Jean-Michel Lapin, un Premier ministre nommé en sursis !

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Au Sénat de la république Jean-Michel Lapin faisant le dépôt de ses pièces, le 15 avril 2019. Donc, c’est la haute Chambre qui aura la primauté de recevoir le grand oral du Premier ministre nommé

Il y a des signes qui ne trompent pas. Jamais en Haïti un Premier ministre nommé n’a suscité aussi peu d’intérêt dans la communauté politique. Personne ou presque dans le milieu politique ne fait grand cas de Jean-Michel Lapin nommé, il y a bientôt un mois,  Premier ministre par le Président Jovenel Moïse pour succéder à Jean Henry Céant. Pourtant, l’ancien ministre de la Culture et de la Communication est aussi chef de gouvernement par intérim en attendant que le Parlement ratifie ou non ce choix qui devient une vraie pomme de discorde dans la discussion entre le pouvoir et les chefs de partis politiques que le Président  entend associer au futur gouvernement dit d’ouverture. Plus les jours et les semaines passent, plus les chances pour Jean-Michel Lapin de remplacer constitutionnellement le Notaire de Bourdon à la Primature s’amenuisent. Et pour cause. Le Premier ministre nommé s’est retrouvé au centre d’un marché des dupes.

Il fait l’objet, en effet, d’un marchandage politique entre le chef de l’Etat qui tient à lui pour sa confiance et l’inoffensivité politique qu’il représente et l’opposition qui entend s’associer au choix de la personnalité qui doit prendre la tête de la Primature. Un casse-tête pour la présidence. Mais dans cette course de tortue dont Jean-Michel Lapin est malgré lui le coureur principal, l’opposition est aidée par le Parlement qui ne semble pas du tout, mais pas du tout, intéressé à ce Premier ministre nommé. C’est le moins qu’on puisse dire sur ce cas. C’est une première dans ce pays. En dehors de l’indifférence quasi générale de la classe politique vis-à-vis de la nomination de l’ex-ministre de Jean Henry Céant, c’est l’attitude des parlementaires à son égard qui devrait vraiment l’inquiéter. En général, à chaque nomination ou autrefois désignation d’une personnalité devant briguer la Villa d’Accueil, c’est toute la République en général et le microcosme politique de la capitale en particulier qui s’enflamme.

Le sénateur Onondieu Louis, président d’une Commission sénatoriale de 7 membres mise en place pour vérifier les documents du Premier ministre nommé

Et, dans cet embrasement politique, les sénateurs et les députés sont toujours naturellement en première ligne. Ce sont eux qui donnent le ton dans les médias en transformant cette nomination en un psychodrame politique tant ils sont soit vindicatifs à l’encontre de la personnalité choisie par le Président de la République soit ils donnent quasiment en direct la clé de la Primature au récipiendaire désigné. C’est un rituel immuable ! Et c’est aussi le signe indiquant l’intérêt ou pas du secteur économique et chacun des acteurs politiques haïtiens pour l’heureux nominé. Sauf que, dans le cas de l’actuel Premier ministre par intérim, les sénateurs, les députés et le secteur des affaires sont aux abonnés absents depuis le jour de la nomination de Jean-Michel Lapin. Tout se passe comme si l’ancien ministre de la Culture n’a aucun contact au sein du personnel politique et du monde de la finance du pays. Certes, Lapin ne vient pas du monde politique. C’est un haut fonctionnaire qui a mené toute sa carrière au sein de l’Administration publique haïtienne.

Discret et peu connu du grand public, il semble que ce natif de Jacmel, dans le Sud-Est, ne connaît pas grand monde dans le personnel politique de la capitale. Même un ancien Conseiller et membre du cabinet très influent d’un ex-Premier ministre à qui nous avons demandé s’il connait le Premier ministre nommé nous a répondu que non seulement il ne le connaît pas mais il n’a vraiment entendu parler de lui qu’après sa désignation comme Premier ministre a.i pour remplacer Jean Henry Céant le 21 mars 2019. Sinon, le nom de Jean-Michel Lapin ne lui dit rien. Il ne le connaît pas personnellement. Il ne l’a jamais rencontré dans l’un des Cercles mondains de Port-au-Prince ou de Pétion-Ville là où tout le monde connaît tout le monde. Pourtant, Dieu sait combien cet ancien professeur d’université, ancien diplomate, membre très connu de tout Port-au-Prince politique connaît du monde en Haïti. C’est dire combien Jean-Michel Lapin a un grave déficit de popularité. Depuis la nomination de l’ancien ministre de la Communication, si la vie continue en Haïti avec son cortège de misère et d’insécurité, tous les parlementaires sont brusquement frappés d’amnésie politique.

En clair, ils ignorent royalement Jean-Michel Lapin au point de partir tous en vacances sans aucune raison apparente ni nécessité non plus. Selon certaines sources provenant du Bicentenaire au siège du Palais législatif, l’envie de  prendre le large des sénateurs et des députés à ce moment crucial de la vie politique nationale et le dépaysement des parlementaires dans leurs circonscriptions respectives peuvent se résumer à un non intérêt qu’ils portent à la nomination de Jean-Michel Lapin. Pour eux, c’est un coup d’épée dans l’eau. Certains observateurs politiques croient que l’éloignement des parlementaires de la capitale au moment où ils devraient être au centre des débats sur la ratification ou non, voire participer dans les négociations avec le Premier ministre nommé sur sa Déclaration de politique générale, démontre que le sort de Jean-Michel Lapin est sans aucun doute déjà scellé. C’est du jamais vu depuis la création de cette fonction de Premier ministre.

Certains s’interrogent même sur l’attitude du Sénat à l’égard du Premier ministre nommé qui, trois semaines après, n’avait toujours pas formé de Commission devant analyser le dossier de l’ancien ministre.

Qu’un Premier ministre en exercice, certes par intérim, soit négligé à ce point, voire méprisé autant par le Parlement alors même qu’il a déjà fait la déposition de toutes ses pièces par devant les deux bureaux qui constituent l’Assemblée Nationale, c’est un très mauvais signe envoyé au Président Jovenel Moïse. Certains s’interrogent même sur l’attitude du Sénat à l’égard du Premier ministre nommé qui, trois semaines après, n’avait toujours pas formé de Commission devant analyser le dossier de l’ancien ministre. Bien que là encore, il n’y ait aucune raison valable de demander à un ministre en exercice de présenter ses papiers pour devenir chef de gouvernement. Ce retard constaté dans le dossier du Premier ministre auprès des sénateurs a une incidence directe dans les démarches de la Chambre des députés dans le processus de ratification ou pas de Jean-Michel Lapin au poste de chef de gouvernement. Selon une règle non inscrite au Parlement, la première assemblée qui a entamé le processus doit le clôturer avant que l’autre en prenne la relève.

Même s’il y a eu une dérogation à la règle. Comme on l’a vu avec la destitution de l’ex-Premier ministre Jean Henry Céant en mars dernier. Néanmoins, il n’y a pas de précédent dans le cas de ratification d’un Premier ministre. La Chambre qui a reçu la première les documents relatifs au processus le termine. Dans le cas de Jean-Michel Lapin, c’est au Sénat qu’il avait déposé le premier ses papiers le 15 avril 2019. Donc, c’est la haute Chambre qui a la primauté de recevoir le grand oral du Premier ministre nommé en compagnie de son cabinet ministériel au complet. D’ailleurs, s’il n’obtient pas la confiance des sénateurs, l’aventure s’arrête nette. En revanche, un vote de confiance du Sénat lui donnera le droit de poursuivre ce parcours jusqu’à un nouveau vote des députés qui peuvent confirmer le vote des sénateurs ou l’infirmer. En cas de vote négatif des députés, sa balade au Palais législatif s’achève au seuil de la Chambre basse. Finalement, on a appris qu’une Commission sénatoriale de 7 membres sous la présidence de Onondieu Louis a été mise en place pour vérifier ses papiers. Elle est composée outre Onondieu Louis, de Willot Joseph, Ronald Larêche, Pierre François Sildor, Rigaud Bélizaire, Sorel Jacinthe et Wilfrid Gélin.

Entre-temps, Jean-Michel Lapin a reçu l’invitation du Président du Sénat de la République, Carl Murat Cantave, pour faire sa Déclaration de politique générale le jeudi 9 mai 2019. Une invitation dont il a pris connaissance comme monsieur tout le monde par les Réseaux sociaux sur le compte Twitter du Président de l’Auguste Assemblée. Quant au Président de la Chambre des députés, Gary Bodeau, lui il ne donne plus signe de vie depuis que Caleb Desrameaux et Jean Etienne, tous deux membres du bureau de la Chambre basse, ont reçu les documents relatifs à l’identité et la nationalité haïtienne du Jean-Michel Lapin le mardi 16 avril 2019. Mais, les députés comme leurs collègues sénateurs sont tous frappés par la même maladie, celle de l’oubli s’agissant de la création d’une Commission qui devrait analyser le dossier du Premier ministre nommé. Eux aussi sont tous partis dans leurs circonscriptions pour les fêtes patronales. Un rituel qu’ils ne manqueront pour rien au monde. C’est le moment d’être présents et assis au premier banc à la messe dominicale pour que leur nom soit cité par le prêtre du village qui officie ce jour-là.

Pendant que les parlementaires pratiquent la politique du marronnage et fuient les bords de mer, surtout le Bicentenaire de Port-au-Prince où loge le Parlement, que fait le Président Jovenel Moïse pour sauver le « soldat Lapin » ? Cette question mérite d’être posée dans la mesure où le temps semble s’arrêter depuis la nomination du Premier ministre a.i pour succéder constitutionnellement au Notaire de Bourdon qui ne digère toujours pas son éviction de la Primature dans les conditions que l’on sait. Selon la quasi totalité des visiteurs du Palais national et des sources bien informées, si le cas de Jean-Michel Lapin ne dépendait que du chef de l’Etat, longtemps il aurait été ratifié et pris les commandes effectives des affaires de la République. Selon des proches de Jovenel Moïse, il n’existe aucun problème entre les deux hommes qui forment un couple parfait au sein duquel il n’y a aucun malentendu. C’est un tandem que Jovenel Moïse aurait bien aimé voir poursuivre la gestion du pays.

Pour le Président de la République, cet inoffensif qui connaît peu de monde au sein de la faune politique port-au-princienne, c’est l’homme qu’il faut pour l’aider à boucler ce quinquennat déjà assez mouvementé et qui risque encore d’être plus saccadé dans les mois à venir. Donc, à priori, Jean-Michel Lapin qui n’avait aucune ambition politique passée et à venir est l’homme ou le chef de gouvernement idéal.  Avec Jean-Michel Lapin, Jovenel Moïse se voit à la fois Président de la République et le vrai chef de gouvernement. Jean-Michel Lapin serait en quelque sorte un Premier ministre de doublure, un sorte de « la voix de son chef » qui exécutera les décisions de la présidence sans se poser de questions. Sauf que l’opposition ne l’entend pas de cette oreille et voit en Jean-Michel Lapin une sorte de Premier ministre « j’approuve » sur qui elle n’aura aucune influence.

D’où le blocage en quelque sorte depuis les pourparlers en vue de la formation d’un gouvernement de consensus. Pour l’opposition, il n’est pas question que le Président s’enferme dans son bureau entouré de ses Conseillers et choisisse seul le successeur de Jean Henry Céant. Si c’est ainsi, elle n’entrera pas dans ce petit jeu qui consiste à prendre un strapontin gouvernemental sans qu’elle n’ait pas son mot à dire sur le choix de celui qui doit conduire effectivement les rênes du gouvernement. Certains chef et leaders des partis politiques, entre autres Jean William Jeanty, ancien sénateur des Nippes et chef de la Plate-forme politique KONTRA PÈP LA et Edmonde Supplice Beauzile dirigeante de la Fusion des sociaux démocrates, posent comme préalables à toute intégration dans une future équipe gouvernementale, la désignation d’un nouveau Premier ministre. Ce qu’ils entendent par désignation d’un nouveau gouvernement, c’est qu’il y ait une discussion profonde et sincère avec le Président Jovenel Moïse sur la personnalité qui doit être nommée.

Tout le monde prend son temps voire ses distances avec ce Premier ministre nommé…

Le profil de ce futur chef de gouvernement n’est pas une simple affaire de nombre de places dans le cabinet ministériel. Selon un des dirigeants politiques avec qui Jovenel Moïse a déjà eu plusieurs discussions sur la participation de l’opposition au gouvernement, ce Premier ministre doit pouvoir faire le trait d’union entre le Président très décrié ces temps-ci et les différents chefs de l’opposition qui, aujourd’hui encore, même s’ils sont prêts à se rapprocher du pouvoir, se méfient d’un Jovenel Moïse trop solitaire dans la gestion des affaires du pays et qui ne souhaite pas partager grand chose de son pouvoir. Très peu pensent que Lapin qui était déjà ministre, Premier ministre a.i soit l’homme de la situation. Il est trop redevable à Jovenel Moïse, disent-ils.

Jean-Michel Lapin ne pourrait pas se démarquer suffisamment de l’influence de la présidence pour être un Premier ministre de consensus. D’où l’exigence de l’heure pour qu’il y ait un chef de gouvernement qui  ne soit ni trop proche du Palais national ni proche de l’opposition. L’expérience et l’échec de Jean Henry Céant à la Primature sont encore présents dans tous les esprits. Ils servent d’exemple à ce qu’il ne faut pas faire et accepter, dit encore un proche du Président Jovenel Moïse. Les conflits ouverts de l’ex-Premier ministre avec le chef de l’Etat ont été le résultat d’un choix unilatéral dans un contexte où le dialogue doit être le maitre mot.

Les partis politiques qui souhaitent entrer dans le futur gouvernement veulent le faire avec un minimum de garantie d’où l’exigence d’un accord politique clair sur un ensemble de prérequis : débattus, discutés et approuvés par le Président de la République y compris sur le choix de la personnalité qui devrait s’installer à la Villa d’Accueil, bien que ce choix reste néanmoins la prérogative du chef de l’Etat. Toujours selon un responsable d’un parti qui est prêt à intégrer le futur gouvernement, personne n’a rien contre le Premier ministre a.i, mais la perception laisse croire qu’il n’est pas l’homme du moment. En effet, les jours et les mois s’annoncent difficiles pour n’importe quel gouvernement face aux difficultés socio-économiques et la prise du pouvoir par les gangs armés liés à certains élus et secteurs des affaires. Les discussions, selon Jovenel Moïse, portent bien sur des sujets qu’on peut qualifier de préoccupants comme les futures scrutins électoraux, la vie économique et judiciaire et la reforme constitutionnelle. Mais tout le monde s’accorde à dire que le sujet le plus urgent aujourd’hui est la question de l’insécurité qui ronge la société.

On a vu comment un simple drone-jouet d’un enfant de Pétion-Ville a semé la panique chez le Directeur général de la police nationale. Ignorance peut-être ! Psychose dans la Cité certainement ! En tout cas, cet incident banal a mobilisé toute une armada de policiers de tous les services sécuritaires du pays y compris la MINUJUSTH chez Michel-Ange Gédéon, du fait qu’un enfant ait perdu le contrôle de son drone-jouet et que l’engin ait terminé son vol dans le jardin du chef de la police. Forces de sécurité mobilisées, confiscation du jouet, séquestration des parents et de l’avocat venus récupérer le drone, juge de paix appelé sur place, etc. Tout cela pour s’assurer que ce n’est pas le numéro un de la police haïtienne qui était visé par une attaque aérienne. Voilà des éléments politiques et un contexte social fragile qui placent finalement le Premier ministre nommé, Jean-Michel Lapin, en sursis sans même avoir eu le temps de franchir l’étape de la formation de son gouvernement.

Tout le monde prend son temps voire ses distances avec ce Premier ministre nommé qui, définitivement, ne rentre pas dans l’agenda politique des parlementaires et de l’opposition. Sauf peut-être celui du Président Jovenel Moïse. Mais ce seul soutien sera-t-il suffisant pour affronter tous les obstacles avant d’obtenir définitivement la clé de la Primature ? Là encore, la réponse dépendra de la capacité dissuasive du Président Jovenel Moïse à convaincre l’opposition plurielle et les parlementaires de sa majorité PHTK de la nécessité de participer à l’aventure gouvernementale avec un Premier ministre qu’il  a nommé et dont il est le seul garant.

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