In memoriam Etzer Charles, départ à Paris d’un artiste peintre et militant !

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Etzer Charles

 C’est le dimanche 21 février 2021, tôt au matin, que nous avons été informés de la disparition de l’artiste peintre et militant politique, Etzer Charles, à Paris. Il avait 76 ans. Cette nouvelle ne nous a pas surpris. Sachant que ce grand homme, sage et affable, souffrait depuis longtemps. Il était atteint de la maladie de Parkinson depuis dix ans. Nous avons fait la connaissance de Etzer Charles au Club Luxembourg du Quartier latin, à Paris, au début des années 80 où il était établi depuis 1975 pour poursuivre des études en Sciences politiques et surtout pour fuir la dictature des Duvalier. Alors que son frère, le colonel Serge Charles, faisait la pluie et le beau temps sous ce même régime en tant que Ministre de la défense de Jean-Claude Duvalier. Dans la capitale française, Etzer était connu de toute la communauté haïtienne, pas seulement des étudiants haïtiens comme la plupart de ses collègues peintres qui avaient élu domicile dans la ville lumière. 

 Il y avait une raison à cela. C’était un militant politique, certes, pas fort actif au sein de la petite communauté haïtienne d’alors mais tout de même assez pour être connu. Passionné de l’art pictural, c’était un artiste à la dimension internationale tout en étant un farouche opposant à la dictature qui sévissait en Haïti. Militant de la mouvance de la gauche haïtienne, Etzer Charles fut pour autant un homme ouvert à la confrontation politique et intellectuelle. D’où son assiduité et son acuité au Club Luxembourg du Quartier latin dès son arrivée à Paris où grouillaient, d’ailleurs, des espions haïtiens et étrangers travaillant pour le compte du régime duvaliériste. Mais, Etzer qui ne levait jamais la voix n’a jamais eu de difficulté à être l’ami de tout le monde sans pour autant partager les points de vue de ses contradicteurs. En tant qu’artiste connu et reconnu par le monde artistique haïtien, français et international, il va glaner des Prix et récompenses en Haïti comme à l’étranger. C’est en fait dans son pays, Haïti, qu’il a fait sa première grande exposition picturale à la célèbre Galerie Nader à Port-au-Prince dès 1965.  

 Suite à ce succès, il a eu un parcours atypique et fulgurant. Ses œuvres, vite repérées par les plus grands et riches collectionneurs du monde entier, ont été disséminées à travers le monde (Amérique du Nord, Europe, Amérique latine, etc.) dans des Expositions et Salons artistiques qui ont fait le bonheur des connaisseurs et des non initiés. On dénombre pas moins d’une cinquantaine d’expositions à caractère national et international. En France, au huitième  Grand Prix international de Vittel, Etzer Charles a obtenu le « Vitellius d’argent » pour ses œuvres. Il a aussi été honoré par la Fondation Paul Ricard. Il a été le récipiendaire de la Grande coupe de ladite Fondation française. Boulimique de travail et très prolifique dans ses œuvres artistiques, Etzer Charles ne se contentait point de dormir sur ses succès d’artiste peintre. Il avait entrepris des études en Sciences politiques à l’Université de Paris (Sorbonne) où il a décroché un doctorat. Sa thèse intitulée « Le pouvoir politique en Haïti de 1957 à nos jours » a donné lieu à un excellent ouvrage préfacé par le très connu Jean Ziegler. 

 Pour ce grand sociologue suisse, cet ouvrage retraçant l’évolution politique du pouvoir de la dictature duvaliériste demeure l’une des plus intelligentes exploitations et le plus complet sur ce régime. D’autre part, ce livre a fait l’objet d’une excellente critique littéraire signée du Dr Antoine Fritz  Pierre et du journaliste Maguet Delva publiée à Paris dans la revue « Pour Haïti » dont Etzer Charles fut Membre fondateur avec Elliot Roy, Dr Dougé, Annie Talleyrand, Dr Paul Jean-François et d’autres de l’association éponyme. Militant politique dans l’âme, Etzer Charles, à l’instar des grands leaders politiques haïtiens de l’époque établis en France, entre autres René Théodore du Parti Unifié des Communistes Haïtiens (PUCH), Serges Gilles de l’IFOPADHA qui, lui aussi, vient malheureusement de nous quitter au cours du mois de février 2021, n’avait pas tardé à prendre le chemin du retour en 1986 à la chute de la dictature. 

On le retrouve activement dans le milieu politique et estudiantin de Port-au-Prince. Pendant un laps de temps, il a enseigné à l’INAGHEI où il a partagé ses compétences en matière de droit constitutionnel. En tant qu’artiste militant, Etzer Charles eut le temps de participer en 1986 à la création à Port-au-Prince de l’Association Nationale des Artistes Plasticiens Haïtiens (ANAPH). Il en fut son premier Président. Entretemps, il fonde, avec Victor Benoit, le KONAKOM. Très proche, dès le début, du Mouvement Lavalas du Père Jean-Bertrand Aristide, Etzer Charles va prendre une part active dans la vie politique et diplomatique de son pays dès l’accession au pouvoir de l’ancien Prêtre de Saint Jean Bosco. Fin 1991, Etzer Charles est à Paris. Il est surpris, comme tout le monde, du tristement célèbre coup d’Etat militaire mené par le général Raoul Cédras le 30 septembre 1991. Il est effondré ! Dès l’annonce du Coup d’Etat, il sera parmi les premiers militants et dirigeants politiques de la Communauté haïtienne de Paris à être appelés par Elliot Roy, Pasteur Jean-Marc Numa, Bernier Naissant et votre serviteur pour marcher sur la Mission diplomatique haïtienne dans la capitale française et pour s’emparer de l’Ambassade en soutien au Président légitime.

Quelques peintures de Etzer Charles

 Cette action sans précédent dans le monde, connu sous le nom de : « Occupation de l’Ambassade d’Haïti à Paris », a été aussi l’une des œuvres politiques de ce grand militant que fut Etzer Charles. Durant les trois années (1991-1994) qu’a duré cette occupation de la légation haïtienne en France, Etzer Charles a été un des fers de lance de cette incroyable opération. Il faisait partie des leaders, des meneurs et des coordonnateurs du mouvement malgré les conseils de la plupart de ses amis moins impliqués dans la vie de la Communauté et dans la politique qui lui mettaient la pression pour qu’il se mette en retrait. Surtout qu’une pléiade de leaders et d’activistes communautaires concurrents ne lui faisait pas de cadeau voyant en lui quelqu’un qui cherchait à se placer sous les projecteurs de la presse haïtienne et à être vu par les dirigeants politiques haïtiens de Washington à savoir le Président Aristide et son équipe. Mais, ce vieux militant ne se laissa pas impressionner. Il n’était pas là pour un job ni pour plaire à qui que ce soit. Guidé seulement par sa conviction politique et les principes démocratiques pour lesquels il a toujours milité, il refusa cet état de fait. 

 Il n’a pas accepté qu’un quarteron d’officiers et quelques politiciens manipulés puissent défaire par un putsch militaire sanglant un Président démocratiquement élu par le peuple. Ça, c’était Etzer Charles. Après la prise de l’Ambassade, il était sur tous les fronts. Partout, avec les autres militants et occupants de ladite Ambassade, il sapait les velléités persistantes de rester au pouvoir du régime militaire installé à Port-au-Prince. On le retrouvait dans toutes les manifestations organisées par le mouvement anti-putschiste et pour le retour à l’ordre constitutionnel. Dans les institutions internationales installées à Paris, avec les autres dirigeants de l’occupation de l’Ambassade, Etzer Charles portait la parole au nom du Président légitime exilé à Washington. Auprès des autorités françaises, il tentait de convaincre celles-ci de la nécessité que l’Ambassade d’Haïti soit aux mains des démocrates Haïtiens à Paris.  

 En même temps, de concert avec les autres leaders de la Communauté, Jean-Marc Numa, Wolking Amboise, les frères Naissant (Bernier, Ernest et Henry), Elliot Roy, Guy Montauban, Adrienne Gilbert, Romel Louis-Jacques, Smith Glaude dit Chacha, David Charles, etc.  il organisa des conférences pour expliquer la réalité politique qui prévalait en Haïti à cette époque. On le retrouva aussi dans les églises protestantes haïtiennes et les différentes paroisses de l’église catholique de la Communauté en vue de les informer et surtout de les encourager à participer activement aux différentes activités organisées par les tenants de l’Ambassade afin de faire échec aux généraux putschistes et à leurs acolytes. Bref, Etzer Charles ne se contentait pas de protester contre la dictature et la répression qu’avaient installées le général Raoul Cédras et ses complices. Il se donnait à fond pour que la victoire et la démocratie triomphent. Il faisait partie de ces millions de gens qui militaient pour le retour à l’ordre démocratique. En clair, il était dans le bon camp comme on dit aujourd’hui. 

 Après cet épisode marquant de la vie communautaire des Haïtiens en France, avec le retour du Président Aristide dans ses fonctions, le célèbre artiste peintre et militant politique avait entamé une nouvelle phase dans sa vie dont le but ultime était de continuer à servir son pays  sous une autre forme : il devenait diplomate. De 1992 à 2011, ce démocrate convaincu a mené une longue carrière dans la diplomatie haïtienne. Nommé Chargé d’affaires puis ambassadeur d’Haïti en France, par la suite on devait le retrouver tantôt à l’UNESCO comme Représentant permanent d’Haïti à Paris ; tantôt  à Genève en Suisse, en tant qu’ambassadeur d’Haïti auprès de l’Office des Nations Unies. Enfin à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) comme Consultant avec le titre d’ambassadeur à la Mission d’Haïti auprès de cette institution. Né le 25 juin 1945 à Jacmel, la ville d’« Hadriana dans tous mes rêves » de son compatriote René Depestre, comme son ami feu le Dr Jean Metellus, neurologue et écrivain avec qui il partageait le goût de la littérature et un amour presque charnel pour leur ville natale, Etzer Charles fait partie de la galerie de ces grands artistes dont les œuvres nous ont sublimés et ont rendu Haïti fier de son patrimoine artistique et littéraire. 

 Ce fils de Jacmel, par sa peinture tantôt réaliste tantôt surréaliste cherchant finalement à définir le monde dans un chaos indescriptible, nous a légué un très beau panorama pictural dont on peut être fier qu’il fût un des nôtres. Tous ses copains du Club Luxembourg du Quartier latin à Paris, Dr Antoine Fritz Pierre, Dr Daniel Talleyrand, Pr Gérard Aubourg, journaliste Maguet Delva, Pr Paul Baron, Dr Paul Jean-François, Pr Carlos Célius, Dr Annie Talleyrand, etc. se joignent à nous pour souhaiter à son épouse Danielle Roquier, son fils Igor et l’ensemble de la famille Charles et Roquier toutes nos condoléances pour cette perte inestimable. Malheureusement, compte tenu du contexte sanitaire de la pandémie de la Covid-19 qui sévit en France et en Europe en général, beaucoup parmi ses nombreux amis et militants nous ont fait savoir qu’ils n’ont pas pu faire le déplacement pour venir honorer sa mémoire lors de ses obsèques qui ont eu lieu le vendredi 26 février 2021 à Paris. Une contrainte, nous sommes persuadés, que la famille du défunt comprendra. Bon voyage mon frère pour l’Orient éternel !

 

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