Jaccéus Joseph parle de la conjoncture (2)

Deuxième partie et fin de notre interview avec l’avocat Jaccéus Joseph

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Jaccéus Joseph

Haïti Liberté : L’ancien ambassadeur des États-Unis, Kenneth Merten, a déclaré dans une récente interview que les États-Unis, le Canada et la France allaient commencer à former la police haïtienne de manière à « renforcer la sécurité », ce qui signifie clairement combattre les groupes armés qui ont surgi dans les bidonvilles en Haïti,  en particulier ceux qui appellent à la révolution armée contre la bourgeoisie haïtienne. Ces formateurs et conseillers pourraient-ils être le précurseur d’un déploiement de troupes plus important et quelle est la probabilité, selon vous, d’une quatrième occupation militaire étrangère dans les mois à venir ?

Jaccéus Joseph :   Cela fait toujours partie de l’ordre des choses. Au cas où la police, une fois armée par les trois grandes puissances, au cas elle n’aurait pas pu donner la garantie de l’effacement total des organisations qui ne sont pas sous contrôle ou entre les mains des grandes puissances impérialistes, ça va être l’intervention militaire.

Et c’est ce qui a expliqué en 2004, l’intervention de ces pays-là et même à plusieurs reprises en Haïti. Quand les forces répressives du pays sont incapables de répondre aux besoins des groupes bourgeois à l’intérieur du pays, leurs amis, leurs compagnons étrangers, les propriétaires bourgeois étrangers, c’est ce qui va arriver. On va faciliter l’intervention. Mais pour l’instant, je ne crois pas qu’il soit nécessaire pour eux d’intervenir, sauf si la police et le gouvernement sont incapables de réprimer les forces opposant au régime en place.

Quand les forces répressives du pays sont incapables de répondre aux besoins des groupes bourgeois à l’intérieur du pays, leurs compagnons étrangers vont faciliter l’intervention.

Aujourd’hui, on voit que l’état est faible. Mais au cours des manifestations, on a constaté aussi que la police est très forte pour réprimer les manifestations pour des revendications sociales, par contre elle est très faible pour réprimer les gangs, les voleurs, les kidnappeurs qui sont les alliés de la droite pour dire que l’intervention n’est pas à l’ordre du jour, sauf s’il y a un changement majeur de la conjoncture ou que l’on veut faire des élections et que ces élections paraîtraient impossible ou difficile. On attend de voir.

Haïti Liberté : Vous avez récemment déclaré qu’Haïti avait besoin d’un gouvernement légitime pouvant garantir  les revendications sociales des masses opprimées. Alors que les négociations entre les Accords de Musseau et du Montana sont à nouveau au point mort et que les élections ne se profilent nulle part à l’horizon, pensez-vous qu’un gouvernement légitime ne peut être qu’un gouvernement élu et, si oui, comment pensez-vous que nous pourrons  y arriver ?

Jaccéus Joseph : Je ne sais pas pour l’instant, vu la conjoncture actuelle, comment on pourrait y arriver. Mais ce que je peux dire, les gouvernements de transition ne seront jamais légitimes en Haïti, car ils ne garantiront jamais les revendications sociales et les aspirations légitimes du peuple haïtien. Donc dans la majorité des cas, les gouvernements de transition ne sont pas des gouvernements légitimes. En grande partie, les gouvernements de transition sont justement là pour faciliter les élections pour donner le pouvoir à un gouvernement élu.

Ce qui est clair dans les études sur la transition, comme je l’enseigne dans les classes de sciences politiques à  l’Institut National d’Administration de gestion et des Hautes études internationales (INAGHEI), la transition aurait dû permettre l’établissement d’une société plus tranquille, plus paisible en attendant de donner le pouvoir à un gouvernement élu. Habituellement, les gens qui ont fait la transition en Haïti, la seule qui ait réussi, est celle de Mme Trouillot, c’est parce qu’elle avait l’unique tâche de faire des élections.

Dans le cas contraire, un gouvernement non élu ne pourrait jamais garantir les revendications sociales. On est foutu, si on pense que ça pourrait arriver. Le gouvernement de transition sur le plan social et économique doit garantir la stabilité économique et sociale, ensuite la stabilité politique. On ne voit pas comment le gouvernement d’Ariel qui est décrié avec ces genres de manifestations pourrait aboutir.

L’autre facette, si on parle de Montana, est-ce que à Montana, on pourrait faciliter un gouvernement de transition qui garantirait les revendications sociales du peuple haïtien ? Je ne crois pas non plus. Même si on prend n’importe qui à la tête, de Montana, ça ne va pas aboutir à un gouvernement légitime, un gouvernement qui garantirait les revendications sociales.

Il faut se débrouiller pour changer la donne, voir la situation d’une autre manière. Je ne crois pas non plus que les élections vont tout arranger, mais avec un gouvernement de transition, on va juste partager le gâteau entre les acteurs politiques. Rien ne va changer avec Montana sur le label des pays occupants.

Ce qui parait un peu bizarre, la conjoncture est très favorable à Montana, mais, on n’aura pas un gouvernement qui garantirait les revendications sociales. Je pense que le changement doit se faire avec quelqu’un qui aime son peuple, qui s’attache aux revendications de la population, c’est cette personne-là qui va garantir un gouvernement légitime et apporter un volet social, important dans sa politique et matérialise ce volet social, ce gouvernement va être un gouvernement légitime qui garantirait la stabilité et la sécurité dans le pays.

Je ne pense pas que l’accord de Montana soit un accord qui viserait le renversement d’un système, qui viserait la transformation de la société. Le document de Montana et même les acteurs qui ont participé à Montana n’ont pas cette prétention. C’est quoi Montana ?

En réalité, les progressistes qui ont participé à Montana étaient très minimes par rapport aux non-progressistes. C’est pourquoi on a parlé d’une présidence collective avec plusieurs individus. Fritz Jean a été le choix des groupes progressistes et même dans ce cas, Fritz Jean paraît minime par rapport aux autres acteurs qui auront à présenter leur président tels que la chambre de Commerce et le PEN etc. Donc si l’on croyait que Fritz Jean allait donner quelque chose de progressiste, quand il sera un seul représentant parmi les autres groupes qui n’ont rien à voir avec les revendications populaires.

A ce moment là, on va donner de l’espoir à la population avec un individu. Il sera phagocyté par les autres et la population n’aura rien à gagner. Je suis sûr qu’à Montana, on avait déjà l’aval des ambassades étrangères, des gouvernements étrangers, surtout les parlements des pays qui dominent Haïti, du Core Group donc on ne va pas avoir réellement un gouvernement qui satisferait les revendications de la population. Je ne crois pas que ça va aboutir à quelque chose de progressiste pour l’amélioration des conditions de vie de la population.

les progressistes qui ont participé à Montana étaient très minimes par rapport aux non-progressistes.

Le gouvernement de Transition qui doit être établi après le départ de Ariel Henry doit refléter les expressions de la rue et les revendications telles qu’elles sont exprimées par les manifestants, notamment :

1… La baisse du coût de la vie

2… La remise du dollar américain, tel qu’il est envoyé au bénéficiaire par la diaspora

3… Le retrait sur l’augmentation du prix des carburants afin que le gouvernement continue à protéger les intérêts majeurs de la population tout en continuant à subventionner le produit pétrolier.

4… Créer des conditions pour obtenir la sécurité partout dans le pays pour que la vie normale puisse reprendre dans les marchés et les activités économiques pour permettre à la population d’essouffler un peu. Créer des conditions pour que la paix, la stabilité socio-économique puisse régner dans le pays. C’est ce gouvernement qu’un doit établir au départ d’Ariel. Donc le pays en a grandement besoin parce que le PM Ariel n’a aucun soutien populaire, aucune légitimité, il n’inspire pas confiance on ne peut pas croire qu’il peut réaliser de bonnes élections. Un gouvernement de transition illégitime ne peut pas garantir la paix et la stabilité sociale.

Ainsi le groupe de Montana qui n’est pas nécessairement le reflet de ce qui se passe dans les rues. Vue cette alliance morganatique qui a entre les différents groupes sociaux qui n’ont pas les mêmes intérêts mais qui sont regroupés à Montana, juste pour le partage du gâteau. Donc, Montana ne pourra pas refléter les revendications sociales des masses populaires. Il faut une nouvelle façon de penser cette transition avec des gens honnêtes, très sensibles aux besoins et aux intérêts fondamentaux du peuple haïtien.

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