Jusqu’au bout le Premier ministre Haïtien, Jack Guy Lafontant, aura tenté de garder la Primature, siège officiel du gouvernement. Mais sa situation était devenue intenable. Les demandes de démission venues de toute part l’obligeaient à partir. Il fallait qu’il démissionne. C’était le fusible, il devait sauter pour sauver le Président. Plus résistant que politique, celui qui est désormais à la tête d’un gouvernement démissionnaire en exécutant les affaires courantes en attendant que le Président de la République, Jovenel Moïse, lui trouve un successeur, étonne plus d’un pour sa combativité afin de sauver son poste. Mais la conjonction des forces en présence – opposition et son propre camp – et la conjoncture politique ont eu raison de sa ténacité. Après les violentes émeutes populaires des trois jours qui ont ébranlé le socle présidentiel, tout le monde pensait que la démission du Dr Jack Guy Lafontant aura été une simple formalité. Erreur infinie !
L’homme est apparu plus coriace que prévu et même très politicien. Un défaut ou une qualité qu’on ne lui soupçonnait guère. Depuis sa parution à la télévision (TNH) le samedi 6 juillet au deuxième jour des manifestations populaires pour justifier les hausses des prix du carburant et où des actes de pillages et d’incendies ont été enregistrés, on le disait dépassé par les évènements. De fait, il devait jouer son rôle de tampon afin de protéger le Président de la République. Mais l’homme ne semblait pas disposé à assumer seul ses responsabilités quitte à mettre en difficulté Jovenel Moïse que l’opposition tient pour responsable des émeutes d’une violence inouïe depuis la chute de la famille Duvalier en 1986. Durant une semaine, Jack Guy Lafontant avait multiplié les rencontres en faisant des promesses mirobolantes à presque tous ceux qu’il pensait pouvoir le sauver d’une humiliation à la Chambre des députés où des parlementaires de l’opposition et surtout une bonne partie de sa propre majorité réclamaient sans détour sa démission.
De l’autre côté, au Palais national, le chef de l’Etat, lui aussi ébranlé par ces trois jours qui ont failli lui coûter sa présidence, a enchaîné rencontres sur rencontres avec des personnalités de tous les secteurs. Partis politiques, Société civile organisée, les organisations patronales, le monde des affaires victimes des actes de pillages et de sabotages, les syndicats, les représentants de la Communauté internationale en Haïti, les institutions nationales, Organisations Populaires (OP), etc, en vue de trouver une issue honorable à une période de tension loin de dire son dernier mot. Car, l’opposition qui n’a pas su prendre son envol durant les manifestations tente de ressurgir ou de prendre le train en marche, bien que celui-ci soit déjà loin, et pense trouver le maillon faible d’un Président dont elle n’a jamais reconnu l’élection. Durant toutes ces rencontres, le chef de l’Etat n’a entendu qu’une seule chose : le départ immédiat de son Premier ministre et le soutien de ceux qui l’ont mis dans ce pétrin.
Les différentes Chambres de commerces et d’associations des gens du Secteur d’affaires l’ont dit de manière formelle: Jack Guy Lafontant est incompétent et est donc inapte à conduire les affaires du pays. Elles réclamaient purement et simplement sa tête au Président de la République qui, il faut le dire, était très réticent à laisser partir son joker qui en réalité ne peut plus lui être utile. Discrédité aux yeux de tous les acteurs économiques et méprisé par la classe politique, le chef du gouvernement devenait le boulet dont il fallait se débarrasser au plus vite. Même au sein du pouvoir, certains, non des moindres, croyaient qu’il fallait décharger le Président Jovenel Moïse de cet encombrant colis dont la présence était plus nuisible qu’utile dans le processus de rétablir la confiance dans le pays. Mais, pendant tous ces remue-ménages au Palais national en vue de le conduire vers la sortie, Jack Guy Lafontant qui ne voulait pas perdre sans se battre ne lâcha pas prise. Il a tenté, disons-le en vain, de constituer sa propre majorité à la Chambre basse. D’où des rumeurs et même des déclarations de certains sénateurs faisant croire qu’il y a eu distribution de fortes sommes d’argent auprès de certains députés durant toute la semaine précédent l’interpellation du PM.
L’ex-titulaire de la Primature a aussi apporté un certain crédit dans les rumeurs au sein de l’opinion publique quand il disait « Peuple haïtien ! Je serai au rendez-vous de l’histoire, au Parlement, le samedi 14 juillet dès 10 heures ». Entre provocation et non sens, Jack Guy Lafontant a tout fait pour semer la confusion sur son sort après le soulèvement. Surtout quand il a déclaré sur son compte twitter : « C’est la vérité, la bonne foi, le travail et l’honnêteté qui doivent faire la différence. Peuple haïtien, aujourd’hui, votre espoir est entre les mains des députés ». Une façon de prendre la population à témoin alors qu’il est vilipendé par cette même population qui réclame sa tête. Pourtant, en dépit de toutes les manœuvres du patron de la Primature, son sort était déjà scellé devant le Parlement et devant la Nation qui demandaient des comptes ou qui avaient besoin d’un bouc émissaire faute d’avoir dans l’immédiat la peau de Jovenel Moïse. Du coup, ce Premier ministre sans base populaire dans les bidonvilles et les ghettos ni assise politique dans le pays, encore moins dans la capitale et dans les milieux diplomatiques, ne faisait que gagner du temps.
En plus d’une séance d’interpellation fixée pour le samedi 14 juillet 2018 à la Chambre des députés, séance, d’ailleurs, qui était mise en continuité justement pour un vote de confiance ou une motion de censure, les leaders de l’opposition, quoique totalement en dehors du coup, faisaient monter la pression sur le Président Jovenel Moïse avec l’espoir de commencer par chasser son Premier ministre qu’ils jugeaient totalement inefficace et pas à la hauteur des enjeux du moment et des revendications de la population. Donc, la présidence s’est retrouvée devant un choix cornélien. Soit elle soutient le PM contre vents et marrées et donc fragilise davantage la position du Président de la République en donnant du grain à moudre à l’opposition qui cherche désespéreraient à quoi s’accrocher. Soit elle lâche le PM quitte à l’épargner de l’humiliation d’un vote de censure en trouvant avec lui une porte de sortie, une sorte de paix des braves, dans lequel tout le monde y compris le Parlement aurait sauvé la face. Surtout, le Président du Sénat, Joseph Lambert, piaffant d’impatience de jouer au Président de la République se verrait bien à la place du Calife.
Bien que en public il joue à l’apaisement et à l’homme de consensus républicain après la rencontre qui s’est tenue au Palais national entre les trois pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire – codétenteurs de la souveraineté nationale. Signalons aussi que dans le cafouillage généralisé qui a eu lieu durant cette semaine de pure folie en Haïti, le Sénat de la République s’était dit prêt à assumer ses responsabilités constitutionnelles. En clair, si le chef de l’Etat devait quitter le pouvoir, le Président de l’Assemblée Nationale comblerait le vide constitutionnel. Dans la foulée, un groupe de sénateurs avait lancé l’idée d’une convocation pour interpeller le Premier ministre si la séance fixée à la Chambre basse avait échoué ou n’avait pas pu avoir lieu. Mais, même abandonné par tous, Jack Guy Lafontant n’entendait pas se faire sacrifier comme un agneau que l’on conduit sur l’autel d’un bûcher fumant. La tradition de la corruption politique en Haïti veut qu’on se batte à coup de millions de gourdes pour garder son poste quand on conduit les affaires de l’Etat.
Ainsi, jusqu’à la veille du jour-J de la reprise de la fameuse séance auprès des députés, Jack Guy Lafontant et son équipe n’avaient pas perdu l’espoir de se maintenir à la Villa d’Accueil, siège du gouvernement. Le rendez était prévu pour 10h ce 14 juillet 2018 au bord de la mer. Le PM n’avait que le boulevard Harry Truman à traverser au Bicentenaire pour rejoindre le Parlement. Mais, compte tenu de la largesse de la Primature ces derniers jours vis-à-vis de certains députés, le doute s’est répandu au milieu de l’opinion et auprès des observateurs politiques. Surtout le Premier ministre n’arrêtait pas de jouer à la provoc en faisant croire qu’il a la confiance du chef de l’Etat. Sauf que, au milieu de tout cela, il y a un groupe de députés proches du pouvoir qui n’entendait pour rien au monde apporter leur confiance à un chef de gouvernement qui semblait ne pas comprendre que le sable se dérobait sous ses pieds au fur et à mesure que l’heure fatidique approchait.
Si les députés de l’opposition montaient au fur et à mesure au créneau dans les médias pour clouer au pilori Jack Guy Lafontant à cause de son inefficacité, ce qui devait attirer l’attention de l’équipe du PM ce sont les déclarations de certains députés de son camp ou le silence de ceux pourtant prompts à venir défendre la politique du gouvernement dans les médias. Arrive le moment tant attendu par les uns et redouté par les autres. Prévu pour 10h, la séance a fini par débuter aux environs de 13h. Ce n’est pas une nouveauté. C’est même devenue une habitude en Haïti, les séances d’interpellation ne démarrent jamais à l’heure. Les tractations des derniers moments entre différents groupes d’élus et le pouvoir en sont généralement responsables. Ce samedi 14 juillet 2018, la tension est à son paroxysme à la Chambre des députés. Ame sensible, s’abstenir. Sur les 117 députés, seulement 61 étaient présents à l’appel nominal. La séance peut reprendre car il en faut 60. Avec un quorum atteint de justesse, c’est le premier doute pour Jack Guy Lafontant qui croyait avoir tout fait afin qu’il n’y ait pas de quorum. Qu’importe, à tout moment ce quorum peut être infirmé.
Il suffit qu’un député quitte la salle pour que tout bascule en sa faveur. Sauf que, à la grande déception du PM, plusieurs autres députés viennent renforcer le quorum pour finalement arriver à 67 élus présents. Curieusement, malgré ce changement de tactique ou de stratégie du groupe majoritaire proche du pouvoir, dont tout indique qu’ils sont sur la même ligne que les députés de l’opposition, Jack Guy Lafontant qui était arrivé au Parlement à la tête de son gouvernement presqu’au complet, garde un sourire qui en dit long sur la confiance qu’il avait en son Président de la République qui, croyait-il, contrôle les députés du groupe majoritaire. Tout est fin prêt pour l’ouverture des hostilités. Le Président de la Chambre des députés, Gary Bodeau, ouvre donc la séance. Sans perdre de temps, un membre du camp du PM, le flamboyant député de Kenskoff, Alfrédo Antoine, monte à la tribune. Il est en colère pour le non respect, selon lui, de la procédure. Il s’accroche au Pupitre refusant de céder sa place à un de ses collègues de l’opposition qui a sollicité la parole.
Pour autant, il ne défend pas le bilan du gouvernement. Ce partisan zélé du Président Jovenel Moïse se contente du strict point de droit. Finalement, le Président de la Chambre, Gary Bodeau, fait appel à la sécurité (Huissiers) pour l’arracher de la tribune. Après, c’est l’un des porte-parole de l’opposition à la Chambre basse, le député de Petit-Goâve, Marcel Lumérant, qui a planté le décor avec un constat amer de la politique conduite depuis près de deux ans par Jack Guy Lafontant. Sans appel, son réquisitoire est une condamnation pour violation de la Constitution du fait que le Premier ministre n’avait pas jugé bon de renvoyer les quatre ministres épinglés par la Cour Supérieure des Comptes depuis leur nomination. Certains n’auraient pas eu de décharge alors qu’ils avaient géré les deniers de l’Etat. Vu le contexte de l’interpellation du PM, l’assistance a été surprise de l’intervention du député de Petit-Goâve qui pratiquement n’a pas dit un mot sur les événements récents qui ont secoué le pays et la région de Port-au-Prince en particulier avec au moins une vingtaine de morts et des dégâts chiffrés à plusieurs millions de dollars américains.
Fait insolite, durant toute l’intervention à charge du député Lumérant contre Jack Guy Lafontant, celui-ci se contentait de sourire comme si le député était en train de perdre son temps en élucubration sans rien dire de sérieux. Selon certains observateurs et éditorialistes présents ce samedi 14 au Parlement, l’attitude du Premier ministre prouve qu’il avait la parole du Président Jovenel Moïse et celles des députés de son camp. Du coup, il a pêché par excès de confiance. Puisque, à aucun moment, pas un élu n’est venu lui apporter son soutien jusqu’à ce que le chef du groupe Alliance Parlementaire pour Haïti (APH), le groupe majoritaire, Jean Wilson Hyppolite, monte au Pupitre et réclame une suspension de séance sans rien dire en faveur du Premier ministre qui reste inconscient de la scène qui était en train de jouer en sa présence. Il avait continué avec son sourire moqueur. Au retour dans l’hémicycle, le public a accueilli un tout autre Jack Guy Lafontant. Visage totalement fermé.
Trait foncé et l’air contrarié, le Premier ministre apparut comme quelqu’un qui venait d’apprendre une mauvaise nouvelle. En effet, Jack Guy Lafontant avait totalement perdu son sang froid en prononçant son discours devant les parlementaires qui, il est vrai pour la plupart, avaient déjà été mis dans la confidence du mauvais tour qu’ils avaient joué à l’homme souriant sans arrêt il y a quelques minutes. Après des attaques en règle contre presque tout le monde et des gens de la bourgeoisie de Pétion-Ville et de Kenscoff et particulièrement contre la Police Nationale d’Haïti (PNH) qu’il accusa d’être quasiment responsable de ce qui s’est passé lors des émeutes du 6, 7 et 8 juillet 2018, celui qu’il faut désormais considérer comme un ex-Premier ministre crut même détecter en l’institution policière les germes de l’ancienne FAD’H (Forces Armées d’Haïti). Il conseilla même au Parlement de prendre au plus vite tous les pouvoirs que détient la Police nationale ou peut-être le Directeur général de la police. Sauf qu’il y a un problème, un gros problème dans cette demande.
Dans la mesure où c’est le chef du gouvernement, donc le Premier ministre en fonction, qui préside le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) entouré du ministre de la Justice et de la Sécurité Civique, du ministre de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, du Commandant en chef des forces de police et de l’Inspecteur général en chef de la police nationale. Jack Guy Lafontant, comme quelqu’un qu’on a contrarié dans son plan et dans ses projets, a tiré des flèches dans toutes les directions quitte à s’en prendre à certains Haïtiens dont il faut se méfier et qui ne doivent pas être à la tête des affaires de l’Etat. Un discours aux accents purement démagogiques. Enfin, après un suspens insoutenable, celui qui s’accrochait désespérément au pouvoir et ne voulait pas quitter l’or des Palais de la République a fini par dire qu’en réalité il n’était plus Premier ministre. Puisque avant même de venir au Parlement il avait déjà remis sa démission au chef de l’Etat qui l’avait acceptée.
En gardant le secret jusqu’au bout, c’est une sorte de pied de nez que le médecin a fait aux parlementaires. Histoire de dire que ce n’est pas vous qui m’avez chassé du pouvoir mais c’est de mon propre chef que j’ai décidé de partir. Si dans un premier temps les députés ont applaudi ce qui paraissait être une sage décision, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’après quelques minutes d’applaudissement, ils ont vite repris leur esprit. Ils ont réalisé le coup politique, voire l’affront fait au Parlement par le docteur. Ils n’ont pas du tout apprécié le geste. Tous ou presque ont critiqué vertement cette attitude anticonstitutionnelle de celui qui a eu l’honneur de conduire les affaires de la Nation durant plus de 17 mois. Tout se serait passé dans les coulisses du Salon Diplomatique du Parlement au moment de la suspension de séance. Constatant la résistance de Jack Guy Lafontant pour ne pas abandonner la Primature, certains députés influents et partisans du pouvoir auraient forcé la main non seulement au Président Jovenel Moïse de mettre son PM en demeure de démissionner mais ils auraient menacé de le destituer de manière humiliante au retour dans l’hémicycle.
Du coup, un stratagème a été mis en place avec les trois parties : présidence de la République, Parlement et l’intéressé pour dire qu’il avait déjà présenté sa lettre de démission au Président Jovenel Moïse. Ce consensus a pu débloquer une situation où Jack Guy Lafontant prenait quasiment tout le monde en otage. Puisque, si les parlementaires s’étaient résolus à lui voter une motion de censure suite à la mauvaise conduite des événements qui se s’étaient déroulés une semaine auparavant, finalement c’est toute la société dans son ensemble y compris d’ailleurs la fameuse Communauté internationale qui voulaient son départ de la Primature. Cette Communauté internationale, particulièrement le Fonds Monétaire International (FMI) qui voulait à tout prix protéger son ami Jovenel d’une situation qu’elle a en grande partie provoquée estimait opportun que Jack Guy Lafontant joue son rôle de fusible et donc avait sollicité sa démission immédiate. Au regard de la Constitution, si le Premier ministre était déjà démissionnaire, il n’aurait pas dû venir s’exprimer devant les parlementaires. Si vraiment il avait présenté sa démission qui d’ailleurs avait été acceptée, le PM a posé un acte de forfaiture. Mais on pense qu’il ne l’avait pas fait auparavant.
Sinon, il aurait acheminé une copie de la lettre au Président et au vice-Président de l’Assemblée Nationale respectivement Joseph Lambert et Gary Bodeau pour confirmer sa décision. Finalement, c’est sous de fortes pressions que le pays a fini par arracher Jack Guy Lafontant de la Primature ce 14 juillet 2018. Maintenant le pays attend avec impatience son successeur. Souhaitons qu’il soit à la hauteur des enjeux qui l’attendent. Qu’il soit un homme ou une femme, le défi est énorme. La situation politique, économique et sociale du pays est dans un état plus que chaotique. Quant à la population, elle est dans l’impasse. Elle attend celle ou celui qui saura prendre en compte sa détresse. En conclusion, la tentative des hausses des prix du carburant et du transport en commun a fait une énième victime. Elle se nomme, Jack Guy Lafontant.
C.C