Hommage et remerciements

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La remise à Fanfan par Léonia un présent tout spécial venu du cœur de chacun des membres de l'assistance. Photo Edgar Lafond/Haïti Liberté

Les lecteurs et lectrices de ce journal connaissent bien Fanfan La Tulipe. C’est un monsieur qui milite, lutte, ferraille, bataille, brétaille dans le monde progressiste, journalistique en particulier depuis déjà plusieurs années. Il a commencé à écrire dans le journal Haïti Progrès en 1989. Son premier article publié dans sa rubrique “Pêle-Mêle’”, en février 1989, sous le titre « À propos de mots synonymes» foisonnait de néologismes, plus exactement vingt et un,  créés à partir du mot macoute. Il tenait également une rubrique en créole intitulée Orezon pa bliye.Très occasionnellement, il était l’auteur de cette mythique paj mitan du journal, chasse gardée de la rédactrice à cette époque.

En peu de temps, il avait acquis une notoriété certaine, au point où Paul Laraque, un grand poète révolutionnaire d’obédience marxiste, un intellectuel de haute stature morale et politique lui avait écrit un billet paru dans le numéro d’Haïti Progrès du 28 juillet au 3 août 1993 et dans lequel Paul s’exprimait ainsi: «La raison de ce billet est d’exprimer mon admiration pour tes prises de position dans Haïti Progrès et le style éminemment original dans lequel elles sont formulées. Inutile de te dire que je continuerai de te lire avec autant d’intérêt que de plaisir». L’un de ses textes ” Le père, le fils et le sirop” (30 août – 5 septembre 1989) lui avait valu un autre billet, cette fois-ci de la part de André Charlier, bel intellectuel, écrivain, fils de deux grands intellectuels progressistes. André avait qualifié l’article de ”chef-d’œuvre, de devanture en derrièreture ”.

Au fil du temps, la rubrique ”Pêle-Mêle” a changé de nom pour devenir ”Twa degout”. Toutefois, Fanfan La Tulipe continuait de garder une ligne constante, cohérente, conséquente, d’inspiration marxiste-léniniste, anti-impérialiste, anti-néocolonialiste, résolument en faveur des luttes des masses opprimées, et à l’avant-garde de la défense de la Révolution cubaine. En 2007, suite à une rupture avec Haïti Progrès, Fanfan, à l’initiative de Berthony Dupont et de Kim Ives, a co-fondé Haïti Liberté dont il a partagé la rédaction, pendant un certain temps, avec Guy Roumer. Éventuellement, il est devenu le rédacteur attitré du journal.

Pendant assez longtemps, il a tenu une rubrique-santé parallèlement à une autre, ”Devoir de mémoire”, interrompue à un moment, et reprise cette année sous le titre ”Notre mémoire se souvient ”. Celle-ci évoque la mémoire de militants et de militantes qui ont choisi le juste combat, celui de défendre les libertés au prix même de leur vie, les droits humains, particulièrement le droit à la parole quand les opprimés, n’en pouvant plus de subir le carcan des oppresseurs exigent d’être traités comme des humains et non pas comme des bêtes de somme rivées au char du capital.

En somme, vingt-huit années san wete san mete à l’écoute des revendications des masses, à se faire leur porte-parole en quelque sorte, à se porter à leur défense, à éduquer ”dans un style éminemment original” ceux et celles qui ne comprennent pas encore pourquoi il est impératif de combattre les vieilles idées reçues, de hausser leur conscience à la hauteur d’une humanité en détresse, en péril, à cause de la misère, de la faim, des maladies, de l’absence de soins préventifs ou curatifs responsables de la mort prématurée de millions d’êtres humains dans d’atroces conditions. Bref, à être ne serait-ce qu’une seule goutte d’eau dans l’océan de la révolte contre une dal d’injustices, contre d’insupportables rapports de classes où les plus forts n’arrêtent pas d’écraser, sciemment, consciemment sinon consciencieusement les démunis, les plus faibles.

C’est sans doute à cause de ce long parcours d’honnêteté intellectuelle et politique de Fanfan Latulipe, à cause de son dévouement sans cesse renouvelé à une dénonciation incessante des abus exercés par les oligarchies au pouvoir sous forme de discriminations, de violences de toutes sortes, de rejet systématique des pauvres, des laissés-pour-compte, d’écœurant manque d’humanité des catégories possédantes que l’auteur de la rubrique ”Twa fèy, twa rasin, o !”, à l’initiative du staff du journal et de nombreux lecteurs et lectrices, a été l’objet d’un hommage qui lui a été rendu dans la soirée de ce samedi 13 mai écoulé dans la salle culturelle Harry Numa.

Dans le langage usuel on trouve bien le mot dédoublement. Cependant, le néologisme tulipant dédoublure me convient mieux pour exprimer cette opération sui generis à laquelle j’ai voulu me prêter. En effet, Fanfan La Tulipe va se dédoubler, l’espace de cette rubrique, de façon à ce que La Tulipe rapporte ce qui s’est passé à cette manifestation de solidarité envers Fanfan, de la part d’une assistance sélecte, un peu plus d’une quinzaine de personnes, et qui aurait pu être plus nombreuse n’eût été une pluie battante, tantôt yenyen, tantôt diluvienne, interminable qui a gâté la journée et la soirée à plus d’un.

La Tulipe dans une adresse à l’assistance

En réalité, j’avais voulu rester incognito, en tant que La Tulipe. Je ne pus toutefois rester trop longtemps dans mon incognitude, car mon ombre n’était pas aussi  discrète que je le croyais. Un trio de caravacheurs m’avait repéré. Entre deux bières et de kout tafya ils me firent savoir, avec aplomb et autorité même, qu’il allait m’échoir la tâche de faire un reportage de ce moment de solidarité et de fraternité.

Bien sûr, Fanfan fut informé de cette démarche aplombe et autoritaire qui m’échut malgré moi, alors que je comptais observer les gens et les choses bien calé dans la solitude de mon nirvana. Prenant alors ma tâche au sérieux, je me mis à prendre note mentalement, visuellement, auditivement et même olfactivement, car l’ambiance respirait un capiteux parfum d’hommage. Si w pat konn Fanfan, c’était bien le moment de chercher à le connaître, car dans la salle il n’était question que de Fanfan, Fanfan bò isit, Fanfan bòlòtbò, Fanfan de ce côté-ci, Fanfan de ce côté-là, Fanfan tout partout, jan l ekri, sa l ekri, sa contribution à présenter la réalité politique à sa façon, “originale” selon l’appréciation de feu Paul Laraque, enfin, enfin, Serafen pye fen.

À ce que j’ai pu entendre et comprendre, dans le temps, il disséquait cette réalité pêlemêlement, ensuite il l’a fait twadégouttement, puis enfin de façon twafeuillante et twaracinante. Alon Fanfan sa a! Je l’observais soigneusement avant de l’approcher. Il était assis quasiment toute la soirée avec l’étincelant collaborateur musical du journal, Ed Rainer. Ce qu’ils se disaient, seulement leur évidente complicité dans la sobriété devait le savoir. Les deux faisaient l’effet de deux invités réservés, tranquilles, si je devais les comparer à d’autres camarades qui, bière en main, rayonnaient de “prestige”, ou levaient leur verre à moitié rempli du liquide ambré pour célébrer, dans la joie, d’heureux moments barbancourtés.

          La soirée avait commencé assez tard, semble-t-il à cause de la pluie yenyennante qui tendait à décourager les plus enthousiastes, les plus hardis, les plus antyoutyout. Finalement, Jackson Rateau, l’un des collaborateurs du journal, officiant comme maître de cérémonies, annonçait formellement, officiellement ouverte, la séance d’hommage à Fanfan, et invitait le directeur Berthony Dupont à prendre la parole et à faire  un ti rale sur Fanfan ce dont s’est acquitté le dirèk avec précision puisque  connaissant Fanfan depuis l’époque “haïti-progrèssiste”.

Puis, Rateau a invité les participants qui le voulaient bien à venir “dire deux mots pou Fanfan”.  Le premier à profiter de l’invitation a été le prolifique poète Tony Leroy. Son hommage s’est fait sous forme de lecture de plusieurs de ses poèmes (huit en fait) dont deux étaient appropriés pour la célébration de la fête des mères aux États-Unis: Manman, pa di nou bliye w, Ochan pou manman nan peyi Dayiti. Puis, Nwèl anba tant, Nwèl nan Site Solèy venaient rappeler les dures conditions de vie des laissés-pour-compte au pays. La mémoire de Karl Lévêque, un patriote cher à Thony, a été saluée à travers Pou salwe Karl Lévêque. En ce mois de mai, mois de notre bicolore, l’assistance a été fière d’écouter Monte bèl drapo nou! Monte! Et encore plus fière de se demander, par ces temps d’impérialisme sauvage, aux pulsions néocolonialistes: Desalin kote ou ye?

Je ne suis pas précisément un jeteur d’eau dans les lieux sacrés, mais j’ai apprécié le Jete dlo de Tony qui a bien aspergé la salle de gouttelettes ancestrales dahoméennes; cette aspersion m’a semblé avoir sans doute permis de souhaiter la bienvenue aux esprits protecteurs dans ce houmfort de militante solidarité avec Fanfan. C’est ainsi que quelques compatriotes vinrent sonner l’asson de leur camaraderie militante, parmi eux: Bob Garoute, Jean Estefen, Jean Leslie Vallon, Claudel Loiseau, Lesly Eustache, Joseph Romany. Autour du potomitan d’hommage à Fanfan s’affairaient aussi Léonia Lamour Volmar, Didier Leblanc, Marquez Osson, Yves Camille, Jude Ambroise, Stevenson Nozy, Berlotte Antoine, Willy St-Vil, Daniel Germain, Frizner Pierre, Michel Maximillien sans oublier Edgard Lafond, le photographe progressiste pakapala. Même, une voix venue de Montréal, celle de l’ami et frère Lenous Suprice (Nounous) est venue me dire à l’oreille: di Fanfan mwen di l kenbe fèm. J’espère n’avoir oublié personne, autrement je suis dans les cas avec nonm Fanfan sa a.

À un moment, on sentait qu’il manquait une note féminine, musicale, patriotique à la soirée. C’est alors que Fanfan est sorti de son nirvana pour réclamer avec insistance et enthousiasme que Jocelyne Gay vienne ajouter la musicalité de son inégalable voix militante à la fête. Et comme Jocelyne, assise à côté de son mari Roederer Morisset, avait l’air timide, un tantinet renka, l’assistance s’est mise à réclamer: Jocelyne! Jocelyne! Jocelyne! Ce qui finit par fouetter la renkatude de madame. Et comme la voix du peuple, la voix de la majorité, c’est la voix de… la persuasion, Jocelyne vint interpréter, a capella, Drapo sa a dont le refrain était repris, petit à petit, par ceux-là dotés d’une bonne oreille musicale. Un morceau de son inspiration, dont le refrain invitait les uns et les autres à honorer notre drapeau: “ Drapo nou pa ranyon / pa fè l tounen tòchon / se pou nou onore l / pou zòt ka respekte l. Merci donc à Jocelyne de la part de Fanfan.

Vint le moment de vérité de la soirée, le moment pour Fanfan de s’adresser à tous ces lecteurs et lectrices du journal réunis à l’occasion de cet hommage organisé par le staff de Haïti Liberté. Berthony Dupont, le directeur du journal, vint introduire Fanfan tout en expliquant le comment et le pourquoi de l’hommage. Après avoir brossé succinctement son apport à la vie du journal, son attachement à la cause et aux luttes du peuple haïtien, Léonia lui a offert un présent tout spécial venu du cœur de chacun des membres de l’assistance. Avant de laisser la parole à Fanfan, Berthony lui a demandé de dire à l’auditoire le secret, pour ainsi dire, de cet humour manifesté dans ses rubriques.

Fanfan, un tantinet décontracté, une allure pourianiste aidant, a répondu que c’est un trait de sa nature à lui, de son tempérament porté à prendre les choses comme elles viennent en les colorant du côté blagueur de l’Haïtien, de la pétillance, du piquant, et du naturel souvent moqueur du créole. Ses mots de remerciement ont été introduits, sur un mode twafeuillant, par le biais d’une anecdote racontée autrefois par le regretté Maurice Sixto.

Maurice enseignait le français au Congo. C’était à l’époque funeste où les valeurs du pays fuyaient l’atmosphère mortifère, charognarde de PapDoc. Pour un devoir de français mal ficelé, Maurice avait collé une très mauvaise note (1 sur 10) à l’un de ses élèves. Or, ce dernier était conscient d’avoir “très bien travaillé”. Roulant ses r à l’africaine, il interpella Sixto: «Monsieur le prrrofesseur, je ne comprrrends rrrien, vous m’avez collé une mauvaise note, pourrrtant j’ai trrrès bien trrravaillé. Oui, à parrrrt cela, perrrmettez que je vous dise que tous les mots que j’ai utilisés sont dans le dictionnairrre!!! Y en a qui ont de l’audace…

Or, contrairement à l’élève de Maurice, les mots que Fanfan aurait voulu  utiliser pour remercier les camarades et amis à l’occasion d’un geste aussi touchant à son endroit «ne sont pas dans le dictionnairrre, ni le Littré, ni le Larousse, ni le Robert », comme il a eu à le dire. Il a donc eu recours au grand dictionnairrre de la solidarité, de la camaraderie, de l’amitié, de la générosité, de la fraternité, de l’affection, de la cordialité, d’un bel humanisme, d’une militante sollicitude à son endroit. Un dictionnairrre sui generis créé pour la circonstance, sur le champ, spontanément, de connivence avec le meilleur de notre humanité, le meilleur de l’âme humaine dont chaque camarade présent pouvait se revendiquer. Là, Fanfan a trouvé tous les mots de remerciement dont il avait besoin et qui ont été exprimés à travers la magie et la chaleur d’une abondante ferveur reconnaissante.

Cette soirée d’hommage à Fanfan a pris fin avec un délicieux buffet, reflet de la bonne cuisine haïtienne. Merci à ces dames qui ont préparé les mets. Les convives se sont régalés avec appétit entre kozman, ti pale, ti bwason, blagues, lodyans, rires et autres manifestations de joie et de satisfaction pour une soirée nettement réussie. Même, l’ambiance musicale konpa était assez gaie et entraînante que Fanfan n’a pas pu résister à la tentation de “faire un rond”, de semer quelques pas, ce à quoi Jocelyne Gay, invitée à la danse, s’est joyeusement prêtée. Ah! On dit que les capables ne souffrent pas…ce n’est pas du mentir, c’est bien vrai.

Fanfan m’avait confié la tâche de remercier, chaudement, en son nom, tout le monde à la ronde badette. Voilà, mission remerciante accomplie. Finie la dédoublure, me revoici Fanfan La Tulipe.

20 mai 2017

 

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