Gede : les morts en fête

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La période du mois de novembre fournit l'occasion aux divers sanctuaires de cette région, de réaliser la fête des Brav, nom que prend le rituel des morts, et ayant des formes similaires au Gede.

Gede yo se espri (Lwa yo)
Se konsa yo fete lanmò nan kilti Vodou a
Se Bawon Samdi, Bawon Lakwa, Bawon Simityè,
Bawon Kriminèl ak Manman Brigit ki dirije Gede yo

Sur la base de ce que nous allons avancer, c’est surtout pour plaire à leurs mécènes, qui paradoxalement sont responsables de crimes irrémissibles que des aliénés locaux jugent nécessaires de s’attaquer aux pratiques culturelles authentiques. Pour y parvenir, ils ne se gênent de se livrer à toutes sortes de vaticinations les unes plus mensongères que les autres. A titre d’illustration, du caractère fondamentaliste de l’homme blanc nous débutons ce papier par ces bribes de texte puisés dans l’introduction de l’ouvrage de Laennec Hurbon intitulé Dieu dans le Vodou Haïtien (Editions Henry Deschamps 1987).

« Nous ne voudrions pas remettre en plein jour l’immense désastre qu’a été la Mission au cours de la période esclavagiste et de la colonisation. Il est difficile de ne pas reconnaitre que l’église avait porté la persécution chez les peuples du Tiers-Monde par la destruction systématique de croyances appelées superstition, idolâtrie, fétichisme etc. Que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique, au nom de la nécessité d’implanter partout l’église, unique lieu saint du salut, on engageait de véritables croisades. D’un côté, la colonisation trouvait sa raison d’être dans la supériorité de la civilisation occidentale, de l’autre, la mission expliquant la supériorité de la religion chrétienne sur les religions païennes ».

Le mythe fondateur du rite des Gede, s’il était bien su, apprécié et respecté, aurait pu valablement contrebalancer les arguments des prêcheurs de carrefour, les “Négriers des âmes” des Haïtiens qui participent ardemment, naïvement, et sans état d’âme à l’œuvre de déculturation progressive chez nous. L’on aurait pu ainsi répandre un mythe équivalent d’un sacrifié pour le salut de certaine communauté humaine. Il n’y a pas que les judéo-chrétiens à être détenteurs d’un mythe de l’homme salvateur kòmkwa dire si w pa kwè nan Jezi w bannann. L’histoire des Gede en est aussi une. Tout comme l’histoire de la Reine des Baoulés, Abla Pokou, en est une autre. Les Baoulés sont une des nations composantes de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui.

L’origine de la fête des Morts

Le lendemain de la Toussaint, le 2 novembre, la commémoration des fidèles défunts nous invite à prier pour les morts et à leur demander d’intercéder pour nous auprès des dieux pour pouvoir bénéficier de leur clémence supposée. En 998, le monastère bénédictin de Cluny instaura la commémoration de tous les frères défunts, le 2 novembre. Cette pratique s’étendit aux autres monastères, puis aux paroisses desservies par le clergé séculier.

Au XIIIème siècle, Rome inscrivit ce jour de commémoration sur le calendrier de l’Eglise universelle. Cette même date fut maintenue, ainsi tous les membres défunts de la communion des saints pouvaient être rappelés en des jours successifs. Les saints parvenus à la gloire du ciel le 1er novembre, et les autres morts l’on peut dire mondains le 2. A la fin du XVème siècle, les prêtres dominicains espagnols instaurèrent la coutume de célébrer trois messes le 2 novembre.

Au cours du haut Moyen Âge, on célèbre l’Office des morts à l’anniversaire du décès de la personne. Et tous les puissants de ce monde, princes, rois, évêques, demandent dans leur testament des prières pour le salut de leur âme. En 998, saint Odilon, abbé de Cluny, demande à tous les monastères dépendants de son abbaye de célébrer un office le lendemain de la Toussaint pour “la mémoire de tous ceux qui se reposent dans le séjour des morts.

Je me souviens que dans le temps, les 1er et 2 novembres, les défenseurs de la religion catholique, perdus dans une fanatisme dangereux, ne se gênèrent pas d’ériger une estrade juste à proximité de la sortie ouest du grand cimetière de Port-au-Prince. Leur objectif consistait essentiellement à provoquer ceux et celles qui s’adonnaient à la pratique du rite Gede. Pour leur gouverne nous leurs soumettons ce bref résumé sur la vraie histoire des Gede, tout en étant convaincu qu’ils ne pourront jamais se défaire de leurs préjugés que leur a inculqué l’occident sur la base de la prétendue supériorité de leur culture pour apprendre ce qu’est réellement le Vodou.

Historique des Gede

Selon un article fleuve publié sur les réseaux sociaux, les Gede étaient une famille, une Nation, une communauté qui partage en commun: une langue, des coutumes, les mêmes interdits quelques rituels traditionnels. Leur territoire, ce que l’anthropologie désigne sous le nom générique d’aire culturelle, était situé sur le plateau d’Abomey, ancienne capitale du royaume du Dahomey, zone comprise aujourd’hui entre Zogbodomey, Bohicon et Abomey.

L’histoire des Gede repose sur un mythe fondateur, similaire à d’autres ayant préexisté à la création d’une majorité de clans en Afrique. Cette communauté à l’époque, était frappée d’une calamité manifestée sous la forme d’une épidémie. Les gens en mouraient quotidiennement, par dizaines. Comme toute nouvelle maladie décimant les contrées ou les communautés, aucun remède n’existait encore. Les médecins traditionnels étaient pris au dépourvu.

On se rebattait sur les prières et supplications aux divinités et pour autant, aucune amélioration, aucune solution n’ont pointé à l’horizon. Les croyances ou systèmes spirituels prennent le pas. Ils deviennent naturellement les seules et uniques voies de recours en lieu et place des approches médicales et scientifiques. C’est comme pareil à tout système où l’humain s’obstine à croire que les forces transcendantales, les gens ne cessent d’invoquer la clémence de ceux qui sont déjà partis.

Désespérément coincés entre le malheur et les maladies, ils suppliaient volontiers les ancêtres, déjà dans l’autre monde, d’indiquer la feuille, la racine, l’écorce, la partie de l’animal, ou la combinaison d’éléments précités pour composer la fameuse potion qui guérira les malades. Face aux échecs répétés, il fut décidé, selon les consultations, que le fils aîné du chef de la collectivité accepte de s’offrir en sacrifice afin d’apporter le message personnellement aux ancêtres, dans leur séjour d’outre-tombe appelé Fètomè.

La croix (symbole Chrétien) du Bawon (premier enterré) a remplacé la pierre sous laquelle furent enfouis les restes du fils Aîné (Gede), celui qui choisit d’apporter personnellement le message aux ancêtres.

En échange, il fallait excepter la règle stipulant que soient restés inconnus les lieux de sépulture des rois et des princes. Au cas où sa mission est couronnée de succès, donc si la potion est révélée, son tombeau devrait être marqué d’une pierre sur laquelle tous les membres de la communauté viendront faire leur libation de sodabi (clairon local) en invoquant la guérison pour les cas de maladie grave. Ce qui arriva. Ce qui fut fait. Ainsi, a été le point de départ de ce rite couplé (mort-vivant/vivant-mort) qui prit le nom du fils aîné Gede, et qui devint par la suite le nom du clan.

Evolution des Gede en Haïti

La célébration du Culte des Morts se fait en principe le 2 novembre. Etant donné que le 1er novembre est aussi congé à l’occasion de la fête de la Toussaint les adeptes du Vodou en profitent pour se manifester par le rite Gede qu’on retrouve dans plusieurs rues de la capitale dans les cimetières et dans les peristil. Les observations ont démontré que c’est surtout dans le département de l’Ouest et plus particulièrement dans les péristyles en plaine, à Carrefour et de visites dans les cimetières le 1er et le 2 novembre, qui marquent surtout une sorte d’ingestion des célébrations réservées aux défunts par le calendrier des catholiques.

La croix (symbole Chrétien) du Bawon (premier enterré) a remplacé la pierre sous laquelle furent enfouis les restes du fils Aîné (Gede), celui qui choisit d’apporter personnellement le message aux ancêtres.

Ceux qui se targuent d’être chrétiens, envahissant les cimetières pour honorer la mémoire de leurs défunts. Les Vodouisants vont s’attrouper autour de la Croix représentant Bawon, le premier homme inhumé dans ce panthéon. Quoi donc de plus raisonnable que de trouver dans cet espace Chrétien, une forêt de croix, quelques symboles récréant dans l’imaginaire de ces africains transplantés, les principes fondateurs d’un rite perdu. Bawon qui n’existe pas dans les cimetières Dahoméens, devient par un jeu d’association, le lieu symbolique du Gede, enfoui dans la forêt perdue d’Afrique.

La croix (symbole Chrétien) du Bawon (premier enterré) a remplacé la pierre sous laquelle furent enfouis les restes du fils Aîné (Gede), celui qui choisit d’apporter personnellement le message aux ancêtres. Ainsi, le Bawon en Haïti a permis la perpétuation du geste, la mise en scène rituelle du contact, à partir du lieu de sépulture d’un ancien vivant, avec le monde invisible, Fètomè ou Pays sans Chapeau. Fètomè est le lieu de résidence des défunts où règnent et se côtoient les divinités ou Lwa. Le crédo Africain s’entend, tout ce qui se passe dans le visible se prépare, se planifie d’abord à partir du monde invisible.

Le Baron rempli également une fonction de Legba. Imaginez-vous des chrétiens hypocrites au cimetière de Port-au-Prince. Richement vêtus d’habits noirs, mauves, ou blancs, qui viennent prendre part à la messe chantée dans la petite chapelle des Sept Douleurs érigée dans la partie ouest du cimetière à moins de 50 mètres de Bawon et de Grann Brijit. Ensuite, ils longent les ruelles étroites entre les caveaux tantôt repeints tantôt en état de délabrement pour aller allumer des cierges, déposer des bouquets de fleurs, brûler des encens sur la tombe de leurs défunts.

Pour cent, deux cents ou trois cents gourdes selon vos moyens, des pè savann avec un missel à la peau délavée, chantent des libera en latin pour le repos des âmes du purgatoire. Parallèlement, des Vodouisants parés de leurs accoutrements de mauve, de blanc ou de noir, le visage recouvert de farine, leur bouteille de piment macéré dans de l’alcool en main, leur cierge allumé,  ils balbutient des prières aux ancêtres. Si attachés à leur culture profonde défiant ainsi la toute puissance supposée de la Bible que veut leur imposer l’occident, ils s’attroupent autour de Bawon.

Tout en se déhanchant sur un rythme Banda, eux aussi, des plus proches aux plus lointains, exposant leurs peines et difficultés quotidiennes. Ils déposent ensuite un cigare, une tasse de café, une bouteille de cola, un morceau de pain, du maïs grillé, des poissons et des bananes boucanés. Deux formes d’expression, l’une, l’appropriation des mœurs et la culture de l’ancien colonisateur; l’autre plus proche de l’univers cognitif du Vodou. Pourtant les deux expressions se convergent dans l’essentiel au point qu’au fond le Gede, dans ses réjouissances et son discours qui font fi de la morale chrétienne, va s’exclamer: Gade yon Kaka, Lanmò pa fout konn gran mouche.

La fête de la mort en Haïti et au Dahomey

Au Dahomey tout comme chez nous, la mort est une fête. A l’opposé des rites ralentis, tristes et lents du christianisme, le Vodou est célébré dans la joie, les éclats de rire, la danse, la musique rythmée des tambours. Les pratiquants du rite Gede, en Haïti, font la démonstration  des esprits qui peuvent incorporer temporairement un vivant, par le test de la prise du piment frotté dans les zones sensibles du corps: le sexe et des fois, les yeux. Les déhanchements ou de bèl grenn gouyad si w konn vantilatè participent de cette gestuelle qui ironise leurs pairs chrétiens.

Ces derniers, obnubilés par un évangile obscurantiste et hypocrite présentent la mort comme un accident, une peine capitale sanctionnant “l’homme déchu”. Alors que la philosophie pratique africaine apprend que tout ce qui vit, doit mourir; humains, végétaux et animaux et que l’homme ne saurait échapper à ce principe qui régit tout être vivant sur la planète Terre, le plateau du Lwa Sakpata.

 

Les accoutrements et déguisements du Gede, ses brassages avec des ossements humains ont pour but d’injecter une certaine dose d’humanisme aux vivants trappés dans l’individualisme égoïste (bénédiction personnelle), lè Jezi va vini l ap pran madanm nan ; men l ap kite mari a pou l demele l ak satan. C’est ce qui fait du Gede, le Vodou Philosophe, non pas parce que ses messages sont trop simplistes, recouverts de dehors dits grossiers. “Pa fout gen zo ki pat gen po sou li“, ou “Tout homme est le produit d’une gouyad“. Justement, la Gouyad du Gede, ne rappelle-t-elle pas la morphologie du spermatozoïde?

Les célébrations du rite Gede varient suivant la région et les origines des familles Vodou en Haïti. Contrairement à Port-au-Prince et ses environs, dans l’Artibonite, les Vodouisants ne pratiquent aucun rituel dans les cimetières devant la croix de Bawon. La période du mois de novembre fournit l’occasion aux divers sanctuaires de cette région, de réaliser la fête des Brav, nom que prend le rituel des morts, et ayant des formes similaires au Gede.

Ces célébrations combinent sacrifices et offrandes en l’honneur des défunts, des ancêtres, des Lwa du panthéon Gede. Participants et adeptes expriment leur réjouissance à travers des chants et des danses et la consommation des nourritures et boissons sacrées à base de piment et d’alcool. Certains lakou, comme Soukri Danach, rendent hommage aux Gede en leur consacrant la dernière journée de leur période de célébration des divinités Lwa Kongo.

Le Gede Tomè ou Pays Gede n’existe que dans les souvenirs aujourd’hui au Bénin pour des causes historiques liées à la fondation de cette Nation d’Afrique de l’Ouest. Des descendants de Gede se sont retranchés dans leurs communautés, réduites à des îlots épars et discrets localisés dans tout le plateau d’Abomey. J’ai pu visiter le Gedezoumen ou La Forêt de Gede où se trouvent encore l’arbre et la pierre de Gede. Sans un lieu public, les cérémonies en l’honneur de Gede se réalisent sans éclats, dans l’intimité des concessions et enclos réunissant des Gedevi ou descendants des Gede. En marchant à Abomey et à Bohicon, il n’est pas rare de voir plantées devant des parcelles, des pancartes métalliques portant le nom du propriétaire dont le nom de famille est Gede ou Gedevi. Deux hôtels pour voyageurs et touristes de passage de Bohicon portent le nom de GUEDEVI.

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