Haïti n’est pas un État failli. Ce serait lui prêter une plénitude passée, une maturité institutionnelle qu’il aurait un jour possédée. Non. Haïti est un État embryonnaire — jamais pleinement né, jamais réellement constitué, toujours empêché, toujours parasité, suspendu entre la promesse révolutionnaire de 1804 et les chaînes invisibles d’une souveraineté inachevée.
Haïti est une fiction administrative, une coquille bureaucratique vide que parasites, ONG, familles politiques, églises complices et gangs manipulent à volonté, pour extraire jusqu’à la dernière goutte de rente postcoloniale. Ce pays n’est pas gouverné. Il est pillé.
Haïti n’est pas en crise : c’est une conspiration prolongée contre l’idée même de souveraineté. Un suicide national à feu doux, orchestré par une classe politique lâche, une intelligentsia castrée, un peuple affamé et hypnotisé, et une “communauté internationale” qui gère le chaos comme ressource géopolitique.
Haïti est un État sans souveraineté réelle. Depuis plus d’un siècle, la souveraineté haïtienne est nominale. Le pouvoir d’État est occupé, mais non exercé. Chaque “crise” devient l’occasion pour l’étranger de redessiner les contours du pouvoir local, d’imposer, de financer, d’orienter, et de désigner des acteurs qui prétendent gouverner, mais administrent une illusion.
L’État haïtien ne contrôle ni ses frontières, ni ses ports, ni sa monnaie, ni ses circuits économiques, ni ses armes, ni ses propres prisons. Il gère, il ne gouverne pas. Il exécute, il ne décide pas.
Haïti est une économie de la dépendance. L’économie haïtienne n’est pas “sous-développée”. Elle est conçue pour échouer, c’est-à-dire, une économie criminelle, informelle, tributaire et cannibale. Un marché de la misère entretenu par les transferts de la diaspora, les conteneurs, la contrebande, et le blanchiment.
Le ministère des Finances ne finance rien : il administre la dette, valide les exonérations, détourne les prêts. La BRH n’absorbe que la dollarisation pendant que l’économie réelle crève. Le système bancaire est hostile à la production, mais complice du trafic et de la rente immobilière. Les affairistes, eux, ne créent pas. Ils vivent de franchises, de monopoles, de connexions politiques. Pas de mérite. Pas d’innovation.
Nous ne produisons rien. Nous consommons ce que d’autres décident que nous avons le droit d’importer.
Haïti est une école de soumission. L’école haïtienne est une prison cognitive, destinée à former des diplômés sans pensée, des techniciens sans vision, des intellectuels sans ancrage.
Un système éducatif zombifié, calibré pour fabriquer des exilés ou des exécutants, non des penseurs ni des bâtisseurs. Les universités sont devenues des simulateurs de statut social, pas des lieux de construction du savoir. Le français y est imposé non comme langue de pensée, mais comme outil de soumission.
On y apprend à réciter, à plaire, à fuir. Pas à comprendre, encore moins à transformer. Ce système n’a qu’un seul débouché : l’émigration ou la frustration. Le savoir est inutile, la pensée est suspecte, la créativité est étrangère.
Haïti est une vie politique capturée, illégitime, et incestueuse. La vie politique haïtienne est une opérette sanglante. Ce ne sont pas des gouvernements : ce sont des syndicats d’intérêts provisoires, des coalitions de clans, de loges, de trafiquants, de notables, de pasteurs millionnaires.
Il n’y a ni opposition réelle, ni projet alternatif structuré, ni pouvoir judiciaire indépendant, ni appareil policier fiable. Les élections sont soit truquées, soit suspendues, soit inutiles. Le pouvoir judiciaire est corrompu à tous les étages, et l’appareil policier est en partie gangstérisé. Les institutions sont des accessoires pour sécuriser des postes, des passeports, des contrats.
Le parlement n’est qu’un souvenir ou un théâtre vide. La justice, un décor. La police, un acteur parmi d’autres dans un théâtre de violences. Et l’éducation est un mythe.
Ce pays ne produit plus de dirigeants. Seulement des gestionnaires de transition, des sous-traitants d’ambassades. L’État haïtien fonctionne sans colonne vertébrale institutionnelle, avec des organes artificiels greffés par l’aide internationale, des cadres formés pour fuir, et une administration incapable de produire une continuité historique, ni même un projet national.
Haïti est une culture étouffée. Haïti ne crée plus. Elle répète. Elle pleure. Elle vend son imaginaire au plus offrant. L’art est transformé en souvenir touristique. Le vaudou est réduit à un folklore ou un mécanisme de pouvoir local. Les grands écrivains se taisent ou s’exilent. Les penseurs sont invisibles ou étouffés par des ONG qui distribuent les micros et les fonds.
La culture haïtienne, autrefois révoltée, est aujourd’hui décorative, instrumentalisée, neutralisée. Elle ne dérange plus. Elle sert à calmer, à distraire, à cacher l’odeur du sang.
Haïti est une diplomatie occupée. Haïti ne parle pas au monde. Elle mendie. Elle obéit. Elle attend qu’on lui dise qui elle peut reconnaître comme président, quel chef de la Police Nationale d’Haïti – PNH elle doit remercier, quel contrat elle doit signer, quelle résolution elle doit voter.
Notre diplomatie est occupée par des gestionnaires de dépendance, pas des stratèges. En d’autres termes, une diplomatie humiliée, subalterne, et alignée. Nous n’avons aucune doctrine, aucun rapport de force, aucun réseau d’alliance digne de ce nom. Nous sommes la cour arrière de tout le monde, et la priorité de personne. Un État sans légitimité vivante.
Haïti est un peuple sans abri politique. L’État n’est pas reconnu par son peuple. Il n’est pas aimé. Il n’est pas respecté. Il est craint, méprisé, et perçu comme étranger, comme une caste technocratique au service d’intérêts externes, non comme une émanation de la volonté populaire.
Le peuple, lui, se gouverne autrement : par les réseaux, les familles, les églises, les gangs, les ONG, la débrouillardise. Mais pas par la République. La République est un mot sans incarnation.
Haïti n’est pas en déclin. Elle n’est pas encore née.
Ce que nous appelons “Haïti”, c’est un fragment d’État, un reste colonial, un morceau d’histoire figé, un fœtus politique suspendu dans le ventre du monde occidental, entre le cordon de l’aide étrangère et la matrice de 1804 jamais honorée.
Il faut le dire clairement : Haïti n’a pas besoin d’un “retour à la stabilité”, elle a besoin d’une naissance politique radicale. D’un acte fondateur, lucide, souverain, délié de l’illusion républicaine sous tutelle.
Naître enfin. Ou disparaître.
Nous ne sommes pas un État fragile. Nous sommes une Nation qui attend son État. Un peuple debout, sans abri politique. Une idée libre, sans architecture souveraine.
Alors, que fait-on? On arrête de mentir. La vraie révolution ne sera pas la continuité du mensonge institutionnel, mais l’émergence d’un nouvel ordre, d’un État enraciné dans le réel, dans la mémoire, dans la dignité, dans la rupture avec l’imposture.
Il faut tuer l’État embryonnaire, accoucher d’une nouvelle matrice politique, brûler les faux plans de reconstruction, refuser toutes les transitions sous supervision, et dire NON à l’ordre établi.
On ne réforme pas un mirage. On brise le miroir.
Ce qu’il faut faire :
- Démasquer. Radicalement. Publiquement. Nommer les noms. Organiser la parole. Dénoncer sans peur. Exposer la matrice réelle : celle de l’hypocrisie, de la rente, de la collaboration.
- Rompre. Stratégiquement. Avec tout ce qui simule un État. Créer des formes parallèles, communautaires, enracinées. Repenser la souveraineté du bas vers le haut, en dehors des circuits diplomatiques et financiers dominants.
- Refonder. Lucidement. Un projet d’État enraciné dans la véritable histoire d’Haïti comme KABA, l’a proposé. Un État qui ne cherche pas à imiter, mais à incarner : l’autorité juste, la justice populaire, la diplomatie indépendante, l’économie endogène.
- Résister. Moralement. Spirituellement. Ce combat est plus qu’une lutte politique. C’est une guerre contre le nihilisme. Une reconquête de la dignité. Une bataille pour l’âme d’un peuple.
Nous ne voulons pas la stabilité de la honte. Nous voulons la naissance d’un État libre, au service d’un peuple debout, délivré de ses chaînes invisibles, et armé d’une conscience impitoyable.
Naître enfin. Par la clarté. Par la rupture. Par l’incarnation. Nous ne demanderons plus l’autorisation des puissances étrangères, ni la bénédiction de l’ONU, ni l’accord des ambassades, ni l’appui des multinationales du chaos humanitaire. Car ce sont eux, en dernier ressort, qui maintiennent l’État haïtien en embryon. Ils prétendent aider à sa naissance mais tout leur appareil est conçu pour l’empêcher d’accoucher d’une souveraineté réelle.
Nous ne collaborerons plus avec ceux qui vivent de notre faiblesse. Il ne s’agit pas de remplir les postes vacants, ni d’organiser des élections sous perfusion, ni de convoquer des dialogues nationaux aux frais d’ambassades qui tirent les ficelles.
Il s’agit de recommencer autrement. De faire exploser la fiction. D’arracher les symboles, les sigles, les formules, et de reconstruire un ordre politique qui n’a rien à voir avec celui qui existe.
L’État actuel est un parasite logé dans le cadavre d’un rêve. On ne soigne pas un parasite. On le retire. Nous n’avons plus besoin de concepts importés, de modèles constitutionnels copiés, de plans stratégiques écrits à Washington, à Paris ou à Ottawa.
Nous avons besoin de sève. De terre. De mémoire. De puiser dans nos héros trahis, nos langues humiliées, nos tambours censurés, nos souffrances refoulées, pour construire un État qui parle notre vérité. Un État héritier de 1804, pas du Core Group ou de la Banque Mondiale.
Nous avons besoin d’un projet incarné par des êtres neufs. Aucun système ne peut naître sans hommes et femmes régénérés. Ce combat n’est pas pour des carriéristes. Ni pour les fils des bourreaux. Ni pour les pions d’ONG recyclés en “leaders communautaires”. Ni pour les juristes de l’impuissance ou les économistes de la servitude.
Nous avons besoin de gardiens lucides. D’âmes stratégiques. De poètes du réel. D’architectes du chaos. Des êtres prêts à brûler les ponts avec la République morte pour bâtir une République vivante.
Nous avons besoin d’un projet spirituel, plus qu’idéologique — un acte de foi dans le réveil d’une nation possédée. Une guerre contre l’invisible. Contre la résignation. Contre l’habitude de la laideur. Contre la normalisation de l’humiliation. Ce combat n’est pas politique : il est ontologique. Il ne s’agit pas de changer le système, mais d’effacer l’idée même de servitude de nos chairs.
C’est pour cela que nous avons créé KABA.
Parce qu’on ne construit pas un vrai pays avec des institutions en carton, un État sous tutelle et une classe politique en location. Parce que Haïti n’a pas besoin d’un nouveau parti, d’une énième plateforme ou d’un faux dialogue. Elle a besoin d’un organe vivant, ancré dans la réalité, radical dans sa lucidité, et capable d’agir en dehors des structures mortes.
KABA, c’est une structure autonome, hors de l’État. Un centre de coordination stratégique à haute valeur intellectuelle, morale et opérationnelle, composé de figures sans allégeance, de cerveaux déliés, de résistants sans ambition personnelle, engagés pour une seule cause : accoucher enfin d’un État réel. Pas de poste à demander. Pas d’élection à truquer. Pas d’ambassade à flatter. Seulement une mission : reconstruire la souveraineté, depuis la base.
KABA, c’est une doctrine de rupture. Nous avons compris que le système ne peut pas être réparé.
Il faut le désinstaller. Nous rédigeons une charte fondatrice, un socle d’insoumission enraciné dans la vérité historique haïtienne, la géopolitique réelle des rapports de force, l’anthropologie du peuple dominé, le traumatisme colonial et la normalisation de la misère organisée.
Ce n’est pas une idéologie. C’est un manuel de libération.
KABA, c’est une cellule d’éducation politique populaire. Nous refusons les slogans creux, les formations subventionnées, les intellectuels de plateau. Nous formons des guerriers de l’intellect, des pédagogues de la rupture, capables de désendoctriner les jeunes, de réveiller, de réarmer la pensée populaire, c’est-à-dire, des éclaireurs populaires pour briser l’héritage mental de l’esclavage politique.
Le vrai combat commence dans les esprits. Nous allons y allumer le feu.
KABA, c’est une alliance souterraine, transnationale et lucide. Ni parti, ni ONG. Mais un réseau fluide, organisé, stratégiquement ancré, fluide, incorruptible, composé de la diaspora active, les cerveaux en exil, les communautés locales en résistance, les voix interdites, les idées marginalisées, et les forces invisibles.
KABA est la matrice d’un contre-pouvoir. Un organe sans chaînes, sans sponsors, sans prix à vendre.
KABA, c’est le refus organisé de l’imposture — une machine de naissance politique. Pas pour diriger Haïti telle qu’elle est, mais pour faire naître Haïti telle qu’elle aurait dû devenir.
KABA n’est pas un espoir. C’est une résolution. Une arme. Une semence.
En conclusion, la République n’est pas morte — elle n’est pas encore née. Le vrai danger n’est pas la barbarie. C’est l’habituation à la défaite. C’est l’idée que rien d’autre n’est possible. C’est cette voix intérieure qui nous dit : “Haïti est trop foutue. Laisse tomber.”
À cette voix, je dis : tu mens. Ce pays est une graine. Pas un cadavre. Mais tant que l’on confondra l’embryon avec un État, tant que l’on acceptera l’imposture de façade, nous resterons prisonniers du ventre.
Il faut rompre la poche. Briser le cordon. Hurler comme à l’accouchement. Haïti ne sera pas sauvée. Elle sera engendrée. Non par ses anciens maîtres. Mais par ceux qui oseront la repenser. La porter. La défendre. Jusqu’à l’émergence d’un véritable État vivant.
Un État haïtien. Pas une fiction en location.
Kervens Louissaint