Il était une fois un « Conard » du nom de Jovenel Moïse à la tête d’une République…!

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La présidence pourrie, putréfiée, corrompue de Jovenel Moïse, transformée en repaire des voleurs, en tanière des assassins, en refuge des prédateurs

« Nous aurons le destin que nous aurons mérité ».
Albert Einstein

Au milieu des nuits canadiennes qui se rapprochent de l’aube naissante, je réfléchis souvent sur le sort des millions de compatriotes restés au pays,  qui errent sans boussole dans le désert de la décadence sociale, de la déchéance économique et de l’irrationalité politique. La fragilité, la vulnérabilité de la diaspora haïtienne éparpillée dans les quatre coins de la planète n’échappe pas non plus à mes réflexions nocturnes. Nous sommes devenus à la fois des parias et des errants. Je pense également à des camarades qui rêvaient de mourir paisiblement sous le ciel du pays natal et qui se retrouvent finalement enterrés parmi des personnalités autochtones, ou des inconnus venus d’ailleurs, comme eux, à la recherche d’un emploi, du pain, d’un toit, de la paix, de la liberté… Les gens abandonnent leur patrie pour des raisons diverses. Et certains d’entre eux, frappés par la maladie, abîmés par la vieillesse, n’ont plus la chance de revoir les rues rocailleuses, de toucher les arbres centenaires, de franchir le seuil des maisonnettes fatiguées, de se jeter dans les rivières limpides et transparentes qui composent le paysage des  bourgs et des villages qui supportaient leurs premiers pas.

Comment peut-on rire sincèrement en pensant à ces endroits de souffrances et de tortures tristement célèbres qui s’appelaient Fort-Dimanche, Recherches criminelles, casernes Dessalines…?

En vérité, ils n’étaient pas venus en ces lieux éloignés pour mourir. Mais pour travailler. Ramasser un pécule. Et retourner à la maison afin d’ouvrir un petit commerce qui leur eût permis de continuer à survivre décemment. Certains n’ont pas assisté aux funérailles de leurs proches. Le billet d’avion coûte cher. Et puis, les esclaves du « Capital » ne sont pas libres. Il faut qu’ils fassent tourner les machines sans arrêt dans les usines voraces. Tout ce qui compte pour le patron, ce sont la productivité et la production. 15 jours de vacances par année pour les ouvriers et les ouvrières. Pour les travailleuses et les travailleurs. Ils n’ont même pas le droit de tomber malades. Je paraphrase Karl Marx qui nous fait remarquer que « la liberté finit là où commence le travail ».

Ils sont nombreux, les camarades immigrants qui caressaient le rêve de retour au pays natal. Leur corps repose actuellement dans les différents cimetières du monde occidental. Mon cousin, Jean René Nord, est enterré à Longueuil. Il est parti pendant l’automne de l’année 1985. Il répétait souvent qu’après ses études universitaires, il ne resterait pas un jour de plus au Canada. Cependant, ironie du sort, il y est pour l’éternité. On sait où l’on va, on ne sait pas où l’on meurt. Il y a aussi Laura, la sœur d’un ami. Dimanche, je la prenais en photo chez elle avec son bébé de quelques mois. Lundi matin, l’ambulance transportait sa dépouille froide à la morgue d’un hôpital de Montréal. Le chagrin, la solitude, la tristesse, tout cela la conduisit au suicide. J’aurais pu citer Samson, Joël, Claudine, Raymond, et des centaines d’autres qui ont connu le même destin tragique.

Je m’endors et me réveille avec les mêmes pensées dramatiques. Les mêmes appréhensions tragiques. Mes rires ne recèlent aucun élan de joie et de bonheur. Ils sont faux. Comment peut-on rire sincèrement en pensant à ces endroits de souffrances et de tortures tristement célèbres qui s’appelaient Fort-Dimanche, Recherches criminelles, casernes Dessalines…? Comment peut-on briser les chaînes de la mélancolie, lorsque l’on entend parler sur les réseaux sociaux, à la radio et à la télévision d’un bidonville où les cochons se nourrissent de la chair et s’abreuvent du sang des misérables.

Dans l’avion qui me transportait en Amérique du Nord  pour mon exil volontaire, après les événements du 28 novembre 1980, mes larmes n’arrêtaient pas de couler. Je venais à peine de me marier. Mon épouse et moi étions jeunes. Je pensais aux dernières paroles qu’elle avait prononcées, au moment où je m’apprêtais à l’embrasser pour lui faire « mes adieux ». Elle avait compris que ce n’était pas un « au revoir ».  Alors, elle me répondit : « Mon cœur me dit que je te reverrai jamais, que je n’aurai plus le plaisir de marcher main dans la main avec toi dans les rues de Port-au-Prince, de déposer ma tête sur ta poitrine. Mon intuition féminine me laisse croire que tout cela est bel et fini. Je ne pourrai plus utiliser cette voiture, témoin de nos instants de joie, de bonheur et de tristesse, car nous sommes des êtres humains » Cette dame dort aujourd’hui quelque part, dans un cimetière de l’État de la Floride.

Notre République, comme vous le constatez aussi, n’arrive toujours pas à occuper une place décente, remarquable dans ce monde qui file à travers les Alpes de l’existence humaine comme le train à bord duquel s’est déroulé « Le crime de l’Orient Express ». Une façon d’évoquer brièvement le célèbre roman policier d’Agatha Christie. Rien ne fonctionne jusqu’à présent pour les Haïtiens : la politique, l’économie, la culture, l’environnement… Nous n’avançons pas dans la bonne direction. La plupart d’entre nous demeurent sous l’effet de l’hallucination trompante. Comment pouvons-nous  espérer, dans ces conditions-là, d’atteindre le bout du tunnel pour jouir des bienfaits du soleil de la Libération?

Jovenel Moïse (au centre) est un grossier paysan ingrat qui a trahi son origine sociale pour aller lécher les bottes de Réginald Boulos, Marc Antoine Acra, André Apaid, etc. Le « conard » inculpé veut changer de classe, mais pourra-t-il changer de tête?

Haïti a explosé. La guerre civile s’y est installée depuis plusieurs mois. Des gangs armés au service du gouvernement, du Parlement, des ambassades, des industriels de la sous-traitance, des commerçants du bord de mer, enfin de la mafia économique s’affrontent presque tous les jours. Ils assassinent les gens défavorisés de la population. Ils volent. Ils rançonnent les individus de la classe moyenne pour s’approvisionner en munitions.  Les militants qui coordonnent le mouvement insurrectionnel pour la destitution du gouvernement des Tèt kale doivent comprendre la  nécessité de redéfinir leurs moyens de combat. Il faut qu’’ils arrêtent d’envoyer les masses populaires à la boucherie. Les mercenaires qui tirent sur les manifestants non armés sont des « professionnels de massacre humain ». Ils sont payés pour tuer. Jovenel Moïse est disposé à commettre un « démocide » pour ne pas aller en prison avec son épouse Martine Marie Étienne Joseph. Parler d’insurrection pacifique frise l’amateurisme politique, la démagogie politique. Purement et simplement. Le mot « pacifique »  n’a pas sa place dans un mouvement insurrectionnel qui vise à renverser un pouvoir illégitime. Le substantif « manifestation » ne suffit plus à qualifier la levée de boucliers que l’on observe ces jours-ci contre la présidence illégitime et corrompue des Tèt kale, dirigée par Jovenel Moïse et sa horde de dilapidateurs des deniers publics. Le peuple haïtien est en rébellion contre la police nationale. Seulement, il n’a pas d’armes pour riposter de manière proportionnelle. La Maison Blanche a envoyé le « mythomane » Kenneth Merten à Port-au-Prince pour signifier son apport au régime politique que le Core Group a mis en place dans le but de bloquer la lutte des masses populaires haïtiennes contre la misère, le chômage, l’insécurité, la répression et l’impérialisme.

Quel est le sens de la démocratie pour les États-Unis?

Kenneth Merten devrait prendre le temps de revisiter la biographie des personnalités qui ont permis aux États-Unis de devenir l’État qu’ils représentent aujourd’hui dans le monde. Nous parlons – entre autres –  de Georges Washington, John Adams, Thomas Jefferson… qui ont mis leur bravoure et leur intelligence au service de leurs concitoyens, en leur léguant ce pays hégémonique,  arrogant, riche, puissant et prospère, dont ils sont fiers. La Démocratie, dans son sens plénier, s’acquiert au prix de multiples sacrifices. Il faut y sacrifier des vies et des biens. Tout y passe. La Démocratie n’a pas de prix. Combien de militaires et de civils sont morts pour libérer la France de l’occupation hitlérienne? S’il faut que des Haïtiens meurent pour détruire les souches du néolibéralisme sur le territoire national, ils mourront. Ils mourront pour que vivent leurs enfants. Mackandal, Boukman, Biassou, Toussaint-Louverture, Dessalines, Charlemagne Péralte, Benoît Batraville, Jacques Stephen Alexis, Marcel Numa, Louis Drouin sont morts pour la Liberté et la Démocratie.

Kenneth Merten, ex-ambassadeur de la Maison Blanche accrédité à Port-au-Prince.

Kenneth Merten, ex-ambassadeur de la Maison Blanche accrédité à Port-au-Prince, n’a même pas pris le temps de bien lire et de comprendre la constitution des États-Unis. Je reprends pour cet ignorant de la « Démocratie » une partie du discours prononcé le 4 mai 1861 par Abraham Lincoln : « Si, par la simple force du nombre, une majorité pouvait priver une minorité d’un droit constitutionnel clairement défini, cela pourrait, au point de vue moral, justifier une révolution. » Le président n’a pas parlé de « révolution pacifique ». Car cela n’existe pas. Il n’y a pas de « révolution sans violence ». Je vous réfère aux grands théoriciens politiques. Sans oublier l’essayiste Samuel Langhome Clemens dit Mark Twain [1]. Si vous craignez les orages, ne marchez pas sous la pluie.

Au Québec, la « Révolution tranquille » doit être vue et comprise dans le sens d’une réforme en profondeur du mode de fonctionnement de la province dans les années 1960. La transformation sociale n’a pas eu lieu sans heurts, sans bouleversements politiques. Certains lecteurs se souviendront probablement de l’histoire du Front de libération du Québec (FLQ) qui prônait l’action violente pour réaliser l’indépendance et la souveraineté du Québec. Ils se rappelleront également l’assassinat de Pierre Laporte. « Tranquille » n’est pas synonyme de « pacifique ».

Il faudrait prendre le temps d’expliquer même sommairement aux novices politiques, aux « folliculaires » incultes   le sens véritable de la « Démocratie ». Le peuple est le seul détenteur de la « souveraineté » et de la « légitimisation ». Il est le « mandant suprême ». Il détient le pouvoir de valider et de révoquer la « constitution ». Le peuple se laisse gouverner dans le cadre du « contrat social » clairement défini par les philosophes des Lumières : Rousseau, Voltaire, Kant, Diderot, Montesquieu… Il le fait par délégation de pouvoir. Lorsque les masses populaires envahissent les rues pour demander le renvoi des dirigeants politiques indignes, les lois sont suspendues. Le « Souverain » reprend ses « Droits ». La constitution devient caduque. Le 7 février 1986, qui oserait juger le peuple pour les macoutes qui subirent sa vengeance et sa colère. Les médias doivent arrêter de demander aux masses populaires haïtiennes, aux insurgés qui exigent le départ de Jovenel Moïse et de sa clique de gangsters de respecter la « constitution d’Henri Namphy ». C’est au nom de la « Démocratie » que les Haïtiens ont enlevé les prérogatives d’autorité à la présidence pourrie, putréfiée, corrompue de Jovenel Moïse, transformée en repaire des voleurs, en tanière des assassins, en refuge des prédateurs comme Guichard Doré, Wilson Laleau, etc. Le texte écrit et publié par Guichard Doré pour se défendre des accusations graves de Norbert Stimphil porte le sceau de la minabilité, de la misérabilité et de l’exécrabilité intellectuelle. Cela se passe toujours ainsi, lorsque des crève-la-faim sans vergogne, malhonnêtes, ambitieux, assoiffés de pouvoirs politique et matériel, sortis des confins de la paysannerie, parviennent à accéder au plus haut sommet de l’État. Jovenel Moïse, Guichard Doré, Wilson Laleau… en demeurent des exemples parfaits. Jovenel Moïse est un grossier paysan ingrat qui a trahi son origine sociale  pour aller lécher les bottes de Réginald Boulos, Marc Antoine Acra, André Apaid, etc.  Le « conard » inculpé veut changer de classe, mais pourra-t-il  changer de tête?

Les États bourgeois prennent toutes les dispositions militaires pour éviter ces genres de dérapages dans la société.

Le Mahatma Gandhi, Martin Luther King et les autres pacifistes martyrs font désormais partie des époques révolues. Les États hégémonistes, impérialistes règlent leurs affaires, défendent leurs intérêts avec des armements de guerre. Les conflits armés déchirent les  flancs de l’univers. Il n’existe pas de guerre philanthropique. Allez vérifier vous-mêmes le prix d’un F-18, d’un F-35, d’un avion Hercule, d’un hélicoptère Griffon CH-146… Les États-Unis, le Canada, la France, l’Angleterre, l’Allemagne ne risquent pas des engins aussi coûteux, aussi onéreux, ne sacrifient pas la vie de leurs ressortissants pour le plaisir de soutenir et de déclencher des opérations de style « Restaure Hope », comme ils le laissent souvent entendre. Leur présence au Moyen-Orient n’a rien à voir avec l’ « Amour » que les « Seigneurs de la cosmocratie » auraient cultivé pour les Arabes. L’altruisme en matière de politique internationale est un leurre.

Où est passé le printemps arabe? Qu’a-t-il apporté en guise de satisfaction sur le plan révolutionnaire aux peuples qui ont initié et soutenu le mouvement? Des dictateurs ont remplacé d’autres dictateurs à la tête des gouvernements. L’Occident mène toujours le bal en Algérie, au Maroc, en Égypte, en Irak. Sauf en Syrie où la résistance de Bachar el-Assad, appuyée ouvertement par Vladimir Poutine, l’allié et l’ami fidèle, demeure vive et féroce.

Même si certaines constitutions reconnaissent le droit et le devoir des peuples oppressés à l’insurrection, dans la pratique, l’entreprise reste compliquée, risquée et dangereuse. Les États bourgeois prennent toutes les dispositions militaires pour éviter ces genres de dérapages dans la société. Ils disposent d’un équipement antiémeute sophistiqué. Dissuasif. Et même mortel.

La source des malheurs des Haïtiens

Qui ignorait que la République d’Haïti allait arriver à ce carrefour de déliquescence chaotique? Toutes les périodes de l’histoire de ce pays sont entachées de crimes abominables, de meurtres monstrueux, d’assassinats crapuleux, de privations amères, d’abus exécrables… Plus de deux cents ans de tourmente sociétale et de bouleversements politiques versés au compte d’un peuple qui rêvait de vivre comme des êtres humains, après avoir cassé les chaînes de l’esclavage. Ce sont des individus qui voulaient prouver à l’humanité qu’ils avaient eux aussi la capacité et l’intelligence de se forger une nouvelle existence sur une terre totalement libérée de l’oppression raciale pratiquée par les monarques de Paris.

Les victimes africaines de la barbarie occidentale furent franchement déterminées à reprendre possession de leurs droits naturels et imprescriptibles. Ils combattirent leurs bourreaux avec la force du désespoir. Ils réussirent à   construire un nouvel État sur les cendres des plantations de café, de coton de cacao qui suçaient leur sang et qui consumaient leur énergie comme le feu qui brûle les cierges des églises. Mais malheureusement, cette Nation naquit avec un sérieux handicap. Le vase de l’union des Noirs et des Mulâtres qui étaient à la base de Vertières fut brisé. Aujourd’hui encore, les morceaux épars ne peuvent pas être recollés. Ceux-là dont les « pères sont restés en Afrique » n’ont toujours rien obtenu. La République d’Haïti, minée par la misère, est devenue un gouffre de souffrances pour des millions de parias qui regardent en direction de l’Amérique du Nord, du Brésil et du Chili. Alors qu’elle constitue un paradis pour la minorité qui se place du côté de Pétion et de Boyer. C’est la source des malheurs de la Nation dessalinienne. Les complots  ourdis par les États-Unis et la France dressent, élèvent devant les masses populaires haïtiennes des barrières économiques presque impossibles à traverser.

Depuis les événements des 6, 7 et 8 juillet 2018, la crise politique et économique qui a contaminé, infecté la société haïtienne évolue vers un dénouement imprévisible. Le pays entier continue de réclamer le départ des représentants des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les citoyennes et les citoyens réclament l’arrestation de Jovenel et de Martine Moïse qu’ils rendent responsables du massacre perpétré à La Saline par des individus lourdement armés. Selon les organismes des droits humains, plus de 25 compatriotes ont été assassinés lâchement et des dizaines d’autres blessés à coups de machettes et par balles. Jovenel Moïse risque donc d’être accusé de « crime contre l’humanité », comme George W. Bush pour son intervention cruelle en Irak sous le faux prétexte de la bombe atomique. Cette situation inspire plus de crainte que d’espoir. Le brasier de colère allumé par la misère et la mauvaise foi des actuelles autorités exécutives, législatives et judiciaires ne s’éteindront pas avant de provoquer des dégâts inimaginables. Peut-être même Irréparables.

Malheureusement, les groupes qui se réclament du secteur démocratique de l’opposition ne sont pas outillés – et cela,  à tous les niveaux – pour guérir la peste de la haine, de la division, de la jalousie, de la trahison, de la cruauté… qui ronge cette République depuis sa proclamation le 1er janvier 1804. Les Haïtiens marchent tête baissée vers l’autodestruction. Ils figurent parmi les peuples qui n’arrivent pas à trouver la voie de leur bien-être dans l’acte de l’indépendance et de la souveraineté. Devenir Libre, c’est de pouvoir choisir son Avenir.

Une vocation manquée

Le samedi 11 novembre 2011 décédait Choiseul Henriquez dans un hôpital d’Ottawa. Transporté d’urgence au Canada à bord d’un avion-ambulance, il n’a pas survécu à son accident vasculaire cérébral (AVC). Depuis le début de l’année 2003, l’ancien membre du cabinet particulier du président René Préval vivait en Amérique du Nord. D’abord à Montréal où il entreprit des démarches auprès du service de l’immigration du Canada afin d’obtenir le statut de réfugié politique avec sa famille. J’étais aussi dans l’avion qui l’amenait en exil, assis à côté de lui, avec ma fillette de 7 mois. Mon enfant est aujourd’hui âgée de 16 ans. Elle n’a jamais revu son pays d’origine. Moi non plus. Et pourtant, j’imaginais l’avenir différemment : vivre, vieillir, mourir au milieu de mon peuple.

Je n’ai pas écrit tranquillement. C’est difficilement de mener une vie tranquille au milieu des gens qui se débattent tous les jours dans la mer houleuse de la pauvreté extrême. J’avais encore en tête le portrait de la fillette de 4 ans, Mélanie, qui m’avait accosté sur la route de Delmas. Elle voulait de l’argent pour sa mère malade, couchée sur le trottoir. Je lui avais demandé où se trouvait son père. Et elle répondait : « Je ne sais pas. » Je quittai le véhicule pour aller parler à la dame qui faisait des efforts pour contenir ses souffrances et ses larmes. Nous avions agi ce jour-là de manière digne et patriotique… En dernier lieu, nous conseillâmes à notre concitoyenne d’aller se faire ausculter et soigner à l’hôpital de l’université d’État d’Haïti. Quelle tristesse! Une fillette qui aurait dû être à l’école mendiait de l’argent aux passants pour s’occuper de sa mère malade. Et dire qu’il existe des centaines de milliers de Mélanie abandonnées aux intempéries de l’existence humaine. Ce sont ces innombrables gamins livrés à leur misérable sort qui alimentent dans toutes les grandes villes les réseaux de déviance, de variance sociale : prostitution, gangstérisme, vol à main armée, etc. Aujourd’hui, en Haïti, ils s’appellent Arnel, Ti je, Bougòy, Bout Janjan…

Contrairement à Choiseul Henriquez – qui s’était brouillé avec Jean-Bertrand Aristide et René Préval, à la suite des élections controversées de 2000 – j’avais résolu de quitter le pays par impuissance et par dégoût.

Impuissance

Les idées et les moyens sont indissociables dans une lutte politique. La force n’est-elle pas la somme de ces éléments consubstantiels. C’est elle qui a le pouvoir de conduire l’idéologie à sa phase de matérialisation. Nous l’avons déjà mentionné dans un autre texte. Edmond Laforest, le poète des Cendres et flammes, intellectuel haïtien, s’est suicidé le 17 octobre 1915, date correspondant à celle de l’assassinat de l’empereur Jean-Jacques Dessalines, fondateur de la patrie, pour protester contre la présence des forces armées étasuniennes sur le territoire national. Le patriote a posé un acte d’indignation et d’impuissance. Il ne pouvait ni vivre ni réparer l’humiliation profonde. L’exil, également est une forme de suicide. L’injustice faite à l’être humain m’a toujours révolté. Plus tard, je me suis reconnu dans les paroles de Guevara : « Je ne crois pas que nous soyons des parents proches, mais si vous êtes capables de trembler d’indignation chaque fois qu’il se commet une injustice dans le monde, alors, nous sommes camarades… Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire. » Seulement, je ne suis pas un révolutionnaire. Je ne me suis jamais donné les moyens de le devenir. Je prêche la « Révolution ». Je n’ai pas réalisé une « Révolution ». Pour être reconnu « boulanger », il faut faire le pain. Parler et Écrire sont insuffisants  pour me transformer en Lénine, en Mao, en Castro,  en Guevara,  en Raoul

C’est douloureux d’assister à la descente aux enfers d’un peuple sans pouvoir lui tendre la main. N’est-ce pas comme regarder un individu disparaître graduellement dans un sable mouvant sans que l’on soit en mesure de lui lancer une corde? On en devient un témoin passif. Donc impuissant. Si l’on veut entrer fièrement dans l’histoire universelle, il ne faut pas se contenter de constater le « Mal », de s’indigner devant l’ « Absurdité », de se plaindre contre l’ « Injustice ». Il ne faut pas avouer et s’abandonner à son impuissance. Mais se donner les moyens de la transcender. Pierre Sully est devenu un héros, un martyr national. Mais pas Edmond Laforest. Cependant, le geste fatidique de ce dernier recèle une haute portée symbolique. On y décèle l’Amour de la patrie. Mais l’Amour de la patrie devrait conduire honorablement à la Défense de la patrie.

C’est à ce niveau que je reconnais mon « impuissance ». Antoine Isméry disait un soir sur Radio Métropole, à l’époque du coup d’État contre le président Jean-Bertrand Aristide : « Je sais comment libérer mon pays de la dictature des militaires, malheureusement, je ne suis plus jeune. » Je crois qu’il est mort aussi pour ces paroles. Il a été assassiné. Sans pouvoir se défendre. Et ses meurtriers courent toujours. Occupent des fonctions importantes dans le pays. Ils sont puissants. Armés. Et fortunés.

 Dégoût

Paul Claudel parle de « tædium vitae ». Pour moi, c’est le dégoût de vivre dans un pays qui n’a jamais vécu lui-même depuis sa fondation par les esclaves africains, les grands vainqueurs de Rochambeau à Vertières.  

J’ai rencontré Choiseul Henriquez au cours de l’année 1980. Un ami poète, obsédé par la négritude de Senghor et de Césaire, était passé à la maison un soir avec lui. Il lisait mes textes dans la revue hebdomadaire Regard et il manifestait le désir de rejoindre l’équipe des rédacteurs. Nous avons passé une partie du temps à échanger sur les réalités politiques du pays, sur les conditions socioéconomiques difficiles des compatriotes, et surtout sur l’alternative qu’il fallait privilégier pour les libérer de la dictature duvaliérienne. Je me suis tout de suite ouvert sans réserve à Choiseul Henriquez  en présence de l’autre camarade. Je sentais que je pouvais lui faire confiance. J’étais jeune et fougueux. Comme les collègues qui faisaient partie de la salle des nouvelles de Radio Progrès qui militaient courageusement contre le régime politique en place. Je restais convaincu que le chemin de la Libération de la République d’Haïti passait inévitablement par la « lutte armée ».

Aujourd’hui encore, j’en reste convaincu. Car c’est la seule façon de changer le système de l’État bourgeois, de chasser les politiciens corrompus et de réaliser cette « Révolution » réclamée par les masses populaires haïtiennes misérabilisées.

Robert Lodimus

[1] Mark Twain : « Ceux qui sont pour la liberté sans agitation sont des gens qui veulent la pluie sans orage. »

 

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