coronavirus et comme sujet accessoire la gente bandite qui défraie la chronique. Le gros bêta qu’est Jouthe s’enthousiasme à l’idée de développer en public la pensée du « chef » qui lui a fait l’insigne honneur de le déléguer à prendre la parole en son nom, sur deux thèmes épineux, coroneux s’il en fut.

Le Premier ministre Joseph Jouthe est un homme intègre, intégralement sans reproche, une image en miroir de « mon président ».

La nuit de mardi s’est vite dissipée. C’est mercredi. Le Premier ministre Joseph Jouthe s’amène au Centre d’informations permanentes sur le coronavirus. Il est bien habillé, amidonné, cravaté, eau-de-cologné, tiré à quatre épingles, frais comme un œuf d’oie. Il salue l’assistance : « Je suis fier de faire le point sur quelques points dont a déjà parlé mon président. Ainsi, hier lundi, mon président, lors d’une adresse à la nation, avait annoncé la distribution massive de masques. Hier, il avait raison, mais aujourd’hui il n’a plus raison, non pas qu’il ait perdu la raison, mais parce que même en politique il faut savoir se faire une raison, au risque même que ce soit la raison du plus fort. »

« Non sans raison, mon président m’avait ordonné de procéder à l’achat de plusieurs millions de masques, en fait 10 millions. Mais je dois vous dire sans détour qu’il est des raisons que parfois la raison elle-même ignore. C’est tout vous dire. Par souci de contrôle des dépenses ministérielles – nous avons mille et une raisons de nous faire du souci, et mon président le veut ainsi – nous commandons les masques avec prudence, nous en sommes à quelque 400 mille, ce qui représente déjà une voum de masques. Nous en arriverons sûrement aux dix millions, toutefois, je renvoie sine die la distribution massive de ces ‘‘coronaro-protecteurs’’, d’autant que je tiens à avoir un contrôle strict du pognon, le nerf des affaires comme on dit. »

« Par souci de vérité, d’honnêteté, de probité, d’honorabilité et d’irréprochabilité, pour la rectitude, pour l’honneur, l’honneur de mon président, je vous fais une confidence, dont mon président sera fier : je suis un farouche nationaliste, souverainiste, dessaliniste, boisrond-tonnerriste, christophiste, firministe, killickiste, péraltiste, aussi je tiens à ce que tous les Haïtiens, mes frères paysans, mes sœurs paysannes, les pitit sò yèt bénéficient tous, les premiers, de la protection masquante avant de penser à toute exportation d’un article de protection médicale aussi. »

Le Premier ministre Joseph Jouthe est un homme intègre, intégralement sans reproche, une image en miroir de « mon président ». Aussi, « pour la rectitude, pour l’honneur », il s’est fendu d’explications honorables, irréprochables, crédibles, plausibles, au non-acheminement des 18 millions de dollars américains de matériel et d’équipements médicaux commandés en Chine et présidentiellement promis pour le 10 avril.

Alors, voilà : par souci nationaliste, haïtianiste et économiste de contrôle des dépenses ministérielles, il a fallu chercher et trouver le moyen de transport aérien le moins cher ; il a fallu surtout s’assurer un itinéraire sécurisé et être absolument certain qu’il n’y ait pas de détourneurs professionnels ou apprentis de l’art détournant qui fassent main basse en plein vol ou à l’arrivée à l’aéroport sur des équipements achetés avec l’argent du peuple, la sueur du peuple, le sang du peuple, ce sur quoi mon président est extrêmement strict et critique : chaque centime doit être contrôlé quoi qu’en disent ses détracteurs.

Le Premier ministre n’est sans doute pas un homme providentiel, loin s’en faut, mais de ses manches pourtant laïques, il a sorti une providente sinon divine surprise : «Jusqu’ici, l’Éternel nous a secourus. L’Éternel est notre berger, nous ne manquerons de rien, surtout nous ne manquerons pas de masques. Il nous fait reposer dans les verts pâturages où abondent les billets verts. Nous saurons en profiter. Il nous dirige près des eaux paisibles de l’espoir ».

« Aussi nous ne craignons rien ni personne, pa menm dyab ; surtout nous ne craignons aucun de ces médisants, ces fils de Satan qui prédisent 300 morts en une semaine, 1 million de morts, une apocalypse de 3 millions. Même l’apôtre Jean n’avait fait mention d’une telle apocalypsade. Heureux ceux qui suivent la voie et les voix de l’Éternel car ils seront sauvés de la damnation covidée. C’est pourquoi, lorsque vous verrez l’abomination de la désolation dont a parlé le prophète Daniel se répandre dans la cité, que celui qui m’écoute fasse attention! Malheur aux femmes enceintes, et à celles qui allaiteront en ces jours abominatoires !

« En vérité je vous le dis, parole de Premier ministre et de mon président, Covid-19 est la dernière manifestation de Satan. Il incarne essentiellement le mal et la maladie. Prenez garde aux satanistes qui annoncent une apocalypse de 3 millions. Ils sont méchants. Prions, implorons le pardon pour nos péchés. Implorons la puissance divine. Dieu est amour. Venez divin Messie, sauvez nos jours infortunés. Nous sommes tous en danger de riskité. Ne tentez pas Dieu. Si vous ne priez pas, vous coviderez, vous mourrez comme des poules. L’Éternel est grand, rangeons-nous dans sa basse-cour. »

« Certes, le Dr Gréta Roy Clément a fait du très bon travail mais en tant que Premier ministre conscient, conséquent, nous avons consulté les plus grands experts d’Europe, de Chine, du Japon et des États-Unis concernant la prise en charge de personnes décédées des complications provoquées par le Covid-19, d’autant que la durée de vie du virus d’un point de vue cadavérique – passez-moi l’expression – est la grande priorité de mon président. Par souci de contrôle des dépenses ministérielles, pas un sou n’a été dépensé à cet effet. Je suis minutieusement, méticuleusement les directives de mon président. C’est une question de probité, d’honorabilité, de respectabilité de mon président dont l’intégrité est au-dessus de tout soupçon. »

« Je suis donc en mesure d’annoncer, foi d’experts internationaux, que les cadavres covidés doivent être placés dans des sacs mortuaires étanches ; le plancher de la fosse du cimetière devra être recouvert d’une couche de chaux vive dont l’épaisseur doit être proportionnelle au nombre d’heures après que le malade infecté sera passé de vie à trépas. La chaux vive est nécessaire à la protection du ‘‘sol profond’’, des eaux profondes, je veux dire souterraines, pour qu’il n’y ait pas contamination de la nappe phréatique. »

« Je me permets un rapide détour hydrogéologique. Une nappe phréatique est une nappe d’eau, une surface aqueuse à faible profondeur. Elle est donc exposée à la pollution en provenance de la surface. Elle alimente traditionnellement les puits et les sources en eau potable. Le terme phréatique lui-même, du reste, vient du mot grec qui signifie puits. La nappe est soit « libre », « captive » ou « semi-captive » ; si elle est contaminée par des ‘‘exhalaisons sataniques’’ (sic), on voit bien le danger que court la population. Or mon président a garanti l’eau potable et l’électricité au peuple haïtien 24 sur 24. Son programme d’eau-potabilité est donc exposé à un danger national. »

« Je tiens à revenir aux sacs mortuaires. C’est vrai que la ministre de la Santé publique et de la Population, le Dr Gréta Roy Clément, dans un avis aux responsables d’entreprises funéraires en date du 2 avril 2020, avait indiqué, «qu’il n’est pas nécessaire de désinfecter le corps avant son transfert dans la zone mortuaire, que les sacs mortuaires ne sont pas nécessaires », ce qui semble contredire mes dires. Il n’y a pourtant pas lieu de s’alarmer. Nos sources sont différentes. Je m’alimente à la source sûre et inaltérable de mon président, elle aux fake médias, mais ce n’est pas grave. »

« Mon président m’y ayant autorisé, contrairement à l’avis mortuaire du 2 avril dernier, le transport des cadavres covidés doit se faire en ambulance climatisée ; mon président vient d’en commander une cinquantaine. La Chine garantit leur livraison en moins d’une semaine. Par ailleurs, le nettoyage des surfaces où les opérations mortuaires sont effectuées doit être fait à l’eau de Javel mélangée à de l’acide sulfurique, fifty-fifty, car le virus satanique est extrêmement résistant pouvant survivre jusqu’à neuf mois dans les cas les plus malouk. Et c’est une information de dernière minute reçue ce matin même d’Italie, porteuse de la bannière covidéenne. »

« Mon président m’a autorisé, en chef visionnaire, à faire une dévirée dans le monde interlope des gangs, à condition de garder la « distanciation sociale » avec eux ».

« Mon président est un homme judicieux. Il m’a prié de ne pas me confiner au satanisme mortifère en cours. Il m’a autorisé, en chef visionnaire, à faire une dévirée dans le monde interlope des gangs, à condition de garder la « distanciation sociale » avec eux, selon les normes prescrites par le MSSP. Ce ne sont pas des « cafards » comme je l’ai entendu dire. Avoir recours à des cafardisations aussi hâtives, hasardeuses et dangereuses ne fait qu’apporter l’eau au moulin de Satan. »

« Le cafardisme doit être exclu du vocabulaire national, d’autant que mon président tend une main paysanne fraternelle à toute les couches sociales, même celles jugées cafardes par des esprits légers. “Homo sum, humani nihil a me alienum puto“, je suis un homme et je pense que rien de ce qui est humain ne m’est étranger, n’est-ce pas ? Ainsi, les bandits sont des hommes, même s’ils sont fòkòp. Je leur parle fréquemment en dépit de leur fòkòptude. »

Les gens m’appellent de tout partout qui demandent que je procède à l’arrestation et à l’élimination des bandits. Ces types ne méritent pas la mort. Ils sont des citoyens à part entière”. C’est grave, on en arrive à oublier jusqu’au 5è commandement de Dieu : ‘‘ Homicide point ne seras, de corps ni de consentement’’. Pourquoi veut-on faire de moi un homicidaire ? D’ailleurs je trouve génial les noms de code de ces bandits : ‘‘Cinq secondes’’, ‘‘Ladous qui vient’’, ‘‘Fè m dous’’, ‘‘L’œil de Dieu’’, ‘‘Fleur de mai’’, ‘‘Boulpik’’, n’est-ce pas amusant ?

« Avant tout, je suis père de famille, et ma paternalité n’a rien d’exclusif. Mon président me rappelle qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Je suis le miel qui les attire. Surtout, qu’on n’oublie pas le précepte nazaréen « aimez-vous les uns les autres », ce qui rejoint d’ailleurs la perspective du poète comique latin Térence. Il n’y a pas de rans dans cela. D’ailleurs, mon président qui est un homme droit et de droit, allergique à la violence m’y convie. »

« Pour autant, il ne faut pas abuser de ma patience, ni de celle de mon président. Tout bèt jennen mòde. La mordance peut être alors à pleines incisives, allant jusqu’à la confinance permanente et, à l’occasion, à la liquidance. C’est simple : ou bien vous remettez vos armes, renoncez à Satan et vous vous trouvez du boulot, ou bien vous vous prêtez d’ores et déjà à une « pulvérisation» sans sépulture. La vie est un choix. Mon président le sait bien. Né paysan, il a refusé de végéter dans le paysannat. Le voici aujourd’hui premier mandataire de la nation, respecté (sic) et aimé (resic). »

« Je me battrai jusqu’à la mort pour les principes de vie préconisés par mon président. En bandition, je me suis fait Saint–Michel Archange pour terrasser tous les dragons, covidés ou bandités. Le Seigneur soit avec vous ! Allez en paix.»

Et telefòn ne lâchez pas. Á la revoyure.

19 avril 2020

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