Haïti au point de bascule : des chaînes invisibles aux solutions concrètes !

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Jimmy « Barbecue » Cherizier, chef du parti politique Viv Ansanm, s’adressant aux journalistes à Delmas 6 en août 2021. Les quartiers de « gangs » sont considérés comme sales, dangereux et infestés de criminalité, mais Delmas 6, où réside Cherizier, est propre, sûr et pratiquement exempt de toute criminalité. Photo : Haïti Liberté

Au cours des deux premières décennies et demie du XXIe siècle, nous avons assisté à l’émergence des « gangs » haïtiens, comme le Département d’État américain et les médias grand public ont qualifié ces groupes armés de quartier, criminels et anti-criminels, tous issus du prolétariat et du lumpen-prolétariat. Ils ont été présentés comme les seuls agents du chaos haïtien.

Leur contrôle actuel sur près de 90 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince (contre toute attente, la plupart de leurs quartiers sont les plus sûrs qu’Haïti ait jamais connus) a déchiré le voile de l’illusion et révélé ce que beaucoup refusaient de voir : la main invisible qui étrangle le système financier, l’économie, la politique et la souveraineté d’Haïti.

Cette main n’est pas haïtienne. Elle appartient aux oligarques et au soi-disant « secteur privé » – servant de simples intermédiaires des intérêts américains. Ces familles ont accumulé des ressources, bloqué la mobilité sociale et condamné des générations à l’abandon et au désespoir. Les ONG humanitaires et les institutions « bienveillantes » n’ont fait que perpétuer cette dépendance, ternissant la servitude sous un vernis de charité.

En réalité, les « gangs » – dans leur férocité brute et existentielle – ont révélé la vérité : les puissants d’Haïti n’étaient que les exécutants d’un programme étranger. Les « gangs » ont brisé la zone de confort des oligarques et de leurs « partenaires internationaux », c’est-à-dire leurs superviseurs. Ils ont démontré qu’en Haïti, le pouvoir n’a jamais appartenu au peuple, mais à une poignée de familles au service de forces étrangères dont les seuls objectifs sont l’accès, l’influence et le profit.

La question se pose donc : que faire ?

Lors du sommet des BRICS, le mois dernier au Brésil, de nombreuses sessions, ateliers, événements de réseautage et négociations ont été organisés sur le commerce, l’investissement, la coopération économique et le multilatéralisme. Haïti doit rejoindre ce bloc économique.

La solution n’est pas de rendre le pouvoir aux oligarques, ni de restaurer le monopole d’une élite qui a prospéré sur la misère des masses. La solution réside dans la transformation des territoires contrôlés par les « gangs » en laboratoires pour une nouvelle Haïti. Ces zones, souvent perçues (à tort) comme des zones de criminalité, peuvent devenir des espaces de renaissance.

Au lieu de les laisser fermées au même petit groupe aligné sur Washington, elles devraient devenir des portes ouvertes pour de nouveaux investisseurs – venus du Sud, des Caraïbes, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine – des acteurs qui n’ont aucun intérêt à perpétuer la dépendance ou à reproduire la servitude.

Laissons ces nouveaux acteurs s’associer aux pauvres d’Haïti pour construire des écoles, des hôpitaux, des centres de formation, des banques et des industries à Cité Soleil, Martissant et Croix-des-Bouquets – précisément là où les oligarques et les acteurs humanitaires n’ont jamais investi un seul souffle de vie. Ces quartiers devraient devenir des enclaves de dignité et de prospérité, égales, voire supérieures à Pétion-Ville. Ce faisant, le monopole de l’élite serait brisé, les opportunités redistribuées et la dépendance éradiquée.

En d’autres termes, les communautés n’auraient plus besoin de migrer vers Pétion-Ville ou Laboule ; elles disposeraient de leurs propres infrastructures, services et dignité. Ce changement briserait l’emprise des élites et ancrerait un véritable développement là où l’État a toujours échoué.

Nous nous trouvons à un tournant historique où cette opportunité n’est pas seulement une possibilité, mais un impératif. Nous assistons à l’émergence de la communauté des BRICS (ainsi nommée d’après ses pionniers, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud). Aujourd’hui composée de dix nations, et de nombreuses autres réclamant leur adhésion, elle établit lentement un nouvel ordre économique mondial, indépendant des États-Unis ou de l’Europe occidentale, doté de ses propres monnaies, banques, réseaux financiers et infrastructures. Haïti a tout intérêt à rejoindre ce nouveau bloc économique, dont la philosophie est « gagnant-gagnant », et non l’asservissement.

Le crime ne naît pas du néant : il émerge là où il n’y a ni école, ni emploi, ni institutions fiables. En remplaçant le vide par des opportunités, les « gangs » pourraient accomplir ce que l’État et les ONG n’ont jamais fait : poser les bases tangibles de la vie humaine, non dictées par une morale chrétienne hypocrite ou des appels à la compassion, mais par le besoin existentiel de survivre et de prospérer. Permettre un véritable investissement est, en ce sens, un acte de libération.

Il faut cependant le comprendre : un révolutionnaire ne se couronne jamais dans le présent. Les vrais révolutionnaires ne cherchent jamais à être aimés maintenant. C’est l’histoire, et non le moment présent, qui décide. Rechercher l’approbation populaire est une perte de temps et une trahison de l’objectif. La popularité est un mirage ; la substance perdure.

L’État haïtien l’a déjà compris : il ne recherche pas l’admiration. Il tue, réprime et viole sans remords ni honte – et pourtant, une fois le chef de « gang » neutralisé, l’indignation publique se dissipe, les masses applaudissent, oubliant les milliers de victimes civiles que les « forces de l’ordre » ont détruites. Telle est la logique brutale du pouvoir. Les émotions des masses n’ont jamais compté dans l’exercice du pouvoir ; ce qui compte, ce sont les résultats, la persévérance et la lucidité.

Si ce gouvernement illégitime, illégal et inconstitutionnel et ses paramilitaires « brigadistes » peuvent tuer et blesser 76 % des victimes civiles de ce conflit (chiffres de l’ONU !) d’avril à juin, sans remords, pour atteindre leurs objectifs, alors ceux qui prétendent résister doivent comprendre : le pouvoir n’est jamais une question d’être apprécié. C’est une question d’action. L’histoire ne récompense pas ceux qui recherchent l’approbation ; elle récompense ceux qui accomplissent ce qui doit être fait.

Le leader révolutionnaire cubain Fidel Castro s’adressant à la foule sur la place de La Havane le 2 septembre 1960. Il a passé des heures à expliquer les objectifs et les politiques de son gouvernement, mais ce n’est qu’avec le temps que les masses cubaines ont adhéré à la révolution, ce qui était et reste un défi très difficile.

Les groupes armés des quartiers pauvres doivent cesser de rechercher une validation passagère et se concentrer sur la transformation structurelle. Le peuple applaudit aujourd’hui, maudira demain (et vice versa). Les applaudissements sont temporaires ; les résultats sont éternels. L’histoire ne retient qu’une chose : les accomplissements. Les héros historiques ne sont pas ceux qui étaient aimés, mais ceux qui ont agi avec lucidité et détermination.

Aujourd’hui, Haïti se trouve face à deux voies :

  1. La première mène aux anciens oligarques, toujours mandataires des États-Unis, monopolisant toujours les ressources et toujours stériles.
  2. La seconde, risquée, incertaine et difficile, ouvre de nouvelles perspectives économiques, des alliances diversifiées non alignées et des structures locales où la dignité remplace la servitude, et où un « ordre fondé sur des règles » imposé de l’extérieur ne prévaut plus.

Si la seconde voie est empruntée, l’histoire dira peut-être un jour : au milieu du chaos, de la brutalité et de la violence, les graines d’une souveraineté ont été plantées. Non pas parce que les semeurs étaient aimés, mais parce qu’ils ont osé faire ce que l’État, les oligarques et leurs maîtres étrangers n’ont jamais pu ni voulu faire.

L’histoire ne se soucie ni de moralité, ni de popularité, ni de bienveillance humanitaire. Elle ne retient que les solutions – la capacité à transformer l’impossible en réalité.

En bref : les « gangs » ont déjà révélé la pourriture du système haïtien. Il s’agit désormais de passer du déracinement à la plantation, de la destruction à la construction, de la rage à la stratégie. En ouvrant leurs territoires aux investisseurs indépendants et en refusant toute recherche d’approbation, ils peuvent transformer les ghettos en moteurs de renouveau.

Cela ne signifie pas qu’ils ne doivent pas continuer à communiquer, éduquer, expliquer et œuvrer pour gagner le peuple, comme l’ont fait tous les grands dirigeants révolutionnaires – Mao, Fidel, Cabral, Chavez, etc. – mais le processus est long et ardu. Le changement subjectif doit s’accompagner d’un changement objectif.

C’est ainsi que l’histoire s’écrit : non pas par ceux qui cherchaient à être aimés, mais par ceux qui ont fait ce qui devait être fait, quel qu’en soit le prix.

 

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