Garry Conille, les raisons de son limogeage !

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L’ancien Premier ministre Garry Conille accompagné de 3 membres de son cabinet ministériel

(1ère partie)

Le 8 novembre 2024, les Haïtiens ont été surpris de la révocation du Premier ministre Garry Conille par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT). A l’annonce de l’information, certains s’attendaient à ce que l’intéressé fasse de la résistance contre une décision que personne n’a vu venir tant l’occupant de la Villa d’Accueil paraissait comme étant l’homme fort du pays. Même si durant les cinq mois passés à la tête du gouvernement intérimaire, il n’a touché à aucun des problèmes qu’il était censé venu résoudre, il faut le dire franchement, Garry Conille, pensait et se comportait comme s’il était le véritable patron de la Transition. Avec sa casquette portant le logo PM vissée sur la tête, et sanglé dans un gilet pare-balle trop petit, en installant son bureau au Grand Quartier général des FAD’H au Champ de mars et parcourant les Commissariats de police de la région métropolitaine de Port-au-Prince, il faut reconnaître que l’ex-chef du gouvernement tendait à occuper tout l’espace du pouvoir.

Toute cette dynamique déployée donnait l’impression qu’il cherchait à avoir le soutien des forces de l’ordre pour réussir son ambition politique et dans une certaine mesure combattre les gangs qui pouvaient l’en empêcher vu qu’ils prennent en otage quasiment tout le pays. Si tous ces manœuvres n’ont pas été vus d’un bon œil par les neuf membres du CPT, jaloux de leurs prérogatives de chef du pouvoir Exécutif, en vérité, c’est l’attitude de Garry Conille à l’égard justement du Conseil Présidentiel de Transition qui va finalement le perdre.  Et pour cause. Le chef du gouvernement intérimaire va entrer en conflit ouvert avec la présidence comme ce fut le cas lors de son premier passage éclair à la Primature. Un court passage qualifié de « passage d’un météore » par le feu Dr Rony Gilot, dans sa série « Au gré de la mémoire », et qui fut, d’ailleurs, son chef de cabinet lors de son premier mandat.

Certes, il y avait déjà, comme on dit, anguilles sous roche dès l’entrée en fonction de Garry Conille en juin 2024 dans la mesure où il s’était octroyé tous les ministères clés contre la volonté du CPT estimant que les ministères dits régaliens relèvent du domaine réservé de la présidence de la République même dans le cadre d’une transition politique. Mais, l’affaire allait se dégénérer et prendre l’ampleur qu’on a connue avec cette fameuse 79e session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations-Unies tenue à New-York du 22 au 27 septembre 2024. Tout avait commencé une semaine plus tôt par une lettre officielle en date du 20 septembre 2024 de la Direction de la Sécurité des dignitaires à Washington annonçant le refus des autorités américaines d’accorder la protection diplomatique VIP à Edgard Leblanc Fils, Président en exercice du Conseil Présidentiel de Transition, durant son séjour aux Etats-Unis, alors qu’il devait accompagner le Président kenyan William Ruto en visite éclair dans la capitale haïtienne pour rencontrer les troupes kenyanes avant de se rendre à l’ONU pour participer à la 79e Assemblée générale de l’organisation.

« L’ambassadeur Antonio Rodrigue m’a transféré la lettre ce matin » avait confirmé le Président du CPT aux médias à propos de ce refus. Or, au même moment, une partie de la Délégation ayant à sa tête le Premier ministre Garry Conille était déjà à pied d’œuvre aux Etats-Unis, rencontrant moult dirigeants étrangers, dans le cadre de ladite Assemblée générale de l’ONU. Suite à cette lettre du Département d’État, Edgard Leblanc Fils avait pris la décision d’annuler son voyage qui était prévu pour le samedi 21 septembre 2024. « Cet après-midi, de concert avec les membres du CPT et la ministre de l’Économie et des finances Kethleen Florestal, Premier ministre par intérim, j’ai décidé de ne plus accompagner le Président Ruto pour New York. Ce sera le Conseiller Leslie Voltaire qui l’accompagnera. J’ai pris cette décision parce qu’il y a une confusion entre les Nation-Unies, le Département d’État américain et la Représentation d’Haïti auprès de l’ONU. Aussi, j’ai instruit la ministre des Affaires étrangères de rappeler pour éclaircissement et clarification le Représentant d’Haïti aux Nations-Unies et l’ambassadeur d’Haïti à Washington.            

Ils doivent expliquer au CPT ce qui s’est passé. D’ici au 26 septembre, on aura suffisamment d’informations pour prendre une décision sur qui doit porter la parole à l’Assemblée générale de l’ONU. Une partie de la Délégation haïtienne qui doit participer à la 79e session de l’Assemblée générale de l’ONU a déjà quitté le pays. L’autre partie était restée pour accueillir la Délégation conduite par le Président de la République du Kenya, William Ruto, en visite officielle dans le pays. » A cette annonce, c’était la stupéfaction dans la capitale haïtienne. Personne ne comprenait cette décision de Washington de refuser de prendre en charge la sécurité de celui qui dirige la République d’Haïti en tant que chef d’État, tandis que son chef de gouvernement parade sous haute sécurité dans les rues du pays de l’Oncle Sam.

Rencontre entre l’équipe du Premier ministre Garry Conille et celle de la Directrice stratégique de la Banque mondiale, Anna Bjerde

Immédiatement, certains soupçonnaient Garry Conille d’être à l’origine d’une telle méprise. La grossièreté de l’affaire allait soulever nombre d’interrogations, pas seulement à Port-au-Prince, mais aussi à Washington et à New-York où l’Administration américaine finit par comprendre qu’il y a une grave erreur suite à des manipulations, mésententes et confusions venues directement du ministère des Affaires Étrangères d’Haïti, de la Primature et de la présidence. Après quelques explications entre Port-au-Prince et Washington, feu-vert a été donné pour accueillir dignement et selon le protocole en vigueur réservé aux chefs d’État, Edgard Leblanc Fils sur le sol américain.

Ainsi, précipitamment, dans la soirée du 22 septembre 2024, l’ambassade des Etats-Unis en Haïti émet un communiqué sur son compte X pour annoncer que « Les États-Unis feront preuve de la plus grande courtoisie à l’égard du Président du Conseil Présidentiel de Transition, Edgard Leblanc, à l’occasion de son voyage à New York pour l’Assemblée générale des Nations Unies. Le Président Leblanc bénéficiera d’une protection complète, comme c’est le cas pour tous les chefs d’État. Le gouvernement américain prend très au sérieux la sécurité des dignitaires étrangers aux États-Unis et regrette les retards dans l’approbation du dispositif de sécurité de M. Leblanc en raison de la complexité de nos procédures internes ». Un langage très diplomatique pour dire qu’ils ne sont pas responsables de ce qui s’est passé. A la publication de ce tweet, le journal Le Nouvelliste avait contacté le Président du CPT pour avoir la confirmation qu’il n’y avait plus de problème pour sa participation à la 79e Assemblée générale de l’ONU.

Prudent, Edgard Leblanc Fils qui a compris que Garry Conille a essayé de prendre sa place à la Tribune des Nations-Unies, puisqu’il devait intervenir le 26 septembre, avait déclaré à ce quotidien « Les conditions ont certes changé, mais j’ai informé la ministre des Affaires étrangères que j’attends une note formelle soit de la Direction de la sécurité diplomatique soit du Département d’État américain en ce qui concerne la sécurité des dignitaires. Un agent de la sécurité diplomatique s’est déjà adressé à la Mission Permanente d’Haïti pour avoir mon itinéraire. Je suis prêt à partir, je me prépare en conséquence, mais j’attends une lettre formelle ». Si en Haïti, officiellement il n’y avait plus de problème empêchant à Edgard Leblanc Fils de prendre l’avion pour New-York, mais, comme on l’a vu, celui-ci demeura prudent, il avait préféré attendre une lettre signée du Département d’État américain notifiant qu’il sera bien placé en tant que VIP sous la protection diplomatique avant de faire ce voyage dans l’inconnu. Pendant ce temps, justement à New-York, la nouvelle est arrivée aux oreilles de la meute de journalistes qui suivait le voyage du Premier ministre.

Ces travailleurs de la presse ne vont pas tarder à interroger le chef du gouvernement sur le blocage et le dénouement favorable du dossier et de l’arrivée imminente de celui qui devait être là depuis le début. Les journalistes lui ont surtout demandé s’il avait quelque chose à voir avec ce qui était arrivé au Président du CPT et vu que celui-ci va être présent à l’ONU, quel sera son rôle à lui. Visiblement embarrassé, Garry Conille est sur la défensive. Il se mettait à expliquer comment il avait planifié ce voyage avec Edgard Leblanc Fils en indiquant qu’il n’a jamais été question pour lui de conduire la Délégation haïtienne.

Néanmoins, il n’oubliait pas de souligner tout de même que, dans le passé, certaines Délégations haïtiennes étaient composées du Président de la République et du Premier ministre. En tout cas, criblé de questions sur cette affaire qui avait mis au grand jour la mésentente entre la présidence et la Primature, Garry Conille répondait ce qui suit « Aussitôt que nous étions informés de la situation, nous avions contacté le Président Leblanc et entamé des démarches pour comprendre ce qui s’est passé. Je peux vous assurer que dorénavant, le problème est résolu. Le Président Leblanc aura les mêmes privilèges que tous ceux qui joueront le rôle de chef d’Etat à l’ONU. À ce que je comprends, il y a de très fortes possibilités qu’il puisse venir très bientôt pour venir remplir son rôle comme chef de Délégation et prendre la parole devant l’Assemblée. Ce n’est pas parce que j’étais déjà là comme PM que la sécurité de M. Leblanc n’était pas garantie. Il n’y a aucun rapport. La note de presse de la Primature était claire. Edgard Leblanc dirige la Délégation. 

Et je devais accompagner la Délégation. J’ai coordonné le voyage avec le Président Leblanc. J’ai partagé mon agenda avec lui. J’ai discuté de tout ce que nous aurons à accomplir. » A l’annonce que tout est rentré dans l’ordre, le Conseiller Présidentiel, Leslie Voltaire, qui était déjà sur place après avoir accompagné le chef de l’État kenyan, en attendant l’arrivée du Président du CPT, mais qui ne jouait pas le rôle de chef de Délégation, a tout de suite saisi des dossiers concernant celui-ci. C’est ainsi qu’il a rencontré, à la place de Leblanc Fils toujours bloqué en Haïti, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, le dimanche 22 septembre 2024, une rencontre prévue dans l’agenda du Président du CPT. Après cet entretien avec le patron des Nations-Unies, Leslie Voltaire a publié sur son compte X ce communiqué « J’ai eu l’honneur de conduire la Délégation haïtienne à New York pour la 79e session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Lors d’une rencontre fructueuse avec le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, nous avons abordé des sujets cruciaux pour Haïti : la crise alimentaire, la sécurité, la situation politique, économique et sociale, l’organisation des élections et la lutte contre l’enrôlement des enfants soldats.

J’ai particulièrement insisté sur l’aggravation de l’insécurité et demandé un soutien aérien des Nations-Unies pour renforcer notre combat contre ce fléau. » Mais, malgré la présence à l’ONU d’un membre du CPT, le Premier ministre entendait continuer à se comporter comme étant le véritable chef de la Délégation haïtienne. Il s’était arrangé avec la ministre des Affaire Étrangères, Dominique Dupuy, pour avoir la quasi-totalité des rendez-vous et rencontres dans le cadre des relations bilatérales d’Haïti et ses partenaires et ceci sans la participation d’aucun membre de la présidence en l’occurrence Leslie Voltaire en l’absence de Edgard Leblanc Fils. C’est pourquoi le chef du gouvernement intérimaire a eu une série de rencontres avec diverses personnalités notamment le Premier ministre de la Jamaïque, Andrew Holness, avec lequel il avait fait le point sur la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS). A sa sortie de ce tête-à-tête, Garry Conille s’en félicitait en ces termes « La Jamaïque vient de déployer une vingtaine d’officiers en Haïti et prévoit d’en envoyer plus.            

Rencontre de Garry Conille avec son homologue de la Jamaïque, Andrew Holness, le 22 septembre 2024, à la79e session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations-Unies, à New-York

Ce pays va nous fournir un appui afin de sécuriser la baie de Port-au-Prince. Ce qui est excessivement urgent. Le Premier ministre et son ministre des Affaires étrangères nous ont rassurés qu’ils allaient poursuivre l’engagement de leur pays, et nous aider à faire une plaidoirie sur la question d’Haïti. » Ensuite ce fut le tour de la Directrice des opérations de la Banque mondiale, Anna Bjerde, qui, d’après Conille, a permis d’ouvrir de nouvelles opportunités sans pourtant donner plus de précisions sur ces opportunités. Néanmoins, le Premier ministre laissait entendre que « Nous avons eu une belle discussion sur la forme que prendra le financement pour cette fin d’année fiscale et à partir de l’année prochaine. Nous avons des idées très claires de ce que nous voulons réaliser. La Banque mondiale est d’accord sur la vision. Haïti pourra encore garder son statut au niveau des allocations sous forme de dons et le portefeuille global sera revu dans le cadre du nouveau programme pays. »

Après ces deux hautes personnalités politiques et institutionnelles, Garry Conille a pu discuter avec les dirigeants de l’Université de Columbia et surtout il a eu une rencontre avec le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, le lundi 23 septembre 2024. Tout comme le congressman Gregory Meeks, sans oublier la Secrétaire générale adjointe de l’ONU, Amina J. Mohammed et la Directrice de l’UNESCO, Audrey Azoulay. « Les discussions ont porté sur les collaborations passées mais également sur la vision que nous avons pour l’avenir. Nous avons deux points forts sur lesquels nous voulons travailler avec eux. Le premier concerne les enfants faisant partie des groupes armés. Nous avons l’impression qu’un fort pourcentage des membres des groupes armés sont des enfants et nous travaillons avec l’Unesco afin de faciliter la réintégration de ces enfants, âgés pour la plupart de onze et douze ans, et leur permettre de retrouver le chemin de l’école. Le deuxième point était celui de la protection des patrimoines, telle que la Citadelle Laferrière. Il était important pour nous de discuter avec eux des types de collaboration que nous pouvons avoir cette année. »

Enfin, juste avant l’arrivée de Leblanc Fils, Garry Conille s’était entretenu avec John Finer, le Conseiller adjoint en Sécurité nationale de l’Administration de Joe Biden, en présence de Brian Nichols le sous-Secrétaire d’État pour les affaires hémisphériques. Une rencontre qui a eu lieu au bureau de la Mission Permanente d’Haïti auprès des Nations-Unies. Se réjouissant qu’il soit en terrain connu à l’ONU, Garry Conille s’évertue à expliquer que Haïti devait profiter de ce moment pour tirer ses épingles du jeu. « Il y a beaucoup d’activités qui sont réalisées en marge de l’Assemblée. C’est le moment d’échanger, de discuter des choses importantes pour notre pays. Haïti, comme plusieurs autres pays, sont en quête de ressources. La compétition est rude. Il faut profiter de cette scène pour pousser Haïti. Il faut saisir cette occasion pour expliquer aux partenaires que les enfants d’Haïti ne sont pas moins méritants que ceux des autres pays. Personne ne le fera à notre place », indiquait celui qui était le véritable boss de la politique haïtienne, en tout cas, c’est ce qu’il croyait.

Le problème, en disant toutes ces belles paroles que personne ne peut contredire, Garry Conille avait oublié qu’il n’était pas seul à l’ONU pour cette Assemblée générale et encore moins qu’il n’était pas le Président de la Délégation haïtienne et que, malgré son euphorie, il devait composer soit avec Leslie Voltaire déjà à New-York, soit attendre l’arrivée de Edgard Leblanc Fils, le chef en exercice du Pouvoir exécutif. Ce que, malheureusement, il n’a pas voulu comprendre et la mésaventure de Leslie Voltaire devant la Représentation brésilienne à New-York allait le condamner. (A suivre)

 

C.C

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