La fin de l’année 2020 aura été submergée par le nombre de propositions venues de l’opposition dans l’hypothèse d’un départ du Président Jovenel Moïse du Palais national le 7 février 2021. La quantité de ces propositions démontre aussi qu’il y a une sorte de méfiance au sein même de cette opposition dite plurielle. Mais, cette surenchère porte en elle toute la problématique que les leaders des différentes branches de l’opposition n’ont jamais pu résoudre durant la lutte qu’ils ont menée pendant quatre années pour renverser le chef de l’Etat. Après une période de déchirure qui a traversé l’ensemble de l’opposition pour une question de leadership, c’est la plus importante force de l’opposition, la Direction Politique de l’Opposition Démocratique (DIRPOD), qui tente de reprendre la main en mettant en discussion une nouvelle proposition pour un pouvoir de transition.
En plein débat sur la nouvelle Constitution que le Président de la République souhaite faire adopter par un referendum populaire, ce regroupement de partis a préféré répondre par des propositions concrètes en vue de combler le vide, selon les responsables de cette coalition politique, le 7 février 2021 qu’ils espèrent signifier le départ de l’occupant du Palais national. C’est le lundi 30 novembre 2020 que la DIRPOD avait invité la presse au siège de l’un de ses membres, en l’occurrence la Fusion des Sociaux-Démocrates, pour les informer de son initiative. D’entrée jeu, les responsables de la Direction Politique de l’Opposition Démocratique défilent un calendrier avec les différentes étapes devant aboutir à la prise concrète du pouvoir le 7 février 2021. Car, pour les leaders de cette frange de l’opposition : toute entente avec le Président Jovenel Moïse est impossible et il n’est pas question non plus d’un dialogue avec celui-ci.
Pour eux, le premier objectif est de contraindre le chef de l’Etat à quitter le pouvoir le 7 février 2021. A partir de là, l’opposition mettra en œuvre son planning qui est aussi long que compliqué et, pour tout dire, pas très original comparativement à toutes les précédentes propositions de sortie de crise déjà en circulation depuis quatre ans. Tout d’abord, l’opposition commencera par créer une Commission bipartite composée de 7 membres. Cette entité comprendra 4 personnalités du monde politique, donc de l’opposition, et 3 venues de la Société civile. La première mission de cette Commission sera la désignation du Président provisoire de la République, donc le chef du pouvoir de la transition. Et comme l’opposition haïtienne ne va pas inventer le fil à couper le beurre, elle propose que la Commission bipartite choisit ce Président « parmi les juges de la Cour de cassation ».
Un processus long et fastidieux mais, paraît-il, nécessaire afin de trouver le compromis recherché.
Dans le document contenant les propositions et les modalités de la mise en place du « Pouvoir de Transition », les dirigeants de la Direction Politique de l’Opposition Démocratique expliquent que « Les membres de la Commission bipartite feront tout leur possible pour que leur décision soit prise par consensus. Au cas où ce consensus n’est pas trouvé dans les quarante-huit (48) heures, un vote sera organisé le troisième jour et la décision sera prise par une majorité de cinq (5) voix dont obligatoirement au moins trois représentants des partis politiques et au moins deux (2) représentants de la Société civile. Autant de tours de scrutin que nécessaires seront organisés jusqu’à ce qu’un juge soit choisi. Avant d’entrer en fonction, les membres de la Commission prendront l’engagement de trouver les compromis indispensables pour qu’un choix soit fait dans les délais établis ». Un processus long et fastidieux mais, paraît-il, nécessaire afin de trouver le compromis recherché. Si pour la désignation du Président provisoire il faudrait un parcours de combattant, en ce qui concerne la nomination du chef du gouvernement de transition, donc du Premier ministre, cette fois les chefs de DIRPOD proposent un processus moins contraignant tout en avançant à ce que cette personnalité soit « reconnue et respectée » de la société. C’est toujours le rôle de la fameuse Commission bipartite de valider le choix du chef de la Primature parmi plusieurs prétendants qui seraient en lice.
« Il sera choisi par la Commission bipartite sur une liste de trois personnalités qui comportera au moins une femme. Cette liste comportera deux personnes proposées par les partis politiques de l’opposition et une par la Société civile. Le mandat du Premier ministre prendra fin après la prise de fonction des nouveaux élus qui devra intervenir au plus tard au début de l’année 2023 ». En somme, cette branche de l’opposition propose une transition de deux ans. Bien évidemment, dans cet agenda bien rempli où l’opposition ne semble oublier aucun détail, les concepteurs de ce nouvel organigramme en vue de la « Transition » insistent pour que les futurs membres du gouvernement intérimaire qui « seront choisis en concertation, le cas échéant, entre le Président de la République, le Premier ministre, les dirigeants des partis politiques et des organisations représentatives de la Société civile, sur des listes proposées par ces deux secteurs » soient interdits d’élections durant leur fonction au sein du gouvernement de transition. « Les membres du gouvernement de transition ne pourront se porter candidats à aucun poste électif » disent-ils.
Comme tout pouvoir en place, il faut un organisme de contrôle. Dans le cadre du pouvoir de transition espéré pour le 7 février 2021 en Haïti par l’opposition, ce ne sera pas la Commission bipartie qui jouera au gendarme. Cette tâche sera dévolue à un « Conseil consultatif » où certains voient déjà la suite du fameux « Conseil d’Etat » éphémère sous la transition post-Aristide en 2004-2006 avec le tandem Boniface Alexandre et Gérard Latortue à la commande. Ce nouveau « Conseil des Sages » qui n’aura ni le pouvoir d’un Parlement ni les prérogatives législatives aura tout de même pour mission de définir la feuille de route du pouvoir de transition et surtout de surveiller et contrôler les actions du gouvernement intérimaire. C’est un « Conseil consultatif » pléthorique qui sera installé le lendemain du 7 février 2021, selon les chiffres avancés par le Document dans lequel la DIRPOD a matérialisé ses propositions. En effet, cette entité qui sera une instance de veille comprendra pas moins de 13 membres et sera composée à part presque égale entre l’opposition et la Société civile ; 6 membres désignés par l’opposition politique et 7 venant des organisations de la Société civile.
Outre la « Commission bipartite » et le « Conseil consultatif », ce groupe d’opposants au Président de la République définit aussi les grandes lignes autour desquelles le pouvoir de transition doit s’atteler avant l’organisation des élections générales dans le pays.
Ces grands points qui ne sont pas différents de ceux déjà élaborés par l’opposition plurielle à chaque fois qu’elle présente une nouvelle proposition demeurent l’essentiel du programme pour le gouvernement de transition. Cette nouvelle politique s’articule autour de plusieurs axes parmi lesquels le nouveau pouvoir devrait : « rétablir l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire ; restaurer un climat de sécurité par le démantèlement des gangs armés ; créer les conditions pour la réalisation du procès PetroCaribe et du procès des massacres et exécutions sommaires ; mettre en place les structures de consultation et de concertation pour l’élaboration du projet national de transformation et de développement durable dans le cadre de la conférence nationale ; organiser des débats sur le choix des modifications à apporter à la Constitution et sur les modalités de leur mise en œuvre ; relancer l’économie nationale ; satisfaire les principales revendications légitimes et urgentes de la population ; mettre en place un organe électoral ad hoc qui aura pour mission l’organisation des élections générales ; trouver un mécanisme démocratique de réduction du nombre de partis politiques en vue de rationaliser le financement public de leurs activités ; encourager la participation massive des citoyennes et des citoyens aux divers scrutins . »
Un vaste programme donc qui, sans nul doute, prendra du temps à être réalisé et surtout demandera un climat de paix sociale et de stabilité politique dans le pays, ce qui n’est pas gagné à l’avance. D’ailleurs, cela dépendra de la manière dont le Président Jovenel Moïse quittera le Palais national, surtout s’il a eu le temps de faire ratifier sa nouvelle Constitution. Une reforme constitutionnelle qui va être la source de toutes curiosités politiques et sociales.
Depuis que ce document rédigé par : OPL, Veye Yo, VERITE, Secteur Démocratique et Populaire, MOCHRENA, Fusion, INITE, INIFOS, AAA, est rendu public par la DIRPOD, il semble que l’ensemble des organisations et partis politiques membres de cette Plate-forme politique cautionne ce document relatif aux propositions pour la mise en place du futur pouvoir de transition. Il reste à convaincre les autres branches de cette opposition plurielle qui, le moins que l’on puisse dire, n’ont pas toutes les mêmes visions ni compréhension de la transition de l’après Jovenel Moïse, à commencer par le leader du Parti Pitit Dessalines, Jean-Charles Moïse. Certes, le porte-parole du Secteur Démocratique et Populaire (SDP), Me André Michel, apparaît, cette fois, moins intransigeant sur les propositions de la plus importante coalition politique de l’opposition en demandant aux autres entités de l’opposition plurielle de faire leurs les propositions de la DIRPOD. « Nous demandons à tous les secteurs de la nation de s’approprier notre proposition, de retirer ce qui mérite d’être retiré, de changer ce qui mérite d’être changé, d’ajouter ce qui mérite d’être ajouté » dit-il.
Cela n’empêche pas certains de reprocher aux dirigeants de la DIRPOD une approche trop compliquée de la future transition. Tandis que d’autres soupçonnent les responsables de la DIRPOD d’une tentative hégémonique pour contrôler l’espace politique et le pouvoir après un hypothétique départ du Président de la République dans quelques semaines. Enfin, il y a ceux qui ne comprennent point le silence de l’opposition sur la proposition de la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH) qui propose de jouer le rôle de médiateur entre les protagonistes (pouvoir, opposition et Société civile) afin de trouver un consensus avant la transition en 2021 ou 2022. Certes, l’ex-sénateur de l’Artibonite et Président du parti AAA, Youri Latortue, membre de la DIRPOD, eut à déclarer qu’« On est très ouvert à toute proposition entre Haïtiens respectant la Constitution et la date du 7 février 2021 ». Une façon pour cet opposant déterminé contre le Président Jovenel Moïse de dire que la Direction Politique de l’Opposition Démocratique reste disposée à la proposition de l’église catholique sur le dialogue.
Même son de cloche de la part d’autres adhérents de la Direction Politique de l’Opposition Démocratique, entre autres, l’OPL (Organisation du Peuple en Lutte) qui, par l’un de ses porte-paroles, Danio Siriack, s’est contentée de dire que le « Parti n’a aucune objection avec la proposition de médiateur de la CEH. » Mais, au cours de la même semaine, un autre groupe a lancé une autre proposition de sortie de crise, toujours dans la perspective du futur pouvoir de la transition. Cette proposition connue sous l’appellation de « Entente Nationale pour une Transition de Rupture » est le fruit d’un groupe qui, de toute évidence, ne se reconnait pas dans les propositions qu’a mises sur la table la Direction Politique de l’Opposition Démocratique. Le document contenant les propositions de ce groupe porte les signatures de deux anciens parlementaires : Steven Benoît et Hugues Célestin.
En revanche, les deux groupes ont un point commun, ils demandent tous le départ du Président Jovenel Moïse le 7 février 2021. Sauf que, à la différence des propositions de la DIRPOD, « Entente Nationale pour une Transition de Rupture » veut un « départ ordonné du pouvoir en place ». Pour commencer, le groupe conduit par l’ex-sénateur de l’Ouest, Steven Benoît, veut créer une « Coordination Nationale de Transition » (CNT), une instance qui « se chargera de l’élaboration d’une Charte de transition ; travaillera à obtenir la démission des dix sénateurs encore en fonction ; organisera des élections pour un Président provisoire chargé de diriger le pouvoir de transition et enfin la formation d’un « Conseil d’Etat » dont la mission est de contrôler les actions du pouvoir Exécutif tout en assurant la production législative ». Comme l’on peut le constater, cette histoire de « Conseil d’Etat » devient une obsession dans la vision des hommes politiques en Haïti s’agissant d’un pouvoir de transition.
En tout cas, d’après ce qu’avancent ceux qui prévoient la mise en place de la CNT, les membres de ce « Conseil d’Etat » qui aura un rôle très politique dans la mesure où il remplacera le Parlement le temps que cette institution redevienne fonctionnel, seront choisis parmi les partis politiques, les organisations de la Société civile et parmi les membres de la CNT. Outre ces tâches déjà dévolues à la CNT, elle aura aussi à définir les critères d’éligibilité et les mécanismes pour devenir Président provisoire du pouvoir de transition sans oublier que la CNT aura le dernier mot sur les personnalités appelées à intégrer le gouvernement intérimaire, à devenir directeurs généraux, etc. Les initiateurs de la CNT n’ont pas donné de chiffre ni le nombre de personnes devant constituer ce « Cénacle » ayant les prérogatives d’un Parlement. Selon les propositions de cette branche de l’opposition dite : Entente Nationale pour une Transition de Rupture, c’est la Coordination Nationale de Transition qui sera le maitre d’œuvre de la mise en place du pouvoir de transition au lendemain du départ du Président Jovenel Moïse. Pour finir, selon l’Entente Nationale pour une Transition de Rupture, le Président de la transition et le gouvernement seront les dépositaires du pouvoir Exécutif et l’incarnation de la continuité de l’Etat.
Ils doivent sans attendre mettre en place les mécanismes pour réaliser des élections générales démocratiques, transparentes et libres.
De concert avec le « Conseil d’Etat », le pouvoir Exécutif provisoire fixe la politique de la nation et établit une feuille de route en vue d’implémenter en urgence les revendications de la population. Ils doivent sans attendre mettre en place les mécanismes pour réaliser des élections générales démocratiques, transparentes et libres. Ce nouveau gouvernement intérimaire prendra des mesures sur le plan : économique, sociale et sécuritaire en conformité aux revendications populaires. Bref, rien de bien spécifique ni qui le différencie du plan ou des propositions de la Direction Politique de l’Opposition Démocratique. Cette année 2020 aura battu tous les records en matière de propositions de la part de l’opposition non seulement pour renverser le Président de la République, Jovenel Moïse, avant la fin de son mandat mais aussi pour présenter différents plans de mise en place dans le cadre d’une transition après son départ que l’opposition espère pour le 7 février 2021. En attendant que cette date arrive, le locataire du Palais national poursuit son petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était. Il tente même le tout pour le tout en parsemant d’embûches le chemin de l’opposition avec une série de décrets et d’arrêtés présidentiels à la limite anticonstitutionnels qui fait craindre le pire non seulement pour ses opposants politiques mais pour l’avenir même de la démocratie et de la liberté en Haïti.
C.C