Haïti, chronique d’une crise électorale (138) Les législatives, un vote de confirmation ou de programmation ?

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Est-ce vraiment un franc vote populaire ou bien est-ce un scrutin techniquement programmé, concocté par les mains invisibles des forces anti-démocratiques et anti-progressistes ?

Les êtres humains, comparativement aux autres animaux, possèdent ce que les philosophes appellent : la raison. Sans entrer dans une analyse philosophique – tel n’est pas le but de cette chronique, au point où nous sommes arrivés dans le processus électoral haïtien – , il devient urgent que tous les gens doués de cette faculté appellent au bon sens des acteurs. Ce petit exercice est utile en ce qui a trait aux résultats définitifs des élections générales du 20 novembre 2016. Des résultats contestés par les trois principaux candidats à la présidence d’Haïti et quelques candidats au Sénat et à la Chambre des députés. Rappelons que les candidats des partis concernés, Maryse Narcisse de Fanmi Lavalas, Jude Célestin de LAPEH et Jean-Charles Moïse de la Plateforme Pitit Dessalines avaient commencé à protester bien avant la publication des résultats. Ce qui était déjà non-seulement un signe de faiblesse de la part de ces trois partis vis-à-vis de leur concurrent, la Plateforme politique Haïtien Tèt Kale (PHTK), mais également un signe avant-coureur, puisqu’il n’y a jamais eu  de fumée sans feu. Pourtant, il n’y avait pas qu’un seul scrutin ce jour-là. Il se trouve que cette joute comprenait aussi des scrutins pour des législatives partielles (sénateurs et députés) sans oublier le renouvellement du tiers du sénat, maires, etc. donc beaucoup de postes électifs en jeu.

Le principe voudrait qu’on commence à contester lorsqu’on a en sa possession l’ensemble des résultats attendus. Mais en Haïti, les règles sont différentes pour les politiciens. Les logiques ne sont pas les mêmes dans ce pays. On conteste d’abord, ensuite on verra. Ce peut être une sage précaution compte tenu de nos habitudes électorales. N’est-ce pas que les élections de 2015 avaient été entachées de fraudes ? Ce n’est pas très compliqué à comprendre. Pour les joutes de 2016, les trois contestataires estiment qu’une vérification en bonne et due forme est indispensable, ce qui est légitime, autrement  leur concurrent n’a pas honnêtement gagné les élections.

Selon eux, si tel est le cas, c’est qu’il y a eu des fraudes massives suivi d’un « coup d’Etat électoral » mené tambour battant par pratiquement tout le monde. Voyons, si les élections aux Etats-Unis donnant Trump gagnant étaient réalisées en Haïti les démocrates crieraient tout bonnement aux fraudes électorales ; comme c’est de coutume dans notre pays.

Après la proclamation des résultats, ils ont officiellement porté l’affaire devant les Tribunaux du contentieux électoral. Sauf qu’entre-temps, les résultats pour les autres postes à pourvoir ont été publiés. Et là, l’affaire est devenue plus difficile à défendre pour les trois protestataires, puisque les résultats semblent suivre la logique du vote de rejet contre les trois partis qui tiennent le béton depuis les résultats pour l’élection présidentielle. Il faut dire aussi que Fanmi Lavalas, Pitit Dessalines et LAPEH sont tombés dans un piège dans la mesure où ils ne peuvent plus reculer. Ils sont condamnés à aller jusqu’au bout quitte à paraître pour des jusqu’au-boutistes et des mauvais perdants faisant passer au premier plan leurs intérêts par rapport à ceux de la Collectivité nationale.

Si les résultats par département ont bien confirmé la victoire de Jovenel Moïse dès le premier tour en le plaçant en tête dans chacun des dix départements, ils cacheraient effectivement un autre aspect que les trois candidats contestataires ont volontairement oublié ou n’ont pas voulu prendre en compte: la percée spectaculaire du PHTK et de ses alliés, là encore sur l’ensemble du pays. Pourtant, c’est un point qu’il ne fallait pas négliger. Tout au moins Maryse, Jude et Jean-Charles auraient dû attendre avant de montrer l’allure qu’ils ont donnée à leur opposition frontale aux résultats présidentiels. Ces derniers, en effet, donnent un avantage non négligeable aux candidats qui se réclament de ce parti.

Partout ou presque, les candidats du PHTK et alliés ont été placés dans des positions qui confirment que les électeurs ont bel et bien voté en faveur du candidat Jovenel Moïse. Dans chacun des dix départements, comme pour le vote présidentiel, ce sont les candidats au Sénat ou à la députation du PHTK et alliés qui sont élus ou sont arrivés en tête pour un second tour. Mieux, on a remarqué dans certains départements ou circonscriptions que le deuxième tour opposera deux candidats de la même famille, c’est-à-dire soit un PHTK contre un KID, soit un Bouclier contre un PHTK ou un Ayiti an Aksyon (AAA) du sénateur Youri Latortue. Les candidats de Fanmi Lavalas et Pitit Dessalines sont rares pour le second tour au tiers du Sénat. Pour LAPEH, il n’y en a aucun. Quelle bizarre surprise ! Est-ce une affaire programmée ou bien est-ce que la minorité populaire qui a eu l’amabilité de participer aux élections aurait, par un curieux hasard, changé ses anciens habits pour porter ceux du régime de Michel Martelly et de K-Plim Evans Paul ? L’autre grande surprise c’est le nombre de parlementaires engrangés par le KID au moment oú le parti n’a aucune représentation populaire.

Dans ce schéma électoral, il y a des cas encore plus emblématiques, sinon surprenants. L’exemple du candidat au Sénat pour le département de l’Ouest, Fednel Monchéry du PHTK. Ce candidat qui a été marginalisé durant toute la campagne, non seulement par la presse mais aussi par ses propres adversaires, a fait une percée qui laisse tout le monde pantois. Pourtant, dans ce département il avait en face de lui des poids lourds tels que Assad Volcy, un Pitit Dessalines dissident, Dr Schiller Louidor de Fanmi Lavalas ou encore le très connu journaliste sportif Patrice Dumont (RPH) avec qui, d’ailleurs, il devrait aller en finale. Mais d’autre cas significatifs ont été confirmés comme l’élection sans aucune difficulté dans le département de la Grand’Anse sous l’étiquette de Consortium de Guy Philippe, arrêté depuis par la BLTS haïtienne et DEA américaine, où l’on a enregistré aussi l’élection sans problème de l’ancien Président de la Chambre des députés, Sorel Jacinthe sous l’étiquette de la Plateforme INITE Patriyotik.

Idem pour les candidats du PHTK et alliés dans le Grand Nord. Les transfuges lavalas qui étaient sur la liste du PHTK ou alliés et qui faisaient face à leurs anciens collègues du parti ou au Parlement ont raflé la mise. Tels sont les cas de Nawoom Marcellus sous la bannière de Bouclier et de Dieudonne Etienne Luma du PHTK qui ont mis en berne l’espoir de Kelly C. Bastien ex-sénateur et ancien Président du Sénat arrivé seulement en troisième position. De fait, Luma du parti « Tèt Kale » est l’unique femme à siéger au Grand Corps dans cette 50e législature. Dans le département du Centre, un autre enfant terrible du clan lavalas avait rallié le clan PHTK de Michel Martelly, dès 2015, Willot Joseph. Il a été élu brillamment en compagnie de son collègue Wilfrid Gélin. Ce dernier aurait été condamné aux Etats Unis d’Amérique vers les années 80 pour trafic d’êtres humains. Mais, il y a d’autres élections encore plus symboliques signifiant que les électeurs ont voté en suivant une logique toute simple : qui gagne la présidentielle gagne les législatives.

Ainsi, le PHTK a remporté une éclatante victoire dans le Nord-Est dès le premier tour pour le Sénat avec un ancien député sortant, Wanique Pierre qui a engrangé 58,78% de votes contre l’un des chefs de file de l’opposition contre Jovenel Moïse, le sénateur sortant Jean-Baptiste Bien-Aimé. Ce lavalassien notoire qui n’a jamais trahi son camp depuis l’origine a subi l’effet Jovenel dans son fief électoral. Curieusement, un autre baron de l’ESPWA qui était parti rallier Martelly en 2012 avant d’aller retrouver Jude Célestin en 2015 pour finalement rejoindre le PHTK de Jovenel Moïse 2016, l’ancien sénateur Joseph Lambert qui avait été vertement battu en 2015, a été élu cette fois-ci dès le premier tour dans le Sud-Est sous la bannière de son petit parti local KONA. En l’espace de quelques mois qu’est-ce qui a changé alors ? Est-ce un autre peuple qui  l’a voté ? Pas le même ? ? Son score indiscutable, 53,78% des votes, a contraint son adversaire à ne pas contester cette élection. Du coup, Jo Lambert qui avait soutenu du bout des lèvres Jude Célestin en 2015 et qui avait soutenu Jovenel Moïse ouvertement en 2016 devient un sénateur dans le camp de celui-ci.

Pour la petite histoire, le PHTK n’avait pas présenté de candidat en face de lui. Dans le département du Centre, pour le tiers du Sénat, deux députés alliés et candidats pour le dernier poste à pourvoir devraient s’affronter en finale. Il s’agit du député Abel Descollines de la KID et de Rosny Célestin du PHTK. Qu’importe celui qui gagnera, il sera un élu et membre du groupe parlementaire pro-présidentiel. Dans l’Artibonite, c’est le même scénario. Un député en fonction, Garcia Delva, élu du PHTK, avait choisi le parti Ayiti an Aksyon (AAA), allié du PHTK, pour se présenter au sénatorial. Il devrait affronter au second tour un autre allié du PHTK, Marc Antoine Adolphe de la Plateforme Bouclier. Dans le Nord-Ouest, c’est un fervent partisan, voire un inconditionnel de Jovenel Moïse, Kedlaire Augustin, qui devrait porter l’estocade au nom du PHTK à un sénateur sortant François Lucas Sainvil d’un obscur parti régional du nom de MOSANOH. Pareil pour les Nippes, la terre d’élection de Jocelerme Privert. Denis Cadeau, ancien Directeur général du Ministère de l’Education Nationale, affrontera au nom de la Plateforme politique Bouclier, proche de PHTK, Louberson Vilson de Fanmi Lavalas.

C’est un combat égalitaire dans la mesure où les deux candidats ont obtenu les mêmes pourcentages. 21,03% pour le candidat de Lavalas et 21,08% pour l’allié du PHTK. Pratiquement pareil dans le département du Sud où les deux candidats sont arrivés au coude à coude avec un léger avantage pour celui du PHTK. Dans ce département, c’est un illustre inconnu, Pierre François Sildor du PHTK, 25,51% des votes qui fait face à un colosse politique de la région, sénateur sortant et ancien Questeur du Sénat, Fritz Carlos Lebon de Fanmi Lavalas avec 25,33% des votes. La bataille devrait être plus serrée dans le département de la Grand’Anse opposant un vieux routier de la politique nationale, Andris Riché, porte drapeau de l’OPL (Organisation du Peuple en Lutte) et sénateur sortant contre Jean Rigaud Bélizaire du Consortium de Guy Philippe.

Enfin, le département du Nord où le candidat PHTK, Jean Marie Ralph Féthière, avec ses 35,68% des votes est opposé à l’unique candidat de Pitit Dessalines dans ce qui reste du tiers du Sénat, Théodore Saintilus qui avait obtenu 14,04% des votes. C’est incontestablement un grand succès pour le parti du Président élu qui, dès le premier tour ou au second des législatives partielles, a pratiquement une majorité au Sénat de la République en attendant la dernière partie des élections pour le tiers de cette assemblée. Dans la Chambre basse, le PHTK et alliés étaient déjà majoritaires. Lors des élections partielles sur les 25 postes à pouvoir, le PHTK et alliés ont obtenus cinq (5) députés en plus. Tandis que la nébuleuse des petits et grands partis (Renmen Ayiti, Canaan, plateforme Kanpe, Kona, VERITE, OPL, Fanmi Lavalas, APLA, Pitit Dessalines, Fusion), partage les vingt (20) postes restants. Signalons que trois femmes sont élues à la Chambre des députés dès le premier tour à ces élections partielles.

Ce sont Saint-Jean Marie Gladyce Lyndy avec 53% des votes pour la circonscription de Jérémie dans la Grand’Anse ; Guerda Bellevue 51% des votes pour la circonscription de Savanette dans le Plateau central. Enfin, Raymonde Rival avec 55% de votes pour la circonscription de Cornillon/Grand-Bois dans l’Ouest. C’est de deux choses l’une : soit les contestataires ne reconnaissent aucun des deux résultats, soit ils acceptent le tout s’agissant d’un seul et même scrutin. Or, on a remarqué que les acteurs ont fait volontairement l’impasse sur les résultats des législatives alors que le même parti PHTK, de Jovenel Moïse, obtient un résultat encore supérieur à ce qu’il avait obtenu lors des élections du mois d’août 2015.

En gros, le vote des électeurs paraît être un vote de bon sens puisqu’il correspond à ce que les électeurs ont exprimé pour l’élection présidentielle. Par contre, si c’était un vote programmé, concerté, comme en 2015, l’opération de 2015 à 2016 est restée cohérente.  Cela aurait été suspect si d’un côté il y avait eu un vote en faveur de Jovenel Moïse et de l’autre un vote contraire à ce qui avait été exprimé. C’est apparemment un vote de confirmation du choix qui a été fait pour le candidat et son parti. Trop beau pour être vrai. On est en droit d’être dans le doute et de se demander : est-ce vraiment un franc vote populaire ou bien est-ce un scrutin techniquement programmé, concocté par les mains invisibles des forces anti-démocratiques et anti-progressistes ?                                                                                                                                                                                     C.C

 

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