« L’oppression d’un peuple ou même d’un simple individu est l’oppression de tous, et l’on ne peut violer la liberté d’un seul sans violer la liberté de chacun. »
Mikhaïl Bakounine
Pour échapper à la prison, le Parti haïtien des Tèt kale (PHTK) cherche à entraîner la nation haïtienne sur le terrain miné d’une explosion sociale et politique. Entre un procès pour « crimes contre l’humanité » et « l’exil politique » dans un pays éloigné de l’Afrique ou de l’Asie, l’équipe de Jovenel Moïse a choisi de remettre Haïti sous les chaînes d’une occupation étrangère musclée. Pareille à celle de 1915. Ou même pire…! En moins de dix ans, les charognards sont parvenus à désengrener tous les organes vitaux de l’État. Plus rien ne fonctionne dans ce pays. À l’exception, bien entendu, des différentes filières locales et internationales du crime organisé, qui rançonnent et endeuillent les familles apeurées. Les analystes politiques, étrangers et nationaux, en sont arrivés à la même conclusion : l’avenir de la population haïtienne est sérieusement menacé. Nos prévisions, en ce sens, demeurent également apocalyptiques. Seulement, les Haïtiens ne peuvent pas se laisser choir dans un fauteuil d’idées fatalistes. Ils doivent rester debout pour continuer la lutte contre les démons du PHTK et leurs alliés occidentaux qui se retranchent au sein du Core Group. Et surtout, chercher de l’assistance auprès des États plus coopératifs. Plus conciliants. Moins rapaces. Nous sommes convaincus que des puissances économiques et politiques, comme la Russie, la Chine, pour ne citer que celles-ci, seraient capables de les aider – avec moins d’hypocrisie –, à surmonter les obstacles de périclitation.
L’édifice national s’effondre sous les regards amusés, méprisants, des États-Unis, de la France, du Canada, de l’Allemagne… La barque de l’État haïtien se dirige tout droit vers les récifs de l’« autodestruction ». La volte-face, sans être fataliste, ne sera pas facile pour nos compatriotes. Derrière la population déboussolée, égarée dans le désert de l’incertitude, les « bulldozers du néocolonialisme » creusent des tranchées abyssales, afin d’éviter tout retour en arrière, qui pourrait finalement amener notre pays vers une nouvelle orientation sociale, économique et politique. Exactement comme les bandits du « Village de Dieu » l’ont fait, lors de l’intervention assassine du vendredi 12 mars 2021, qui a coûté la vie à 5 agents de la police nationale d’Haïti. Cette institution pourrie, corrompue est dirigée par un ex-officier des forces armées de Washington, Léon Charles, qui aurait des comptes à rendre à la justice pour les meurtres qu’il a perpétrés dans les quartiers populaires, commandités par l’organisation des Nations unies (ONU) et l’Organisation des États américains (OEA), sous le gouvernement infâme, débauché, répugnant, antipatriotique de Gérard Latortue. Aujourd’hui, il paraît de plus en plus difficile – il faut le reconnaître – d’arrêter la marche des « Damnés de la Terre» vers la vallée de la mort. Seulement, l’écrivain français Romain Rolland [1], qui vécut de 1866 à 1944, nous dit dans « L’Âme enchantée » : « Même sans espoir, la lutte est encore un espoir. »
Le statut actuel d’Haïti déprise considérablement la somme des velléités de changement investie dans le mouvement insurrectionnel de février 1986 pour éradiquer le césarisme. Après avoir exorcisé comme des derviches le démon de la dictature politique, le peuple haïtien soupire encore après la panacée qui doit être utilisée comme cautère pour aseptiser les plaies sociales. Des luttes intestines, des querelles de clan ont vrillé la sensibilité patriotique des héritiers de l’espace politique post duvaliérien. Les uns et les autres se sont révélés incapables de tracer les voies de l’avenir pour équilibrer et fortifier la marche titubante du pays. La République a perdu pied. Elle est en train de se noyer. Le climat social se fragilise étonnamment à Port-au-Prince. Le philosophe politique, Karl Wolfgang Deutsch, qui a inventé le concept de mobilisation sociale, soutenu, comme le célèbre sociologue Talcott Parsons, la thèse du systémisme, a démontré que « Gouverner, c’est prévoir … » Le vicomte Louis de Bonald, de son côté, rappelle que la « fonction propre du pouvoir est d’ordonner et de décider. » Il suffit très souvent de la part d’un Chef d’État d’une simple erreur de jugement et d’appréciation pour provoquer, comme Louis XVI, dans le corps social, la confusion et le désordre qui conduisent tout droit au désastre politique. Notre patrie en est rendue à ce carrefour problématique.
« Il est des cas où celui qui se prétend intellectuel ne doit pas se contenter de vœux pieux et de déclaration d’intention. »
Dans son ouvrage intitulé Politique systématique, Althusius explique le sens de la souveraineté et de la légitimité : « La politique est l’art d’associer les hommes pour l’établissement, la direction et la conservation de la vie sociale. La souveraineté appartient à la communauté et non à son chef. » Les mandataires sont donc liés par contrats à leurs mandants. Cette thèse implique le droit à la rébellion, à la révolte, à l’insurrection lorsque le « Prince » viole la Charte constitutionnelle. Dans le sens des philosophes politiques du 15ème siècle, particulièrement de l’auteur du célèbre Le Léviathan, Thomas Hobbes, les couches encore saines de la population doivent apprendre à se protéger et à se défendre contre les germes pathogènes qui alimentent en souffrances et en désespoirs les cellules les plus vulnérables de la société haïtienne. L’autorité de l’État vient de chaque citoyen en particulier. C’est un acte volontaire résultant de la recherche des intérêts individuels et collectifs qui a donné naissance à l’État. Selon Thomas Hobbes, le souverain a la responsabilité politique et morale « d’assurer à tous ses sujets (citoyens) la sécurité, l’égalité devant la loi et la prospérité matérielle. »
Quelques-uns d’entre vous ont probablement lu la dernière lettre que le poète martyr David Diop [2] a écrite à son beau-frère au moment de rejoindre la Guinée en 1958: « Il est des cas, dit-il, où celui qui se prétend intellectuel ne doit pas se contenter de vœux pieux et de déclaration d’intention. Il faut qu’il donne à ses écrits un prolongement concret. »
Dans les interlignes de cette citation, l’écran de notre imagination tente de reconstituer les images des nombreuses personnalités mythiques qui portent l’emblème de l’immortalité pour avoir posé en face de l’horreur des actes de bravoure inestimables. Elles ont participé délibérément aux durs et valeureux combats menés sur tous les fronts pour extirper de l’univers les démons des inégalités sociales et de l’oppression raciale. Et surtout, elles demeurent accrochées aux recommandations de Montesquieu : « La liberté de la pensée est l’unique rempart de la liberté des nations. »
Le philosophe politique Jean-Jacques Rousseau lui-même reconnaît : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » Nous sommes actuellement dans un carrefour où la question du « devenir de l’Humanité » doit être posée clairement. Et à travers la démarche explicative de la problématique, il faudrait que les gouvernements de chaque pays en particulier prennent le temps de dégager le sens des responsabilités sociales, politiques, économiques et culturelles qui s’inscrivent dans le mandat global qu’ils se sont octroyé dans leur projet de société : celui qui leur a permis de se présenter devant leur électorat pour obtenir finalement la légitimation de leur pouvoir et de leur gouvernance. Il ne faudrait surtout pas croire que les regards affolés de nos préoccupations sociopolitiques et économiques se tournent uniquement vers le Sud pillé, appauvri et affamé… Dans les pays du Nord, les conditions de vie arrivent aussi à creuser des écarts étonnamment disproportionnés entre les nantis et les dépossédés…
Par la faute d’un État soudé à l’infantilisme, au sectarisme et à l’immobilisme, les Haïtiens tressent sans répit la paille sèche de la « pauvreté extrême ». Et ils se retranchent dans la hantise d’un retour brutal du passé fascisant, artisan farouche et irréductible de la terreur affreuse. En voulant imposer une nouvelle constitution au peuple haïtien, Jovenel Moïse, appuyé aveuglément par les instances capitalistes de l’Organisation des Nations unies (ONU), nourrit l’absurde prétention de vouloir rééditer l’exploit nauséeux de François Duvalier en 1964. Les conseillers de Néron du PHTK, Rénald Libérus dans le rôle de Lucius Annaeus Seneca (Sénèque), et Guichard Doré dit Sextus Afranius Burrus (Burrus), devraient dire à leur empereur inculte et dément que les temps sont définitivement révolus.
Le docteur Louis-Joseph Janvier, de son époque, était déjà préoccupé par le mode de fonctionnement de notre État estropié à la naissance. L’intellectuel et homme politique fit des prédictions qui, malheureusement, se sont avérées. Le diplomate écrivit : « Les présidences à court terme, mauvaises pour un pays neuf où la vie politique n’est pas intense parce que les cerveaux ont été laissés trop longtemps sans culture et que les intérêts matériels sont concentrés entre les mains d’un petit nombre de personnes, vont se succéder. Avec elles, se manifesteront des recrudescences de la colère du peuple, naîtront des guerres intestines. Les unes et les autres seront précédées, accompagnées ou suivies de luttes parlementaires absolument sans grandeur [3].
Nous avons écrit dans le roman « Mourir pour vivre » : « La quête du pain qui devient rare, introuvable ragaillardit les bras des pauvres pour faire avancer plus vite les hélépoles de frustration et de colère. “ Nous avons faim ! Donnez-nous du pain… ! ” Ces vociférations menaçantes ont ébranlé dans le temps des monarchies célèbres et apparemment puissantes. La Bastille, elle-même, n’y a point résisté. Louis XVI est passé sous la guillotine. Des foyers de révolte ont embrasé des villes entières afin de dératiser les caves de corruption, d’oppression et de répression d’où s’originent les inégalités sociales émétiques, vomitives [4]. »
La politique, surtout dans les pays du Sud, doit cesser d’être simplement la science du pouvoir pour retrouver l’essence de sa valeur fondamentale qui est la recherche du bien-être des individus et des collectivités. Les dirigeants légitimes de l’État sont mandatés pour combattre la pauvreté de masse persistante et trouver une voie de développement durable pour la République d’Haïti.
En un mois, seulement à Port-au-Prince et dans les banlieues, plus d’une cinquantaine de citoyens ont été tués par balles
Nous avons toujours utilisé un vocabulaire précis pour désigner les différentes composantes de la classe politique haïtienne : des groupements politiques sans structure organisationnelle. Sans idéologie. Nous vous référons aux ouvrages Les partis politiques de Roberto Michels (1913) et de Maurice Duverger (1951). Pas de système politique sans système idéologique.
La formation des partis politiques remonte au milieu du 19ème siècle. Nous en reprenons la définition retenue par Denis Monière et Jean H. Guay, calquée sur les approches théoriques des penseurs J. La Palombara et M. Weiner (Political parties and Political Development, 1966) : « On définit généralement un parti politique comme une organisation durable qui se différencie des autres types d’organisation par la recherche du soutien populaire pour la conquête et l’exercice direct du pouvoir. »
Il n’y a pas de guerre sans héros et sans martyrs
Fort souvent, il nous arrive de réfléchir sur les principaux événements qui ont su à travers l’histoire de l’humanité élever l’homme au faîte de la gloire ou le jucher sur le sommet de la honte perpétuelle. Depuis l’effondrement du bloc de l’Est, les puissances occidentales se livrent à un jeu méchant et subtil: détruire petit à petit les figures mythiques qui symbolisent le passé glorieux de certains peuples et qui leur servent de modèle de résistance ou de lutte dans les moments difficiles de leur existence.
En 1983, le Congrès des États-Unis consentit finalement à voter la loi par laquelle la date de l’anniversaire de Martin Luther King, 19 janvier 1929, devint un jour de congé officiel. Elle fut introduite en 1972 et combattue farouchement – par Ronald Reagan, entre autres – avant d’être acceptée et ratifiée. Chaque 21 janvier ramène l’anniversaire de la mort de Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, celui qui disait : « La Russie reste un pays retardataire à un point incroyable, un pays misérable et à demi sauvage.» Depuis des années, nous reprenons ces mêmes mots pour qualifier l’état de la République d’Haïti. Que reste-il aujourd’hui de Lénine en termes de souvenirs et de valeurs historiques? La période de l’après-guerre froide a bien fait son travail d’aliénation et d’ « amnésiation ».
On ne naît pas forcément héros ! On le devient par la force des choses. Avant le 28 novembre 1985, date de l’assassinat des trois élèves gonaïviens, personne ne soupçonnait qu’il y avait quelque part, dans un coin reculé d’un bidonville qui s’appelle Raboteau, un pêcheur ignorant, illettré, analphabète, un certain Jean Tatoune par le sobriquet, qui allait forcer la République d’Haïti à amorcer un virage historico-politique stupéfiant. Le monde avait pu aussi entendre parler d’un Paulux Saint-Jean – un ancien camarade de classe chez les Frères de l’Instruction Chrétienne – brave, hardi et téméraire. Le « rebelle » antiduvaliériste, qui était un lieutenant du « mouvement de guérilla » de Lionel Lainé, décéda mystérieusement sur la route nationale numéro 1, quelques jours après la fuite des Duvalier et des Bennett. Il avait laissé Gonaïves pour se rendre à Port-au-Prince, dans le but de répondre à une convocation du général président Henri Namphy. Les freins du véhicule à bord duquel il se trouvait, selon des témoignages concordants, auraient lâché.
C’est l’exécution d’Alexandre Oulianov, le frère aîné de Lénine en 1887 qui va indiquer à ce dernier la voie à suivre afin d’aider le prolétariat russe à se libérer de la dictature monarchique. Lénine disait : « Chaque force sociale se pose des objectifs politiques qui correspondent à ses intérêts objectifs. » L’anniversaire du décès de Lénine ne retient presque plus l’attention de la planète. Les temps ont changé. Cependant, les réalités contondantes des sociétés mondiales ont empiré. Empirent. « Le prolétariat n’a d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation », soutenait encore l’artisan principal du communisme en Union Soviétique. En Haïti, les Héros de la guerre de l’indépendance sont enfermés dans les placards du mépris et de l’oubli. Aucun sentiment de Respect et d’Honneur de la part des dirigeants politiques ignares et délinquants à l’égard des aïeux !
De nombreux appelés, peu d’élus
Beaucoup de Juifs échappés au régime esclavagiste de Pharaon ne furent pas arrivés à franchir les portes de Canaan. Ceux-là qui étaient cuits dans la fournaise ardente du « Mal », les irréductibles, les traîtres, les idolâtres, les ingrats qui se souillaient, qui se prostituaient dans le lit du « Diable », étaient carrément frappés d’anathème. Et pour les besoins et le triomphe de la cause, le Prophète n’eut d’autre choix que de les condamner à manger des pissenlits dans le désert par les racines. Les Haïtiens retiendront de cet euphémisme que la République ne pourra pas avancer sans que les « barrières » de blocage ne soient renversées. Éliminées.
Toute la politique de la communauté internationale (CI) consiste depuis longtemps à tirer le pays par les pieds, afin de l’empêcher de monter. En écoutant la dernière conférence de presse du millionnaire, commerçant et homme politique, Réginald Boulos, ces quelques passages du discours prononcé par le maire de Port-au-Prince, M. Sténio Vincent, à l’occasion de la fête du travail le 1er mai 1908, et rapporté par Alain Turnier [5], nous sont revenus à la mémoire : « Les étrangers, dit Sténio Vincent, venus de partout pour la conquête légitime et naturelle de la vie encombrent toutes les avenues de l’activité sociale. Voyez un peu ! La banque est allemande. Les commis de banque sont allemands. L’enseignement est français. Il est de plus en plus congréganiste. Le commerce d’importation et d’exportation est allemand, français, anglais, américain et syrien. De vagues commerçants haïtiens se trouvent mêlés à cette sauce cosmopolite, une sauce blanche, comme deux ou trois grains de poivre qui seraient tombés par mégarde. Le commerce nous échappe. La cordonnerie est cubaine. L’horlogerie et la bijouterie sont italiennes. La confection pour hommes est surtout cubaine. La carrosserie est jamaïcaine. Les quelques usines que nous avons çà et là pour la préparation du café et du cacao, les deux ou trois plantations quelque peu organisées, tout cela est aux mains des étrangers…»
Nous avons l’impression que la République d’Haïti se retrouve au même carrefour qui révolta la conscience du maire Sténio Vincent devenu par la suite président le 18 novembre 1830. La bouillotte de crise sociale, économique et politique dans la laquelle elle mijote depuis plus de deux cents ans ne se refroidit pas. Tous les grands essayistes et romanciers haïtiens du 19ème siècle, Fernand Hibbert, Frédéric Marcelin, Louis-Joseph Janvier… ont utilisé le même vocabulaire pour baptiser, déplorer et dénoncer les « Maux » dont souffre l’État haïtien depuis sa création, et qui causent jusqu’à présent les mêmes déceptions, provoquent les mêmes souffrances, occasionnent les mêmes privations aux couches ignorantes et ignorées de la population. Comment restituer aux victimes de l’hégémonie impérialiste et de la domination oligarchique le libre exercice de leurs droits de citoyenneté ?
St-Exupéry disait : «Être homme, c’est sentir en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. » La culture de ce que la sagesse socratique qualifiait de « fausse universalité démocratique » – comme celle qui se pratique encore de nos jours en Occident – n’amènera certainement pas la République d’Haïti sur le chemin de la paix sociale. Comme par magie, nous constatons que l’insécurité publique a repris son bâton de terreur. Les cas de kidnapping, de vol, d’assassinat, de viol… ont fait sauter le verrou de blocage des statistiques.
Une situation gravissime
Nous avons publié en 2016 un texte sous le titre « Police nationale d’Haïti, un cadeau empoisonné ». Nous y avons fait de graves révélations. Nous reprenons pour vous un extrait : « …Au sein de l’institution policière, il existerait donc des cellules mystérieuses et clandestines actives. Leur mission consisterait à éliminer des collègues sérieux et honnêtes qui combattent et résistent contre la corruption mafiosique, qui se mettent loyalement au service de leur pays et de leurs concitoyens. Ils ne sont pas nombreux. Mais il en existe encore quelques-uns dans les commissariats. Les « policiers délinquants » sont eux-mêmes chargés de perpétuer un climat de désordre politique et de chaos sociétal par lequel les forces de l’occupation étrangère justifient leur présence sur le territoire national, afin de continuer à protéger les intérêts des États impériaux, des multinationales et de la bourgeoisie du bord de mer (BBM). De 1995 à nos jours, les nouvelles n’ont-elles pas rapporté de nombreux cas de policiers morts en devoir, assassinés par leurs propres collègues? Et les meurtriers, ne sont-ils pas – pour la plupart – demeurés introuvables? »
Incroyable mais vrai
L’Académie de police nationale située à Pernier (Pétion-Ville) a été le théâtre d’un vol spectaculaire sous le premier gouvernement de M. Préval. Peu de gens le savent. Les autorités ont évité d’ébruiter l’affaire. À l’époque, directeur de Radio plus, nous en fûmes « informé » par un haut responsable de la Direction des écoles et de la formation permanente (DEFP), qui nous avait « invité » à venir sur place et à en faire le constat. Il s’agit d’une vieille connaissance – dont le nom est omis volontairement – que nous avions l’habitude de rencontrer à l’époque de la dictature duvaliérienne dans une métropole de l’Amérique du Nord. Il avait été formé à l’étranger pour participer activement à la matérialisation du projet de création du « corps armé controversé » appelé « Police Nationale ». Ce personnage influent – qui est aujourd’hui à la tête d’une importante congrégation protestante basée à Port-au-Prince – nous a remis une copie de la liste des équipements dérobés. Ou plutôt détournés. L’importance du méfait, la diversité et la quantité des unités qui figurent dans ce document confidentiel – d’ailleurs que nous conservons encore avec les noms de tous les inculpés – nous ont permis de constater qu’il ne s’agissait pas d’une simple affaire d’«escroquerie » pour gagner illicitement de l’argent. Cela est d’autant plus vrai que le présumé auteur principal du crime est un ressortissant étasunien qui travaillait dans ce projet comme responsable de la logistique pour le compte de l’International Criminal Investigative Training Assistance Program (ICITAP). Cette entité, comme vous le savez, relève du Département de la Justice américaine. D’autres fonctionnaires étrangers seraient aussi associés de loin ou de près à cette histoire obscure et mystérieuse de vol ou de détournement de matériels destinés à la Police Nationale : véhicules, uniformes, caméras, machines à écrire Olivetti, meubles de bureau, radios de communication, microphones… C’est un indigène, agent de sécurité haïtien affecté à l’Académie de police, qui a conduit à la découverte de la vérité.
Tout porte à croire que ces « missionnaires de l’hégémonisation », qui ont ramené le président Aristide en 1994, auraient eu également pour mission de créer deux forces parallèles au sein de la nouvelle police nationale d’Haïti, dont l’une serait officielle; tandis que l’autre, souterraine. Si vous voulez, clandestine…! Et encore, avec des attributions occultes! Criminelles! C’est ce corps nébuleux qui a mené le pays vers le gangstérisme infernal qui s’est développé dans les quartiers bidonvillisés, et qui est à la base de la déstabilisation sociétale à laquelle se trouvent confrontés les indigènes. André Breton dirait : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement [6]. »
Les premiers dirigeants de l’Académie policière de Pernier accepteraient difficilement de rouvrir le « livre » de ce scandale étouffé par les « ambassades » et la « présidence prévalienne ». À l’époque, ils craignaient pour leur vie et pour la sécurité des membres de leur famille. L’arrivée de René Préval au pouvoir en 1995 correspondait à une augmentation du phénomène de banditisme à la capitale. En un mois, seulement à Port-au-Prince et dans les banlieues, plus d’une cinquantaine de citoyens ont été tués par balles, provoquant ainsi une situation de panique collective. Des « gredins » lourdement armés avaient même attaqué une station d’essence située au bas de Lalue, à quelques mètres du palais national. Des témoins rapportaient souvent qu’ils avaient remarqué parmi les assassins des individus qui portaient des « chaussures de tennis avec l’uniforme de la police nationale ».
En observant ce pays qui périclite et qui a donné naissance à une somme considérable d’intellectuels éminents, reconnus et respectés dans les milieux universitaires étrangers, nous ne pouvons nous empêcher de conclure comme François Rabelais, médecin et philosophe français: «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.»
Thomas Mann [7] nous apprend : « Le génie est une punition de Dieu. Le mal est une nécessité, c’est lui qui attise le feu du génie. » Du fléau de l’esclavagisme, ce mal absolu, ont émergé des femmes et des hommes géniaux qui ont confectionné et hissé le drapeau d’un État souverain et indépendant au mât de la Liberté. Par-delà les incertitudes de l’avenir, nous exhortons nos compatriotes à conserver l’espoir de voir émerger un jour sur les terres de la République d’Haïti un modèle de société fondé sur l’idéologie d’une « Révolution mondiale ». Au sens des préceptes marxiens.
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Notes et références
[1] David Diop, poète sénégalais.
[2] Romain Rolland, L’Âme enchantée, Ollendorff, 1822.
[3] Louis Joseph Janvier, La République d’Haïti et ses visiteurs, Les Constitutions d’Haïti.
[4] Robert Lodimus, Mourir pour Vivre, inédit.
[5] André Breton, Second manifeste du surréalisme, 1029.
[6] Alain Turnier, La société des baïonnettes.
[7] Thomas Mann, Mort à Venise, adapté au cinéma en 1971 par Luchino Visconti.