2ème partie et fin
Mise en contexte
Faute de grives, on mange des merles. Seul Gérard Pierre-Charles avait accepté de parler ouvertement des rivalités internes qui déchiraient les entrailles de Lavalas. Nous aurions aimé aussi vous présenter les points de vue des deux autres protagonistes, en l’occurrence Jean-Bertrand Aristide et René Préval, sur les contradictions et les hostilités qui ont mené les deux branches du mouvement populaire issu des événements de février 1986 à l’échec. Notre démarche ne vise pas à honorer la mémoire d’un homme. Mais à provoquer un débat sociétal à partir d’un constat pénible de division au sein d’un rassemblement sociopolitique qui semblait comprendre l’urgente nécessité d’allumer le flambeau d’une « Révolution » dans l’espoir d’éclairer la conscience des masses.
Gérard Pierre-Charles, en acceptant de se prêter à l’exercice difficile de « culpabilisation » et d’ « autoculpabilisation » a brisé la loi de l’omerta qui protège les politiciens orgueilleux et suffisants. Il a livré publiquement ses faiblesses et ses manquements ainsi que ceux de ses alliés et de ses adversaires. À travers sa perception personnelle des situations sociales, des réalités politiques, des conditions économiques ambiantes, le professeur Pierre-Charles s’est révélé un véritable prophète de malheurs.
Les populations des zones urbaines bidonvillisées, des vallées campagnardes et des régions montagneuses continuent de chanter et de danser le mardi gras et le rara. Chanter et danser le ventre vide toute la nuit sur le macadam de l’insouciance aliénante. Jusqu’à se faire mutiler et écrabouiller par des chauffards fous, qui n’ont jamais appris un seul énoncé théorique sur la pratique de conduite d’un véhicule sur la route. Le résultat flagrant de l’analphabétisme chronique saute de plus en plus aux yeux. Des patients, ne sachant ni lire ni écrire avalent des médicaments périmés. Des médecins malformés ne comprennent pas le sens du serment d’Hippocrate qu’ils ont prononcé : « … Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice… » Au lieu de soigner les malades comme ils le peuvent, ils les laissent mourir en vue de revendiquer, entre autres, de meilleures conditions salariales. Dénoncer l’attitude délinquante d’un État assauté par des voyous, des trafiquants de drogue, des assassins, des corrompus et des corrupteurs, ne soustrait pas les travailleurs de la Santé publique de leurs devoirs vocationnels. Et au milieu de tout ce gribouillis sociétal, nous retrouvons un peuple sans conscience de classe, résigné à son sort, qui, étonnamment, applaudit même ses antagonistes au passage.
Cet entretien a été réalisé en 1998. 19 ans déjà. Ce qui est une déception presque généralisée : La République d’Haïti recule toujours sans arrêt. Si René Préval avait le pouvoir de résurrection de Jésus de Nazareth, il serait lui-même surpris de constater où est déjà rendu son pays sur le chemin du péréclitement en l’espace de deux semaines de son absence perpétuelle.
Nous vous soumettons la deuxième partie de la conversation à bâtons rompus que nous avons eue avec le fondateur et dirigeant de L’Organisation du peuple en lutte (OPL), M. Gérard Pierre-Charles.
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Robert Lodimus :
En 1996, après que M. René Garcia Préval a prêté serment comme Président de la République, vous devriez vous-même être nommé Premier ministre. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. De bonne source, d’une source digne de foi, nous avons appris que M. Jean-Bertrand Aristide s’y était farouchement opposé. Il n’était pas du tout d’accord à l’idée que vous deveniez Premier ministre. Pour quelle raison, selon vous, l’ex-président Aristide s’est-il obstiné à dissuader M. Préval de retenir votre candidature pour le poste?
Gérard Pierre Charles :
Là, vous êtes en train de me communiquer une « information ». Je ne vous demande pas vos sources. Tout de même, je vous dirai la perception que, au niveau de l’OPL, nous avons eue de cette situation. En 1995, aux élections présidentielles, l’OPL a appuyé la candidature de M. Préval. Toute une série de gens auprès de Jean-Bertrand Aristide étaient en faveur des « trois ans » : la récupération des trois ans perdus. Nous n’en étions pas du nombre. Nous pensions qu’une telle démarche allait créer encore plus de problèmes au pays. Démocrates, par principe, nous estimions que les élections du 16 décembre avaient revêtu le Président Aristide de la pleine légitimité constitutionnelle.
Le coup d’État, certes, l’avait privé de l’exercice de ses fonctions présidentielles. Mais, de toute façon, le président Aristide, durant cette période, avait été reconnu par le peuple haïtien et par la communauté internationale comme le président des Haïtiens. Et c’était comme tel qu’il était revenu en Haïti. Donc, nous avons appuyé M. Préval. Nous estimions que l’accès au pouvoir d’un deuxième président librement élu aurait donné plus de force à la démocratie. Et nous avons organisé la campagne présidentielle de M. Préval sans aucune discussion avec lui sur des questions de pouvoir. Absolument pas. On n’a jamais demandé à M. Préval : « Combien de ministères va-t-on avoir? » L’OPL, aujourd’hui l’Organisation du Peuple en Lutte, considérait que c’était une contribution à apporter à partir des critères patriotiques et démocratiques. Moi, je suis sans doute le « vieux » de l’OPL, mais la plupart des membres de la direction, ce sont des jeunes, des patriotes qui ont surgi, émergé du mouvement de 1986, des citoyens qui rêvent de changer le pays; c’est dans cet esprit que nous avons aidé M. Préval à faire la campagne électorale sans jamais rien lui demander en retour, sans jamais marchander notre appui. C’est nous qui lui avons offert ce qui était une structure d’organisation. Déjà, depuis les élections des députés et des sénateurs, cette vision s’est imposée et a fait que l’OPL au sein du Parlement ait détenu la majorité dans la « majorité lavalassienne ». Au moment de la victoire électorale de M. Préval, la coalition « Bò Tab La », qui avait appuyé ce dernier a proposé que je sois le Premier ministre du gouvernement. J’ai dit : « Si cela peut aider à la cause de la démocratie, très bien. » Mais vite, au niveau de l’OPL, nous avons compris qu’il n’y avait aucune possibilité que cela soit… On n’a même pas situé cette impossibilité au niveau de l’ex-président Aristide. On a compris que, dans le type de rapport créé durant la campagne électorale, il paraissait plus sage que ce soit quelqu’un de l’OPL, certes, mais quelqu’un qui puisse en même temps défendre notre position et qui, de surcroît, ne représente pas la figure principale de l’organisation. C’était un choix politique. Et bien entendu, nous admettons que c’est dans ce contexte que M. Rosny Smarth a été nommé Premier ministre.
Les rapports entre l’OPL et M. Préval se sont développés dans ce cadre, de même que notre participation au gouvernement avec M. Rosny Smarth comme Premier ministre. Nous ne nous sommes pas battus pour les ministères. Il n’y avait qu’un seul ministre de l’OPL : M. Paul Déjean (ministère des Haïtiens vivant l’étranger). Il faut noter qu’il était déjà depuis longtemps l’un des proches amis d’Aristide. La moitié de son cœur était à l’OPL, l’autre moitié était avec René Préval et Aristide, en fonction des relations de travail et d’amitié qu’ils ont entretenues par le passé. Cela revient à dire que, pour nous, la question du pouvoir, la question des « jobs », n’était pas fondamentale. Il fallait rendre le gouvernement efficace. Nous avons proposé aussi des amis de l’OPL pour qu’ils deviennent des ministres. Nous avons aidé à former un cabinet de coalition qui puisse donner au président Préval un coup de main efficace, parce que nous estimions que c’était une grande opportunité historique pour le pays. Après le retour d’Aristide et la résurgence de toutes les vicissitudes, il fallait arriver à une époque de stabilité.
R.L. :
Êtes-vous aussi au courant que certaines branches de la coalition politique Lavalas ne voulaient pas de vous comme Premier ministre?
G.P.C. :
Pour nous, au niveau de notre parti, cela n’a créé aucune frustration. Aucune difficulté. Il fallait collaborer… Trouver l’homme qui était le mieux placé pour fournir cette collaboration. C’est dans cette perspective que Rosny Smarth a offert au président Préval une collaboration d’une loyauté inhabituelle dans les rapports politiques de ce pays.
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Le Premier ministre Rosny Smarth a craqué, cédé sous les pressions de la rue et démissionné avec fracas de sa haute fonction. Des groupements populaires proches de Tabarre, comme Jan’l pase li pase (JPP) de René Civil investissaient les rues de la capitale en signe de désapprobation, de protestation contre une soi-disant politique économique inspirée du plan néolibéral privilégiée par la primature et imposée à Haïti par les bailleurs de fonds internationaux, tels que la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, le Fonds monétaire international… Rony Smarth est catalogué de « vendeur de pays ». Finalement, ce dernier n’a eu d’autre choix que de déposer le tablier, et de partir.
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Robert Lodimus :
- Pierre Charles, depuis le départ de M. Rosny Smarth, Haïti traverse une crise gouvernementale qui risque de compromettre sa stabilité sociopolitique. Plusieurs secteurs sociaux, économiques et politiques rendent l’OPL directement responsable de cette situation alarmante. Ils parlent de « l’intransigeance » de l’OPL dans toutes les négociations pour résoudre la crise gouvernementale. Qu’en dites-vous, M. Pierre Charles? Est-ce exact? Êtes-vous aussi « intransigeants » que vos adversaires le disent?
Gérard Pierre Charles :
Non! Absolument pas! Je crois que ce qui caractérise l’OPL, c’est justement une vision flexible. Je crois qu’au sein de l’OPL, il n’existe pas de structure reflétant le sectarisme, le dogmatisme. L’expérience politique que moi-même, comme vieux militant, je fais au sein de l’OPL, est fascinante. Comment? Dans un cadre démocratique et collectif au sein de l’équipe, les gens discutent, manifestent leur désaccord… personne n’a le sentiment que l’autre est en train de glisser une peau de banane sous ses pieds. Pour moi, l’expérience de l’Organisation du Peuple en Lutte porte l’étampe d’une vision de travail d’équipe, de leadership collectif. Nous nous efforçons de comprendre Haïti. Nous ne saurions avoir une « attitude d’intransigeance ». La situation de ce pays est trop fragile pour qu’un parti responsable comme le nôtre puisse se payer des « attitudes d’intransigeance ». Beaucoup d’entre nous avons vécu assez d’expérience pour ne pas croire que nous détenons le monopole de la vérité et que l’autre n’a pas le droit de faire valoir son point de vue. Un débat démocratique doit être fondé sur la vérité. Sur l’objectivité.
Qu’est-ce qui s’est passé? Je disais que Rosny Smarth a eu une attitude d’une loyauté extraordinaire vis-à-vis de René Préval. Au niveau de l’Organisation, nous lui avons laissé les coudées franches. Mais la présidence répondait à sa loyauté par une très grande déloyauté. Souvenez-vous de cette fameuse affaire JPP – JTT (Jan l’ Pase l’ Pase – Jan l’ Tonbe l’ Tonbe), les grèves préfabriquées, les propagandes selon lesquelles Rosny Smarth était en train de vendre le pays, les agitations de rues, la campagne de déstabilisation, avant même que l’on soit arrivé au moment de l’interpellation du Premier ministre. On pouvait percevoir un tandem où se conjuguaient déjà la rue et le palais national pour lui créer des difficultés. Lorsque M. Smarth a démissionné de sa fonction, c’était la décision d’un homme qui s’est senti trahi. Trompé. Et à partir de ce moment, le jeu était déjà bouleversé entre l’OPL et M. René Préval. Les élections du 6 avril 1997, comme je vous le disais, auraient pu être – malgré la faible participation des partis et de l’électorat qui l’entachait de toutes les suspicions et réserves – une compétition démocratique. Certains ont voulu en faire une opération de fraude, pour imposer une majorité au sénat. Dès lors, nous avons passé des heures à discuter avec le président Préval. Nous lui avons signalé, dès le départ, que la « magouille » ne passera pas. Nous nous sommes référés à l’expérience dominicaine aux élections de 1994, lorsque Peña Gomez a accusé Balaguer de fraude et que les élections ont été remises en question. Ils sont arrivés là-bas à un accord politique. Balaguer a accepté de couper de moitié son mandat présidentiel pour organiser des élections anticipées en 1996. Mais pour ce qui nous concerne, toutes nos propositions ont rencontré l’indifférence du président. Ces problèmes, on dirait, ne l’intéressaient pas.
R.L. :
Jusqu’à présent, vous rendez le président de la République responsable du départ de M. Smarth.
G.P.C. :
Non. J’ai été très clair. Je vous dis comment les choses se sont passées. Ce n’est pas que je le rende ou pas responsable. Je vous parle d’un fait historique qui pourrait être prouvé. Mais ce que je veux souligner, c’est que nous avons entrepris plusieurs démarches. Si on nous accuse d’intransigeance, vous savez pourquoi? L’OPL n’était pas d’accord avec la fraude électorale. Et surtout n’avait pas accepté de courber la tête devant celui qui voulait paraître comme un « sauveur suprême ».
R.L. :
Le président tenait-il vraiment à récupérer les trois années qu’il avait passé en exil?
G.P.C. :
Ah, je ne sais pas, je n’ai jamais été le confident de M. Aristide. Simplement, je vous dis : les prises de position de l’OPL étaient basées sur des questions de principe pour la défense de la démocratie, de la justice, pour la lutte contre la corruption en Haïti. Évidemment, beaucoup de gens à l’intérieur de Lavalas nous voient comme des empêcheurs de tourner en rond. De là, cette intention d’intransigeance que des individus nous prêtent innocemment. D’après ce qui leur arrive comme désinformation, certaines gens imaginent peut-être que nous ne voudrions pas que la crise soit résolue. Nous leur faisons clairement remarquer ceci : il y a eu une tendance au sein du pouvoir qui accuse une volonté indécente de capitalisation du conflit au profit du « leader messianique » qui veut toujours projeter le profil d’un « homme de concession », celui qui fait tout pour ramener l’ordre et la paix. Pourtant, nous avons fait plusieurs propositions pour une sortie de crise qu’il a rejetées du revers de la main. Et la dernière en janvier 1998. Nous souhaitions rencontrer simultanément l’ex-président Aristide et le président Préval. L’OPL est une organisation politique qui a une implantation nationale. Une présence au Parlement. Personne ne peut gommer l’OPL. La démocratie implique l’acceptation de l’existence de l’autre. À partir du moment où nous existons, il faut discuter avec nous, il faut négocier avec nous. La négociation est la seule voie de sortie dans une situation de conflit au sein d’une société démocratique.
R.L. :
Vous répétez toujours que la présidence refuse de négocier avec vous, avec votre mouvement politique. Qu’entendez-vous par négocier? Cela n’a jamais été clairement défini…
G.P.C. :
Effectivement. La question est très pertinente. Nous nous sommes, M. Préval et nous, rencontrés plusieurs fois. Nous avons passé des heures à parler de politique. Mais nous n’avons pas négocié. La négociation suppose que nous sommes deux partenaires en situation de conflit qui défendent des intérêts divergents, qui sont divisés sur des enjeux spécifiques, et qui discutent ensemble afin de trouver une solution qui convienne aux deux protagonistes. En de pareils cas, il faut définir les règles du jeu, souligner les points auxquels nous tenons, sans ignorer et écarter du processus l’intérêt de la nation. En fonction de toute une série de considérations, la négociation ou la médiation aboutissent à un type déterminé d’accord. La présidence et nous, n’avons jamais eu de rencontre que l’on pourrait situer dans le cadre d’une négociation. Jamais eu de négociation comme telle! En Amérique Centrale, dans les pays où il y a eu des situations de conflit, des guérillas anciennes se sont assises avec les militaires pour négocier. Les négociations duraient des mois – très souvent avec l’appui de la communauté internationale – et elles aboutissaient à des résultats conciliants.
En Haïti, nous ne sommes pas en situation de guerre. Mais la fragilité de l’économie et de la société haïtiennes, surtout lorsqu’il n’y a plus de Premier ministre, dissuade les particuliers à investir leurs capitaux en Haïti. Vous savez qu’au Guatemala (un pays où la guerre civile a duré quarante ans), la guerre de guérilla avait eu lieu dans la montagne. Mais dans les villes de l’ensemble du pays, il y a eu des investissements étrangers. De grands hôtels s’y sont installés. Il y a eu donc un développement économique et social en continuité. Tandis qu’en Haïti, à cause de notre histoire, à cause de notre passé récent, quand il y a un quelconque facteur qui va à l’encontre de la stabilité sociale, immédiatement cela a des répercutions négatives. En clair, quand il n’y a pas de Premier ministre, les gens qui voient cela de l’extérieur de nos frontières pensent qu’il s’agit du chaos, et que le pays ne fonctionne pas. Absolument pas! Évidemment, le pays fonctionne mal. Une telle situation nous oblige à réfléchir et à négocier pour éviter la catastrophe.
R.L. :
Et l’OPL exige quoi exactement dans ces négociations?
G.P.C. :
Nous devons faire une introduction, puisqu’un an s’est écoulé depuis les élections du 6 avril 1997. En mai et juin 1997, qu’est-ce que nous réclamions? D’abord, le renvoi total du CEP. Et puis, l’annulation du deuxième tour des élections. Le CEP n’a pas été modifié. Le deuxième tour n’a pas eu lieu. Le processus électoral a échoué. Et les élections sont restées sans conclusion. Aujourd’hui, nous ne réclamons pas les mêmes choses.
R.L. :
Aujourd’hui, vous réclamez quoi?
G.P.C. :
Aujourd’hui nous pensons qu’il faut un Premier ministre à ce pays. À travers les efforts déployés pour y arriver, nous sommes convaincus qu’il y aura une solution à la crise électorale. Une solution sûre et durable qui ne regardera pas en arrière. Une solution fiable qui nous poussera vers l’avant. Dans quel sens? Vous le savez, il doit y avoir en 1998 des élections pour élire les ASEC, CASEC, les maires, les députés et pour renouveler les deux tiers du Sénat : le tiers de 1998 et le tiers frustré de 1997. Je crois que cette réalité exige, impose la formation d’un Conseil Électoral Provisoire qui représente les intérêts de tous les secteurs politiques, qui offre des garanties à tous les protagonistes, pour qu’il n’y ait pas seulement 6% des Haïtiens à participer au vote. Les opérations électorales peuvent bien révéler des failles, accuser des faiblesses, mais si elles sont réalisées avec du sérieux, elles demeurent le terrain privilégié de l’exercice de la démocratie. Il y a des politiciens, très souvent, qui cherchent à tromper tout le monde. Or, nous vivons dans une société où, grâce à la connaissance, la circulation rapide de l’information, les pensées et les gestes deviennent de plus en plus prévisibles et transparents. Nous voulons qu’il y ait des élections libres, pour réconcilier le pays avec la « démocratie ». Il ne faut pas que les gens aient le sentiment que la « démocratie » conduit à la pagaille. Ils doivent comprendre que la « démocratie », c’est la seule façon d’assurer la « vie individuelle », c’est-à-dire celle de chacun de nous, et que c’est la seule façon de pourvoir à l’évolution, au développement d’un pays comme Haïti.
Robert Lodimus :
Le 17 mars 1998, vous avez donné une conférence de presse au cours de laquelle vous avez déclaré ceci :
« L’OPL, veut attirer encore une fois l’attention de l’opinion publique sur une série de manœuvres du pouvoir Lavalas et des secteurs à sa dévotion, de nature à conduire à l’aggravation de la crise plutôt qu’à sa solution prochaine, comme le souhaite la population et comme le voudrait notre Organisation qui a multiplié en ce sens des initiatives et des concessions. Le président de la République, chargé par la constitution de la bonne marche des institutions, a fait montre ces derniers mois d’un immobilisme significatif. En même temps, des secteurs liés au pouvoir recommencent leur campagne en faveur du retour au Parlement du dossier de M. Hervé Denis. »
Vous rejetez le blâme sur la présidence? Avancez-nous quelques raisons qui puissent justifier cette impression auprès de l’opinion publique?
Gérard Pierre Charles :
Nous avons une majorité relative certes, mais majorité quand même. Elle est remise en question par des minorités. Par des gens qui pensent que la loi de la minorité a le droit de perturber le fonctionnement des institutions. Qu’est-ce que nous constatons par là? Le président plus d’une fois a fait des déclarations qui montrent qu’il n’a pas vraiment la volonté de résoudre la question électorale et la crise gouvernementale. Si c’est vous le chef d’orchestre, si c’est vous le capitaine, c’est vous qui avez la responsabilité de négocier, de trouver les moyens pour redresser une situation politique chaotique. La politique est, par définition, l’art de faire face à des problèmes compliqués en recourant à des méthodes de concessions utiles, à des séances de discussions fructueuses, à des principes d’ententes avantageux pour le pays. Voici donc la réalité! Nous sommes assez préoccupés… Nous sentons que la situation économique et sociale demeure fragile. On n’arrive pas à alléger la souffrance du peuple; nous nous enfonçons dans la dégradation des institutions. Sans parler du manque à gagner, c’est-à-dire, ce qu’aurait pu être la situation économique, s’il n’y avait pas eu cette crise, du point de vue des investissements provenant des pays industriels ou de la diaspora, donc, des investissements étrangers, des apports du capital international sous forme de dons et de prêts. C’est à cause de tout cela que nous croyons qu’il faut arriver à une solution de compromis. Et nous sommes prêts à l’accepter. Nous avons fait une expérience dont nous avons payé les coûts politiques sans aucun bénéfice. Et quand je dis bénéfice, ce n’est pas dans l’esprit d’utiliser les voitures de l’État, les ressources de l’État et les institutions de l’État pour faire campagne ou pour promouvoir notre Organisation. Notre principal objectif, c’est d’aider à l’avancement de la démocratie… On ne peut pas résoudre la question de la crise simplement dans une optique bornée, limitée, à partir des décisions des hommes du palais national ou de Tabarre. Nous pensons qu’il y a des gens qui ont participé au « processus démocratique », qui ont lutté pour le retour de la « démocratie » et qui ont manifesté suffisamment d’ouverture, suffisamment d’indépendance, d’autonomie comme personnes et qui, face à une crise de cette nature, peuvent éventuellement offrir leurs services.
J’ai écrit un livre qui s’appelle « Radiographie d’une dictature » et très souvent, j’ai des échos de réactions des enfants, des jeunes qui y découvrent ce qu’a été ce régime d’horreur. Sur la base de cette expérience qu’a vécue le peuple haïtien, personne ne peut penser qu’on puisse retourner à quelque chose qui ressemble à l’antidémocratie ou à la dictature. Nous respectons l’apport que l’ex-président Aristide a apporté à la démocratie haïtienne en ayant contribué, entre autres, à la dissolution informelle de l’armée. Mais, à partir du moment où nous découvrons chez lui des penchants, des visées, des comportements, des attitudes antidémocratiques, nous disons : NON! Face aux vicissitudes de l’avenir, la population s’inquiète avec raison de la situation politique qui se développe et comprend souvent le danger. Je sens que nous avons fait monter une charrette sur une pente difficile, malaisée, sablonneuse, avec des épines et des précipices partout. Nous sommes arrivés à un endroit où il faut continuer à pousser, jusqu’à ce qu’il soit possible d’atteindre un seuil de stabilité, un seuil où les règles du jeu politique soient respectées, où le pays puisse entamer sa marche vers le développement durable.
Conclusion
Depuis les élections de 2010, le duvaliérisme s’est remis visiblement et facilement en selle. Lavalas n’arrive plus à se replacer comme avant le 29 février 2004 sur l’échiquier politique. La popularité de M. Jean Bertrand Aristide s’évapore comme l’eau d’un récipient exposée au soleil. La nature a comblé son vide de façon stupide, surprenante, imprévisible. Après le « grossier personnage » qui baisse son pantalon en public, c’est une « famille de blanchisseur d’argent sale » qui jouit de l’hospitalité du palais national. François Duvalier et son fils Jean-Claude ne peuvent pas endosser seuls les causes, les responsabilités et les conséquences de la décadence de la République d’Haïti. Les politiciens actifs de l’après 1986 doivent avoir le courage de se présenter devant la Nation afin de lui demander « Pardon ». Pardon pour leur incompétence. Pardon pour leur manque de vision sociale et économique. Pardon pour leurs penchants vers la variance et la délinquance. Pardon pour leurs sentiments de loyauté et de vassalité à l’égard des États-Unis, du Canada, de la France : les trois principales puissances impériales qui compromettent la souveraineté, l’indépendance, l’autodétermination de la République d’Haïti par l’entremise de la Minustah de Sandra Honoré et du Core Group.
Néanmoins, les militants patriotes ne baisseront pas pavillon. Car le combat n’est pas terminé. Il y a encore des femmes et des hommes en Haïti et dans la diaspora.
Robert Lodimus