« Haiti Top 10 » Elaborateurs Musicaux Numéro 10 Ex-aequo – Ansy Dérose, Jean Gesner Henry, Achilles Paris- : Un trio de vocalistes distincts-

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Arnts’’Ansy’’Dérose* (Port-au-Prince, 1934 – Idem, 1998)

« Le chef de file des chansonniers haïtiens et orchestrateur d’envergure »

Ansy Dérose, occupe surtout l’espace et le temps de la chanson haïtienne contemporaine. Dès l’adolescence, il fut doté de diverses capacités dont la musique qui devint son premier amour, mais aussi la poésie et la peinture. Grâce à la formation de Mme Elizabeth Mahy, une instructrice française d’orientation classique, il apprit les premières techniques vocales. Ayant  très jeune à côtoyer les Guignard, Durosier, Guillaume, et Desgrottes avec lequel il travailla et collabora plus près. Artiste épanoui, musicien divers, guitariste, vocaliste patenté, chef d’orchestre, il avait assez d’atouts pour voler aussi haut que ces fameux pairs. Mais, il s’impliqua tout d’abord à se donner une formation professionnelle en s’inscrivant à l’école “J.B Damier”, d’où il sortit lauréat, terminant sur une période de deux années au lieu des quatre années requises. Subséquemment, il fut appelé à enseigner dans cet établissement où il était aussi jeune que ses élèves. Eventuellement, il s’illustra aussi à la maitrise de l’architecture, du génie mécanique, du dessin industriel, de la menuiserie etc .

Entre temps après maints détours, on le trouva au sein de l’«Orchestre Raoul Guillaume», avec lequel il devint bien vite la vedette, en popularisant de sa voix esthétique et puissante le morceau “40 en haut/40 en bas”. Mais, au moment où sa carrière musicale allait prendre un tour décisif, il s’envola pour l’Allemagne, en entamant des études techniques, où parallèlement il prit son art à un autre pallier pour être diplômé de la “Musick Hoch Shule”. Là bas il s’adonna aussi à l’interprétation des œuvres de: Schubert, Schuman, Beethoven aussi bien que les morceaux de Lalo, Massenet, Faure etc. C’est avec aisance qu’il capta le très difficile public de Munich, dans la gratification des chansons traditionnelles haïtiennes, de même que des airs en français et anglais. Au pays de Goethe, il se retrouva à Saarbrucken où il sortit lauréat d’un concours de chansons. De plus, après avoir bouclé ses études en génie mécanique, sa connaissance en cette discipline et sa maitrise de la langue allemande lui valurent l’honneur d’enseigner ces matières aux jeunes techniciens allemands. Après les randonnées de la Mannscaft, il se fit accompagner par le grand orchestre de Paul Mauriat. Puis, aux U.S.A où il connut une période de réussite, fort de la collaboration du maitre G. Moore de l’American Conservatory of Chicago, qui lui donna la chance de s’extérioriser et l’opportunité de se faire connaître du public états-unien.

« Le chef de file des chansonniers haïtiens et orchestrateur d’envergure »
« Le chef de file des chansonniers haïtiens et orchestrateur d’envergure »

Dès son retour de l’étranger Ansy réintégra le personnel éducatif de “J.B Damier” dont il devint quelque temps après le directeur, contribuant durant des décades à la formation de plusieurs générations de techniciens haïtiens. Habité par le sacerdoce éducationnel, il retrouva aussi son poste de professeur au Lycée Firmin, où il instaura un cours de dessin industriel et technique. Entre temps, il devint aussi un peintre accompli exposant ses œuvres partout, ici et ailleurs; en Allemagne, en France, au Sénégal, au Canada (Expo 67, de Montréal), au Brésil (9 et 10 Biennales de Sao Paolo). Il y montra aussi la couleur dans des associations transitoires avec «Les Diplomates» ; puis, «Les Fantaisistes d’Haïti» avec des morceaux populaires :Panno kay nan bwad chenn,Thérèse (version française) Yoyo, Grann ventan, Marie Madeleine, Alguien canto; qu’il avait enregistrés, dans une brève collaboration, et Maria, celle là parmi ses premières compositions obtint le 3e prix au “1er  Festival International de la Chanson Latine” au Mexique, en 1969, en représentant son pays, après avoir remporté le concours national face à un finaliste du nom de Ricot Mazarin.

Agrémenté de ce succès, il fit successivement la conquête de la Guadeloupe, la Martinique, Porto-Rico, République Dominicaine qui devint son fief. En 1970, il sortit sa première production solo : ‘’Ansy, sa musique et sa poésie’’ dans des conditions de fortune. En effet, c’est dans une salle obscure de la J.B Damier, convertie en la circonstance en studio d’enregistrement, qu’il enregistra: M’anvi al lakay mwen, Ginou, Ne pars pas là bas, Laura, Kouraï, L’attente, Régina, Chacun pour soi, Frédo, Inquiétude. Dix morceaux de facture, qui furent les lettres de noblesse d’un chansonnier pure laine. De là, il aura à occuper le devant de la scène pour les années à venir. En 1974, on le trouva en Israël sous l’auspice de l’OEA pour la formation professionnelle des enseignants de l’Amérique Latine. Mais surtout, Ansy était fin prêt pour fleurir la musique haïtienne de quelques pétales “dérosiens”. A partir de ce déclenchement, il lança la chanson: ‘’Quo vadis terra’’.. Le coup de foudre fut intense pour un public qui fit part de sa révérence. En se rendant massivement aux récitals traditionnels d’Ansy au Rex Théâtre, sa chasse-gardée. Pour entendre: Bonne fête maman, Chérie pa fè m sa, A ma soeur, Naïde,  Ti kafe, Se ou, Quo vadis Terra ?etc.

Le succès de ses compositions à portée éducative, sociale et politique, le plaça alors à l’avant-scène d’une chanson authentiquement contemporaine.A partir de là, il devint la figure emblématique, le chef de file “le centurion de la chanson haïtienne”. La voix dominante dont la texture de chanteur lyrique, de quelques tics “aznavourian”, nimbée d’une tonalité de climat avaient fait de lui le vocaliste prépondérant de l’environnement sonore. Conjuguant le charme, l’esthétisme et l’originalité, marqués à la fois de la grandiloquence du bel canto, de la souplesse et de l’inventivité de la chanson conceptuelle qui en firent plus qu’un crooner. Dans l’intervalle, il fit la rencontre de Yole Ledan, une jeune reine de beauté aspirant- chanteuse, danseuse et athlète, joueuse de volley, en 1974 au Canada où Ansy était venu représenter Haïti au festival international “La Super Franco-Fête”. Yole pour sa part, était là pour la danse avec “La Troupe Nationale”. Ils sont devenus très intimes et Yole a dansé dans ses spectacles. Ils se sont mariés quelque temps après et prirent part ensemble au’’ 6e festival international de la chanson latine” à Porto Rico en 1978, où la chanson Merci, qu’ils avaient chantée en duo, obtint le 2ème prix, parmi 90 pays représentés. Dans la même année, un nouveau album est apparu, contenant: Merci, Roses noires, Malcite, Thérèse, Message, Mon existence, Testament.

A ce stade le célèbre couple de la chanson haïtienne “Yole et Ansy Dérose”, fit l’unanimité. L’avenir s’annonçait radieux. Ansy revint à la case départ, et sa renommée de dur à crever et de célibataire endurci s’étiola peu à peu. Désormais il fut un papa-gateau, un travailleur qui après une journée de dur labeur aima se retrouver à la maison dans ses pantoufles, entouré de sa femme Yole et de leur fille Rania. Remarquablement transformé, ainsi que ses chansons qui exprimaient la réalité concrète du terroir, et l’auréolaient d’un statut d’avant-gardiste. A un moment de tant de luttes pour la survie, la liberté, la culture. Il s’était mis en filigrane en offrant avec la collaboration de Raymond Moise, la première version de l’Hymne National, dans la langue haïtienne. ‘’CHANTE PEYIM’’ Comme une trainée lumineuse, ses œuvres  jalonnaient  la chanson haïtienne de joyeux tours. Sous formes d’anthologie, qui fit que chacune d’elle renferma une histoire dans la quelle pouvaient  se retrouver, tous ceux et celles qui ont suivi l’itinéraire de ce grand artiste du terroir.

Dans sa merveilleuse odyssée musicale, ce chef de file du music-hall haïtien s’était toujours appliqué à offrir aux mélomanes de partout, les saveurs inaltérables d’Haïti. En Europe, dans les Amériques, dans les Antilles, au Rex Théâtre, sa salle fétiche. Au Carnegie Hall, au Palladium, au Théâtre Walt Whitman de Brooklyn Collège, son fief newyorkais, au BAM. Au stade Sylvio Cator de Port-au Prince, où 20,000 personnes vinrent pour l’acclamer en 1983, dans le cadre du festival: “Hommage à la Jeunesse”, qui correspondait à “L’année internationale de la jeunesse”, d’où toujours soucieux de promouvoir la culture haïtienne, lui et Yole avaient décidé de lancer dans le grand bain des jeunes talents tels que: Maggy Jean Louis, Emelyne Michel, Patrick Lacroix, Loulou Dadaille, Evelyne Beauvil etc.

De plus, les chansons de Arntz Dérose allaient au delà des mélodies et des mots. Comme des émotions et des énergies positivement canalisées, à travers ces merveilleuses orchestrations dont il avait le secret. Alors que le chansonnier fit ressortir une tendance à mettre moins d’emphase sur l’extraordinaire musicien et chef d’orchestre qu’il fut. Ses arrangements magistralement concoctés supportèrent et étoffèrent des textes florissants qui traduisirent la vision, la philosophie, la vie et les amours (imaginaires et réelles) de Dérose. A commencer par Laura, Anakaona, Thérèse, ti kafe tant de convoitises pour cette irrésistible petite servante: “tifi sila te si bèl, yon ti jan jòn anba po, li sizonnen po m chak fwa mwen gade l; men yon maten anvan chat penyen bab li… mwen tonbe bo Janèt…”, Femme et Fanm peyi mwen; deux vibrants hommages au courage, à la beauté ,et au mérite de la femme. “…C’est dans ton sein que la lumière a fait les maitres de la terre …” Se ou,, tandis que Merci est chanté avec et pour l’ultime amour de sa vie, sa femme Yole Dérose.

Dès le milieu des années 70, son engagement prit le dessus et, naquirent ses chansons contestataires: Si bondye, Pran konsyans etc., dénonçant andaki un régime qui n’hésita pas à dépêcher des civils armés pour intimider spectateurs et artistes lors des concerts au Rex Théâtre.. Ansy s’attela aussi  à supporter les causes nationales, notamment avec le morceau “F.D.A. W anraje” traduisant la rage de tout un peuple contre les menées racistes de l’impérialisme yankee à travers la «food & Drug Administration». Sans oublier, Nou vle,Chanson pour Haiti ,révélant son immense affection, pour ce coin de terre dont l’éloignement éveilla en lui, cette nostalgie qui lui inspira M anvi al lakay mwen et Mon crime. Face à la détérioration de son environnement, il composa Frédo qui aujourd’hui encore est plus que d’actualité: “Pa konte sou vwazen nou, poun met chodyè nan dife, se nou k pou fè konbit, si n vle zafè n chanje”, Hymne à la jeunesse traduisit sa foi dans ce qu’il appelait la force vive du pays. “…c’est en luttant chaque jour qu’elle vaincra la nuit, cette nuit si profonde…”. Et aussi ‘’Haïti, mélodie d’amour’’ auréolé du refrain :’’Dr. Bijou peyi a fou,men’l nan labou, l antre nan trou…’’. Les oeuvres d’Ansy Dérose sont profondément imprégnées de mysticisme et de force, comme pour rappeler que l’art doit élever l’homme à une dimension supérieure à celle des chansons de variétés. Qu’il se doit d’être vibrant: Brav gede, pathétique: Naide, visionnaire: Quo vadis terra, Familier: A ma soeur, Bonne fête maman, déterminant: Chacun pour soi, Kouraj, lyrique: Map kontinye chante, Testament, Mon existence et beau: Prélude. Il a toujours lutté pour que l’artiste haïtien trouve sa place au firmament des étoiles: Roses noires et Toi le musicien.

Grandement adulé et parfois désavoué, Ansy fut le prototype de la culture locale, avec tous les aléas d’un environnement conflictuel. Nationaliste, mais conservateur. Doté du culte de l’amitié. Toujours dans la mesure de son humanisme; même si on peut toujours laisser certaines illusions en chemin. Mais aussi pour sa contribution louable à l’art et la culture d’un pays qu’il aimait sans retenue .Et auquel il a tant remis, dans sa participation à la formation académique et professionnelle de plusieurs générations de techniciens. Ce qui expliqua l’inquiétude de la population sur son état de santé dès l’année 1996, jusqu’à ce qu’il annonçât qu’il souffrait d’un cancer du colon. Pourtant malgré la maladie, il resta actif, s’adonnant au même train-train. Fin 1996, il sortit : “Ansy Dérose: 32 Titres d’or”: une compilation de quelques unes des meilleures compositions tirées de son riche répertoire. A la même époque, il fit ses adieux à la scène au “Henfrasa” à Delmas (P-au- P, le 20 Décembre 1996) où une multitude vint lui faire avec Yole la révérence par l’éclat de leur présence. A New- York, c’était pour la fête des Pâques 1997 au Brooklyn College où les inconditionnels venaient le voir pour son show traditionnel. A l’occasion, le Théâtre de Walt Withman fut plein à craquer.  En Décembre 1997: “Haïti mélodie d’amour”, une nouvelle œuvre sortait juste à temps pour gratifier de la maestria de Ansy Dérose et ce tandem incomparable que constituait “Yole et Ansy”; dans une musique riche et imagée et des morceaux nimbés de brillance, prouvant qu’il rayonnait encore dans sa plénitude.

Pourtant bien qu’imbus de l’inévitable, c’est avec une profonde tristesse que le pays et toute la diaspora apprirent sa mort, survenue le samedi 17 Janvier 1998 dans sa résidence à Delmas 19, entouré de ses intimes. Ansy s’en est allé, après avoir façonné la chanson haïtienne contemporaine. Compositeur, arrangeur, lyriciste, chef d’orchestre, guitariste. Faiseur de tubes, il a laissé une bonne somme de compositions inédites. Ayant toujours prôné pour le show traditionnel, genre de concert et de récital, à l’opposé du style de cabarets. Pour cela, il fut une race à part, dans ce milieu. Pas étonnant qu’il ait occupé le sommet de la pyramide, une position qu’il tiendra jusqu’à ce qu’elle soit devenue irremplaçable près de 20 ans après sa mort. Il a laissé une place bien vide à cause de son sens d’initiatives. Et même s’il a marqué les gens de différentes manières, c’est surtout de par son inspiration, sa poésie, sa musique, qu’il a su transcender pour rentrer par la grande porte au microcosme de la chanson universelle.

 *Déjà apparu dans ‘’Top 10 vocalistes’’

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Jean Gesner Henry ‘’Coupé Cloué’’ (Léogane, 1925 – Port-au-Prince, 1998)

« Inventeur notarié du rythme ‘’Koupe’’, le trône du roi s’est pérénnisé »

Parmi les sons vocaux qui ont caractérisé les décennies 1970-80,en subissant amplement ce contexte politico social, marqué par le dadaïsme et d’expression lyrique à l’eau de rose. Desquels ont surgi différents genres de vocalistes: animateurs, “roucouleurs”, contestataires “andaki” ,charmeurs, amuseurs, ou “entertainers”.Certains avec leurs délires verbaux et d’autres en “virtuoses buccaux”, mais, toujours avec imagination vocale. Produit de la «Centrale des Arts et Métiers», à une époque où cet établissement formait les pépinières du pays, dans les domaines professionnels, artistiques et musicaux. Gesner Henry aurait sans doute côtoyé des fameux pairs  comme: les frères Raymond et Wébert Sicot, Kesnel Hall, Gérard Dupervil etc., qui  ont été formés comme lui sous la supervision entre autres,du génial Augustin Bruno qui fut à l’époque en charge de ce centre d’apprentissage. C’est là que Henry apprit à jouer la trompette et la clarinette, aussi bien la menuiserie.

Originaire de Léogane, spécialement dans la localité de Brâches, Gesner s’établit très jeune à Port-au- Prince pour sa formation professionnelle, et travailla comme ébéniste. C’est pourtant le football qui le révéla au grand public. Après avoir fait partie du Hatuey Bacardi comme défenseur de poids, on le retrouva après dans la jeune formation de l’Aigle-noir, installée dans la zone de Bel-Air où il résidait. C’est au sein de cette équipe, dont il participa à l’éclosion que le sobriquet “coupé cloué” lui fut donné, pour avoir été un défenseur très dur sur les attaquants; ayant fait sa devise “l’homme passe, mais la balle ne passe pas”. Entre temps, il gratouilla laborieusement la guitare et donna des sérénades dans les zones environnantes, en compagnie de ses amis: Georges Célestin, Victor Claudin, André Cérant, “joe gang”, René Delva, au sein du groupe «Crystal».

« Inventeur notarié du rythme ‘’Koupe’’, le trône du roi s’est pérénnisé »
« Inventeur notarié du rythme ‘’Koupe’’, le trône du roi s’est pérénnisé »

En 1957 après avoir fait un trait définitif sur une carrière de footballeur, il initia la formation du «Trio Select» et devint sur les traces de “candjo”, Anilus Cadet, “ti Paris”, Robert Molin,un superbe troubadour. Au cours de la même année, ce groupe fit son premier show au Théâtre de Verdure, en levée de rideau d’une performance du «Jazz des Jeunes». C’est déjà pour Henry et le «Trio Select» une certaine reconnaissance, avec les: Luc Raphael, Justin Blanc, Louis Solon, André Chassagne. Les stations radiophoniques telles: Radio Haïti, M.B.C, Radio Cacique, Radio Caraibe, Radio Port-au-Prince les promotionnent amplement. Dans les fêtes de quartier, champêtres et patronales, la bande à “Coupé” commence à faire du bruit. Durant les années soixante, Gesner Henry et Cie émerveillent chaque weekend au ciné Cric-Crac, Chez “tizoute” et “Bamboche” à Carrefour. Le grand déclic s’est produit au “Citadelle Garden” et le “Week-end Paradise” de Hayden “betty” Bowen à Mariani.

Ces morceaux alors très prisés firent les délices d’un large public: Men rat la, Banbou, Monkonpè, Yeye, Chanm gason, Nèg, Kousi kousa, Kilibwa, Plen kay, Kann kale, Gwobanbou, Lumyè rouj, Avwan ak pat tomat, Mato, Saint Antoine, Mon idole, Byen konte mal kalkile etc. Parmi cette brochette, les compositions Tomazo et Jij furent censurées, voire interdites par le régime de “papa doc”. Avec autant de hits, l’aventure de Gesner Henry était en pleine effervescence dans un style musical, qui venait de détrôner le groupe «Etoile du Soir», de la ruelle Alerte à Port-au-Prince. Sur cette lancée Gesner Henry commença à métamorphoser le groupe en y intégrant d’autres sections comme le bongo avec le maitre en la matière, Jean René Pétion, qui allait jouer un rôle prépondérant dans la nouvelle orientation du groupe lequel passa du style anbatonèl à une rythmique succulente, syncopée et ternaire dans laquelle le bongo prit la fonction de métronome. Dans ce remue-ménage sont arrivés les guitaristes  Bellerive Dorcélien, Jean Pierre Rigal et le bassiste Daniel Alcé, trois sacrés numéros. Dès l’année1973,à l’Anolis Vert à Thomassin le rythme koupé avait déjà conquis et venait juste à temps pendant que le konpa subissait divers assauts d’une nouvelle génération de “brassband” et des groupes antillais. En s’amenant avec: Sosis, une réédition de Chanm gason et de Map di, une réédition de Yeye. Et fort de tant de succès, le groupe devint« L’Ensemble Select» et Gesner Henry le compositeur montait la garde avec des prêchi-prêcha qui mettaient en évidence les sujets tabous de la société; scandalisaient et passionnaient autant une auditoire qui prenait goût aux moeurs exposées:

“…map mande bondye nan syèl

si pa gen gason isit

yon bèl ti fam m kankou Giselle

men s on fanm k ap karese l…”

Tout en s’adonnant tant soit peu à la contestation, mettant à nu les conditions criantes et les tribulations des gagne- petits face aux pratiques éhontées du patronat, comme dans l’interprétation de Shada:

“…M’sòti okay

M prale Jeremi

Ki sa m pral fè

mpral travay nan shada

…mkite madanm ak pitit

…se ròch m ap kase, se pikwa m ap

Voye m’travay anpil lajanm piti

kijan pou m fè pou m al nan peyi m…”

En 1976, il fit appel au leader du groupe «Super 9» Assade Francoeur qui s’amena avec ses compositions un tantinet romantique dont: Myam myam, Marie Jocelyne, Kokiyaj, Souvenir d’enfance etc., qui donnèrent au groupe une plus large audience. A partir de là, le ciel n’avait plus de limites pour Gesner Henry qui occupa le devant de la scène musicale dansante, à un moment où les groupes antillais tels: «Les Grammaks», «Les Aiglons», «Exile One» envahisserent les espaces ambiantes locales. Mais c’était sans compter avec la foudroyante percée de la bande à Gesner Henry sur l’étendue du territoire national. Tout en faisant du night club “le lambi” à Mariani, où il jouait trois fois par semaine, le mosque de la musique ambiante. Ne voulant point dormir sur ses lauriers “Coupé” s’attela vers la fin des années 1970 à séduire les Antilles, l’Amérique et l’Afrique, oú il connut un succès sans précédent. Spécialement en Côte d’Ivoire, où épris de son succulent rythme, on le proclama Roi.

Après plus de vingt ans de travail assidu, le royaume de Jean Gesner Henry n’était plus le même. Il s’est initié à la musique pour ensuite prêcher puis, prôner, régner et finalement trôner. Valeur sûre, véritable mythe, sa majesté n’avait pas fini de tailler la route. Les décades 1980 et 1990 l’ont retrouvé tout aussi créatif, voyageant par-ci, par-là et pondant des hits toujours spectaculaires. Puis, vint un temps où il devait confronter certaines réalités, comme la mort, la désertion où le désistement de la plupart de ses musiciens. Pourtant toujours prêt à recommencer, il n’avait pas hésité à faire appel à des jeunes pour suppléer au départ des vétérans essoufflés. Une nouvelle équipe prit la relève. Et, après avoir vécu aussi longtemps sur des chapeaux de roue, Gesner Henry avait besoin de souffler un peu. Il pouvait se reposer sur un riche réservoir de tubes s’allongeant sur près de quarante années, de Chan m gason à Ti tèt la.

D’autant plus, il venait de se remarier, jusqu’à ce que les rumeurs les plus fantaisistes couraient sur son compte. Qu’il était ruiné, sans un sou,  qu’il était tombé dans une complète cécité ou encore qu’il n’avait pas un lieu décent pour dormir. Cependant, par respect pour lui la presse n’en a jamais fait mention. De plus, il ne voyageait pas et ne jouait presque plus. On le disait à bout, surmené, au repos, alors qu’un autre groupe issu de son entourage continua à faire des prestations, en interprétant ses succès. Il a fallu finalement qu’il vienne faire ses adieux, alors qu’il ne se tenait même pas debout, afin que la population en soit fixée. Depuis lors, ce fut l’irréparable, jusqu’à cette fin du mois de Janvier, soit le 29 de l’année 1998, lorsque sa mort  se répandit comme une trainée de poudre au pays et dans la diaspora.

Après quarante années à vendre du rêve, de l’excitation et de la musique, Gesner Henry avait finalement tiré sa révérence. Atteint d’hyperglycémie, il n’en pouvait plus de mettre sur des charbons ardents. Il s’esquiva donc à l’amiable et dans l’honneur, après avoir doté le patrimoine musical d’Haiti d’un nouveau rythme: le koupe, qui comme le konpa de Nemours, continue à faire danser. En témoigne depuis déjà longtemps la prolifération d’adeptes et de groupes qui en ont fait leur modèle de prédilection tels: «Wanga Nègès», «Select de N.Y», «Kalito Koupé», «Sweet Select», «Konpa Manba» etc. Tout ça est le témoignage vivant de l’amour indélébile que lui ont voué ses compatriotes. Autant bien que le respect de ses pairs afin qu’il sût de son vivant que la grandeur de sa réalisation et sa gigantesque contribution à l’épanouissement de la musique haïtienne, consacreront sa mémoire pour la postérité.

***

Achilles Paris ‘’Ti-Paris’’(Jacmel, 1933- Idem 1979)

« L’incomparable troubadour »

Sambas, Candios, Troubadours, Griots : Auguste de Pradines, Anilus Cadet, les Legros, Robert Molin, ont marché sur les traces des grands précurseurs d’antan et préparé la voie aux troubadours modernes, tels : Achilles Paris, Gesner Henry, Althiéry Dorival, Rodrigue Milien, Jules’’toto” Similien, etc .De ce nombre, “Ti Paris” demeure le plus prolifique, dans son genre tout à fait inimitable. Indubitablement, le plus fameux troubadour contemporain haïtien. Achilles Paris, poète débonnaire, joueur de guitare, banjoïste et compositeur d’exception vient de Jacmel la cité merveilleuse,“derrière les collines”, étalée face à la mer mystérieuse et turbulente.

archille-parisTout commença pour lui dès l’âge de dix-sept ans, lorsque, habité par la fièvre musicale, il abandonna le toît familial pour se rendre à Port-au- Prince, la capitale du show-business dans l’engouement culturel de la ‘’belle époque’’ .C’est en 1950 que “Ti paris” fit son entrée sur la scène musicale. Dans une île de soleil, naissait un nouveau missionaire qui allait tout chambouler. Cet apôtre de l’errance fit bien à propos, la connaissance du fameux peintre Luckner Lazard, aux alentours du night club Cabane Choucoune à Pétion-Ville, lui aussi à l’aurore d’une grande carrière. Pris d’enthousiasme pour le génie d’Achilles Paris, Lazard lui suggéra de venir performer à la Galerie Brochette. Il y remporta un succès total qui le confirma dans l’entourage du jeune peintre. Un coup de foudre qui le propulsa sous les feux du Casino International.

Dès ce moment, son ascension fut vertigineuse. Souvent aimé, jamais désavoué, “Ti Paris” écrivait ses chansons dans la tempête: chansons de révolte, chansons d’amour, chansons mélancoliques, chansons fantaisistes qu’il exécutait au fumet d’une rythmique 4/4 ; concoctée aux sons du macala, du tambour et de la guitare. Sa voix singulière et ironique au phrasé simple et gouailleur transcendait l’esthétisme du ‘’bel canto’’ pour projeter un dadaïsme et un lyrisme fleuris. Compositeur prolifique, ses nombreux refrains étaient repris sur toutes les lèvres. Dans les fêtes champêtres, les salons, les kermesses et les festivals, un large public accourait à chaque présentation pour venir applaudir cet étonnant saltimbanque muni de son banjo ou de sa guitare. Lequel enflammait une audience aux prises avec les mystifications de la bienséance et de l’agréable.

“L’effet ti Paris” se répandait comme une contagion dans les résidences, cahutes ou châteaux, et même dans les pièces théâtrales oú ses morceaux furent passionnément interprétés. Dans ses tirades métaphoriques à l’endroit de l’élite ou des politiciens qui menaient son pays vers l’abîme il entonnait: “P-A Pa, B-A Ba, PA BA: L-I li PABA LI; T-A ta, F-I-A-fia: Pa ba li tafya, li deja tou sou…,” belles et subtiles allégories pour mettre à l’index ces dirigeants qui zombifiaient son peuple., provoquant ses démêlées avec le jeune loup macoute Luckner Cambronne. Entre ses deux disques: “Ti Paris et sa guitare”, son oeuvre posthume, “Anasilya”, et ses nombreux morceaux inédits en train de moisir dans les tiroirs d’un quelconque producteur, le répertoire de Achilles Paris est intarissable: Tchoul la sou,Gròg mwen, Fè gròg la mache, Pale Paris, Mon idéal,Ban m pa m ladann, Lè ou marye, Par jalousie, Cochon St- Antoine, Ladan n pou m mouri, Fanm Ayisyèn, 9hrs et demie, Ale pou vini, Desann bò dlo, Je t’ai beaucoup aimée, Vwayaj Ti Paris, Tripotaj mizikal, Anasilya, Samedi soir, Manfouben etc.

Autant de succès qui l’ont imposé comme une machine à produire des tubes dans la musique haïtienne, et le compositeur le plus interprété. Le «Jazz des Jeunes» et Gérard Dupervil ajoutaient certaines de ses compositions à leur répertoire puis, Gesner Henry et son «Trio Select», «Ibo Combo» et José Tavernier, ainsi que “boulo” Valcourt en faisaient autant. Plus tard, les «Shleu Shleu», et le «Bossa Combo» s’en sont inspirés pour en faire des tubes sur le marché mini-jazz: ‘’Di mennaj ou se zanmi m, pa di l si m renmen avè w ‘’. Mème l’idiot ‘’Tèt kale’’ avait osé reprendre ses chansons à la fin des années 1980 dans un microsillon qui ne fit pas mouche, que le producteur B.S avait dû retirer de la circulation.C’était toujours une merveilleuse excursion que d’interpréter ce génie dont les morceaux allégoriques mettaient en relief les travers et les contradictions intolérables de son environnement. “Ti Paris” maniait l’art de cogner sur les mensonges dorés et les vérités borgnes. Chauvin sans être débile, il aimait son pays d’un amour profond, et savait vanter les concupiscences de sa terre natale. Indifférent aux charmes des grandes villes qu’il avait connues et visitées, il savait qu’il n’avait pas à se démarquer d’un destin qui le retrouverait irrémédiablement au bout de la route… ‘’C’est pour toi chérie, ke m ape mouri/ Ou fè mwen tout sa w vle /Wè m pa janm fache/ Jus de koko, dous kon siwo /Paradis de délices la /Se ladann pou m mouri…wi se ladan n poum jwi…’’

Ferrère Laguerre écrit de lui: “Tantôt d’une humeur sombre et même découragée, tantôt pathétique grâce à la prosodie si simple et à la mélodie si sobre, d’un charme envoûtant et doux, d’une joie débordante et malicieuse, due à la vivacité du rythme et à la légèreté des accents. Les chansons de Ti Paris, riches de personnalité, de spontanéité et d’une grande saveur poétique enrichissent le patrimoine d’une nation qui chante ses tracas, ses tribulations et ses joies. Elles demeurent l’une des sources les plus valables de notre art populaire.” Jusqu’au début des années 1970, “Ti Paris” damait encore le pion aux groupes de l’heure, ainsi qu’aux mini-jazz qui commençaient à occuper le devant de la scène. Puis, advint l’éclipse et l’on perdit ses traces, même au Portail de Léogâne sur le Boulevard Jean Jacques Dessalines, où il s’attardait toujours en quête d’un délicieux “bega”. Découragé, miné et exploité par le milieu affairiste, il se retira dans son Jacmel natal. C’est de là que parvint un matin de mars 1979, la triste nouvelle de sa mort à l’âge de 46 ans. Ce troubadour impénitent, l’éternel “Ti Paris” dont “la fureur de vérité s’envolait sur une musique aussi belle que sensible, curieux mais doux contraste d’un cœur franc qui croyait en la vie”*.

 

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